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Les clés du mystère Jean-Louis Klée révélées par Jean-Marie Stoerkel

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L'Alsacepublié le 02/04/2014 à 05h00 par Hervé de Chalendar, photos Thierry Gachon

Certaines vies égalent les fictions. Celle de Jean-Louis Klée, enfant de Katzenthal qui s’est illustré comme espion dans l’Europe des années 30 avant de refaire sa vie en Amérique du Sud, a alimenté bien des fantasmes. Le journaliste Jean-Marie Stoerkel rétablit la vérité, et elle vaut la légende.



Portrait de Jean-Louis Klée

Portrait de Jean-Louis Klée et, en fond, de son village natal, Katzenthal. La photo de Klée a été prise fin 1936, alors qu’il avait été arrêté par les autorités belges.

 

Que va-t-on en dire à Katzenthal ? S’intéresser à Jean-Louis Klée (1908-1989), un enfant du village parti, à la veille de la Seconde guerre, s’exiler en Bolivie puis en Argentine, c’est comme libérer un fantôme coincé dans un grenier. « J’ai l’impression de réveiller plein de choses , constate Jean-Marie Stoerkel, qui sera de retour dans ce village demain (lire ci-dessous). Mais ça permet de tordre le cou à la rumeur, même s’il reste encore des parts de mystère… »

Journaliste et écrivain, Jean-Marie Stoerkel publie L’espion alsacien , une enquête révélant la personnalité et le parcours pour le moins romanesques de cet agent du Deuxième bureau français, qui fut affecté à la surveillance de l’appareil militaire nazi. Stoerkel était sans doute le mieux placé pour apporter cette masse de révélations concernant Klée : parce que cet ancien fait-diversier de L’Alsace est un enquêteur aguerri et parce que l’histoire de l’espion fait régulièrement résonance avec la sienne.

Son livre est documenté comme un article, mais fait rêver comme une fiction. En le lisant, on pense aux films en noir et blanc du style Casablanca : il y a du suspense, du danger, du double jeu, un monde en train de basculer, une pincée d’exotisme… Et même ce qu’il faut d’amour.

Il s’évade en plongeant dans la Tamise

À Katzenthal, Jean-Louis Klée est une figure de légende, un mythe sur lequel on ne s’est pas privé de broder : on a raconté qu’il avait été condamné à mort par contumace, qu’il avait vendu les plans de la ligne Maginot aux nazis, qu’il avait tué un curé (le père Ernest Klur pour être précis) avant de lui piquer sa soutane, qu’il s’était évadé d’un bateau en sautant dans la Tamise…

Jean-Marie Stoerkel effectue enfin le tri entre faits et fantasmes. Oui, Klée a bien joué les James Bond en plongeant d’un cargo à vapeur quittant Londres (c’était le 27 octobre 1938) ; oui, il s’est déguisé en curé pour quitter la France et n’y plus revenir (c’était en mai ou juin 1939) ; mais non, il n’a pas vendu les plans des fortifications françaises, et non, il n’a jamais tué d’ecclésiastique…

Comme Jean-Louis Klée, le père de Jean-Marie est originaire de Katzenthal. Le papa de l’auteur et son sujet ont dû jouer ensemble quand ils étaient gamins : ils n’avaient qu’un an de différence. Un jour de l’été 1959, papa Stoerkel emmène son fiston, alors âgé de 12 ans, dans l’épicerie-café-restaurant de Katzenthal. Elle appartenait à Camille Klée, frère de ce fameux Jean-Louis et maire de 1945 à 1977. Le gamin n’a jamais oublié la fillette aperçue ce jour-là, dans l’escalier du commerce : elle n’avait que neuf ans, mais elle fascinait forcément puisqu’elle était la benjamine des trois filles de « D’r Spion » , l’espion sur lequel tant de rumeurs étaient déjà en train de courir, et qu’elle venait de Bolivie…

« Je me souviens aussi du décès de la maman de Jean-Louis et Camille, en 1966 , poursuit Jean-Marie Stoerkel. Les gendarmes planquaient au cas où Jean-Louis reviendrait. Tu vois la scène : le frère du maire qui risque de se faire arrêter en venant à l’enterrement de sa mère… » De quoi affoler les imaginations, a fortiori celle d’un futur journaliste-écrivain.

Un peu plus tard, dans les années 72-73, Jean-Marie Stoerkel est allé bourlinguer en Bolivie. Il y a vu Klaus Barbie (alias Altmann) taillant ses rosiers à La Paz et a raconté ce voyage initiatique dans un livre, Le chaos de l’âme.

« Pourquoi n’est-il pas rentré en France ? »

En avril 2010, c’est en dédicaçant un autre ouvrage, La morte du confessionnal , que l’histoire de l’espion alsacien s’est de nouveau manifestée à lui : il a alors rencontré Isidore, autre frère de Jean-Louis. Quelques mois plus tard, il dînait avec le vieil homme et Monilé, l’ancienne fillette de Bolivie, établie désormais à Cayenne. « Elle m’a alors dit qu’elle aimerait savoir pourquoi son père n’était jamais rentré en France… » C’est ainsi que l’ancien fait-diversier s’est remis au travail, et que l’enquête a démarré.

L’auteur a sollicité les archives suisses, allemandes, belges et françaises. Les moins coopératives ? Les françaises, comme toujours.

Ce qu’il a trouvé est à la hauteur de la légende. Au fil de cet Espion alsacien , on suit l’homme Klée essayant de vendre les plans d’un obus allemand aux Polonais, dînant avec un diplomate du IIIe Reich, mentant comme il respire, collectionnant les fausses identités, recrutant d’autres agents secrets, refaisant sa vie dans les mines sud-américaines… Toujours recherché par les uns, mais couvert par les autres, se faisant arrêter, mais repartant toujours…

On le découvre aussi s’efforçant de trouver l’argent pour soigner sa femme Walli, souffrant de tuberculose, avec qui il vivait, semble-t-il, une passion fusionnelle.

Au final, qui fut ce Jean-Louis Klée ? Un bon soldat ou un roi de l’embrouille ? Un traître ou un brave type ? Jean-Marie Stoerkel s’est forgé son intime conviction, mais on retient notre envie de vous la révéler pour ne pas vous priver du plaisir de le lire.

LIRE L’espion alsacien, Un destin rocambolesque à la veille de la 2e guerre mondiale , Jean-Marie Stoerkel, éditions La Nuée Bleue, 175 pages, 15 €.


L'Institutrice d'Izieu - Dominique Missika

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Téléramapublié le 29/03/2014 à 12h48 par Gilles Heuré

Essai - Lumière sur une figure exemplaire, qui offrit à des enfants juifs, avant leur déportation, son écoute et sa passion de l'enseignement.

L'Institutrice d'IzieuOn aime beaucoup

Ce fut une tragédie, celle qui, le jeudi 6 avril 1944, à Izieu (Ain), vit l'arrestation et la déportation par les Allemands de quarante-quatre enfants juifs réfugiés et de leurs sept éducateurs. Deux ouvrages reviennent sur cet événement. Le premier, celui de Pierre-Jérôme Biscarat, aujourd'hui réédité, retrace très précisément le contexte historique, les étapes du drame et le parcours des enfants de la Maison d'Izieu, dirigée par le couple Zlatin (1.) Le second, celui de Dominique Missika, s'attache à la figure méconnue de Gabrielle Perrier.

Fin 1943, cette institutrice célibataire de 21 ans vit encore chez ses parents, à Colomieu, et cumule les remplacements. C'est une jeune femme réservée et sérieuse, passionnée par son métier, qui attend avec impatience les affectations que l'inspection académique veut bien lui octroyer. On la dirige finalement vers un poste d'institutrice intérimaire à Izieu pour s'occuper de la classe d'une quarantaine d'enfants réfugiés, dont on ne lui a pas précisé qu'ils étaient juifs. Elle s'y rend à vélo, avec un enthousiasme seulement refroidi quand elle apprend du maire que, contrairement aux usages, il ne lui fournira aucun logement de fonction et qu'elle devra louer elle-même une chambre, jusqu'à ce que, finalement, une indemnité de logement soit débloquée en février 1944.

Gabrielle fera peu à peu connaissance avec les enfants, âgés de 5 à 17 ans, apprendra leurs noms aux consonances étrangères et à l'orthographe un peu difficile. Elle retient d'abord les prénoms : Hans, Nina, Otto ou Mina. Ils viennent d'Allemagne, d'Autriche, de France, de Pologne, de Belgique ou d'Algérie, et, après une rapide évaluation des connaissances de chacun, elle organise sa classe en cinq niveaux. Son poste est bien officiel, mais elle connaît le statut particulier des enfants de ce foyer, pris en charge par des réseaux clandestins et en attente d'un passage en Suisse. En revanche, elle n'évalue pas à quel point ce sont les victimes désignées d'un régime français qui apporte son soutien à la chasse aux Juifs. Gabrielle Perrier vit un peu isolée, loin de sa famille, à l'écoute des rumeurs qui circulent sur les maquis, les hommes qui fuient le STO et les répressions – mais à la colonie, pas plus que dans le village, qui est à près d'un kilomètre, on n'a jamais vu de soldats allemands. Elle fait sa classe, s'organise comme elle peut avec le manque de fournitures scolaires et comprend le mutisme de certains gamins sur ce qu'ils ont vu et vécu.

C'est donc le 6 avril 1944, pendant les courtes vacances de Pâques, alors que Gabrielle est retournée chez ses parents, que les Allemands, sur ordre de l'officier SS Klaus Barbie, viendront rafler tous leurs enfants et leurs éducateurs. Pendant des années, Gabrielle restera discrète, gardant pour elle un traumatisme qui la hante, et ce n'est qu'à l'occasion du procès Barbie, en 1987, qu'elle sera « témoin officiel ». « Est-elle une héroïne ?, écrit Dominique Missika. Certes non. Elle n'a pas pris les armes et risqué sa vie. Mais elle a été exemplaire. » La Maison des enfants d'Izieu est devenue un musée-mémorial national en 1994.

L'institutrice D'izieu

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L'institutrice D'izieuGabrielle Perrier, avait 21 ans. Des enfants réfugiés à la colonie d'Izieu, auxquels elle faisait la classe, elle ne savait rien - même pas qu'ils étaient juifs. D'un naturel réservé, timide et convaincue de son peu d'importance, elle n'a pas cherché à en apprendre davantage, n'a rien deviné. Jusqu'à cette veille de Pâques, le premier jour des vacances, où elle a appris, au marché du bourg, que ses élèves avaient tous été emmenés le matin même par les Allemands. Pour elle le monde s'est alors effondré.

Elle a passé le reste de sa vie à s'en vouloir de n'avoir rien fait, de son ignorance, de son manque de clairvoyance. Ni orpheline de guerre, ni veuve de guerre, ni parente de victime, l'institutrice d'Izieu en a pourtant tous les stigmates. Modeste, elle a été oubliée lors de l'enquête sur le dénonciateur de la colonie, ainsi qu'à l'occasion des commémorations de la tragédie... jusqu'au procès Barbie où, quarante-trois ans après la rafle, elle a enfin pu témoigner, parler des enfants dont elle a partagé la vie pendant plusieurs mois et se libérer, un peu, du poids de ce drame. Elle est devenue, alors, la voix des enfants d'Izieu.


Auteur : Dominique Missika
Editeur : SEUIL
Date de parution : 13/03/2014

Alice Herz-Sommer obituary

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The Guardianpublished 24/02/2014 at 19:16 GMT by Christopher Nupen

Concert pianist who, with her son, survived two years in Terezín concentration camp



Alice Herz-Sommer making her debut in 1924

Alice Herz-Sommer making her debut in 1924

 

Alice Herz-Sommer, who has died aged 110, was a concert pianist of distinction whose career was blighted by nazism. In 1943 she was imprisoned in the Terezín concentration camp, near Prague, with her six-year-old son, Raphael, and was one of the very few survivors – in part because she was a musician. What she did in the camp and subsequently, recorded in a book and in two films I made with her, We Want the Light (2004) and Everything is a Present (2010), made her famous in many parts of the world and won her a treasured place in the hearts of hundreds of thousands of people.

She was born in Prague, one of five children, including a twin sister, of Friedrich and Sofie Herz, and was known as Gigi (hard "gs") from the age of five – for reasons which she could not remember. She liked the name and it seemed to generate affection for her wherever she went. At the age of six she began learning the piano, and by her teens was teaching and performing as a pianist. Her father owned a factory for producing weights and scales but lost everything in the first world war. The family consequently suffered the most severe deprivation – "and so we realised, as little children, what is war."

In 1931 Alice married Leopold Sommer, an amateur violinist. She said that she was bowled over by his compendious knowledge of art and music. Their marriage was a happy one and they had a son whom they called Stephan, later changed to Raphael. "But I was always ugly," she said. "My twin sister was very beautiful. We understood each other perfectly and we loved each other very much but she was a pessimist and so she died at 74. If you are a pessimist the whole organism is in a tension all the time."

Alice was separated from her husband in Terezín and he later died of typhus in Dachau concentration camp, Germany, six weeks before the end of the war. A friend kept his spoon and later gave it to Alice. She cherished it until her last day.

In Terezín, she played more than 100 concerts and wondered perpetually at the power of music in those unimaginable circumstances – something truly extraordinary that brought both performers and listeners a sense of being close to the divine – and something that she had not experienced before. After the liberation of the camp, Alice emigrated to Israel, where she built a happy career performing in concerts, teaching and giving radio recitals.

A fair percentage of her pupils remained in affectionate contact with her until the end of her life.

Raphael became a virtuoso cellist and, in 1986, Alice moved to London to be with her son who, in addition to his solo career, held teaching posts in London and Manchester. He died in 2001 at the age of 64. One wonders what impact having so little to eat during his sixth and seventh years might have had on his health. One of her techniques for coming to terms with the loss was to thank nature for sparing her son the pain of declining years as a cellist.

Her book, Ein Garten Eden inmitten der Hölle (A Garden of Eden in Hell, 2006), based on her experiences, written with Melissa Müller and Reinhard Piechocki following hundreds of hours of interviews and phone conversations, has been published in seven languages.

When Alice was 98, she became the star of We Want the Light, produced by my company Allegro Films, which won four international prizes – in large measure because of her. We collaborated again on Everything is a Present, which also won four prizes, once again because of her wisdom, her charm, her gravitas and the depth of her perceptions. The Lady in Number 6: Music Saved My Life (2013), a documentary about her life directed by Malcolm Clarke, has been nominated in the best documentary short category in this year's Academy Awards.

Alice lived alone in a small flat in London. For years, she swam every day and attended philosophy classes three days each week – walking to both. She attributed her longevity to two things: her optimism and music. "The life of a musician is a privilege. Of this I am sure, because, from the morning to the evening and from the evening to the morning, the musician is occupied with the most beautiful thing coming from mankind – music."

Asked what she had learned in her long life, she would reply: "To know the difference between what is important and what is not important." Her optimism was tempered by only one thing: "I am an optimist in all things except one. People don't learn, they don't learn."

Alice is survived by two grandsons, David and Ariel Sommer.

Alice Herz-Sommer, pianist, born 26 November 1903; died 23 February 2014

Sommer Herz Alice

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Sommer Herz Alice Alice Sommer Herz, aussi connue comme Alice Sommer, née le 26 novembre 1903 et morte le 23 février 2014, est une pianiste et professeur tchèque de musique, rescapée du camp de concentration de Theresienstadt. Alice Sommer-Herz vivait dans le nord de Londres, Royaume-Uni depuis 1986, et était, à la fin de sa vie, la survivante la plus âgée connue de la Shoah. Sœur jumelle de Mariana, Alice naît en 1903 à Prague (Autriche-Hongrie) de Friedrich et Sofie Herz.

En 1931, elle épouse un musicien, Leopold Sommer, et donne naissance à un fils, Raphaël, en 1937. Après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les Allemands, la plupart des membres de sa famille et ses amis émigrent en Palestine via la Roumanie, y compris Félix Weltsch, son beau-frère et Max Brod, mais Alice Sommer-Herz reste à Prague. En 1942, sa mère, âgée de 72 ans, malade, est déportée et meurt peu après.

Un an plus tard, Alice Sommer-Herz, son mari et leur fils sont envoyés au camp de concentration de Theresienstadt. Avec d'autres musiciens, Alice Sommer-Herz donnera plus de cent concerts dans le camp. Après quelques mois, Léopold son mari est envoyé à Auschwitz et meurt à Dachau en 1944. Après la libération soviétique de Theresienstadt en 1945, Alice Sommer-Herz retourne à Prague et en mars 1949 émigre en Israël pour y rejoindre sa famille. Elle vit en Israël et travaille comme professeur de musique à Jérusalem jusqu'en 1986, quand elle décide de suivre à Londres, son fils, un violoncelliste accompli qui s’est établi en Grande-Bretagne. En 2001, son fils, Raphaël Sommer, meurt lors d’une tournée du Solomon Trio en Israël.

À 103 ans, elle retrace sa vie dans un livre, Ein Garten Eden inmitten der Hölle. Ein Jahrhundertleben: Das Jahrhundertleben, signé par Melissa Müller et Reinhard Piechocki et paru en 2006 aux éditions allemandes Droemer/Knaur. Un bestseller traduit en 7 langues sous des titres fidèles : A Garden of Eden in Hell, Un jardin au milieu de l’enfer. Deux films primés plusieurs fois ont élargi l’audience de cette pianiste dans le monde : We Want the Light et Everything Is a Present (réalisés par Christopher Nupen). Christopher Nupen connaît Alice Sommer Herz depuis 30 ans. Everything Is a Present, rythmé par des airs de Schubert, Smetana, Beethoven interprétés par Alice Sommer Herz, a été diffusé sur Arte en novembre 2011.

Alice Sommer Herz dit dans ce documentaire qu'elle n’éprouve aucune haine, ni pour l’Allemagne, ni pour les Allemands : « La haine amène la haine ». Elle estime que le bien et le mal cohabitent dans tous les êtres humains. Selon elle, son optimisme et sa discipline sont les secrets de sa longévité. Alice Sommer Herz a pratiqué la natation quotidiennement jusqu’à l’âge de 97 ans et, à l'âge de 107 ans, jouait toujours du piano deux heures et demie chaque jour. En 2010, le ministre tchèque de la Culture lui décerne le prix Artis Bohemiae Amicis, distinguant « les personnalités ayant contribué à la promotion de la culture tchèque à l’étranger ». Michael Zantovsky, ambassadeur de la République tchèque en Grande-Bretagne, lui remet ce prix à Londres le 26 novembre 2010. Elle meurt le 23 février 2014 à Londres à l'âge de 110 ans. Le 2 mars 2014, le film The Lady in Number 6: Music Saved My Life sur la vie de Alice Sommer Herz remporte un Oscar (Academy Awards) pour court documentaire.

Lorna Arnold obituary

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The Guardianpublished 27/03/2014 at 17:01 GMT by Brian Cathcart

Nuclear historian respected by those who supported and opposed the H-bomb



Lorna Arnold

As a public servant, Lorna Arnold was fiercely intolerant of anything less than the best. Photograph: Rosie Houldsworth

 

Lorna Arnold, who has died aged 98, was the official historian of Britain's nuclear project and the author of landmark books on the Windscale reactor accident of 1957, on British nuclear testing in Australia and on the development of the hydrogen bomb.

She brought to these controversial subjects the highest standards of official history writing, and as a result was able to command the respect of both opponents and supporters of the nuclear deterrent, at times when the two could agree on little else.

Her views and habits were shaped in the wartime civil service, where she worked in a secretariat supporting high-level War Office committees, and then in the Foreign Office department that planned the postwar occupation of Germany. She went to Berlin in 1945 to put the plans into action, and then as a diplomat to Washington.

