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Drieu la Rochelle, histoire d'un intellectuel perdu

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RTS Infopublié le 14/12/2013 à 12h01


La collaborateur, le suicidé ont effacé l'écrivain. Comment, pourquoi le dandy, l'ami de Malraux et d'Aragon s'est-il perdu en route?


Pierre Drieu la Rochelle

 

Un pessimisme invétéré, l'obsession de la décadence, la fascination de la force le mènent au fascisme. Quand l'échec est patent, il ne renie rien et se donne la mort. L'avait-il depuis toujours inconsciemment recherchée? Par quelle indifférence à la vie?

Et sa passion des femmes, son donjuanisme affiché, n'étaient-ce aussi que divertissement?

Malgré ses écrits dans Je suis partout, malgré ses éditoriaux dans L'Emancipation nationale, le journal du Parti Populaire Français de Jacques Doriot, il sera le parrain en 1943 de Vincent, l'un des fils de Malraux et de Josette Clotis.

Et Aragon, bien qu'ils aient rompu, écrira dans Aurélien (dont le héros est un mélange de de Drieu et de lui-même): "Au fond, quand on n'a pas eu de jeunesse à cause de la guerre, il est bien naturel de croire aux mouvements d'anciens combattants, de croire que tout ce qu'on trouve mal fait, pourri, on peut s'en débarrasser en s'unissant avec les autres, ceux qui ont été avec vous dans les tranchées".

Le virage de 34-35

Le grand virage idéologique, Drieu le dira, ce sera pour lui le 6 février 1934, l'attaque des ligues d'extrême-droite contre la Chambre des Députés, avec pour prétexte l'affaire Stavisky. Puis les manifestations de la gauche organisées en réaction à cette journée factieuse (communistes et socialistes convergeant le 12 février en un mouvement qui préfigure le front populaire de 36).

Un intellectuel "compréhensif"

Au mois de janvier précédent, Drieu a été invité en Allemagne par un cercle, le Sohlbergkreis, lancé par Otto Abetz pour rapprocher Allemands et Français: Drieu apparaît à Abetz comme l'un des plus «compréhensifs» parmi les intellectuels français. Francophone et francophile, Otto Abetz, séducteur, subtil, insinuant, sera ambassadeur d'Allemagne à Vichy puis Paris sous l'Occupation. Il sera le "protecteur" de Drieu.

Et c'est lui sans doute qui lancera l'idée que Drieu devienne le directeur de la Nouvelle revue Française, durant l'Occupation.

Le noir et le rouge

Tout ce que voit Drieu en 1934 à Berlin séduit Drieu, on lui fait rencontrer de jeunes ouvriers à Neukölln, et des militants nationaux-socialistes, qui lui disent être bien décidés à rester socialistes...

Mais la séduction est encore plus forte en 1935: invité au Congrès nazi de Nuremberg, Drieu est saisi par le grand spectacle noir et rouge, les drapeaux, les bras levés, la mise en scène, le discours glapissant de Hitler (avec lui, Brasillac et Bertrand de Jouvenel, non moins impressionnés). Drieu écrira: «Il y a une espèce de volupté virile qui flotte partout et qui n'est pas sexuelle, mais très enivrante».

L'enfance, comme explication ?

On a cherché (Dominique Desanti notamment, sa première biographe) de lointaines explications à un tel aveuglement. Chez quelqu'un qui avait tous les outils intellectuels pour ne pas se laisser prendre au piège totalitaire. Et on a évidemment rapproché l'itinéraire de Drieu de celui d'Aragon, si proches l'un de l'autre, amis intimes pendant dix ans, l'un devenant suppôt du stalinisme, l'autre du nazisme.

L'enfance de Drieu, c'est celle d'un bourgeois, qui se ressent comme déclassé. D'un enfant sans père (le père, couvert de dettes, a ruiné la famille, il a quitté le foyer, Pierre est élevé par sa mère et ses grands-parents): donc une image virile dévalorisée (idem pour Aragon et Malraux).

Une enfance surprotégée: il se perçoit "émasculé" par son grand-père.

Puis c'est la guerre: il s'y découvre lui-même, capable de courage physique. Blessé trois fois, il est de ceux qui se sentiront floués par l'après-guerre (voir la phrase compréhensive d'Aragon citée plus haut).

Le silence de la chair

Drieu, c'est aussi "l'homme couvert de femmes" (le mot est de lui), cherchant dans le donjuanisme la solution à on ne sait trop quelle déficience sexuelle. Les amis (Emmanuel Berl) parleront de «silence de la chair». Une hantise de la "souillure", mais de multiples liaisons (dont Mme Louis Renault, pendant dix ans), des amours tarifées, deux mariages (très brefs, le premier avec Colette Jeramec, d'origine juive, et qui restera un recours, june manière de repère, tout au long de sa vie).

La hantise de la décadence

Mais les explications qu'on cherche de ce côté-là (les femmes, la sexualité) à la dérive collaborationniste, antisémite, de Drieu, ne sont pas vraiment convaincantes. Sinon, peut-être, un doute profond sur soi-même, et l'attirance pour une force qu'il n'a pas, et la hantise de la décadence, de la déchéance, de la décrépitude (il aura vu celles de ses chers grands-parents, un des «premiers désastres» auxquels il assista).

Mourir à la romaine

En tout cas, dès l'enfance, une fascination de la mort et du suicide. La dernière période semble une progression inéluctable vers son destin: "La beauté de la mort console d'avoir mal vécu. Dieu, qu'a été ma vie? Quelques femmes, la charge de Charleroi, quelques mots, la considération de quelques paysages, livres, statues, tableaux, et c'est tout. C'est peu. Quand même, j'aimerais mieux mourir en SS".

Ou encore (novembre 1942): "De nouveau, le drame du monde s'anime ; donc je suis foutu ; l'Allemagne est foutue. J'espère que je vais trouver une mort conforme à mon rêve de toujours, une mort digne du révolutionnaire et du réactionnaire que je suis. C'est bon de se sentir au cœur de son destin. A vingt ans, je rêvais d'entrer dans l'Intelligence Service ou dans l'armée allemande? Vais-je pourvoir y entrer pour y mourir? Ou vais-je me suicider à la romaine ?"

Mûr pour la mort

Première tentative le 12 août 1944 (alors que Paris pétarade des combats de sa Libération). Après avoir écrit à "Beloukia" (Christiane Renault) "Je ne veux pas renier, je ne veux pas me cacher, je ne veux pas aller en Allemagne (allusion à Céline et à Doriot), je ne veux pas être touché par des pattes sales", il prend des barbituriques, mais, découvert, il est ramené à la vie. Il se survit six mois, jusqu'au 14 mars 1945, tentative réussie cette fois-ci: "Je veux mourir parce que je suis admirablement mûr pour la mort. Quelle chance de ne pas devenir un vieillard".


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