publié le 03/04/2014 à 20h57
Hervé Le Corre nous avait tordu les tripes en 2009 avec Les coeurs déchiquetés, l'histoire de ce flic, Pierre Vilar, anéanti, crucifié, par l'enlèvement jamais résolu de son fils...
Auteur patient, il remet ça avec Après la guerre, où un père déporté à Birkenau, tente de retrouver le fils, parti, lui, se
battre en Algérie. Oui, on est à la fin des années 50 et le titre de ce roman poignant indique le cheminement de Le Corre et aurait pu s'appeler, si ce n'était déjà fait par Jérôme Ferrari, Où
j'ai laissé mon âme. Le Corre, à travers un authentique roman noir, interroge le lecteur sur les conséquences des conflits, chez les civils comme les soldats. C'est beau, infiniment humain mais
aussi parfaitement documenté. Car Hervé Le Corre a su replonger son Bordeaux dans l'après-guerre, remonter le temps de cette ville qui, visiblement, s'était donnée sans retenue aux Allemands.
Jean Delbos est donc un survivant des camps. A la toute fin d'une 2e guerre mondiale qu'il pensait traverser sans anicroches, alors qu'il se croyait protégé par son " ami " policier, Darlac, une
descente l'embarque avec sa femme. Tout juste ont-ils le temps de cacher leur tout jeune fils, sur le toit de la maison. Si Jean se retrouve ainsi déporté, c'est aussi parce que sa femme Olga est
juive et communiste. Et incroyablement belle... Jean, le débauché, (re)découvre lors du voyage vers l'horreur, toute la bonté d'Olga, au fil de longues heures de confessions mutuelles, il se rend
compte à quel point il l'a négligée, à quel point il avait un trésor dans ses bras. Olga décède peu après leur arrivée au camp. Quand il est libéré, mort à l'intérieur, il se perd dans Paris, ne
pense pas à retourner à Bordeaux, ne cherche pas la trace de son fils. Jusqu'à ce que la haine pour ce flic, Darlac, prenne le dessus." J'avais vu les bourreaux à l'oeuvre. Cette haine
tranquille, naturelle comme leur souffle. Moi, je n'étais pas tranquille et le souffle me manquait parfois. "
De son côté, Daniel, le fils, vit la douleur de la guerre en Algérie, tiraillé entre les aspirations pacifistes de ses amis et son désir de voir ce qu'est un conflit. Sa curiosité naturelle va
vite le mener vers le dégoût, le rejet, face aux horreurs dont il sera rendra, bien involontairement, complice.
Jean, Daniel. Daniel, Jean. Hervé Le Corre dresse un subtil échange entre les deux personnalités. Entre eux se trouve ce Darlac, dont l'auteur fait une ordure monumentale, un personnage
incroyablement réussi, pas si monolithique que ça, avec sa tendresse pour sa belle-fille, ses précautions pour la femme d'un collègue mortellement blessée dans une bavure. Mais il est vrai que
l'auteur a un talent dingue pour dessiner ses protagonistes, il leur donne une chair incroyable, habités qu'ils sont par des personnalités subtiles et fortes. Le tout, soutenu par une syntaxe
organique, qui colle idéalement au récit.
Roman sur l'impossible résilience, sur la collaboration, sur le lien de chair aussi, Après la guerre est une vraie claque sur un sujet bien difficile à manipuler. Hervé Le Corre confirme son
statut de maître du polar.
Après la guerre, Hervé Le Corre, éditions Rivages, 524 pages, 19, 90 euros.
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Après la guerre : vengeance et résilience dans le Bordeaux des années 50
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