Her experiences taught her a profound respect for the best in British public service and a fierce intolerance of anything less than the best. This rigour she later applied to the people and events she wrote about as a historian, always seeing it as her job to place a clear and accurate story before the public rather than to serve the interests of the nuclear establishment.

But her story has another dimension, for in a long life she repeatedly rose above adversities that would have defeated many and, successful though she was in her field, she is surely one of that army of women denied greater eminence because of their sex.

She was born Lorna Rainbow in London, the daughter of a technician in the Royal Naval Air Service, and among her earliest memories was seeing airships overhead and being told "There's Daddy's ship!" She grew up in Surrey and in 1934 went on a scholarship to Bedford College, London, before training to be a teacher in Cambridge.

Along the way, people noticed this bright, sharp-eyed young woman, among them the literary critic FR Leavis and his wife, Queenie, who drew her for a time into their circle. "I wished," Arnold wrote of these followers, "that I could be as sure of anything as they seemed to be of everything."

She taught briefly and did not like it, and then was laid low by a heart ailment. She recovered in time to be recruited to the civil service on the outbreak of war; there her shrewdness and administrative ability shone through, so that by the time she moved to occupation planning her staff included three majors (all men) and her deputy was the young writer Goronwy Rees. She was not yet 30.

In the unstable Berlin of 1945, where she slept with a revolver under her pillow and was greeted by soldiers as "Miss Rainbow, sir!", she was UK secretary to the economic directorate, engaged in constant, difficult negotiations with the Russians, French and Americans.

A short assignment to Washington in 1946 to discuss cost-sharing for the occupation turned into a full-time post at the embassy there, working alongside Donald Maclean, whose nervous nature puzzled her. A Soviet agent, he would later defect to Moscow.

In 1949, she resigned. She thought her job was done and, with more men once again available for diplomatic posts, she did not feel that she could expect to remain.

Returning to Britain, she married Robert Arnold, an American musician she had met in Washington. They lived at Cheyne Walk in Chelsea, London, where Bob maintained a National Trust collection of musical instruments housed on the lower floors.

In 1953, by which time they had two sons, Bob left her and returned to the US. Suddenly, at 38, she was a single mother without an income. She took a job on the packing line of a biscuit factory in Edgware Road and from there graduated to poorly paid clerical jobs.

A chance encounter in Russell Square with a former Berlin colleague brought her back into public service in 1959, at the Atomic Energy Authority. First she worked in health and safety, and then she took a position managing records and supporting the official historian, Margaret Gowing.

Her first published output was six chapters of Gowing's 1974 work, Independence and Deterrence: Britain and Atomic Energy 1945-52, and then, as Gowing wound down her involvement, Arnold took wing.

A Very Special Relationship: British Atomic Weapon Trials in Australia (1987) addressed what was then a highly controversial subject with the fairness and clarity that would become her hallmark. Windscale 1957: Anatomy of a Nuclear Accident (1992) revealed her talent, as a non-scientist, for incorporating challenging science in a dramatic narrative, again while navigating highly charged debates about blame. Britain and the H-Bomb (2001), published when she was 85 and her sight was deteriorating, maintained her very highest standards.

She was not only an astute exploiter of records: she had a remarkable gift for making people talk. Her books never lose track of the people among the policies and events. This personal warmth she spread widely: dozens of historians down the years have gone to her for advice and found themselves firm friends of the wise, selfless woman in the warm little house outside Oxford.

Her books reveal nothing of her own views about nuclear weapons, but she was always a sceptic – their effects, she used to say, were disproportionate to almost any objective – and she long ago ceased to believe that Britain could justify having its own deterrent.

Registered blind in 2002, she worked on, producing updated editions of two of her books and then a memoir, My Short Century, in 2012. Weak and frail in recent years, she died after a stroke. She was appointed OBE in 1976.

She is survived by her sons, Geoffrey and Stephen.

Lorna Arnold, historian, born 7 December 1915; died 25 March 2014

Jerry Roberts obituary

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The Guardianpublished 31/03/2014 at 18:20 BST by Michael Smith

Top codebreaker at Bletchley Park who helped to decipher Hitler's messages



Jerry Roberts obituary

Jerry Roberts in 2009. Photograph: Martyn Goddard/Rex

 

Jerry Roberts, who has died aged 93, was one of the leading Bletchley Park codebreakers working on the Fish teleprinter messages sent between Hitler and his generals which revealed that the Germans had been fooled by British deception, so ensuring the success of the D-day landings. Roberts worked in the Testery at the Buckinghamshire estate, where communications between Field Marshal Gerd von Rundstedt, the German commander in France, and Hitler were deciphered. The codebreakers named the teleprinter ciphers Fish, and the link between Von Rundstedt and Hitler was known as Jellyfish.

"Many messages were signed by top field marshals like Von Rundstedt," Roberts wrote in Colossus: Bletchley Park's Greatest Secret (2006). "Occasionally there were messages signed by Hitler himself. I can remember deciphering at least one message − he called himself: 'Adolf Hitler, Führer'."

MI5 had captured a number of German spies sent to Britain and was using them to feed fake intelligence to the Abwehr, German military intelligence, in an operation known as the Double Cross system. The British used them to build up a completely false picture of allied plans ahead of D-day to give the impression that the invasion force would land on the Pas de Calais rather than in Normandy.

Although the Bletchley Park codebreakers had broken the Abwehr Enigma machine, itself an astonishing feat, and knew that German intelligence believed the fake messages, they could not predict how Hitler would react to the D-day deception. The Jellyfish messages deciphered in the Testery not only revealed that Hitler believed the invasion would be in the Pas de Calais but that even as the allies were landing in Normandy he overruled Von Rundstedt's plans to reinforce his positions there at the expense of those around Calais. Hitler's decision to order two key armoured divisions back to Calais was revealed in the messages deciphered by Roberts and his Testery colleagues; this depleting of German troops is widely seen as having helped to ensure that allied forces were not driven back into the sea.

Jerry was born in Wembley, north-west London, to a pharmacist father and a mother who played the organ in the local chapel. He was educated at Latymer upper school, Hammersmith, before studying modern languages at University College London. Shortly before he graduated in 1941, he was recommended to Bletchley Park as a German linguist of ability by Professor Leonard Willoughby, who had himself been a codebreaker during the first world war. As a result, he was recruited, initially as a civilian, into the Bletchley Park research section which dealt with ciphers no one else was working on.

His first assignment, under Ralph Tester, who had been recruited from the BBC monitoring service, was deciphering the messages sent back to Berlin by German police troops operating on the eastern front. These messages revealed the killing of many thousands of Jews in Belorussia (now Belarus), Ukraine and the Baltic republics in what is recognised as the early stages of the Holocaust. The messages led Winston Churchill to denounce the killings publicly as "a crime without a name", despite the risk of revealing the codebreakers' work.

In July 1942, Tester and his five codebreakers at the Testery, including Roberts, were put to work on the highest-grade cipher ever to be broken at Bletchley. The Lorenz SZ40 machine used to encipher messages on the teleprinter links between Berlin and all the major German military fronts had two sets of five cipher rotors. Even the most complex Enigma machines had only four. The Lorenz SZ40 messages were unlocked by two spectacular pieces of codebreaking. First, in October 1941, Bletchley's chief cryptographer, John Tiltman, broke into one of the teleprinter links when a German operator re-sent one message, but with abbreviations, to save time. The difference between this and the original gave Tiltman a way into the code. With this knowledge of the enciphering, Bill Tutte, then a young Cambridge chemistry graduate, was able to reconstruct the entire workings of the Lorenz SZ40 machine.

One of the new recruits to the Testery was Max Newman, who had been Alan Turing's tutor at Cambridge. He realised that the process of breaking the Fish ciphers could be speeded up by a computation machine of the kind conceived by Turing in his work at Cambridge. The result was Colossus, the world's first large-scale electronic digital computer, built by a team led by GPO telecommunications engineer Tommy Flowers. By the end of the war the Testery team was 118-strong and included Roy Jenkins, later a Labour chancellor, and Peter Benenson, the Amnesty International founder. Other important messages they intercepted included the German plans ahead of the 1943 Battle of Kursk.

"I can remember myself breaking messages about Kursk," Roberts recalled in an interview. "We were able to warn the Russians that the attack was going to be launched and the fact that it was going to be a pincer movement. We were able to warn them what army groups were going to be used and most important, what tank units were going to be used."

The German plans were passed officially to Moscow disguised as reports from British spies. They were also given to Soviet intelligence by John Cairncross, a member of the Cambridge spy ring, who was then working in Hut 3, which wrote the intelligence reports on the Fish intercepts. Stalin rarely believed intelligence and particularly that supplied by his western allies, but the confirmation from two sources ensured it was believed, allowing the Red Army to defeat the Germans in what was one of the war's major turning points. After 1945 Roberts was sent to Germany to investigate war crimes. He then built a highly successful career in market research, working for companies that included British Gas, American Airlines and Chrysler.

He retired in the early 1990s after meeting his third wife, Mei Li, an artist and book illustrator. They married in 1995.

Recently Roberts campaigned for greater recognition of the groundbreaking work of both Tutte and Flowers. He was appointed MBE in 2013.

He is survived by Mei Li, and by two daughters and a son from his previous marriages.

Jerry (Raymond Clarke) Roberts, codebreaker, born 18 November 1920; died 25 March 2014

This article was amended on 1 April 2014. The original stated that Roberts was survived by a daughter from his third marriage. This has been corrected.

Germany asks: is it OK to laugh at Hitler?

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The Guardianpublished 23/03/2014 at 09:46 by Phil Oltermann

The Führer found himself reborn in the 21st century in a 2012 comic novel by Timur Vermes, which sold 1.4m copies in Germany. Its success suggests Germans now look at their former leader in the same way as the rest of the world does



Timur Vermes

An English translation of Timur Vermes's Hitler satire Look Who's Back is to be published in April. Photograph: Horst Ossinger

 

If Hitler were alive today, would he become a standup comic? Incredible though that may sound to anyone who lived through the second world war, that is the scenario sketched out in Look Who's Back, a satirical novel by Timur Vermes, which topped the bestseller lists in Germany after its publication in 2012 and is now about to be published in English.

In the opening pages, Hitler wakes up on a building site in Berlin in 2011. His memory of how he got there is hazy: "I think Eva and I chatted for a while, and I showed her my old pistol, but when I awoke I was unable to recall any further detail."

The owner of a nearby kiosk recognises him – after all, 66 years after his death the man's face is still ubiquitous – and, assuming that Hitler is an extra from a new second world war film who is remaining resolutely in character ("Bruno Ganz was superb, but he's not a patch on you"), the kiosk owner hooks him up with a local comedy promoter.

Hitler's first gig, the warm-up slot for a Turkish-German comic, goes down like a sinking U-boat. His dark rant about Muslims, abortion and plastic surgery has his audience gasping in shock. But gradually the performance gathers clicks on YouTube.

Bestselling tabloid Bild demands an interview with the "loony YouTube Hitler" in which it tries to call his bluff. "Is it true that you admire Adolf Hitler?" asks the journalist. "Only in the mirror in the morning," Adolf replies. Because Hitler does not adapt to the 21st century and instead just continues to be the Hitler who died in 1945, no one can get a grip on him.

All the tabloids can do is express outrage, which means the more respectable broadsheets start to celebrate this unique method actor's "improv" act as a clever deconstruction of modern morals. Soon, the talkshow circuit beckons, then the leap into politics. Which prompts the question: will Hitler soon be back where he left off in 1945?

Partly thanks to a massive marketing campaign involving popular comedian Christoph Maria Herbst, Look Who's Back (Er ist wieder da), with its cover depicting Hitler's block-like side-parted hair and toothbrush moustache, has sold more than 1.4m copies in print and audiobook in Germany. No mean feat, considering the hardback sold – in a knowing historical reference to the year the Nazi party leader came to power – for a hefty €19.33.

Critics, though, have been underwhelmed. Some argued the novel "trivialised" the dictator's crimes by making the reader laugh not at, but also with him. Others felt the satire just didn't bite enough: "A mediocre joke that suddenly got successful," as author and critic Daniel Erk put it.

Vermes, a 47-year-old former ghostwriter with a German mother and a Hungarian father, brushes off such complaints: "Books don't have to educate or turn people into better human beings – they can also just ask questions. If mine makes some readers realise that dictators aren't necessarily instantly recognisable as such, then I consider it a success."

Vermes's hunch that a modern Hitler might find a home in comedy is by no means far-fetched. Almost 70 years after the end of the second world war, the web is awash with Hitler humour. Click on YouTube and you will find more than 100 videos made in recent years by satirists snatching clips from Downfall, the 2004 German movie of Hitler's demise, and doctoring them to tell a range of stories about personal travails and world politics. Watch Hitler erupt in frustration over his Xbox or flip out because his friends aren't going to Burning Man. This is the age of the "Hipster Hitler", run by a group of New Yorkers, in which the 21st-century, design-aware "Hipster Hitler" wears T-shirts that say "Heilvetica" and starts another beer-hall putsch because his local doesn't serve the latest craft beer. There is the website catsthatlooklikeHitler.com, which has popularised the nickname Kitler for white cats with unfortunate black markings that make them look like the Führer. Hitler's appearances in popular culture and the media, from advertisements to Google requests and the surface of toast, have become so pervasive that leftwing newspaper Taz until recently ran a dedicated Hitler blog on its website, keeping track of them.

Of course, in the right hands, the Nazis have always been comic. Charlie Chaplin's The Great Dictator set the benchmark for Hitler humour as far back as 1940 (though Vermes's Hitler thinks it's "cheap and shoddy" compared with the real deal).

For the British, initially egged on in wartime to ridicule the Führer by the Ministry of Information, Hitler humour was never really considered out of bounds. And since the war, the leader of the German fascist movement has made regular appearances in British comedy, his jerking body movements and violent outbursts reenacted eerily in Till Death Do Us Part, I'm All Right Jack and Fawlty Towers. He even ran for the Minehead by-election in Monty Python, circa 1970. As author Jacques Peretti once put it: "Hitler was basically David Brent with clicky heels."

In Germany, there used to be more ambivalence about using the orchestrator of the Holocaust as a comic figure, although a compilation of jokes about the Nazi regime was one of the very first books to be published in postwar Germany. Showing that the nation had laughed about Hitler allowed people to claim that some had rebelled against the Nazis, even if those acts of rebellion had been restricted to a whispered punchline or stifled laughter.

In 1949, the year of the foundation of modern Germany, West Berliners enjoyed a cabaret show by satirist Günter Neumann called I Was Hitler's Moustache, about a Hitler body double who gets carried away with his new-found fame. Der Spiegel gave it an emphatic thumbs up: "Hitler's first step on to a Berlin stage was laughed at loudly and at length." Laughing at Hitler was a way of showing you were on the right side.

After the 1968 student protests ushered in a more critical stance towards not just the Nazi leader but the entire generation who had voted him in, it became harder to do comedy about Hitler without looking suspiciously like an apologist. Not having a German passport helped. George Tabori, the author of the first genuine Hitler satire to appear on a German stage, in 1988, was Hungarian. The play, simply called Mein Kampf, imagined a friendship between the young Hitler and a Jewish novelist, who primes him for a career in politics and designs his new look. "There are some taboos that need to be broken unless we want to choke on them," Tabori later said.

The book that in Germany truly ended the debate over whether it was "OK to laugh about Hitler" was an anarchic grotesque by cartoonist Walter Moers, published in 1998, in which the modern dictator starts an affair with Göring, now specialising in domination on the Reeperbahn, and tries to take over the world with Princess Diana.

Far from breaking any big taboos, Timur Vermes's novel may be a sign that Germany now looks at Hitler the way the rest of the world has already done for years: as a stock comic character. "For decades, we learned to see him not as a human being but as a demon," says Klaus Cäsar Zehrer, a German satirist and historian. "Now that's changing, and he's tilting over into caricature: he used to be the ultimate villain, now he is the ultimate idiot."

Increasingly, Zehrer says, Hitler satire is directed less and less at the Nazi period, and more at the few who still genuinely admire him. The funniest chapter of Look Who's Back has Hitler ridiculing the shambolic goings-on of the National Democratic party, the far-right outfit who many see as bearing the marks of Hitler's National Socialists.

That particular chapter may well have been inspired by extra3, one of the few reliable funny comedy shows on German television, which allows a dubbed Hitler to rant about the ineffectiveness of the modern German far right. "It works because for the neo-Nazis, this guy is still someone they look up to," says programme editor Andreas Lange.

In 2008, Lange said his team considered letting Hitler rant about the Chinese Olympic opening ceremony too, but decided to scrap the segment. "The problem with Hitler as a vehicle for satire is that you very quickly get tied up with comparisons you need to justify. We didn't want to use Hitler as if he was some pub circuit standup – there needed to be comedic precision to his contributions."

At the beginning extra3 used to get regular complaints from viewers, but their number has decreased over the years. "It has become increasingly difficult to provoke audiences with the Nazis. Jokes about animals and the church always get complaints – jokes about Hitler less and less so."

Thomas Pigor, a cabaret performer who does a popular chanson about the Führer's aftershave, maintains that the only way to still get any comic mileage out of the Hitler impressions these days is to explore the gap between cardboard cut-out madman and the private human being. "When I do Hitler, I can't start out with the volume at full tilt – people wouldn't find that funny. I give him a low burr – that's where you get some comic potential, in the tension between monstrosity and banality".

Vermes too says he had "a curtailed idea of who Hitler was" before writing his book. "There is this 'instant Hitler' most people know, who is a bit like instant coffee, very one-dimensional."

In search of a Hitler beyond the caricatures, he decided to read Mein Kampf for the first time. "It's written in the style of someone who doesn't normally write: pompous and snivelling, lots of animal metaphors. If one word would do but Hitler knows three, he will use all three."

But, he argues, the book was so dangerous precisely because it's not full of mad ideas. "Some of it is fairly commonsensical. Take Hitler's thoughts on housing: he says young people need houses, so the state should build more houses. We can't declare that wrong simply because it was Hitler who said it."

Vermes's modern Hitler, too, doesn't only spout repellent ideas that would instantly alienate the reader. On the one hand, he rails against parliamentary democracy, decries press freedom, and rejoices at the fact that 65 years after the end of the war, Germany's Jewish population is still only a fifth of what it was in 1933. But on the other, his complaints about hunting, food scandals and drivers racing through inner-city areas would fit perfectly into any modern party manifesto. "That's why many readers thought my Hitler was too real: he was too normal," Vermes says.

The younger the reader, he says, the more they enjoyed his book. His mother, who was born in 1942, failed to see the funny side. "'But that's what Hitler was like,' she said."

Sometimes it feels like Vermes may have studied the ponderous style of his protagonist's memoir a bit too closely: for a comic novel, the opening chapters of Look Who's Back in particular can be a bit of a slog.

And yet there's no question that the novel has hit upon the key paradox of our modern obsession with Hitler. In spite of his current ubiquity – in the media, in advertising, in film and in comedy – we are perhaps further than ever from understanding what he was like as a real human being, or how he was able to lead the German people to participate in the historic crime of the Holocaust.

Und Äktschn! (And Action!), a critically acclaimed comedy released in German cinemas last month, tells the story of an amateur film-maker trying to make a movie about Adolf Hitler's private life. In an interview with Der Spiegel, its director, veteran Bavarian satirist Gerhard Polt, argued that there must have been a likable side to Hitler – otherwise how could he have penetrated the salons of Munich high society? "The likable guys are the dangerous ones. When a likable person gives you a hug and says something terrible, it's much harder to let go."

