Monsieur Klein est un film français, sorti en 1976, et réalisé par l'Américain Joseph Losey, avec Alain Delon, comme producteur et acteur principal. En 1942 à Paris, sous l'occupation allemande, l'alsacien Robert Klein
fait des affaires, notamment en rachetant à vil prix des objets d'art à des juifs en difficulté. Alors qu'il reconduit à la porte l'un d'eux à qui il vient d'acheter un petit tableau du maître
néerlandais Adriaen van Ostade, il découvre parmi son courrier un exemplaire des Informations juives, journal habituellement distribué sur abonnement spécial.
L'affairiste se rend compte alors qu'il existe un autre Robert Klein, homonyme, abonné au journal parce que juif et fiché comme tel à la préfecture de police. Désormais son patronyme prend des
consonances suspectes et en fait un gibier. Pris en un piège kafkaïen, cherchant à se blanchir, il ne fait qu'augmenter la suspicion des autorités vichystes à son égard. Il découvre que son
double est non seulement juif, mais aussi résistant et qu'il joue de son homonymie pour mener des activités clandestines. Finalement muni de faux papiers, le Klein-affairiste cherchera à fuir
avant d'y renoncer, tenaillé par le besoin de connaître celui dont il est la victime.
Malencontreusement dénoncé par l'avocat du Klein-affairiste au moment même de leur rencontre enfin possible, le Klein-juif et résistant est arrêté. À l'instar de son double, l'autre Klein est
arrêté à son tour le lendemain, lors de la rafle du Vel d'hiv du 16 juillet 1942. Malgré l'attestation in extremis prouvant qu'il n'est pas juif, la présence dans le convoi déporté vers
l'Allemagne de son homonyme le pousse à tenter de lui parler : entraînés par le destin, ils finissent tous deux déportés sans avoir réussi à s'être jamais rencontrés. Comme un reflet de sa
mauvaise conscience, l'affairiste se retrouve dans le même wagon que son client juif (interprété par Jean Bouise) avec lequel tout avait commencé.
La première scène, qui dévoile une femme mûre, totalement nue, examinée comme du bétail et cataloguée comme juive par un médecin, vient en miroir à l'indifférence de Klein, riche négociant pour
qui, œuvres d'art et congénères ne semblent être que marchandises. Klein n'est pas juif : mais en enquêtant méthodiquement sur son homonyme, il part à la poursuite de sa propre identité. Il
découvre peu à peu la vie de gens dont il ignorait tout ; au point de se retrouver à son tour soupçonné, marginalisé.
La dernière scène - qui voit Klein renoncer à son laissez-passer pour suivre le mouvement de la foule montant dans les wagons - est sujette à différentes interprétations : Volonté de partager le
sort des juifs auxquels il s'identifie désormais, ou perdition d'un homme égoïste et indifférent. Alors que le convoi s'ébranle, Klein se retrouve aux côtés du juif qui lui avait cédé le tableau
néerlandais. Le film s'achève sur l'écho peu glorieux de conversations avec ce même homme auquel il avait soutiré la toile pour moitié de sa valeur. Joseph Losey apparaît dans une des dernières
scènes du film; dans la foule des Juifs déportés du Vel' d'hiv, un monsieur âgé à ses côtés.
Losey, sans réaliser uniquement une reconstitution de la vie et du statut des juifs sous l'Occupation, intègre des éléments historiques dans une démarche artistique voire métaphysique. Certains
critiques, lors de la sortie, manifestèrent une grande incompréhension de cette démarche. En effet, la parenté du film avec les œuvres de Franz Kafka a souvent été relevée : notamment le
lien avec la nouvelle La Métamorphose, récit de la transformation brutale et subite d'un homme en cloporte ; avec Le Château qui décrit une quête identitaire passant par la connaissance de
l'autre ; ou avec Le Procès dans lequel un individu est mis en accusation, et finalement à mort, sans que personne, surtout pas lui, n'ait pas même entrevu la nature des reproches dont on
l'accable. Mais dans Monsieur Klein, la question de l'identité est encore plus centrale. Qui suis-je ? Moi-même ou un autre ? "Je" a-t-il un sens ou suis-"je" quelque chose de différent à tout
instant et selon les circonstances ? Cette question constitue aussi le thème de plusieurs films de grande qualité, comme Le General della Rovere, de Rossellini (1959), Le Retour de Martin Guerre
(Daniel Vigne, 1982) ou Sommersby de Jon Amiel (1993).
