publié le 12/03/2014 à 09h49
Sur fond d'affaire Gurlitt et alors que sort aujourd'hui le film de Georges Clooney consacré au sujet, Monuments Men, l'historien juif allemand Michael Wolffsohn relance la polémique en
prônant l'abandon de toute prétention à la restitution et l'indemnisation de la part des descendants des victimes. Au nom de la réconciliation.
Michael Wolffsohn le 17 février 2012, à Munich
L'affaire Gurlitt, une affaire sans fin ? L'issue de la spectaculaire histoire du "trésor artistique de Munich" est pourtant prévisible : le collectionneur Cornelius Gurlitt sera autorisé à
conserver les nombreux tableaux dont il est l'incontestable propriétaire. Le reste sera restitué aux descendants de victimes de la spoliation nazie. Des descendants dont la plupart sont les
petits-enfants ou les enfants très âgés des propriétaires initiaux.
Né en Israël en 1947, je suis le petit-fils de victimes du régime nazi ayant trouvé refuge en Palestine britannique en 1939. A ce titre, je voudrais dresser un bilan de la situation et lancer un
appel.
La conclusion – attendue – de l'affaire Gurlitt sera le résultat d'une politique de la terre brûlée aux plans social, juridique, culturel et historique. Un pronostic pessimiste, que l'on n'entend
guère que chuchoté en coulisses. Plus pour longtemps. La bombe peut exploser à tout moment. Dans les cercles officiels comme dans les médias, on retient son souffle. Sauf qu'une vieille vérité
devrait se vérifier : l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Tout le monde sait ce qu'il en est tant au plan juridique que moral : les descendants de criminels ne sont pas des criminels de naissance et les descendants de victimes ne sont pas des victimes
de naissance. Des deux côtés, les descendants sont intrinsèquement innocents.
La controverse sur les d'œuvres d'art spoliées n'a pas réduit mais creusé le fossé entre les descendants des criminels et ceux des victimes, entre l'Allemagne et "les" Juifs, entre l'Allemagne et
"le" monde. Les arguments éthiques et historiques me semblent remarquables sur un point : on a déjà tout dit depuis des décennies, mais tout le monde ne l'a pas dit. "Rien de nouveau sous le
soleil" (l'Ecclésiaste). Et ainsi entend-on toujours les mêmes arguments.
Cette inflation de bonnes intentions créé une habituation, source de dévalorisation, d'ennui et finalement d'oubli. Soit précisément ce que le respect, l'éthique et l'Histoire cherchent à éviter.
Nos connaissances sur les crimes nazis augmentent au fil du temps, en même temps que s'accroît la distance entre les descendants des bourreaux et ceux des victimes. Nous devons empêcher cela.
Mais comment faire ?
J'ai pris une décision. Je ne me permettrais pas d'ériger mon opinion en critère de référence, mais en tant que descendant de Juifs spoliés, j'ai décidé de renoncer aux dédommagements et à la
restitution qui me reviennent de droit. Mais pourquoi ne parle-t-on que des œuvres d'art volées et pas des autres spoliations ?
En tant qu'historien, l'étude de crimes allemands ou non, contemporains, passés voire antiques m'a appris une chose sur les "difficultés à assumer son passé" : le droit et la justice (quelle que
soit la définition qu'on en donne) ne passent malheureusement pas par là. Ils ne sont pas source de réconciliation. Or c'est la réconciliation que devraient rechercher les descendants des deux
camps. C'est pourquoi en tant que petit-fils de victime, je renonce à la restitution des biens dont ma famille a été spoliée.
Et je lance un appel aux autres descendants de victimes juives : renoncez vous aussi aux restitutions au nom de la réconciliation et de la paix.
Quoi que vous fassiez, pensez au résultat. Que les descendants de criminels méditent ce cheminement de pensée : après la faute, la repentance. Après la repentance, l'expiation. Après l'expiation,
la réconciliation. Et grâce à la réconciliation, la paix.