Look Who's Back is published by MacLehose press on 3 April. Timur Vermes will be speaking at the Bristol festival of ideas, Foyles Cabot Circus, 1 April, 6.30pm. Tickets via ideasfestival.co.uk


National-Socialisme

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Doctrine exacerbant les tendances nationalistes et racistes et qui a été l'idéologie politique de l'Allemagne hitlérienne (1933-1945). Pour beaucoup d'historiens, le national-socialisme est un mouvement né avec Hitler, chef du parti nazi depuis 1921. Cette opinion mérite d'être nuancée, car le national-socialisme, s'il exacerbe des tendances nationalistes et racistes, ne les invente pas. Une continuité de l'impérialisme allemand se manifeste de Guillaume II à Hitler en passant par la République de Weimar (1918-1933). Certains spécialistes de la pensée protestante font remonter à Luther les racines du national-socialisme, mais les travaux récents montrent combien grande fut sur Hitler l'influence du catholicisme autrichien.

National-Socialisme

 

Le pangermanisme apparut vers 1885, se développa après 1890 avec le gouvernement personnel de Guillaume II. Dès cette époque germent des idées telles que la domination de l'Europe centrale par le germanisme, développée par exemple par Julius von Eckardt (1836-1908), celle d'un pangermanisme continental groupant autour du Reich toutes les nations où l'on parle une langue germanique – Pays-Bas, Flandre, Alsace, Moselle, Suisse alémanique, Autriche, etc. Apparaît aussi l'idée de lutte contre la Russie et le slavisme, professée par Paul Anton Bötticher, dit Paul de Lagarde (1827-1891) ou Konstantin Frantz (1817-1891). Ce dernier souhaite une politique d'assimilation et invite les Allemands à déporter les allogènes qui habitent aux frontières à l'intérieur du Reich, pour installer sur ces mêmes frontières des populations véritablement allemandes. La Ligue pangermaniste (Alldeutscher Verband), fondée en 1891, popularise cette pensée.

Les traités de Versailles et de Saint-Germain de 1919, en enlevant à l'Allemagne des terres considérées par elle comme germaniques – Alsace-Lorraine, Posnanie, corridor de Dantzig (→ Gdańsk) –, en dépeçant l'Autriche, laissent croire à certains Allemands que leur pays va vers sa fin, ce qui stimule le sentiment national. Dès 1923-1924, la République de Weimar, stabilisée, favorise ce mouvement. Pour les Allemands, toute région où l'on parle allemand est allemande ; en 1925-1926, deux ouvrages sont publiés par Wilhelm Volz (1870-1958) : Der westdeutsche Volksboden et Der ostdeutsche Volksboden, description de tous les territoires germaniques enlevés au Reich.

Le mot Volk (peuple) et tous ses dérivés (Völkisch, Volkstum, Volkswagen, etc.) – si utilisés par les nationaux-socialistes – commencent une brillante carrière à l'époque de Weimar, où l'on attache une importance primordiale au principe ethnique. Dès 1921, le Deutscher Schulverein (ligue scolaire allemande) spécifie dans ses statuts que par Deutsche il faut entendre Stammdeutsche, c'est-à-dire « Allemand de sang » : les Juifs allemands ne peuvent appartenir à cette association. On distingue couramment toute une série d'Allemands classés selon leur domicile, à l'intérieur du Reich, à la frontière, à l'étranger (Inlanddeutsche, Grenzdeutsche, Auslanddeutsche), selon leur nationalité (Reichsdeutsche, Auslandreichsdeutsche, Deutschausländer), selon des données ethno-linguistiques (Allemand de sang, Stammdeutsche ; Allemand de langue, Sprachedeutsche ; Allemand de « volonté », Gesinnungsdeutsche ; le germanisé, Eingedeutschte ; le dégermanisé, Entdeutschte). Ainsi, bien avant les lois de Nuremberg (septembre 1935), on connaît en Allemagne d'importantes distinctions fondées sur la race.

L'impérialisme allemand dispose donc de fondements pseudo-philosophiques. Il s'appuie aussi sur d'innombrables organisations : la Ligue pangermaniste et le Verein für das Deutschtum in Ausland (VDA, appelé aussi Deutscher Schulverein), qui, fondé en 1881, n'a que 58 000 adhérents en 1914, mais qui, réorganisé en 1921, se retrouve avec 2 225 000 adhérents en 1929 et dispose à Stuttgart d'un Institut de recherches inauguré par Gustav Stresemann et d'une revue à laquelle collaborent des hommes politiques, y compris des socialistes. Quant au Deutscher Schutzbund, il est créé en 1919 pour préparer l'Anschluss avec l'Autriche. En 1928, le budget du Reich distribue à ces diverses organisations, selon Raymond Poincaré, 95 millions de Reichsmark. En 1931, il leur octroie officiellement 47 millions de mark de subventions.

De plus, sous la république de Weimar, beaucoup d'intellectuels réfléchissent sur le devenir de l'Allemagne. La plupart sont des nationalistes connus, tels Oswald Spengler, Arthur Moeller van den Bruck. Il faut aussi rappeler les idées d'un Rathenau ou d'un Thomas Mann à la fin de la Première Guerre mondiale.

Walter Rathenau veut une révolution organique et juste : il faut que l'élite traditionnelle disparaisse et que se substitue à elle une élite fondée sur la science. Il souhaite la création d'un Volksstaat, qui serait un État adapté aux besoins du peuple, et il s'en prend à la « ploutocratie capitaliste » et au prolétariat, à l'individualisme forcené et au démocratisme occidental. Rathenau souhaite un État corporatif qui ferait de tous les Allemands des travailleurs égaux, classés par catégories professionnelles, par corporation : le Stand.

Même Thomas Mann critique la société allemande traditionnelle. Il refuse la bourgeoisie technocratique et spécialisée, et regrette presque le temps où la noblesse dominait. Il se sent profondément Européen et pense que l'Allemagne appartient au monde occidental ; mais, dans les années 1920 à 1930, il critique la France embourgeoisée et l'Angleterre impérialiste. L'Allemagne a pour mission de respiritualiser le monde, et puisque, depuis la guerre de Trente Ans (1618-1648), il n'y a plus de bourgeoisie allemande, il faut socialiser l'État et la société, construire un communisme hiérarchisé et, par l'économie dirigée, intégrer la classe ouvrière dans la nation. La pensée de Mann conduit à rétablir, en le modernisant, l'Obrigkeitsstaat, c'est-à-dire une forme de despotisme éclairé où l'équilibre économique serait recherché.

Si des démocrates, comme Rathenau et Thomas Mann, ont pu développer des idées de ce genre, comment s'exprimera la « pensée antidémocratique » ? Oswald Spengler en devient le chantre avec deux ouvrages : le Déclin de l'Occident (Der Untergang des Abendlandes, 1918-1922) et Preussentum und Sozialismus (1920).

Selon Spengler, toute culture, organisme vivant, se fige en civilisation. L'Allemagne n'échappera à cela que si elle se replie sur elle-même et s'inspire des vertus authentiquement prussiennes. Elle doit aussi défendre la civilisation occidentale contre les peuples asiatiques et les races de couleur.

Mais surtout Spengler distingue deux Allemagnes : l'Allemagne occidentale, morcelée, corrompue par les miasmes étrangers – catholicisme, capitalisme, marxisme –, et la Prusse, marquée par la tradition du travail en commun. Pour échapper à la décadence, il faut désintellectualiser la démocratie, démarxiser le socialisme, favoriser l'intégration de toutes les classes dans la société et les incorporer dans la tradition prussienne d'autorité et de discipline. La restauration politique de l'Allemagne sera fondée sur une élite et il faudra :

  • un pouvoir exécutif fort ;
  • un Reichstag sans pouvoir réel ;
  • une forte bureaucratie ;
  • une économie réorganisée, dans laquelle l'État jouera le rôle déterminant par le moyen de l'impôt et d'une banque d'État ;
  • un retour au droit germanique, car le droit romain accorde une trop grande place à la propriété ;
  • une réforme de l'enseignement, de manière à forger des hommes ouverts sur le monde et non des spécialistes.


Des thèmes analogues sont développés par Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), qui, dans trois ouvrages (Der preussische Stil, 1916 ; Das dritte Reich, 1923 ; Das ewige Reich, écrit en 1924 et publié en 1934), montre que le nationalisme allemand est nécessaire, car seul il peut maintenir l'Allemagne, pays du milieu de l'Europe et fondement solide de l'équilibre européen.

Van den Bruck donne au nationalisme allemand un caractère à la fois conservateur et révolutionnaire. Révolutionnaire dans la mesure où il se veut socialiste, mais « a-marxiste », conservateur par son attachement à la tradition, par sa critique d'un libéralisme qui forme des individus médiocres, uniquement soucieux d'égalité et de prestige personnel, par sa haine d'une démocratie qui tue l'idée héroïque et aristocratique, et assure le triomphe de l'idée romaine et latine.

L'Allemand ne peut être, selon lui, le citoyen de la Révolution française ni le prolétaire de la Révolution soviétique. Il est nécessaire de défendre le germanisme, de le fonder sur le monde et la race nordiques, car il y a eu dégermanisation accélérée par la catholicisation. Le regroupement ne peut se faire qu'autour d'une nation protestante ; la Prusse en sera le moteur, car, dans cette patrie du Volksstaat, peut grandir le socialisme national qui permet l'intégration et le maintien de la nation. Il faut donc créer le « IIIe Reich », le fonder sur le Volksgeist, sur la jeunesse dynamique, sur les chômeurs, qui, dans un État socialiste national et corporatiste, seront le moteur de l'expansion. Le IIIe Reich reposera aussi sur le Volksstaat et sera dirigé par un chef issu du peuple, der völkische Führer. Tout cela révèle l'influence de l'économiste Friedrich List, du socialisme d'État et du philosophe Nietzsche.

Van den Bruck préconise encore un Reich à la fois fédération et confédération, reposant sur des corps fédéraux, les Länder, des corporations politiques et des corporations économiques. Ainsi, l'État allemand reconstitué pourra, de nouveau, jouer un rôle dynamique et faciliter l'unité de l'Europe autour de lui. En définitive, Moeller van den Bruck apparaît comme le théoricien du néo-conservatisme, rejetant libéralisme, capitalisme, démocratie et marxisme au profit d'un État populaire et national, le Volksstaat.

Toutes ces idées ont un très grand écho en Allemagne, surtout dans les milieux intellectuels, mais aussi dans une partie importante de la société allemande, d'autant plus qu'elles sont reprises et développées par des écrivains et des intellectuels connus.

La revue Die Tat (« l'Action ») joue un rôle considérable. Fondée en 1908 par des intellectuels, cette revue d'universitaires qui ne veulent pas descendre dans l'arène politique est un centre de recherches pour un État et un socialisme nouveaux. Un homme marque cette entreprise de son influence, le juriste Carl Schmitt, théoricien du parlementarisme rationalisé, qui estime qu'une Constitution n'existe que dans la mesure où elle exprime une réalité donnée.

Schmitt souhaite un véritable pluralisme, que coordonnerait le président du Reich, pôle stable de la nation, élu qu'il est par le peuple et disposant du droit de référendum. En matière économique, Die Tat critique le capitalisme. L'économiste Ferdinand Fried (1898-1967) montre que, de 1860 à 1914, le capitalisme s'est figé et bureaucratisé. Il faut donc que l'État intervienne et facilite la vie économique autonome du pays. Marqué par la pensée de List, Fried préconise une économie autarcique.

Un troisième thème paraît souvent dans Die Tat : le rôle des Églises. Pour éviter le fascisme, il faut renouveler l'élite allemande : seule l'Église luthérienne, par sa notion du pouvoir (Obrigkeit), peut y aider. Or, au temps de Weimar, on l'a oubliée à cause de l'anticléricalisme du parti social-démocrate (SPD) et du catholicisme triomphant du parti du Centre (Zentrumspartei). Il faut donc renforcer l'influence du protestantisme pour que l'idéal communautaire – conforme à la tradition protestante – puisse interdire la transformation de l'État en un État totalitaire. Cette glorification du protestantisme, que l'on retrouve chez Max Weber, tient une large place dans la pensée de cette époque.

Ainsi, tout au long de la République de Weimar se développe une pensée antilibérale, antidémocratique, qui veut un État fort, organisé, ne laissant pas de place aux traditions non germaniques, marxisme, catholicisme, capitalisme, etc. Ces thèmes, très proches de la doctrine nationale-socialiste, vont être profondément déformés par celle-ci dans un sens totalitaire, mais d'une manière suffisamment habile pour que la masse de la population ne se rende pas compte de cette déformation. Enfin, un dernier élément de la pensée nationale-socialiste s'est considérablement développé sous la République de Weimar, l'antisémitisme.

L'antisémitisme existe en Allemagne depuis le Moyen Âge, mais pendant longtemps il a surtout été virulent dans les milieux ruraux, où le Juif était assimilé à l'usurier. Dans les années 1880 apparaît un antisémitisme d'un type nouveau, lié à la notion d'appartenance sociologique. Aussi, pour lutter contre les Juifs, il faut, disait l'historien Heinrich von Treitschke, favoriser les mariages mixtes de façon à intégrer les populations juives dans le peuple allemand. Paul de Lagarde pense qu'il faut les assimiler. L'influence de cette pensée est considérable, d'autant plus que Treitschke est un historien très lu. Pour lui comme pour beaucoup de ses contemporains, les Juifs représentent un État dans l'État qu'il convient de résorber.

Mais, très vite, l'antisémitisme prend une tournure différente, un aspect raciste, sous l'influence du comte Joseph Arthur de Gobineau, et surtout, de deux de ses disciples, Richard Wagner et Houston Stewart Chamberlain. Dès lors, l'antisémitisme allemand sera à la fois raciste et nationaliste. L'influence de Chamberlain, gendre de Wagner, puis conseiller de Guillaume II et qui, dès 1923, entre en relation avec Hitler, est considérable. Son livre les Assises du XIXe siècle (1899) fait l'apologie de la race aryenne (→ Aryens) et des Germains. Cette idée avait déjà été exprimée en 1881 par Karl Eugen Dühring , le socialiste adversaire de Marx et d'Engels, qui, dans Die Judenfrage, demande que l'on sépare les Juifs des autres peuples et que l'on crée un État juif pour y déporter tous les Juifs.

L'antisémitisme devient le thème essentiel du parti social-chrétien d'Adolf Stoecker (1835-1909). Sous l'influence de Dühring, ce parti préconise l'exclusion des Juifs de l'enseignement et de la presse, un numerus clausus à leur égard dans le barreau et la magistrature, l'interdiction des mariages mixtes, la confiscation des biens des capitalistes juifs.

Ce mouvement s'accentue avec l'apparition de sociétés antisémites, comme la société Thulé (Thulegesellschaft), fondée en 1912. Ainsi se constitue un courant profond dans la bonne société allemande, qui se développe particulièrement au moment des crises politiques et économiques marquant le début et la fin de la République de Weimar.

Ce mouvement a d'ailleurs un caractère antichrétien, car, à la suite du philosophe Fichte, puis de Dühring, bon nombre d'antisémites dénoncent la falsification des Évangiles par la pensée juive. Fichte ne reprochait-il pas à Luther d'avoir fait une place trop importante à saint Paul, qui avait judaïsé le christianisme ? Paul de Lagarde, quant à lui, transforme Jésus en un rabbin de Nazareth. Il n'est pas le Fils de Dieu, comme le prétend la « légende biblique du Nouveau Testament ». Chamberlain, lui, voudrait prouver que Jésus n'est pas Juif, mais, comme David, le descendant d'une famille aryenne.

Tous ces thèmes seront repris à l'époque nationale-socialiste par le mouvement chrétien allemand, dirigé par le pasteur Ludwig Müller (1883-1945) – le futur évêque du IIIe Reich.

Ainsi, l'antisémitisme hitlérien plonge-t-il très loin ses racines et sera-t-il pendant très longtemps dans la tradition de la pensée allemande. Il ne s'en écartera qu'à partir du moment où il passera à la liquidation des Juifs d'Europe.

Toutefois, c'est par la pensée autrichienne qu'a été nourri l'antisémitisme de Hitler ; celui-ci a subi en particulier l'influence de Georg Schönerer (1842-1921), dont s'inspire le Deutsche Arbeiterpartei Österreichs, et de Karl Lueger (1844-1910), chef du parti chrétien social autrichien.

La pensée nationale-socialiste s'épanouit donc dans un cadre idéologique aux assises profondes. Adolf Hitler se contente de développer cette pensée, de l'exacerber, et – par son magnétisme – il popularise des idées qui avaient surtout cours dans les classes moyennes et la bourgeoise allemandes.

Après la Première Guerre mondiale, à laquelle il participe avec courage, Hitler adhère en 1919 au parti ouvrier allemand (Deutsche Arbeiterpartei), fondé par un ouvrier de Munich, Anton Drexler. Il y rejoint un ingénieur, Gottfried Feder, le premier théoricien du parti, et le capitaine Ernst Röhm, le futur chef des SA, une des milices du parti.

Très vite, Hitler entre au comité directeur, puis en prend la direction, change son nom dès 1920 en « parti national-socialiste des travailleurs allemands » (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP). De ce groupuscule qui, en 1919, comptait 60 membres, il fait un parti dont le journal –Völkischer Beobachter – tire en 1922 à 20 000 exemplaires. Dès lors, la vie de Hitler se confond avec celle de son parti.

La crise économique et les talents d'organisateur de Hitler offrent au parti nazi toutes ses chances. En 1932, il est devenu le premier parti d'Allemagne grâce à sa démagogie, sa violence, grâce aussi à sa doctrine, qui trouve un large écho dans l'opinion publique. En 1933, quand il prend le pouvoir, il a déjà plus d'un million d'adhérents, qu'il recrute dans les classes moyennes et dans la classe ouvrière. On peut noter cette importance considérable des ouvriers et leur croissance de 1930 à 1932. Ceux-ci forment de même une part considérable de l'électorat, et beaucoup d'historiens estiment qu'il y a un lien entre extension du chômage et vote nazi. On peut aussi souligner le poids des jeunes dans le parti nazi, surtout ouvriers et étudiants et des enseignants : 2,5 % des adhérents, alors qu'ils reprsentent que 0,9 % de la population active.

Le programme du parti a été publié en 25 points dès 1920 et exposé pour la première fois au cours d'une réunion publique organisée le 24 février à la Hofbräuhaus, une brasserie de Munich, devant deux mille personnes. Sans doute, ce texte est-il très sommaire, mais il insiste à peu près sur tous les thèmes chers à l'opinion publique de Weimar.

Le nationalisme, le racisme en sont les thèmes essentiels. Sont seuls considérés comme citoyens allemands ceux de sang allemand. Tous les Allemands, en vertu du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, doivent être réunis dans une grande Allemagne. Le programme revendique ainsi l'Autriche, la haute Silésie à la Pologne, le Sleswig (au Danemark), les Sudètes (à la Tchécoslovaquie) et l'Alsace-Lorraine. Les commentaires publiés par le parti précisent que ces peuples doivent être rattachés par plébiscite, mais que le but du gouvernement allemand est de protéger les intérêts de tous les Deutschausländer.

De plus, dans son ouvrage Mein KampfMon combat »), Hitler affirme qu'il faudrait à l'Allemagne des Randkolonien ( « colonies limitrophes »), comme l'Ukraine ou la Pologne, qui permettraient à l'Allemagne de vivre normalement. Cette notion d'« espace vital » (Lebensraum) devient un des thèmes essentiels de Mein Kampf.