Dans ces trois derniers films (le troisième étant d'ailleurs un "remake" américain du second), la problématique est toutefois inversée : c'est l'escroc minable qui meurt en héros (Le
General) pour ne pas abdiquer l'identité du personnage infiniment supérieur dans laquelle les circonstance l'ont amené à se couler. Dans Martin Guerre, c'est simplement l'attrait d'une vie plus
confortable qui conduit le personnage à usurper une identité guère plus reluisante que la sienne. Enfin, dans Sommersby, l'explication est plus complexe : le héros est un personnage sans éclat ni
histoire, un petit voyou errant, qui endosse l'identité d'un disparu qui était pour sa part une infâme crapule, mais en lui conférant de nouvelles et improbables vertus qui stupéfient son
entourage et sa femme, et meurt sur l'échafaud pour ne pas dévoiler la vérité alors que son "double" était accusé d'un crime odieux. Par certains côtés, le rôle de Klein est toutefois plus
tragique : c'est l'homme riche et sans histoires qui endosse le costume et le "moi" de la victime pour des raisons qui ne sont pas clairement énoncées. A chacun de se faire son opinion.
Le film comporte quelques invraisemblances factuelles, mais c'est vrai d'à peu près tous les films historiques. Une oeuvre d'art n'est pas un documentaire (encore que nombre de ces derniers
soient aussi parfois très approximatifs). Ainsi, une rencontre à Strasbourg entre le personnage principal et son père infirme. L'Alsace, depuis 1940, de nouveau, annexée au Reich allemand ne se
trouvait plus librement accessible depuis Paris, et ce jusqu'en 1945. Mais, vues les relations multiples de Klein, le personnage pouvait fort bien obtenir un laissez-passer. Autre bévue, a priori
moins justifiable : La rafle du vélodrome d'hiver (le Vel'd'Hiv) qui s'est déroulée sous la canicule des 16 et 17 juillet 1942, est curieusement restituée dans des frimas de plein hiver, quelques
jours après de magnifiques scènes de neige dans un château à Ivry-la-bataille. Comme pour enfoncer le clou, on peut entrevoir dans les décors "Les tickets de janvier seront honorés..." en
devanture d'une boutique. Effectivement sur tout le trajet des bus vers le vélodrome, les arbres sont ostensiblement dépourvus de feuilles et tous les figurants à cette fiction Losey portent bien
des vêtements hivernaux. Compte tenu de la grande culture historique de Losey, il s'agit à l'évidence d'un choix volontaire, visant à accentuer le caractère crépusculaire des scènes finales.
Fiche
technique
- Titre : M. Klein
- Réalisation : Joseph Losey
- Scénario : Franco Solinas
- Collaboration au scénario : Fernando Morandi
- Production : Raymond Danon, Alain Delon, Norbert Saada pour Adel Productions
- Musique : Egisto Macchi et Pierre Porte
- Assistants réalisateur : Philippe Monnier, Rémy Duchemin
- Casting : Marguerite Capelier
- Photographie : Gerry Fisher
- Cadre : Pierre-William Glenn
- Montage : Henri Lanoë
- Son : Jean Labussière
- Décors : Pierre Duquesnes
- Ensemblier : Pierre Lefait
- Pays d'origine : France, Italie
- Format : Couleurs / son Mono / 35 mm
- Genre : Drame
- Durée : 123 min
- Date de sortie : 27 octobre 1976
Distribution
- Alain Delon : Robert Klein
- Jeanne Moreau : Florence
- Francine Bergé : Nicole
- Juliet Berto : Jeanine
- Jean Bouise : le vendeur
- Suzanne Flon : la concierge
- Massimo Girotti : Charles
- Michael Lonsdale : Pierre
- Louis Seigner : le père
- Pierre Vernier : un policier
- Etienne Chicot : un policier
Prix et distinctions
Césars 1977 :
- César du meilleur film
- César du meilleur réalisateur pour Joseph Losey
- César du meilleur décor pour Alexandre Trauner
- nomination au César du meilleur acteur pour Alain Delon
- nomination au César de la meilleure photographie pour Gerry Fisher
- nomination au César du meilleur montage pour Henri Lanoë
- nomination au César du meilleur son pour Jean Labussière