Le programme de 1920 est nettement antiparlementaire et surtout préconise une politique économique et sociale planifiée et étatisée. Il a des aspects socialisants, car il prévoit l'étatisation des trusts, la participation des ouvriers aux bénéfices et la réforme agraire ; l'article 17 envisage même l'expropriation sans indemnité des grands propriétaires.

Mais très vite, ce programme est aménagé pour éviter de trop effrayer les possédants. Les biens concernés ne sont que les biens détenus par les Juifs. Le commentaire de Gottfried Feder en 1927 est symptomatique à cet égard, puisqu'il affirme que « le national-socialisme reconnaît comme un de ses principes la propriété privée ».

Ce programme est fondamental, car on y trouve dès 1920 tous les thèmes du IIIe Reich. On constate une nette ressemblance avec les textes de Die Tat, de Spengler ou de Rathenau. Pourtant, la différence est sensible. Ce que veulent les intellectuels antidémocratiques de la période de Weimar, c'est un nationalisme bourgeois et aristocratique, voire raffiné ; ce que proposent les nationaux-socialistes, c'est un nationalisme populaire, brutal, à la recherche de l'efficacité. Avec le « principe du chef » (Führerprinzip), on est en présence d'une pensée antidémocratique, antilibérale, antihumaniste.

Rosenberg AlfredAlfred Rosenberg collabore dès 1921 au Völkischer Beobachter. Son œuvre est dominée par trois concepts : la race, l'anticommunisme, l'espace vital. D'origine balte, membre de la société Thulé, Rosenberg apporte à Hitler l'idée du Lebensraum ; mais, surtout dans le Mythe du XXe siècle (Der Mythus des 20. Jahrhunderts, 1930), il se fait le théoricien de l'antisémitisme. Il prétend apporter une image nouvelle de l'histoire de la Terre et de l'humanité. Pour lui, toute l'histoire se ramène au conflit des Nordiques aryens contre les Sémites. Il expose également une pensée anticatholique et presque antichrétienne, et développe la mythologie nationale. Il fait par exemple l'apologie du dieu Odin, dont il retrouve l'inspiration dans la chevalerie, chez les mystiques allemands, dans la pensée de Frédéric le Grand.

Walter Darré, leader du mouvement agricole et Führer des paysans, est, lui aussi, raciste. Ses deux ouvrages les plus importants, la Paysannerie comme source de vie de la race nordique (1928) et Nouvelle Noblesse de sang et de sol (1930), fondent une doctrine agraire sur les liens « du sang et du sol » (Blut und Boden). Walter Darré veut montrer que la race nordique – parce que paysanne – est héroïque, colonisatrice et guerrière. Cela lui paraît lié au fait que les Nordiques n'ont jamais été nomades ; quand ils se sont déplacés, c'était pour coloniser. Le paysan nordique « est la première forme de l'officier prussien ».

Il existe des liens entre paysannerie et aristocratie, car une élite véritable est liée à une famille et non à des individus. Elle se prépare par une longue hérédité. Malheureusement, pour Darré, la noblesse allemande est en décadence, car elle s'est muée en caste et urbanisée. Il faut donc que le IIIe Reich recrée une noblesse. Darré souhaite la création de domaines héréditaires (Erbhof) et fait une longue étude de ce que devrait être le Führerblut (« le sang des chefs »).

Toutes ces idées développées par Darré, Rosenberg ou d'autres sont orchestrées par Mein Kampf. Hitler glorifie dès les premières pages de son livre les Germains et les vrais Allemands contre les Habsbourg, qui ont contribué à dégermaniser des terres allemandes. Exaltant la nation, il s'en prend à toutes les Internationales – juive, marxiste, catholique –, quitte, d'ailleurs, à imiter leurs principes d'organisation (il y a des liens très nets entre les structures du parti nazi et celles du parti communiste de l'Union soviétique). De même, Hitler ne cache pas son admiration pour l'organisation et la discipline jésuites.

Critiquant le parlementarisme, il défend le Führerprinzip (« principe du chef »). Si l'on veut avoir les masses avec soi, dit-il, il faut prendre soin d'elles. Miséreuses et livrées à elles-mêmes, elles rêvent de socialisme international ; guidées par des chefs, elles se laissent nationaliser. Ce n'est pas difficile, car elles ont l'esprit de camaraderie, de solidarité, de sacrifice. Elles aiment l'intolérance et la brutalité. Le chef, c'est le plus fort qui mène le jeu, et le Führer, c'est le chef suprême. Il est le reflet du Volkstum (« caractère national »). Il incarne le rythme et le style de vie du Volk. « Le chef est au peuple ce que la conscience est à l'inconscience. » Il doit s'appuyer sur une institution qui dépende de lui, et le modèle pour Hitler est l'ordre Teutonique, ordre masculin hiérarchisé.

Le Führerstaat s'identifie au Volksstaat. C'est le parti unique qui doit être le fondement d'un gouvernement. L'État est une communauté d'êtres vivants, égaux, gouvernés par les meilleurs ; il lui faut faire une place importante à la jeunesse et à l'éducation, mais toujours sous la responsabilité du chef. L'État doit être centralisé pour que les directives du chef soient bien comprises de tous : comme le rappelle la devise Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer ! (« Un peuple, un empire, un guide ! »). Dans cet État national-socialiste, on peut transformer la bureaucratie et la mettre au service du peuple. À ce peuple ne peuvent appartenir que les Allemands, et tous doivent obéir à leur Führer. Tels sont les principes que, dès son arrivée au pouvoir, le 30 janvier 1933, Hitler va appliquer.

Le gouvernement constitué par Hitler en 1933 est un gouvernement de coalition du type le plus traditionnel. Outre Hitler, il ne comporte que deux ministres nationaux-socialistes : Wilhelm Frick et Hermann Göring. L'un est ministre de l'Intérieur du Reich et le restera jusqu'en 1943, l'autre ministre du Reich sans portefeuille, commissaire du Reich en Prusse et commissaire du Reich à l'aviation.

Dès le 1er février, toute la police allemande est contrôlée par les nazis. Aux autres postes sont nommés des sympathisants, qui très vite se convertiront au national-socialisme et, pour la plupart, restent ministres pendant la plus grande partie du régime comme le général Werner von Blomberg, à la tête de la Reichswehr (l'armée autorisée à l'Allemagne par le traité de Versailles), et qui restera ministre jusqu'en 1938. Les autres ministres sont des membres de parti national allemand (DNP) comme Alfred Hugenberg, le magnat de la presse, qui détient tous les portefeuilles économiques, mais qui se retire dès juillet 1933, et le chef de l'association d'anciens combattants Casque d'acier, Franz Seldte (1882-1947), ministre du Travail, poste qu'il conservera jusqu'en mai 1945.

Dès le 1er février, Hitler fait dissoudre le Reichstag par Hindenburg, « afin que le peuple puisse prendre position devant le nouveau gouvernement de concentration nationale ». Les élections sont fixées au 5 mars. Le 6 février, le commissaire du Reich en Prusse, Göring, se voit attribuer les pouvoirs du ministère prussien. Aussitôt après, le Landtag de Prusse est dissous. Dans le Reich, désormais, les nazis possèdent des pouvoirs considérables. Frick et Göring épurent leurs administrations respectives et prennent en main la police. En Prusse, Göring fait de la SA une véritable police auxiliaire et donne ordre à l'ensemble des forces de police de favoriser le mouvement nazi et de lutter, au besoin par les armes, contre l'agitation marxiste.

Utilisant avec maestria tous les pouvoirs que lui donne la Constitution de 1919 (en particulier l'article 48), Hitler fait promulguer par Hindenburg une ordonnance (4 février) qui autorise le gouvernement à interdire les réunions publiques, à suspendre les journaux, à prendre « toute mesure qu'il jugerait salutaire ». Dès lors, les nazis disposent de tous les moyens pour lutter contre les marxistes. Mais il n'est pas encore possible de dissoudre le parti communiste.

Le 27 février, le Reichstag brûle, incendié par les nazis. Un communiste hollandais, Marinus Van der Lubbe, est arrêté sur les lieux, ce qui sert de prétexte à une lutte très vive contre les communistes. Plusieurs milliers de dirigeants sont arrêtés, la presse marxiste est interdite, les sièges du parti sont occupés. Le 28 février, une ordonnance suspend les droits fondamentaux, et, le 1er mars, un autre texte décide d'assimiler à la haute trahison l'incitation à la grève. La gauche est disloquée, et aucune réaction ne se produit.

Les communistes perdent un million de voix, mais les sociaux-démocrates se maintiennent et gagnent des sièges. La situation est analogue pour le centre, qui progresse en voix et en sièges. Les nationaux-socialistes et les nationaux-allemands (parti national allemand, DNP) sont les grands vainqueurs de cette consultation. Les nazis gagnent 6 millions de voix et près de 100 sièges. Ils ont 288 sièges sur 647 députés, mais communistes, socialistes et populistes arrivent à grouper 208 députés, le Centre et les partis apparentés en ayant 96. Les nationaux-socialistes, à eux seuls, n'ont pas la majorité absolue, mais ils l'ont très largement avec les nationaux-allemands. Leur position est renforcée par la mise hors la loi du parti communiste au lendemain des élections. En effet, le parti est dissous, et Hitler dispose désormais de pouvoirs considérables.

Pourtant, dans les Länder, les nazis n'obtiennent pas toujours la majorité. Ils ne l'ont ni en Bavière ni en Prusse. Dès lors, conformément à la Constitution, Hitler nomme des commissaires du Reich dotés de pouvoirs importants, comme Göring en Prusse.

Le 21 mars, dans l'église de Garnisonkirche de Potsdam, a lieu une cérémonie extraordinaire. Devant les plus hautes autorités du pays, en présence du Kronprinz, fils de l'empereur déchu Guillaume II, Hitler dénonce le traité de Versailles et invite les partis à s'élever « au-dessus de l'étroitesse d'une pensée doctrinaire et partisane ». Le 24 mars, le Reichstag vote à la majorité des deux tiers les pleins pouvoirs à Hitler pour quatre ans (Ermächtigungsgesetz). Seuls les sociaux-démocrates ont voté contre. Le Centre, dont les voix sont indispensables, car une majorité des deux tiers s'impose, fait confiance à Hitler, sans doute contre la promesse d'un concordat auquel Hitler fait allusion dans son discours. Le chancelier demande aussi que le Parlement accepte de ne plus être consulté régulièrement, il réclame et obtient pour le gouvernement qu'il préside des pouvoirs considérables. Dès lors, avec la bénédiction des Églises – en particulier de l'Église catholique – Hitler est le maître absolu du Reich.

Les partis politiques croient pouvoir continuer leur action et « s'abandonnent, dit l'historien allemand Hans Rothfels, à l'illusion de la possibilité d'une opposition politique ». On voit même dans le Wurtemberg le parti social-démocrate inviter les municipalités socialistes à soutenir la politique du gouvernement. Mais, le 22 juin, le parti socialiste est dissous. Le 4 juillet, le Centre s'autodissout. Le 14 juillet, le parti nazi devient le seul parti du Reich.

Le gouvernement ne se contente pas de supprimer les partis : le 2 mai, il a dissous les syndicats. Après avoir invité leurs chefs à une grandiose fête du Travail, il fait occuper leurs sièges berlinois et emprisonner leurs chefs. Tous les syndicats sont alors incorporés dans le Front allemand du travail (Deutsche Arbeitsfront, DAF), organisé par la loi du 24 octobre 1934, qui prône la solidarité entre employeurs et employés au sein de la communauté nationale, et encadre toute la population jusque dans ses loisirs à travers son organisation la Force par la Joie (Kraft durch Freude).

Ainsi, la prise en main annoncée par Goebbels dessine « les lignes normales d'une Allemagne dans laquelle il n'y aura qu'une seule opinion, un seul parti, une seule conviction ».

La mise au pas hitlérienne arrive peu à peu à ses fins. Le 1er décembre 1933 est promulguée la loi pour la garantie de l'« unité du parti et du Reich ». À la tête du parti se trouve Hitler, aidé par un état-major de 17 personnes, dirigées par le lieutenant du Führer, Rudolf Hess. En dessous viennent des Gaue (provinces), menées par des Gauleiter. Les Gaue sont divisées en Kreise (arrondissements), cantons (Ortsgruppen), et ceux-ci en cellules (Zellen). Partout une hiérarchie stricte, que complètent les organisations parallèles : SA (Sturmabteilung), SS (Schutzstaffel), HJ (→ Hitlerjugend, Jeunesse hitlérienne), DAF, associations féminines, universitaires. À partir du 1er décembre 1936, tous les garçons et les filles doivent adhérer à la Jeunesse hitlérienne, qui compte 8 millions de membres en 1939. Tout cela contribue à faire de l'Allemagne une machine bien huilée, surveillée, contrôlée et endoctrinée.

Joseph GoebbelsC'est ainsi qu'apparaissent les premières mesures antisémites. On épure la presse et l'on commence à contrôler l'édition. Le 13 mars 1933, Paul Joseph Goebbels devient ministre de la Propagande. Son ministère contrôle toute la vie intellectuelle, organise des autodafés de livres d'auteurs libéraux, socialistes, communistes, pacifistes, juifs, notamment le 10 mai 1933 lors de la Nuit de cristal. Tous les moyens modernes de communication et d'information sont utilisés : la radio, qui retransmet les discours, surtout ceux de Hitler et de Goebbels, la presse (particulièrement le journal du parti, le Völkischer Beobachter), la musique, les marches, les grands rassemblements.

Deux premiers camps de déportés sont créés : à Oranienburg, près de Berlin, et à Dachau, près de Munich. Dès le mois d'avril, on y trouve 30 000 déportés politiques, socialistes ou communistes.

Le 1er mai 1933, Göring fonde la police secrète d'État prussienne, dont la fusion, sous la direction de Heinrich Himmler et de Reinhard Heydrich, avec les autres organisations policières allemandes donnera naissance à la Gestapo (Geheime Staatspolizei).

Instituée en 1923, la SS (Schutzstaffel, « échelon de protection ») n'était au départ que la petite garde personnelle d'Adolf Hitler. Dès 1931, elle est chargée de « nettoyer » le parti nazi, le NSDAP, des éventuels saboteurs ou agents qui auraient pu y être infiltrés. Lorsque le NSDAP devient une organisation de masse, après que la SA fut décapitée lors de la Nuit des longs couteaux (30 juin 1934), la SS devint la gardienne de la pureté idéologique et raciale, le vecteur principal de la révolution nationale-socialiste. Selon le journaliste et sociologue Eugen Kogon (l'État SS, 1946), son but est de « former la nouvelle couche de chefs et d'éliminer toute opposition ».

Heinrich Himmler, membre du parti dès août 1923 et l'un des participants – aux côtés d'Ernst Röhm –, au putsch de Munich tenté par Hitler le 8 novembre 1923 contre le gouvernement bavarois, est nommé Reichsführer des SS le 6 janvier 1929. Il parvient à faire intégrer à son organisation la police du Reich. En 1936, le « fidèle Heinrich » est nommé chef de toute la police. Il n'obéit qu'à Hitler et dirige alors une organisation composée de plusieurs corps :

  • la SS générale (Allgemeine SS), dont les membres militants continuent par ailleurs d'exercer leur profession ;
  • la SS armée (Waffen SS), dont les effectifs s'enflent jusqu'à devenir, après l'entrée en guerre contre l'URSS le 22 juin 1941, une véritable armée à côté de la Wehrmacht, et comptant en 1945 900 000 hommes dont un grand nombre de volontaires étrangers ;
  • les « unités Tête de mort » (SS-Totenkopfverbände), qui assurent la surveillance des camps de concentration ;
  • l'Office pour la race et la colonisation, chargé de veiller à la pureté raciale du peuple allemand et d'organiser la colonisation et la germanisation des nouveaux territoires ;
  • l'Office central pour l'économie et l'administration (Wirtschafts und Verwaltungshauptamt,WVHA ), dirigé par Oswald Pohl et responsable des entreprises contrôlées par la SS, de la gestion des camps de concentration et de la main-d'œuvre forcée qu'y constituent les déportés.


Mais surtout – dès septembre 1939 – le redoutable Service central de la sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt, RSHA), qui regroupe, sous la direction de Reinhard Heydrich, la police secrète d'État, la Gestapo, le service de sécurité (Sicherheitsdienst, SD) et la police criminelle (Kriminalpolizei), la Kripo.

Avec la guerre, la SS atteint l'apogée de sa puissance. Elle étend son emprise non seulement sur le Reich, mais également sur les territoires occupés et sur le réseau de camps de concentration, qui ne cesse de se développer. C'est elle qui met en œuvre le programme d'anéantissement des « ennemis du Reich », mais aussi qui est chargée de terroriser les populations.

Les hitlériens complètent leur propagande par une réorganisation de l'enseignement et une mise au pas des universitaires. Hitler proclame : « Dans un État national-socialiste, l'enseignement doit tendre non pas à entasser des connaissances, mais à obtenir des corps physiquement sains. »

Les professeurs opposants sont mis à l'écart, qu'ils soient communistes, Juifs ou simplement hostiles au régime. Il est vrai que Hitler peut s'appuyer sur une bonne partie du corps enseignant : 30 % des instituteurs, 35 à 40 % des professeurs du second degré, plus de la moitié des professeurs du supérieur sont proches du parti nazi.

Dès 1933, on réorganise la formation des maîtres. Les Hochschule für Lehrbildung prennent les élèves-maîtres pour quatre ans d'internat, et maîtres et élèves doivent aller aux cours en uniforme du parti. Directeurs et professeurs sont à la fois fonctionnaires de l'État et chefs de Jeunesse hitlérienne. Le but est que l'instituteur soit dans sa commune à la fois un maître, un instructeur politique et un officier de réserve.

En 1939, l'association nationale-socialiste des enseignants fournit 7 Gauleiter, 78 Kreisleiter et 2 668 Ortsleiter ; 18 000 instituteurs et institutrices encadrent la Jeunesse hitlérienne. L'objectif est une politisation de l'enseignement, qu'on veut au service de la nation, de la défense et de la politique. Il faut inculquer aux enfants l'idée de race, de supériorité des peuples germaniques, la conviction que le destin de l'Allemagne est à l'Est et que l'armée est la force éternelle du Reich.

En même temps sont instaurées des écoles de formation politique, les Nationalpolitische Erziehungsanstalten (NAPOLA). Leur but est de « préparer par une solide éducation nationale-socialiste des jeunes gens au service du Reich, du peuple et de l'État ». Il faut fournir des diplômés conscients de l'unité des caractères physiques et mentaux de leur race, sûrs d'eux, fidèles, sérieux, entreprenants, physiquement forts, intellectuellement armés. Pour la formation des maîtres du parti sont créés des Adolf Hitler-Schulen et des Ordensschulen, centres supérieurs de formation des cadres.

Tout au long de l'année 1933, on assiste à une réorganisation des administrations. Le gouvernement intervient dans la vie de la justice et donne à l'adjoint du Führer la possibilité de casser les jugements trop indulgents. Un tribunal du peuple est créé pour les crimes politiques. En mai 1933, on s'attaque à l'économie. Walter Darré devient ministre de l'Agriculture et Führer de la paysannerie du Reich. Hitler ordonne un programme de grands travaux sous la direction de Fritz Todt, en particulier d'autoroutes.

On crée dans le parti une série d'organisations destinées à doubler et à contrôler les administrations. Mais surtout un essor considérable est donné à la propagande. La radio en est un élément essentiel, ainsi que le cinéma et les écrivains. Il ne faut pas oublier les cérémonies grandioses qui frappent les foules, comme le congrès de Nuremberg (1er-3 septembre), la fête de la moisson, les quêtes sur la voie publique. Toutes ces cérémonies sont autant de parades, comme des films à grand spectacle.

Une loi du 30 janvier 1934 unifie le Reich. Déjà le 31 mars 1933, une loi a dissous les parlements locaux et décidé qu'il n'y aurait plus de Landtage, mais que, dans chaque Land, les assemblées locales seraient constituées dans les mêmes proportions que pour les élections au Reichstag. En avril, à la tête de chaque Land sont placés des Statthalter. Enfin, en Prusse, le chancelier lui-même est Statthalter. Désormais, les Länder n'ont plus aucune autonomie : la loi du 30 janvier 1934 les supprime purement et simplement. Les Statthalter deviennent des hauts fonctionnaires sous l'autorité du ministre de l'Intérieur du Reich. Il n'y a plus de fédération des Länder allemands, mais un État allemand centralisé. Peu à peu, les divers services des Länder disparaissent à leur tour, et, comme il n'y a plus de Länder, le Reichsrat (Chambre haute) est également supprimé (14 février 1934).

Motivé par un pangermanisme et un nationalisme d'action, le national-socialisme pratique très vite une politique expansionniste. En 1935, la propagande hitlérienne détermine le choix des Sarrois, qui, par plébiscite, décident de la réunion de leur territoire au IIIe Reich (→ Sarre).

  • En 1936, Hitler – au mépris des traités – fait réoccuper militairement la zone rhénane (→ Rhénanie) ;
  • en 1938, c'est l'Anschluss (rattachement de l'Autriche) et l'invasion de la région tchécoslovaque des Sudètes (→ Tchécoslovaquie) ;
  • en 1939, celle de la Bohême et de la Moravie, de Memel (→ Klaipeda) puis de Dantzig (→ Gdańsk). L'occupation de cette dernière ville prélude à la Seconde Guerre mondiale, qui verra l'Allemagne nazie dominer une bonne partie de l'Europe.

Gdansk

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Anciennement en allemand Danzig, en français Dantzig. Principal port de la Pologne, chef-lieu de voïévodie, sur la bordure ouest du delta de la Vistule. Gdańsk est le cœur d'une conurbation à laquelle appartiennent également Gdynia et Sopot. Le site urbain, enserré entre la mer et les collines morainiques de Poméranie, s'étire sur 35 km. Isolée de la Pologne après la Première Guerre mondiale, la « ville libre » de Dantzig vit sa fonction portuaire affaiblie par la création de Gdynia. Gdańsk et Gdynia forment désormais un organisme portuaire commun.



Gdansk

 

Gdańsk est un grand port fluvial et maritime, orienté vers le trafic charbonnier et le vrac ; à l'origine port de bassins sur les îles et les berges du delta, il a progressé vers l'aval : bassins en bordure de la vieille ville, puis « nouveau port », enfin, entre 1970 et 1975, construction d'un avant-port (« Port du Nord ») conçu pour la réception des pétroliers et le trafic du charbon et des minerais. Le trafic total dépasse 27 Mt, dont plus de la moitié pour le Port du Nord. Gdańsk est un puissant pôle industriel, diversifié, où, cependant, des activités sont dominées par la construction et la réparation navales et les branches associées. Par ailleurs, la ville, aux vieux quartiers reconstruits, est un centre touristique important.

Dès le xe siècle, « Gyddanzyc », qui devient Gdańsk, convertie en 997 par saint Adalbert, est le centre principal de la Poméranie supérieure. Ses ducs se rendent indépendants à la fin du xiie siècle. Au xiiie s., les marchands allemands affluent vers le faubourg, régi par le droit de Lübeck, et, sous leur influence, le nom de Dantzig apparaît. L'ordre Teutonique s'empare de la ville le 14 novembre 1308, massacre la population polonaise et annexe le delta de la Vistule. Dantzig obtient une charte municipale en 1343 ; elle adhère à la Hanse en 1361 et se place, par son opulence, à la tête des villes prussiennes. Elle se dote d'un magnifique ensemble d'architecture gothique.

En 1454, elle se révolte contre les chevaliers Teutoniques et prend pour protecteur Casimir IV de Pologne. Dans le cadre de l'État polonais, auquel elle sera toujours loyale, elle jouit d'une quasi-autonomie et s'assure le monopole du commerce maritime de la Pologne au moment de l'âge d'or de ce pays (1466-1648). La Réforme y pénètre dès 1523. Avec 70 000 habitants en 1650, c'est le premier port et la ville la plus peuplée de la Baltique. En 1656-1657, l'invasion suédoise se heurte à la résistance de Dantzig.

En 1793, la ville est annexée par la Prusse lors du second partage de la Pologne, malgré l'opposition de la population. Après l'avoir assiégée et avoir fait capituler, le 26 mai 1807, les Prussiens du général Kalckreuth, Napoléon Ier fait de Gdańsk une ville libre sous contrôle français. En 1813, le général Rapp repousse l'assaut des Russes, mais il n'arrive pas à rompre, en juin, le blocus instauré par le duc de Wurtemberg. La ville, bombardée le 4 juin, est en partie brûlée. La famine survenant, Rapp se rend le 27 novembre 1813 après onze mois de siège.

Incorporée à l'État prussien en 1815, Dantzig végète jusqu'à la fin du xixe siècle, où elle devient un grand port et un grand centre industriel. Au traité de Versailles (1919), elle devient le centre de la « ville libre de Dantzig », territoire de 1 888 km2 et de 356 000 habitants, dotée d'un statut international sous mandat de la Société des Nations (SDN). Sa souveraineté est toutefois limitée (accord de Varsovie du 24 octobre 1921) au profit de la Pologne, qui l'englobe dans sa frontière douanière, assure sa défense, utilise son port et exploite ses moyens de communication.

De 1919 à 1939, la « question de Dantzig » est la source de conflits permanents entre l'Allemagne et la Pologne. En 1933, l'installation à Dantzig d'une Diète en majorité hitlérienne rend la question aiguë. Le gouvernement polonais refuse de se soumettre aux exigences allemandes concernant Dantzig et le « couloir » (ou « corridor ») – bande de territoire reliant la Pologne à la mer –, avec le port nouveau de Gdynia, construit en 1924-1930. Le 28 avril 1939, Hitler exige sa restitution ; la crise ainsi ouverte aboutit le 1er septembre 1939 au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Après la défaite de la Pologne (septembre 1939), Dantzig devient une ville allemande, capitale d'un district (1939-1945). Presque entièrement détruite par les bombardements aériens (1941-1945), elle est prise par les Russes les 28-30 mars 1945 et fait retour à la Pologne en 1946, reprenant son nom polonais de Gdańsk.

La grève des chantiers navals et les émeutes qui éclatent le 14 décembre 1970 se propagent à tous les ports et déclenchent la crise qui permet à Edward Gierek d'évincer Władysław Gomulka du pouvoir. En février 1980, la grève des chantiers Lénine est à l'origine de la crise nationale de l'été qui amène au remplacement de Gierek par Stanisław Kania. Les accords qui y furent signés le 31 août 1980 légalisèrent l'existence du syndicat indépendant Solidarność.

Eva Braun, l’épouse d’Hitler, aurait eu des ancêtres juifs

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Nazisme – La femme d’Adolf Hitler aurait eu des origines juives, selon des analyses ADN effectuées sur une brosse à cheveux retrouvée dans sa résidence de Berghof.

Photo non datée d'Adolf Hitler et de sa maîtresse Eva Braun

Photo non datée d'Adolf Hitler et de sa maîtresse Eva Braun

L’ADN trahit les secrets les plus improbables. Selon des analyses effectuées pour un documentaire diffusé mercredi prochain par la chaîne britannique Channel 4, celle qui fut la compagne du dictateur Adolf Hitler aurait eu des ascendances juives. Cette thèse s'appuie sur l'analyse de cheveux provenant d'une brosse retrouvée à Berghof, la résidence d’Hitler en Bavière où Eva Braun a passé l'essentiel de son temps pendant la deuxième guerre mondiale.

Sur ces cheveux, les chercheurs ont trouvé une séquence spécifique d'ADN "fortement associée" aux juifs ashkénazes, qui représentent environ 80 % de la population juive. "C'est une découverte troublante. Je n'aurais jamais pu rêver trouver un résultat potentiellement aussi extraordinaire", a commenté Mark Evans, le présentateur de "The Dead Famous DNA" sur Channel 4.

Les descendantes d’Eva Braun refusent d’être testées

Selon les réalisateurs du documentaire, tout indique que les cheveux analysés proviennent bien d'Eva Braun. Mais le seul moyen de le prouver formellement serait de les comparer à l'ADN de ses deux descendantes vivantes. Or celles-ci ont refusé de se soumettre au test.

Une découverte qui, aussi surprenante soit-elle, s’expliquerait par le fait qu’en Allemagne, beaucoup de juifs ashkénazes se sont convertis au catholicisme au 19e siècle. Un mystère de plus qui entoure le couple, qui se serait donné la mort le 30 avril 1945. Récemment, une universitaire brésilienne avançait une autre thèse selon laquelle Adolf Hitler serait mort au Brésil en 1984, à l’âge de 95 ans.

Lachende Täter, zitternde Zeugen

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Vor 50 Jahren wurde der Auschwitz-Prozess ins Bürgerhaus Gallus verlegt. Die Angeklagten schienen da noch immer die Herren zu sein. Im Frankfurter Arbeiterstadtteil blieb die Resonanz aus. Zeitzeugen erinnern sich bei einer Gedenkveranstaltung.

Die Dame mit der Handtasche (re.) hatte viele Fragen: Prozesspause mit der Überlebenden Trude Simonsohn vorm Haus Gallus

Die Dame mit der Handtasche (re.) hatte viele Fragen: Prozesspause mit der Überlebenden Trude Simonsohn vorm Haus Gallus

Es war der 32. Verhandlungstag, als Richter Hans Hofmeyer den Auschwitz-Prozess erstmals im nagelneuen „Bürgerhaus Gallus“ eröffnete. Der alte Frankfurter Arbeiterstadtteil rückt schlagartig „in den Blickpunkt der Weltöffentlichkeit“, wie anderntags in der Zeitung steht.

 

Von diesem Freitag an, dem 3. April 1964, bis zum 20. August 1965 wird das so bleiben, weitere 151 quälende Verhandlungstage hindurch. Wie zuvor und seit Dezember 1963 im Plenarsaal des Römer, ist „das Nachrichtenzentrum für die Journalisten von der Bundespost mit Telefonen, Schreibmaschinen und Fernschreibern reichlich ausgestattet“. Nach dem Eindruck des Berichterstatters der „Frankfurter Neue Presse“ passt „die Atmosphäre des mit Klinker und Eichenholz ausgekleideten Sitzungsraums zum Charakter dieses Prozesses: streng und ernst“.

 

KZ und Prozess

 

Das Konzentrationslager Auschwitz, 50 Kilometer entfernt von Krakau, umfasste ein Sperrgebiet von 40 Quadratkilometern. Es bestand aus einem Stammlager (Auschwitz I), aus Auschwitz-Birkenau und Auschwitz-Monowitz, dem Zwangsarbeiterlager.

 

Am ersten Prozesstag im Gallus steht die Beweisaufnahme gegen Oswald Kaduk im Mittelpunkt, der in Auschwitz „Block- und Rapportführer im Rang eines SS-Unterscharführers“ gewesen war. Der Zeuge Rudolf Steiner, „ein breitschultriger, dunkelhaariger Wiener“, der als „politischer Häftling“ im Konzentrationslager eingesperrt war, belastet den Angeklagten laut Prozessbericht schwer. Er bezeugt eine „Selektion“, bei der Oswald Kaduk 1943/44 etwa 200 Menschen „mit einer Handbewegung“ für den Tod in der Gaskammer aussonderte.

 

Der Angeklagte ruft dazwischen, er redet den Richter als „Herr Direktor“ an. Er behauptet, er habe „nur manchmal“ und „nur auf Befehl“ Menschen ins Gas geschickt. Kaduk spricht gern von sich selber als „meine Wenigkeit“.

 

Prominente Zuhörer

 

Es wird gegen 21 Angeklagte verhandelt, elf davon sind auf freiem Fuß. In Mantel und Hut sieht man die Männer in jenem April eilig die Frankenallee durchmessen. Als sie den Fotografen der Agentur UPI wahrnehmen, halten sie sich ihre Aktentaschen vor die Gesichter.

 

Am 33. Verhandlungstag, dem zweiten im Bürgerhaus, belässt es Oswald Kaduk nicht mehr mit Zwischenrufen, er schreit in den Saal: „Ich lasse mich nicht beleidigen!“ Die Frankfurter Rundschau erreicht danach ein Leserbrief von „W. Berg“ aus Hanau: Der ehemalige Rapportführer Kaduk habe „das Gesetz nicht vergessen, unter dem er angetreten ist“. Demnach hätten Juden und Kommunisten, „vor allem aber Juden“ damals „als ausgeschlossen und vogelfrei“ gegolten. „Sie zu misshandeln und zu töten, war geradezu Pflicht, und Leute vom Schlage Kaduks nahmen es mit der Pflichterfüllung sehr genau“, äußert sich Briefschreiber Berg.

 

Es gibt prominente Zuhörer, die einen der 142 Publikumsplätze im Bürgerhaus einnehmen. Den Schriftsteller Arthur Miller haben Reporter da sitzen sehen. Thomas Dodd, früherer Ankläger im Nürnberger Kriegsverbrecherprozess, ist einen Tag da. Der Autor Horst Krüger trägt seine Eindrücke abends in den Club Voltaire. Marieluise Kaschnitz setzt sich „weit hinten hin und wartete zaghaft auf den Augenblick, in dem die Angeklagten ihre Plätze einnehmen würden“. Die Dichterin registriert, dass die Beschuldigten „die kleine Holztreppe heruntergepoltert kamen wie eine Schulklasse, sich anstießen und lachten“, was sie das „auch während der Verhandlung immer wieder taten“. Kaschnitz sieht „Zeugen zitternd ihren ehemaligen Peinigern gegenüberstehen“ und registriert: „Die anderen, die doch jetzt Häftlinge waren, schienen noch immer die Herren zu sein.“

 

Kaum Resonanz hat der Prozess draußen im Viertel. „Ein Prozess, der wie auf einer Insel stattfindet“, beobachtet „Bastian“, der Lokalkolumnist der Frankfurter Rundschau, das „absurde Stück im neuen Haus mit Bühne“. Er hofft und fragt: „Wird sich nicht alles auflösen wie ein Spuk?“

Cérémonie commémorative à Izieu pour le 70e anniversaire de la rafle des enfants juifs

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Il y a 70 ans, le 6 avril 1944, 44 enfants juifs et sept éducateurs réfugiés à Izieu (Ain) étaient victimes d'une rafle organisée par la Gestapo sous les ordres de Klaus Barbie, puis déportés à Auschwitz et en Estonie: une cérémonie commémorative a eu lieu dimanche dans ce lieu devenu mémorial.

Maison des enfants d'Izieu

Maison des enfants d'Izieu

"Dans cette traversée de la nuit que le nazisme imposa au monde, Izieu porte la mémoire particulière du crime le plus abominable, celui perpétré contre les enfants", a déclaré la ministre de la Culture Aurélie Filipetti, selon le discours communiqué à l'AFP.

"Ce crime est de ceux qui ne peuvent, qui ne doivent jamais être effacés. Mais je veux voir dans l'évolution de ce lieu, dans son ouverture à la jeunesse, un signe d'espérance", a-t-elle ajouté.

 

- Martin Schulz présent aux cérémonies -

 

Aux côtés de Mme Filippetti se trouvait le président du Parlement européen, Martin Schulz, ainsi que six anciens pensionnaires de la maison d'Izieu. Parmi eux, Samuel Pintel, 77 ans, arrivé à Izieu en novembre 1943, à l'âge de six ans, est le dernier à en être parti quelques mois avant la rafle.

"Cette 70e commémoration va être l'événement le plus marquant, car on a encore une présence forte des acteurs de l'Histoire, même si entre 2002 et aujourd'hui cinq ont disparu", avait déclaré à l'AFP la directrice du mémorial Geneviève Erramuzpé. "Avec les années, on arrive vers un épuisement des témoins et des personnes en état de se déplacer", avait-elle noté.

La commémoration coïncide en outre avec les 20 ans du mémorial, inauguré le 24 avril 1994 par le président François Mitterrand, et qui deviendra en 2000 "Maison d'Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés".

"Quand on vient à Izieu on voit les lettres de ces enfants, leurs dessins, leurs portraits, c'est parce qu'ils sont présents qu'on réalise à quel point c'est monstrueux ce qui est arrivé", a déclaré Mme Erramuzpé.

Le mémorial d'Izieu reçoit en moyenne chaque année 26.000 visiteurs, dont 14.000 scolaires.

Pour faire face à la demande croissante d'ateliers, le mémorial va s'étendre sur 750 m2 supplémentaires, divisés entre exposition permanente et salle pédagogique, et qui devraient être inaugurés en avril 2015.

Originaires de plusieurs pays européens et âgés entre 4 à 12 ans, les 44 enfants juifs d'Izieu avaient été raflés dans cette colonie par la Gestapo de Lyon, le 6 avril 1944 avec leurs sept éducateurs, juifs également. Ils avaient été déportés puis exterminés dans les camps d'Auschwitz-Birkenau (Pologne) et de Reval (Estonie). Seule une éducatrice a survécu.

Entre mai 1943 et avril 1944, la colonie d'Izieu a accueilli une centaine d'enfants orphelins, dont certains ont ensuite été pris en charge par des familles d'accueil.

Pétain Philippe

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Henri Philippe Benoni Omer Joseph Pétain, couramment nommé Philippe Pétain, né le 24 avril 1856 à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais) et mort le 23 juillet 1951 en internement à Port-Joinville (L'Île-d'Yeu), est un militaire et homme politique français, fait maréchal de France en 1918. En tant que chef militaire, le maréchal Pétain est généralement présenté comme le « vainqueur de Verdun » et comme le chef de l’armée qui jugula la crise du moral et des mutineries de 1917.

Pétain Philippe

Comme dernier chef de gouvernement de la Troisième République, son nom est associé à l’armistice du 22 juin 1940 retirant la France défaite de la guerre contre Hitler. Comme fondateur et chef de l'État du régime de Vichy, il a dirigé la France pendant l'Occupation, du 11 juillet 1940 au 20 août 1944. Il a engagé la Révolution nationale et la collaboration avec l’Allemagne nazie.

À 84 ans, en juillet 1940, Philippe Pétain est le chef d'État le plus âgé de l'Histoire de France. Jugé à la Libération pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison par la Haute Cour de Justice, il est, par arrêt du 15  août 1945, frappé d'indignité nationale et condamné à la confiscation de ses biens et à la peine de mort. Il est gracié par le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, sa peine est commuée en prison à perpétuité. Ayant reçu une éducation catholique, il sert la messe comme enfant de chœur durant sa jeunesse.

Impressionné par les récits de son grand-oncle, l'abbé Lefèvre, qui a servi dans la Grande Armée de Napoléon, et très marqué par la guerre de 1870 alors qu’il a 14 ans, il décide d’être soldat. À partir de 1876, il est élève à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion Plewna avec le vicomte Charles de Foucauld, le futur bienheureux et Antoine Manca de Vallombrosa le futur aventurier. Il y entre parmi les derniers (403e sur 412) et en sort en milieu de classement (229e sur 336). Il est affecté à différentes garnisons, mais ne participe à aucune des campagnes coloniales. Lors de l’affaire Dreyfus, le capitaine Pétain ne participe pas à la souscription au fameux « monument Henry », souscription nationale ouverte par le journal antisémite, La Libre Parole, d'Édouard Drumont, au profit de la veuve de l'auteur du faux document, le colonel Henry, responsable de la condamnation inique du capitaine Dreyfus. Ultérieurement, Pétain confiera n’avoir pas cru en la culpabilité de Dreyfus, mais accusera ce dernier de s’être mal défendu, et dira avoir considéré comme normal de le sacrifier à la réputation de l’Armée.


Dans l’ensemble, le militaire Pétain s’occupe fort peu de la vie politique de l’époque, et reste très discret sur ses opinions personnelles. Au contraire de beaucoup de militaires, il ne s’engage à aucun moment, pas plus lors de l’affaire des fiches (1904) que de celle de la séparation des Églises et de l'État en 1905. En 1900, chef de bataillon, il est nommé instructeur à l’École normale de tir du camp de Châlons-sur-Marne, il s’oppose à la doctrine officielle de lPétain Philippe'époque qui veut que l'intensité du tir prime la précision et qui privilégie les charges de cavaleries et les attaques à la baïonnette. Il préconise au contraire l'utilisation des canons pour les préparations et les barrages d'artillerie, afin de permettre la progression de l'infanterie, laquelle doit pouvoir tirer précisément sur des cibles individuelles. Le directeur de l'école signale la « puissance de dialectique [...] et l'ardeur [...] » « avec lesquelles il défend des thèses aussi aventurées ». En 1901, il occupe un poste de professeur adjoint à l’École supérieure de guerre de Paris où il se distingue par des idées tactiques originales. Il y retourne de 1904 à 1907 puis de 1908 à 1911 en tant que titulaire de la chaire de tactique de l’infanterie. Il s’élève alors violemment contre le dogme de la défensive prescrit par l’instruction de 1867, « l’offensive seule pouvant conduire à la victoire ». Mais il critique aussi le code d’instruction militaire de 1901 prônant la charge en grandes unités, baïonnette au canon. Les milliers de morts d’août et septembre 1914 lui donneront raison.

Le 20 octobre 1912, il est le premier chef d’unité de celui qui deviendra le général de Gaulle, alors sous-lieutenant. En septembre 1913, amené à commenter la tactique du général Gallet, qui avait fait charger à la baïonnette des nids de mitrailleuses, il dit : « le général vient de nous montrer toutes les erreurs à ne pas commettre ». Ce qui lui vaut l’hostilité de la hiérarchie. Humiliés par la défaite de 1870, les états-majors se montrent volontiers bravaches et revanchards. On y prône l'offensive à outrance. Pétain, lui, préconise la manœuvre, la puissance matérielle, le mouvement, l’initiative : « le feu tue ». Ainsi il déclara à un élève officier : « Accomplissez votre mission coûte que coûte. Faites-vous tuer s'il le faut, mais si vous pouvez remplir votre devoir tout en restant en vie, j'aime mieux cela. »  À 58 ans, en juillet 1914, le colonel Philippe Pétain s’apprêtait à prendre sa retraite après une carrière relativement médiocre, le ministre de la Guerre ayant refusé sa nomination au grade de général. Dès le début de la Première Guerre mondiale, le 3 août 1914, à la tête de la 4e brigade d’infanterie, il se distingue en Belgique. Il est promu général de brigade le 31 août 1914 et commande la 6e division d'infanterie à la tête de laquelle il participe à la bataille de la Marne, puis devient général de division le 14 septembre. Nommé le 20 octobre général commandant de corps d'armée, il prend le commandement du 33e corps et réalise des actions d’éclat tout en se montrant soucieux d’épargner la vie de ses hommes, dont il gagne le cœur.

Le colonel Philippe PétainEn juin 1915, il commande la 2e armée. En février 1916, c’est lui qui commande les troupes françaises à la bataille de Verdun, et son charisme n’est pas étranger à l’issue victorieuse du combat, même si la ténacité de ses troupes, comme, par exemple, celle du commandant Raynal au fort de Vaux, en a été le facteur décisif. On notera cependant que sa vision stratégique de la bataille lui a permis de comprendre que le meilleur soldat du monde, s’il n’est pas ravitaillé, évacué en cas de blessure, ou relevé après de durs combats, sera finalement vaincu. Pétain met en place une noria continue de troupes, d’ambulances, de camions de munitions et de ravitaillement sur ce qui va devenir la « voie sacrée ». Comprenant la valeur de l’aviation dans les combats, il crée en mars 1916 la première division de chasse aérienne pour dégager le ciel au-dessus de Verdun. Il réaffirme cette vision dans une instruction de décembre 1917 : « L’aviation doit assurer une protection aérienne de la zone d’action des chars contre l’observation et les bombardements des avions ennemis [...] » Désormais, aux yeux de tous, il est le « vainqueur de Verdun », même si cette appellation sera surtout exploitée plus tard, sous le régime de Vichy.

En 1917, le général Nivelle prend la tête des armées françaises, alors que Joffre n’était que le chef du front du Nord-Est. Le général Pétain est nommé chef d'État-Major général, poste spécialement créé pour lui. Il s’oppose à Nivelle qui est peu économe du sang de ses hommes, et dont l’attitude contraste avec le pragmatisme de Pétain. Cela aboutit à la bataille du Chemin des Dames, à la mi-avril 1917 : 100 000 hommes sont mis hors de combat du côté français en une semaine. Bien que les Français, à défaut de percer, aient tenu, le mécontentement gronde, provoquant des mutineries dans de nombreuses unités. Nivelle est renvoyé et Pétain se trouve être l’homme providentiel pour lui succéder et ramener la confiance des troupes en améliorant les conditions de vie des soldats, en mettant fin aux offensives mal préparées et en faisant condamner les mutins, dont seule une minorité est fusillée malgré les exigences des hommes politiques. En octobre 1917, il reprend le Chemin des Dames aux Allemands, par des offensives plus limitées, ne gaspillant pas la vie des soldats et toutes victorieuses. Certains ont dénié à Pétain le titre mythique de « vainqueur de Verdun » et considèrent cette réputation comme due principalement à sa gestion du moral des combattants, grâce à ses mesures « humaines » et à sa volonté d’éviter les offensives inutiles, plus qu’à ses qualités militaires.

Parmi eux, ont figuré Joffre, Foch et Clemenceau, qui ont reproché à Pétain son pessimisme. Au début de 1918, il est à l’origine du retour de Foch, qui avait été renvoyé avec Nivelle. Il est désormais à l’origine de la coordination de toutes les troupes alliées, dont Foch est le chef suprême. En août 1918 la médaille militaire lui est attribuée : « Soldat dans l’âme, n’a cessé de donner des preuves éclatantes du plus pur esprit du devoir et de haute abnégation. Vient de s’acquérir des titres impérissables à la reconnaissance nationale en brisant la ruée allemande et en la refoulant victorieusement. »  En octobre 1918, il prépare une grande offensive qui aurait mené les troupes franco-américaines jusqu’en Allemagne. Prévue à partir du 13 novembre, elle n’a pas lieu puisque, contre son avis, Foch et Clemenceau ont accepté l’armistice demandé par les Allemands. Après l’armistice, Pétain est élevé à la dignité de maréchal de France le 19 novembre 1918. Il reçoit à Metz son bâton de maréchal le 8 décembre 1918.

En 1919, Pétain est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Le 14 septembre 1920, âgé de 64 ans, il épouse Eugénie Hardon, âgée de 42 ans, dont il n’eut pas de descendance. Général en chef de l’Armée française (il le reste jusqu’au 9 février 1931), il estime en 1919 à 6 875 le nombre de chars nécessaire à la défense du territoire. Soit 3 075 chars en régiment de première ligne, 3 000 chars en réserve à la disposition du commandant en chef et 800 chars pour le remplacement des unités endommagées. Il écrit: « C’est lourd, mais l’avenir est au maximum d’hommes sous la cuirasse. » De 1919 à 1929, avec l'aide du général Buat, son chef d'État-Major, il s'oppose à la construction de fortifications défensives, préconisant au contraire la constitution d'un puissant corps de bataille mécanisé capable de porter le combat le plus loin possible sur le territoire ennemi dès les premiers jours de la guerre. En juin 1922, il obtient la démission du maréchal Joffre de la présidence de la Commission d'étude de l'organisation de la défense du territoire créée quinze jours plus tôt. En 1925-1926, des troupes françaises sous le commandement de Pétain, en campagne avec une armée espagnole (450 000 hommes au total), dans laquelle se trouve aussi Franco, mènent une campagne contre les forces d’Abd el-Krim, chef de la très jeune République du Rif, au Maroc ; les forces franco-espagnoles sont victorieuses, en partie grâce à l'emploi par les Espagnols d'armes chimiques sur les populations civiles. Abd el-Krim se plaignit à la Société des Nations de l'utilisation par l'aviation française de gaz moutarde sur les douars et les villages.

Lors de la séance du Conseil supérieur de guerre du 15 décembre 1925, il s’oppose à la construction d’une ligne défensive continue, mais pour des môles défensifs sur les voies d’invasion. Puis lors de la séance du 19 mars 1926, contre l’avis de Foch, qui estime que Pétain donne à tort aux chars une importance capitale, il préconise et obtient l’étude de trois prototypes de chars (léger, moyen et lourd). Le 20 juin 1929, il est élu à l’unanimité membre de l’Académie française, au 18e fauteuil, où il succède au maréchal Foch. Il finira par s'incliner et accepter la construction de la ligne Maginot, lorsque André Maginot, alors ministre de la Guerre, déclarera, lors du débat parlementaire du 28 décembre 1929 : « ce n'est pas Pétain qui commande, mais le ministre de la Guerre ».

Le 22 janvier 1931, il est reçu à l'Académie française par Paul Valéry, dont le discours de réception — qui retrace sa biographie — rappelle et développe une phrase sur laquelle insistait Pétain : « le feu tue », et comporte des considérations sur la façon dont « la mitrailleuse a modifié durablement les conditions du combat à terre » et les règles de la stratégie. Le discours rappelle aussi les désaccords, dans le respect mutuel, entre Pétain et Joffre. Le discours de réception du maréchal Pétain est un hommage au maréchal Foch auquel il succède. Le 9 février 1931, il est remplacé par le général Weygand au poste de commandant suprême de l’Armée, et nommé inspecteur général de la défense aérienne du territoire. À ce titre, il écrit le 2 décembre 1931 à Pierre Laval, alors président du Conseil, pour lui demander la création d’une force aérienne puissante de défense et d’attaque, indépendante de l’Armée de terre et de la Marine. Il préconise pour cela de prélever 250 millions de francs sur les crédits alloués à la construction de la ligne Maginot.

Le 9 février 1934, il est nommé ministre de la Guerre dans le gouvernement Doumergue, fonction qu’il occupe jusqu’au renversement du cabinet le 8 novembre 1934. Il va aussitôt mettre toute son énergie et son prestige pour infléchir la politique de réduction du budget de l’Armée. Partisan des chars de combat, il décide dès le 26 mars de l’adoption du char B1 dont il avait fait faire les prototypes pendant son commandement. Le même jour, il décide aussi de l’adoption du char D2 et de l’étude d’un char léger. Soucieux de la formation des officiers supérieurs, il ordonne que tous les postulants à l’École supérieure de guerre effectuent des stages préalables dans des unités de chars et d’aviation. Le 31 mai 1934, convoqué devant la commission des finances, il exprime ses vues sur la fortification et renouvelle ses réserves sur l’efficacité de la ligne Maginot. Il explique ce qu’est pour lui la fortification : le béton est un moyen pour économiser les effectifs, mais l’essentiel reste une armée puissante sans laquelle elle n’est qu’une fausse sécurité. Le but de la fortification est de permettre le regroupement des troupes pour l’offensive ou la contre-offensive. Il aura cette phrase : « la ligne Maginot ne met pas à l’abri d’une pénétration de l’ennemi, si l’armée n’est pas dotée de réserves motorisées aptes à intervenir rapidement. » Il soutient néanmoins le principe de cette ligne. Cependant, selon Robert Aron les conceptions stratégiques qu'il défend à cette époque sont conformes à son expérience de la Grande Guerre ainsi : «  [...] Entre les deux guerres, les conceptions stratégiques qu’il va défendre et imposer à l’Armée française sont encore strictement conformes à son expérience du début de l’autre conflit : il ne croit pas au rôle offensif des tanks ni aux divisions blindées. Il préconise l’édification de la ligne Maginot, derrière laquelle nos combattants de 1939 vont se croire à l’abri et attendrons paisiblement l’offensive allemande, qui se déclenchera ailleurs. ».

Le 15 juin 1934, il obtient le vote d’un crédit supplémentaire de 1,275 milliard de francs pour la modernisation de l’armement. Le 27 octobre 1934, il convainc Louis Germain-Martin, ministre des Finances, de signer le « plan Pétain pour 1935 », qui prévoit la construction de 60 chars lourds, 300 chars moyens et 900 chars légers. La chute du Gouvernement, et le remplacement du maréchal Pétain par le général Maurin, partisan de chars lourds et lents, retarderont la mise en œuvre de ce plan de plusieurs mois. Au moment où il quitte le ministère, Pétain jouit d’une très grande popularité, notamment dans les milieux d’extrême droite. En témoigne en 1935, la célèbre campagne lancée par Gustave Hervé intitulée « C’est Pétain qu’il nous faut ». Sa courte expérience ministérielle le brouille avec le parlementarisme et le conduit à refuser toutes les sollicitations ultérieures. Il participe par la suite au Conseil supérieur de guerre, où il soutient la politique de guerre offensive promu par le colonel de Gaulle, qui fut un temps son « porte-plume », préconisant la concentration de chars dans des divisions blindées. Il écrit dans la Revue des deux mondes du 15 février 1935 : « Il est indispensable que la France possède une couverture rapide, puissante, à base d’avions et de chars [...] ».

Et lors d'une conférence à l’École de Guerre en avril 1935 : « Les unités mécanisées sont capables de donner aux opérations un rythme et une amplitude inconnus jusqu’ici […] L’avion, en portant la destruction jusqu’aux centres vitaux les plus éloignés fait éclater le cadre de la bataille [...] On peut se demander si l’avion ne dictera pas sa loi dans les conflits de l’avenir [...] ». Ainsi que dans la préface d'un ouvrage du général Sikorsky : « Les possibilités des chars sont tellement vastes qu’on peut dire que le char sera peut-être demain l’arme principale. » Le 6 avril 1935, il dit, devant le président Lebrun, dans un discours à l’École supérieure de Guerre : «  Il est nécessaire de tenir le plus grand compte des perspectives ouvertes par l’engin blindé et par l’aviation. L’automobile, grâce à la chenille et à la cuirasse, met la vitesse au service de la puissance [...] La victoire appartiendra à celui qui saura le premier exploiter au maximum les propriétés des engins modernes et combiner leur action. »

À l’instigation des grands chefs militaires (Foch, Joffre), les gouvernements de la fin des années 1920 vont affecter d’importants efforts budgétaires à la construction de lignes de défense. Cette stratégie est symbolisée par la coûteuse, et de surcroît incomplète ligne Maginot qui fut arrêtée à la frontière belge. Winston Churchill, dans son ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale, émet l'avis que l'idée de la ligne Maginot aurait pu être d'une très grande utilité si elle avait été correctement appliquée et qu'elle paraissait justifiée compte tenu, en particulier, du rapport numérique entre les populations de la France et de l'Allemagne. Il juge « extraordinaire qu'elle n'ait été prolongée au moins le long de la Meuse » mais indique : « [...] Mais le maréchal Pétain s'était opposé à cette extension [...]. Il soutenait avec force que l'on devait exclure l'hypothèse d'une invasion par les Ardennes en raison de la nature du terrain. En conséquence, on écarta cette éventualité. » Après le succès de la guerre-éclair menée par les Allemands,

Pétain ne pouvait plus ignorer que la débâcle de 1940 était due aux « grands chefs militaires », dont les autorités gouvernementales n’avaient fait que suivre les orientations stratégiques quand il tenta de faire juger les « responsables » de la défaite, en imputant celle-ci exclusivement aux politiques. Pétain n’avait pas manqué non plus, depuis plusieurs années, d’annoncer comme perdue d’avance une nouvelle guerre contre l’Allemagne, si la France n’effectuait pas le même effort de réarmement mais ce manque de conviction peut également être vu comme ayant empêché la préparation nécessaire de l’Armée française à une guerre qui était pourtant inéluctable. Le 2 mars 1939, Pétain est nommé ambassadeur de France en Espagne. Le 20 mars 1939, il présente ses lettres de créance au général Franco, chef de l’État espagnol, résidant alors à Burgos. Au nom du rapprochement diplomatique de la France avec l’Espagne, il lui incombe de superviser, dans le cadre des accords Bérard-Jordana, le rapatriement à Madrid des réserves d’or de la Banque d’Espagne et des toiles du musée du Prado que l’ancienne République espagnole avait transférées à l’abri en France durant la guerre civile.



Gouvernement Pétain

 

Le 17 mai 1940, Pétain est nommé vice-président du Conseil dans le gouvernement de Paul Reynaud. Franco lui avait conseillé de ne pas accepter d’apporter sa caution à ce gouvernement. Le 14 juin 1940, Paris est occupé par l’Armée allemande. Le Gouvernement, le président de la République et les Assemblées sont alors réfugiés à Bordeaux. Dès son arrivée au Gouvernement et alors que la bataille de France est irrémédiablement perdue, Pétain se fait un des avocats les plus constants de l’armistice auprès du président du Conseil Paul Reynaud. Ainsi, il met plusieurs fois sa démission dans la balance et déclare qu’il n’est aucunement question pour lui de quitter la France pour poursuivre la lutte. Le 16 juin 1940, Paul Reynaud présente la démission du Gouvernement et suggère, suivi en cela par les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, de confier la présidence du Conseil au maréchal Pétain, choix aussitôt approuvé par le président de la République Albert Lebrun. Pétain est alors vu par beaucoup comme l’homme providentiel.

Charles Maurras saluera son arrivée comme une « divine surprise ». Le 17 juin 1940, suivant le conseil énoncé le 12 juin par le général Maxime Weygand, chef d’État-Major des Armées, Pétain annonce son intention de demander l’armistice qui est signé le 22 juin 1940 dans la clairière de Rethondes, après avoir été approuvé par le Conseil des ministres et le président de la République. Son discours radiodiffusé, où il déclare, alors que les négociations ont à peine commencé : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu’il faut cesser le combat », a un effet désastreux sur le moral des troupes et précipite de fait l’effondrement des armées françaises. Du 17 juin à l’entrée en vigueur de l’armistice le 25, les Allemands font ainsi plus de prisonniers que depuis le début de l’offensive le 10 mai. Dans le même discours, Pétain anticipe la création de son propre régime en déclarant qu’il fait « don de sa personne à la France ». Le 20 juin 1940, dans un nouveau discours, il annonce les tractations en vue de l'armistice. Il en détaille les motifs, ainsi que les leçons que, selon lui, il faudra en tirer. Il y fustige « l'esprit de jouissance » : « [...] Depuis la victoire [de 1918], l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur. » Le 25 juin 1940, Pétain annonce les conditions « sévères » de l'armistice et décrit les territoires qui seront sous contrôle allemand. La démobilisation fait partie de ces conditions. Il annonce : « C'est vers l'avenir que désormais nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence [...] ». Les causes de la défaite sont à rechercher selon lui dans l'esprit de relâchement « Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié [...] ».

Le 29 juin 1940, le Gouvernement s’installe à Vichy, en zone non occupée par l’Armée allemande. C’est Pierre Laval qui, résidant à Châteldon, à une trentaine de kilomètres de la cité thermale, avait insisté pour que le Gouvernement s’établisse à Vichy. Cela évitait de chercher refuge à Lyon ou à Toulouse, vieux fiefs du radical-socialisme. De plus, cette ville présentait les avantages d’un réseau téléphonique extrêmement performant et d’une multitude d’hôtels qui furent réquisitionnés pour abriter les différents ministères et les ambassades. Le 10 juillet 1940, une loi, dite « constitutionnelle », votée par les deux Chambres (569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions) réunies en Assemblée nationale au casino de Vichy donne tous les pouvoirs au maréchal Pétain, sans contrôle de l’Assemblée, avec pour mission la promulgation d’une nouvelle Constitution. Celle-ci ne verra jamais le jour. De sorte que l’État français allait rester durant toute sa durée un État provisoire. La constitutionnalité de cette réforme fut contestée pour plusieurs motifs dont le fait que la Constitution ne peut pas être modifiée sous la menace directe d’un ennemi. Mais surtout, la confusion de tous les pouvoirs (constituant, législatif, exécutif et judiciaire) entre les mêmes mains était contraire aux fondements même des lois constitutionnelles de 1875, basées sur une séparation des pouvoirs. Il en résulta un régime anti-démocratique, sans constitution et sans contrôle parlementaire ayant tous les aspects d’une dictature.

Dès le 11 juillet 1940, par trois « actes constitutionnels », Pétain s’autoproclame chef de l’État français et s’arroge tous les pouvoirs. Laval lui dit un jour : « Connaissez-vous, Monsieur le Maréchal, l'étendue de vos pouvoirs ? [...] Ils sont plus grands que ceux de Louis XIV, parce que Louis XIV devait remettre ses édits au Parlement, tandis que vous n'avez pas besoin de soumettre vos actes constitutionnels au Parlement, parce qu'il n'est plus là. », Pétain répondit : « C'est vrai. » Aux traditionnels attributs régaliens (droit de grâce, nominations et révocations des ministres et des hauts fonctionnaires), Pétain ajoute en effet des droits tout à fait inédits, même du temps de la monarchie absolue. Il peut ainsi rédiger et promulguer seul une nouvelle Constitution, il peut désigner son successeur (qui est le vice-président du Conseil), il « a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui [...] » et il « exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres [...] ». Les lois, adoptées de sa seule autorité, sont promulguées sur la formule : « Nous, maréchal de France, le Conseil des ministres entendu, décidons... » Par prudence, par contre, Pétain évite de s’attribuer le droit de déclarer la guerre seul : il doit pour cela consulter les éventuelles assemblées.

Jusqu’en avril 1942, Pétain reste par ailleurs à la fois chef de l’État et chef du gouvernement en titre, Pierre Laval, Pierre-Étienne Flandin et l'amiral François Darlan n’étant que vice-présidents du Conseil. Il gouverne de manière autoritaire. Ainsi, le 13 décembre 1940, il évince brusquement Pierre Laval du pouvoir, non par désaveu de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie menée par ce dernier, mais par irritation devant sa manière trop indépendante de la conduire. Il est remplacé par Flandin. Parallèlement, Pétain signe la révocation de nombreux maires, préfets et hauts fonctionnaires républicains, dont le préfet d'Eure-et-Loir Jean Moulin. Le maréchal supprime précocement tous les contre-pouvoirs institutionnels à son autorité, et tout ce qui rappelle trop le régime républicain désormais honni. Le mot même de République disparaît. Les libertés publiques sont suspendues, tout comme les partis politiques, à l’exception de ceux des collaborationnistes parisiens, qui subsistent en zone nord. Les centrales syndicales sont dissoutes, les unions départementales subsistantes unifiées dans une organisation corporatiste du travail. La Franc-Maçonnerie est mise hors-la-loi. Toutes les assemblées élues sont mises en sommeil ou supprimées, les Chambres aussi bien que les conseils généraux.

Des milliers de municipalités sont destituées et remplacées par des « Délégations spéciales » nommées par décret du pouvoir central, et dont la présidence revient à des personnalités présentant les garanties exigées du maréchal. Des juridictions d’exception sont mises en place. Dès le 2 août 1940, Vichy fait ainsi condamner à mort par contumace Charles de Gaulle (même si Pétain précise qu'il veillera à ce que la sentence ne soit pas appliquée) puis ses compagnons, qui sont déchus de la nationalité française avec ceux qui les rejoignent. Des procès iniques sont intentés à diverses personnalités républicaines, ainsi à Pierre Mendès France, condamné en juin 1941 à Clermont-Ferrand pour une prétendue « désertion » (l'affaire du Massilia, bateau-piège), avec Jean Zay et quelques autres. À l’automne 1941, grâce à des lois ouvertement antidatées, Vichy envoie à la guillotine plusieurs prisonniers communistes, dont le député Jean Catelas, en représailles à des attentats anti-allemands.

Pétain décrète par ailleurs l’arrestation, dès 1940, de Léon Blum, Georges Mandel, Édouard Daladier, Paul Reynaud et du général Gamelin. Mais le procès de Riom, qui devait lui servir à faire le procès du Front populaire et de la IIIe République, et à les rendre seuls responsables de la défaite, tourne en avril 1942 à la confusion des accusateurs. Léon Blum notamment sait rappeler la responsabilité propre du haut commandement militaire dans la réduction des crédits militaires en 1934 et dans la stratégie défensive désastreuse fondée sur la ligne Maginot. Le procès est suspendu, et les accusés restent internés avant d’être livrés l’an suivant aux Allemands. Jouant le plus possible sur la réputation du « vainqueur de Verdun », le régime exploite le prestige du maréchal et diffuse un culte de la personnalité omniprésent : les photos du maréchal figurent dans les vitrines de tous les magasins, sur les murs des cités, dans toutes les administrations, ainsi qu’aux murs des classes dans tous les locaux scolaires et dans ceux des organisations de jeunesse. On le retrouve jusque sur les calendriers des PTT. Le visage du chef de l’État apparaît aussi sur les timbres et les pièces de monnaie, tandis que les bustes de Marianne sont retirés des mairies. La Saint-Philippe, chaque 3 mai, est célébrée à l’instar d’une fête nationale. Un hymne à sa gloire, le célèbre Maréchal, nous voilà !, est interprété à dans de nombreuses cérémonies parallèlement à la Marseillaise, et doit être appris à tous les enfants des écoles par les instituteurs. À qui douterait, des affiches péremptoires proclament : « Êtes-vous plus Français que lui ? » ou encore « Connaissez-vous mieux que lui les problèmes de l’heure ? ».

Pétain exige aussi un serment de fidélité des fonctionnaires à sa propre personne. L'acte constitutionnel no 7 du 27 janvier 1941 oblige déjà les secrétaires d'État, les hauts dignitaires, et les hauts fonctionnaires à jurer fidélité au chef de l'État. Après son discours du 12 août 1941 (discours dit du « vent mauvais », où il déplore les contestations croissantes de son autorité et de son gouvernement), Philippe Pétain étend le nombre de fonctionnaires devant lui prêter serment. Les actes constitutionnels no 8 et no 9 du 14 août 1941 concernent respectivement les militaires et les magistrats. Le serment est prêté par tous les juges à l’exception d’un seul, Paul Didier, qui fut aussitôt révoqué et interné au camp de Châteaubriant. Puis c'est l’ensemble des fonctionnaires qui doit jurer fidélité au chef de l'État par l’acte constitutionnel no 10 du 4 octobre 1941. Il concernera donc jusqu'aux policiers et aux postiers. Toute une littérature, relayée par la presse sous contrôle et par maints discours officiels ou particuliers, trouve des accents quasi-idolâtres pour exalter le maréchal comme un sauveur messianique, pour célébrer son « sacrifice », pour le comparer à Jeanne d'Arc ou à Vercingétorix, pour vanter l’allant et la robustesse physique du vieillard, ou encore la beauté de ses célèbres yeux bleus. Un chêne pluricentenaire reçoit son nom en forêt de Tronçais. De nombreuses rues sont débaptisées et prennent son nom sur ordre. Le serment prêté par les titulaires de la Francisque prévoit : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. »

La popularité du maréchal ne repose cependant nullement sur le seul appareil de propagande. L’intéressé sait l’entretenir par de nombreux voyages à travers toute la zone sud, surtout en 1940-1942, où des foules considérables viennent l’acclamer. Il reçoit de nombreux présents de partout ainsi qu'un abondant courrier quotidien, dont des milliers de lettres et de dessins des enfants des écoles. Pétain entretient aussi le contact avec la population par un certain nombre de réceptions à Vichy, ou surtout par ses fréquents discours à la radio. Il sait employer dans ses propos une rhétorique sobre et claire, ainsi qu’une série de formules percutantes, pour faire mieux accepter son autorité absolue et ses idées réactionnaires : « La terre, elle, ne ment pas », « Je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal » (août 1940), « Je vous ai parlé jusqu’ici le langage d’un père, je vous parle à présent le langage d’un chef. Suivez-moi, gardez confiance en la France éternelle » (novembre 1940).

Par ailleurs, de nombreux évêques et hommes d’Église mettent leur autorité morale au service d’un culte ardent du maréchal, salué comme l’homme providentiel. Le 19 novembre 1940, le primat des Gaules, le cardinal Gerlier, proclame ainsi, à la Primatiale Saint-Jean de Lyon, en présence du maréchal : « Car Pétain, c'est la France et la France, aujourd'hui, c'est Pétain ! ». L’Assemblée des cardinaux et archevêques de France, en 1941, assure le chef de l’État de sa « vénération », dans une résolution sans équivalent au XXe siècle. Mais de nombreux Français de tous bords et de toutes croyances communient pareillement dans la confiance au maréchal. Tous les courants politiques sont ainsi représentés dans son gouvernement à Vichy, de la droite le plus réactionnaire à la gauche la plus radicale.

Les collaborationnistes, en général, sont hostiles à Vichy et à la Révolution nationale, qu’ils jugent trop réactionnaires et pas engagés assez loin dans l’appui à l’Allemagne nazie. Cependant, à la suite de Philippe Burrin et Jean-Pierre Azéma, l’historiographie récente insiste davantage sur les passerelles qui existent entre les hommes de Vichy et ceux de Paris. Un ultra-collaborationniste comme le futur chef de la Milice française, Joseph Darnand, est ainsi toute l’Occupation un inconditionnel fervent du « Maréchal ». Le chef fasciste français Jacques Doriot proclame quant à lui jusqu’à fin 1941 qu’il est « un homme du Maréchal ». Son rival Marcel Déat a essayé en 1940 de convertir Pétain à son projet de parti unique et de régime totalitaire, s’attirant de ce dernier une fin de non-recevoir (« un parti ne peut pas être unique ») ; déçu, Déat quitte définitivement Vichy et agonit désormais Pétain d’attaques dans son journal L’Œuvre, à tel point que le maréchal, en 1944, se débrouille pour ne jamais contresigner sa nomination comme ministre. D’autres entourent Pétain de leur vénération sans bornes, tels Gaston Bruneton, chargé de l’action sociale auprès des travailleurs (volontaires et forcés) Français en Allemagne en étroite collaboration avec le DAF (Front allemand du travail), ou encore se voient confier des fonctions importantes par Vichy. Ainsi le journaliste pro-hitlérien Fernand de Brinon, qui représente le gouvernement Pétain en zone nord de 1941 à 1944.

Instaurant un régime contre-révolutionnaire et autoritaire, le régime de Vichy veut réaliser une « Révolution nationale », à fortes consonances xénophobes et antisémites, qui rompt avec la tradition républicaine et, instaure un ordre nouveau fondé sur l’autorité, la hiérarchie, le corporatisme, l’inégalité entre les citoyens. Sa devise « Travail, Famille, Patrie » remplace l’ancien triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité ». Dès l’été 1940, un discours du maréchal Pétain prévient que le nouveau régime « ne reposera plus sur l’idée d’égalité entre les hommes ». La Révolution nationale est la priorité de Pétain dont il fait son affaire personnelle, et qu'il encourage par ses discours et ses interventions en Conseil des ministres. Cependant, dès août 1941, il avoue à la radio « la faiblesse des échos qu’ont rencontré » ses projets, parmi la masse de la population. À partir du retour au pouvoir de Laval en avril 1942, la Révolution nationale n’est plus à l’ordre du jour. Comme l’a montré l’historiographie récente depuis Henri Michel, Robert Paxton ou Jean-Pierre Azéma, c’est le désir de pouvoir enfin « redresser » la France à sa façon qui a poussé largement Pétain, en juin 1940, à retirer le pays de la guerre par l’armistice. C’est également lui, qui le pousse à accepter l’entente avec le vainqueur : la Révolution nationale ne peut prospérer que dans une France défaite. Car pour les pétainistes, une victoire alliée signifierait le retour des Juifs, des Francs-Maçons, des républicains et des communistes.

Selon ces historiens, Pétain néglige aussi le péril et la contradiction, qu’il y a à entreprendre ses réformes sous le regard de l’occupant. Cette illusion est d’ailleurs dénoncée dès l’époque par la France libre du général de Gaulle, mais également par nombre de résistants, dont certains avaient pu au départ être tentés par le programme de Pétain, mais qui estiment dangereux de se tromper sur les priorités et vain d'entreprendre des réformes tant que les Allemands ne sont pas chassés du pays. En août 1943, François Valentin, le chef de la Légion française des combattants, nommé à ce poste par Pétain lui-même, rejoint Londres, enregistre et fait diffuser à la BBC un message retentissant dans lequel il y fait son autocritique et dénonce la faute grave du maréchal et de ses fidèles : « On ne reconstruit pas sa maison pendant qu’elle flambe ! ».

Mais si les historiens ont déterminé les intentions de Pétain, ce n'était pas toujours le cas des personnes vivant à l'époque, et si Pétain conduisit par exemple une politique antisémite, ceux qui l'admiraient n'avaient pas forcément de telles idées. Enfin, les « vichysto-résistants » souvent séduits par la Révolution nationale mais hostiles à la collaboration et à l'Occupant furent nombreux. « Grande revanche des minorités », le régime de Pétain entreprend de régler les vieux comptes des anciens vaincus avec la Révolution française, la IIIe République, le Front populaire, le marxisme ou la laïcité. Ce faisant, Pétain aggrave sensiblement les discordes nationales déjà avivées dans les années 1930, et couvre de son autorité un bon nombre de mesures d’exclusion. Dès la troisième semaine de juillet 1940, ainsi, des mesures sont prises pour écarter des fonctionnaires juifs, et une commission fondée pour réviser et annuler des milliers de naturalisations accordées depuis 1927.

En octobre 1940 et sans aucune demande particulière de la part des Allemands, des lois d’exclusion contre les francs-maçons et les Juifs sont promulguées. Ces textes discriminatoires, adoptés à la hâte en octobre 1940 sont durcis le 2 juin 1941 : ils excluent ainsi les Français de « race juive » (déterminée par la religion des grands-parents) de la plupart des fonctions et activités publiques. Des quotas sont fixés pour l’admission des Juifs au Barreau, dans le monde universitaire ou médical. Lors du statut du 2 juin, la liste des métiers interdits s’allonge démesurément. Selon le témoignage du ministre des Affaires étrangères Paul Baudouin, Pétain a personnellement participé à la rédaction du statut des Juifs et insisté pour qu’ils soient par exemple davantage exclus du milieu médical et de l'enseignement. Dans le même temps par une loi du 29 mars 1941, promulguée par le maréchal, est créé un « Commissariat général aux questions juives ». Auprès du maréchal se pressent des hommes de tous bords, mêlant de façon baroque, au sein de sa « dictature pluraliste », des technocrates modernistes et des révolutionnaires déçus du marxisme aussi bien que des maurrassiens et des réactionnaires. Pétain cependant manifeste personnellement des orientations proches de L’Action française (seul journal qu’il lise quotidiennement) et cite surtout en exemple à ses proches les régimes conservateurs et cléricaux de Salazar et de Franco, qu’il connaît personnellement depuis 1939.

Parallèlement au développement d’un pouvoir centralisé, le maréchal se consacre au « relèvement de la France » : rapatriement des réfugiés, démobilisation, ravitaillement, maintien de l’ordre. Mais loin de se limiter à gérer les affaires courantes et à assurer la survie matérielle des populations, son régime est le seul en Europe à développer un programme de réformes intérieures, indépendant des demandes allemandes. Certaines mesures prises à cette époque ont survécu, comme la création d’un ministère de la Reconstruction, l’unification du permis de construire, la naissance de l’IGN en juillet 1940, l’étatisation des polices municipales en vue de faciliter le contrôle des populations, ou encore une politique familiale, déjà amorcée par la IIIe République finissante et prolongée sous la IVe République. D’autres dispositions sont adoptées : campagne contre l’alcoolisme, interdiction de fumer dans les salles de spectacle, inscription de la fête des Mères au calendrier, pénalisation de l'homosexualité (seulement abrogée en 1981). D’autres encore portent la marque des projets réactionnaires du chef de l’État. De nombreux étrangers supposés « en surnombre dans l’économie française » sont incorporés de force dans des Groupes de travailleurs étrangers (GTE). Les Écoles normales, bastion de l’enseignement laïc et républicain, sont supprimées. Les lois des 11 et 27 octobre 1940 contre l’emploi des femmes en renvoient des milliers au foyer de gré ou de force. Le divorce est rendu nettement plus difficile, et le nombre de poursuites judiciaires et de condamnations pour avortement explose littéralement par rapport à l’entre-deux-guerres. En 1943, Pétain refuse de gracier une avorteuse condamnée à mort, qui est guillotinée. Autre rupture avec la IIIe République, les rapports étroits noués avec les Églises : Pétain, personnellement peu croyant, voit comme Maurras en la religion un facteur d’ordre, et ne manque pas d’assister à chaque messe dominicale à l’église Saint-Louis de Vichy.

Dans l’optique de la « restauration » de la France, le régime de Vichy crée très tôt, sous la direction du général de La Porte du Theil, un fidèle très proche du maréchal Pétain, des camps de formation qui deviendront plus tard les Chantiers de la jeunesse française. L’idée est de réunir toute une classe d’âge (en remplacement du service militaire désormais supprimé), et, à travers une vie au grand air, par des méthodes proches du scoutisme, leur inculquer les valeurs morales du nouveau régime (culte de la hiérarchie, rejet de la ville industrielle corruptrice), ainsi que la vénération à l’égard du chef de l’État. D’autres moyens de contrôle sont également mis en place dans le domaine économique, comme les Comités professionnels d’organisation et de répartition, ayant un pouvoir de juridiction sur leurs membres ou un pouvoir de répartition des matières premières, pouvoir capital en ces temps de restrictions généralisées.

À destination des ouvriers, Pétain prononce le 1er mai 1941 un important discours à Saint-Étienne, où il expose sa volonté de mettre fin à la lutte des classes en prohibant à la fois le capitalisme libéral et la révolution marxiste. Il énonce les principes de la future Charte du travail, promulguée en octobre 1941. Celle-ci interdit à la fois les grèves et le lock-out, instaure le système du syndicat unique et le corporatisme, mais met aussi en place des comités sociaux (préfiguration des comités d'entreprise) et prévoit la notion de salaire minimum. La Charte séduit de nombreux syndicalistes et théoriciens de tous bords (René Belin, Hubert Lagardelle). Mais elle peine à entrer en application, et ne tarde pas à se briser sur l’hostilité de la classe ouvrière au régime et à ces idées, l’aggravation des pénuries, l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) en septembre 1942, et enfin sur la lutte menée contre elle par les syndicats clandestins de la Résistance intérieure française.

Véritables enfants chéris de Vichy, les paysans passent cependant longtemps pour les vrais bénéficiaires du régime de Pétain. Lui-même propriétaire terrien en sa résidence de Villeneuve-Loubet, le maréchal affirme que « la terre, elle, ne ment pas », et encourage le retour à la Terre - politique soldée sur un échec, moins de 1 500 personnes en quatre ans tentant de suivre ses conseils. La Corporation paysanne est fondée par une loi du 2 décembre 1940. Une partie des membres se détache du régime fin 1943 et lui font aussi servir de base à la création d'un syndicalisme paysan clandestin fin 1943, la Confédération générale de l'agriculture (CGA) qui voit le jour officiellement le 12 octobre 1944, lors de la dissolution de la Corporation paysanne par les autorités et qui se prolongera sous la forme de la FNSEA en 1946.

Développant fréquemment et complaisamment la vision doloriste d’une France « décadente » qui expie maintenant ses « fautes » antérieures, Pétain entretient les Français dans une mentalité de vaincu : « Je ne cesse de me rappeler tous les jours que nous avons été vaincus » (à une délégation, mai 1942), et manifeste un souci particulier pour les soldats prisonniers, images mêmes de la défaite et de la souffrance : « Je pense à eux parce qu’ils souffrent [...] », (Noël 1941). Selon son chef de cabinet, du Moulin de Labarthète, le tiers du temps de travail quotidien du maréchal était consacré aux prisonniers. De ces derniers, Vichy rêvait de faire les propagateurs de la Révolution Nationale à leur retour. Le période consécutive à l’armistice voit aussi la création de la « Légion française des combattants » (LFC), à laquelle sont ensuite agrégés les « Amis de la Légion » et les « Cadets de la Légion ».

Fondée par le très antisémite Xavier Vallat le 29 août 1940, elle est présidée par le maréchal Pétain en personne. Pour Vichy, elle doit servir de fer de lance de la Révolution nationale et du régime. À côté des parades, des cérémonies et de la propagande, les Légionnaires actifs doivent surveiller la population, et dénoncer les déviants et les fautifs de « mauvais esprit ». Au sein de cette légion se constitue un Service d’ordre légionnaire (SOL) qui s’engage immédiatement dans la voie du collaborationnisme. Cet organisme est commandé par Joseph Darnand, héros de la Première Guerre mondiale et de la campagne de 1940, et fervent partisan de Pétain (sollicité en 1941 de joindre la Résistance, il refuse, selon le témoignage de Claude Bourdet, parce que « le Maréchal » ne comprendrait pas). Ce même organisme devient en janvier 1943 la « Milice française ». À la fin de la guerre, alors que Vichy est devenu un régime fantoche aux ordres des Allemands, la Milice qui compte au maximum 30 000 hommes, dont beaucoup d’aventuriers et de droit-communs, participe activement à la lutte contre la Résistance, avec les encouragements publics du maréchal Pétain comme de Pierre Laval, son président officiel. Haïe de la population, la Milice perpètre régulièrement délations, tortures, rafles, exécutions sommaires, qui se mêlent à d’innombrables vols, viols, voies de faits sur la voie publics ou contre des fonctionnaires. Pétain attend le 6 août 1944 pour les désavouer dans une note à Darnand, trop tardivement pour que ce dernier soit dupe. « Pendant quatre ans », rappellera Darnand dans sa réponse caustique au maréchal, « vous m’avez encouragé au nom du bien de la France, et maintenant que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l’Histoire de France. On aurait pu s’y prendre avant ! »

Sur le plan de la politique extérieure, Pétain a retiré d’emblée le pays du conflit mondial en cours, et affecte de croire que ce dernier ne concerne plus du tout la France. S’il refuse jusqu’au bout toute rentrée dans la guerre aux côtés d’un des deux camps, il ne refuse pourtant pas le combat contre les alliés chaque fois qu'il en a l'occasion et annonce dès octobre 1940, son intention de reprendre par la force les territoires sous autorité de la France libre. Il pratique donc une « neutralité dissymétrique » qui bénéficie aux Allemands. Il choisit en effet de s’entendre avec le vainqueur et imagine que la France, avec son Empire colonial, sa flotte et sa bonne volonté à coopérer, peut obtenir une bonne place dans une Europe durablement allemande. Ceci démontre une naïveté certaine de la part de Pétain : en effet, dans l’idéologie nazie, la France était l’ennemie irréductible de l’Allemagne, elle devait être écrasée et ne pouvait en aucun cas bénéficier d’une quelconque place privilégiée à ses côtés. Le calcul de Vichy était donc dès l’origine voué à l’échec.

Il est bien établi, depuis les travaux d'Eberhard Jäckel et surtout de Robert Paxton, que Pétain a activement recherché et poursuivi cette collaboration avec l’Allemagne nazie. Elle ne lui a pas été imposée. Moins intéressé par la politique extérieure que par la Révolution nationale, sa vraie priorité, Pétain laisse Darlan et Laval mettre en œuvre les volets concrets de la collaboration d’État. Mais l’une est en réalité le revers de l’autre, selon les constats concordants de l’historiographie contemporaine : les réformes vichystes n’ont pu se mettre en place qu’en profitant du retrait de la France de la guerre, et elles ne sauraient survivre à une victoire alliée. Par ailleurs, le « mythe Pétain » est indispensable pour faire accepter à bien des Français la collaboration. Le prestige du vainqueur de Verdun, son pouvoir légal sinon légitime, brouillent en effet dans les consciences en désarroi la perception des devoirs et des priorités. Après avoir affecté pendant trois mois de rester neutre dans le conflit en cours entre l’Axe et le Royaume-Uni, Pétain engage personnellement et officiellement, par son discours radiodiffusé du 30 octobre 1940, le régime de Vichy dans la collaboration, suite à l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940, durant laquelle il rencontra Hitler.

Cette « poignée de main de Montoire », sera par la suite largement diffusée aux actualités cinématographiques, et exploitée par la propagande allemande. Certes, l’armistice avait permis, en un premier temps, de limiter l’occupation allemande à la moitié nord et ouest du territoire. Mais l’autonomie de la zone sud est toute relative, car Pétain, avec ou sans discussion préliminaire, plie le plus souvent devant les exigences des autorités allemandes, quand son gouvernement ne va pas spontanément au devant de celles-ci. Cette collaboration d’État entraîne plusieurs conséquences. Le maréchal, alors que son prestige reste immense, s’interdit de protester, au moins publiquement, contre les exactions de l’occupant et de ses auxiliaires français ou contre l’annexion de fait, contraire à la convention d’armistice, de l’Alsace et de la Moselle. Aux parlementaires des trois départements, qu’il reçoit le 4 septembre 1942 alors que commence l’incorporation massive et illégale des malgré-nous dans la Wehrmacht, il ne conseille que la résignation. La veille, il avait fait remettre par Laval une protestation officielle, qui resta sans suite. Lors de l’exécution en octobre 1941 des otages français à Châteaubriant, qui soulève l’indignation générale, Pétain a des velléités secrètes de se constituer lui-même comme otage à la Ligne de démarcation, mais son ministre Pierre Pucheu l’en dissuade vite au nom de la politique de collaboration, et le maréchal ne fait finalement de discours que pour blâmer les auteurs d’attentats et appeler les Français à les dénoncer.

 

Au printemps 1944 encore, il ne condamne jamais les déportations, les rafles et les massacres quasi-quotidiens, se taisant par exemple sur le massacre d'Ascq. Par contre, il ne manque pas de dénoncer « les crimes terroristes » de la Résistance ou les bombardements alliés sur les objectifs civils. Il encourage les membres de la Légion des volontaires français (LVF) qui combattent en URSS sous l’uniforme allemand, leur garantissant dans un message public qu’ils détiennent « une part de notre honneur militaire ». En 1941, Darlan, dauphin désigné du maréchal, frôle la cobelligérance avec l’Allemagne de Hitler lorsqu’il fait mettre les aérodromes de Syrie et de Liban à la disposition de l’aviation allemande. En avril 1942, sous la pression allemande, mais aussi parce qu’il est déçu des maigres résultats de Darlan, Pétain accepte le retour au pouvoir de Pierre Laval, désormais doté du titre de « chef du gouvernement ».

Contrairement aux légendes d’après-guerre, il n’existe pas de différence en politique extérieure entre un « Vichy de Pétain » et un « Vichy de Laval », comme l’ont cru André Siegfried, Robert Aron ou Jacques Isorni, et comme l’a démenti toute l’historiographie contemporaine depuis Robert Paxton. S’il n’a aucune affection personnelle pour Laval, le maréchal couvre sa politique de son autorité et de son charisme, et approuve ses orientations en Conseil des ministres. En juin 1942, devant une délégation de visiteurs à Vichy, Pétain tient des propos largement répercutés, assurant qu’il est « main dans la main » avec Laval, que les ordres de ce dernier sont « comme les [siens] » et que tous lui doivent obéissance « comme à [lui-même] ». Lors du procès de Pétain, Laval déclarera sans ambiguïté qu’il n’agissait qu’après en avoir déféré au maréchal : tous ses actes avaient été approuvés préalablement par le chef de l’État.

Le 22 juin 1942, Laval prononce un discours retentissant dans lequel il déclare qu’il « souhaite la victoire de l’Allemagne. » Pétain, à qui il a consenti à montrer préalablement le texte à la demande de ses conseillers effarés, n’a pas élevé d’objection. Du moment que selon le maréchal, un civil n’a pas à faire de pronostic militaire, il s’est contenté de lui faire changer un « Je crois » initial en un « Je souhaite » encore plus mal ressenti des Français. Lorsque Laval informe, fin juin 1942, le Conseil des ministres de la prochaine mise en œuvre de la rafle du Vélodrome d'Hiver, le procès-verbal conservé, montre Pétain approuvant comme « juste » la livraison de milliers de Juifs étrangers aux nazis. Puis le 26 août 1942, la zone sud devint le seul territoire de toute l’Europe d’où des Juifs, souvent internés par Vichy depuis 1940 dans les très durs camps de Gurs, Noé, Rivesaltes), furent envoyés à la mort alors même qu’aucun soldat allemand n’était présent.

Personnellement antisémite, Pétain s’est opposé en mai 1942 à l’introduction en zone Sud du port obligatoire de l’étoile jaune, mais il n’a pas protesté contre son introduction en zone nord, et en zone sud son gouvernement fait apposer le tampon « Juif » sur les papiers d’identité à partir de fin 1942. En août 1943, comme les Allemands pressent Vichy de retirer en bloc la nationalité française aux Juifs, ce qui aurait favorisé leur déportation, le nonce le fait prévenir discrètement que « le pape s’inquiète pour l’âme du Maréchal », ce qui impressionne le vieil homme et contribue à l’échec du projet. En tout, 76 000 Juifs parmi lesquels 11 000 enfants, non réclamés au départ par les Allemands, ont été déportés de France sous l’Occupation, à 80 % après avoir été arrêtés par la police du maréchal. Un tiers avait la nationalité française. Seuls 3 % survivront aux déportations dans les camps de concentration. À ce sujet, l'historien André Kaspi écrit : « Tant que la zone libre n'est pas occupée, on y respire mieux [pour les Juifs] que dans la zone Nord. Qui le nierait ? Surtout pas ceux qui ont vécu cette triste période.

De là cette conclusion : Vichy a sacrifié les Juifs étrangers pour mieux protéger les Juifs français, mais sans Pétain, les Juifs de France auraient subi le même sort que ceux de Belgique, des Pays-Bas ou de Pologne. Pendant deux ans, ils ont d'une certaine manière bénéficié de l'existence de l'État français. » En août 1942, un télégramme signé Pétain félicite Hitler d’avoir fait échec à la tentative de débarquement allié à Dieppe. Le 4 septembre 1942, Pétain promulgue la première loi fondant le Service du travail obligatoire. Complété par celle du 16 février 1943, le STO permet en une dizaine de mois le départ forcé de plus de 600 000 travailleurs en Allemagne. Ce sont les seuls de toute l’Europe à avoir été requis non par ordonnance allemande, mais par les lois et les autorités de leur propre pays. Lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, au Maroc, à Oran et dans le port d'Alger, Pétain donne officiellement l’ordre de les combattre, en déclarant : « La France et son honneur sont en jeu. Nous sommes attaqués. Nous nous défendons. C'est l'ordre que je donne. » L'existence même de Vichy est alors en cause : si les forces de Vichy ne résistent pas à l'invasion alliée, les Allemands envahiront inéluctablement la France non occupée et le reste de l'Afrique du Nord. Pendant quelques jours, les Alliés doivent donc faire face à une authentique résistance de la part de l'Armée de Vichy, obéissant aux ordres de ses chefs.

En réaction à ce débarquement, le 11 novembre, violant la convention d’armistice, les Allemands envahissent la zone sud. Pétain refuse à plusieurs proches conseillers de gagner l’Afrique du Nord, d’ordonner à la flotte de Toulon d’appareiller, de replacer la France dans le camp des Alliés. Pour justifier sa décision, il va en privé jusqu’à invoquer que son médecin lui a déconseillé de prendre l’avion… Il veut surtout pouvoir continuer à « servir d'écran entre le peuple de France et l'occupant ». Il proteste contre cette invasion par une déclaration plusieurs fois diffusée sur les ondes. En fait, soulignent Robert Paxton et R. Franck, il reste fidèle à son choix de 1940 associant étroitement retrait de la guerre, collaboration et Révolution nationale. Sa décision déçoit d’innombrables Français qui croyaient encore en un hypothétique « double-jeu » secret du maréchal et s’imaginaient qu’il souhaitait en secret préparer la reprise de la lutte et la revanche contre l’ennemi. Nombre d’entre eux se détachent du régime de Vichy tout en conservant généralement leur respect pour la personne du maréchal Pétain, et vont parfois gonfler les rangs clandestins des « vichysto-résistants » inspirés notamment par les généraux Giraud et de Lattre de Tassigny. La dissidence de la plus grande partie de l’Empire, la fin de la « zone libre » le sabordage de la Flotte Française à Toulon, le 27 novembre 1942, la dissolution de l’Armée d’armistice font perdre à Vichy ses derniers atouts face aux Allemands. En maintenant sa politique de collaboration, Pétain perd beaucoup de la popularité dont il jouissait depuis 1940 et la Résistance s’intensifie malgré le durcissement de la répression.

Pétain fait officiellement déchoir de la nationalité française et condamner à mort ses anciens fidèles Darlan et Giraud, qui sont passés au camp allié en Afrique du Nord. Il ne proteste à aucun moment lorsque fin 1942, puis à nouveau à l’automne 1943, une vague d’arrestations frappe son propre entourage et écarte de lui un nombre important de conseillers et de fidèles dont Weygand, Lucien Romier ou Paul de La Porte du Theil, emmené en Allemagne. Il consent des délégations croissantes de pouvoirs à Pierre Laval, redevenu son dauphin, qui place ses fidèles à tous les postes-clés et qui obtient de lui, à partir du 26 novembre 1942, de signer seuls les lois et les décrets. Fin 1943, voyant le sort de l’Axe scellé, Pétain tente de jouer en France le rôle du maréchal Badoglio en Italie, lequel en septembre 1943, après avoir longtemps servi le fascisme, a fait passer le pays du côté allié. Pétain espère ainsi qu’un nouveau gouvernement moins compromis aux yeux des Américains, doté d’une nouvelle constitution, pourra au « jour J » écarter de Gaulle du jeu et négocier avec les libérateurs l’impunité de Vichy et la ratification de ses actes.

Le 12 novembre 1943, alors que Pétain s'apprête à prononcer le lendemain un discours radiodiffusé par lequel il annoncerait à la nation une révision constitutionnelle stipulant qu'il revient à l'Assemblée nationale de désigner son successeur, ce qui aurait remis en cause le statut officiel de dauphin de Laval, les Allemands par l'intermédiaire du consul général Krugg von Nidda, bloquent ce projet. Après six semaines de « grève du pouvoir », Pétain se soumet. Il accroît encore les pouvoirs de Laval tout en acceptant la fascisation progressive de son régime par l’entrée au gouvernement de Joseph Darnand, Philippe Henriot et Marcel Déat. Dans les derniers mois de l’Occupation, Pétain affecte désormais d’être un simple « prisonnier » des Allemands, tout en continuant à couvrir en fait de son autorité et de son silence la collaboration qui se poursuit jusqu’au bout, ainsi que les atrocités de l’ennemi et de la Milice française. En août 1944, il songe à se livrer au maquis d’Auvergne du colonel Gaspard, et tente de déléguer l’amiral Auphan auprès de De Gaulle pour lui transmettre régulièrement le pouvoir sous réserve que le nouveau gouvernement reconnaisse la légitimité de Vichy et de ses actes. « Aucune réponse ne fut donnée à ce monument de candeur ».

Cecil von Renthe-FinkLe 17 août 1944, les Allemands, en la personne de Cecil von Renthe-Fink, ministre délégué, demandent à Pétain de se laisser transférer en zone nord. Celui-ci refuse et demande une formulation écrite de cette demande. Von Renthe-Fink renouvelle sa requête par deux fois le 18, puis revient le 19, à 11 h 30, accompagné du général von Neubroon qui lui indique qu'il a des « ordres formels de Berlin ». Le texte écrit est soumis à Pétain : « Le gouvernement du Reich donne instruction d’opérer le transfert du chef de l’État, même contre sa volonté. » Devant le refus renouvelé du maréchal, les Allemands menacent de faire intervenir la Wehrmacht pour bombarder Vichy.

Après avoir pris à témoin le ministre de Suisse, Walter Stucki, du chantage dont il est l’objet, Pétain se soumet, et « [...] lorsque à 19 h 30 Renthe-Fink entre dans le bureau du Maréchal avec le général von Neubronn, le chef de l’État est en train de surveiller le confection de ses valises et de ranger ses papiers. » Le lendemain, 20 août 1944, il est emmené contre son gré par l'Armée allemande à Belfort puis, le 8 septembre, à Sigmaringen en Allemagne, où s’étaient réfugiés les dignitaires de son régime. Plutôt que de démissionner, il entretient, dans une lettre aux Français la fiction selon laquelle « je suis et demeure moralement votre chef. »

À Sigmaringen, Pétain refuse d’exercer encore ses fonctions et de participer aux activités de la commission gouvernementale présidée par Fernand de Brinon. Il se cloître dans ses appartements, tout en préparant sa défense. Le 23 avril 1945, après avoir obtenu des Allemands qu'ils le conduisent en Suisse, et des Suisses qu'ils l'acceptent sur leur territoire, Pétain demande à regagner la France. Par l'intermédiaire de l'ambassadeur Karl Burckhardt, le Gouvernement suisse transmet cette requête au général de Gaulle. Le Gouvernement provisoire de la République décide de ne pas s'y opposer. Le 24 avril, les autorités suisses lui font rejoindre la frontière puis il est remis aux autorités françaises le 26 avril. Le général Kœnig est chargé de le prendre en charge à Vallorbe. Le maréchal est ensuite interné au fort de Montrouge.



Procès Pétain

 

Le procès du maréchal Pétain débute le 23 juillet 1945 devant la Haute Cour de justice créée le 18 novembre 1944. Le tribunal est présidé par Paul Mongibeaux, premier président de la Cour de cassation, assisté du premier président de la chambre criminelle à la Cour de cassation Donat-Guigne, et Picard, premier président de la Cour d'appel. Le jury de vingt-quatre personnes est constitué de douze parlementaires et de douze non-parlementaires issus de la Résistance. Ce jury est choisi dans deux listes, la première étant celle de cinquante parlementaires n'ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, la deuxième étant composée de personnalités de la Résistance ou proches d'elle. La défense use de son droit de récusation pour quelques noms sortant du tirage au sort.

Défendu par Jacques Isorni, Jean Lemaire et le bâtonnier Fernand Payen, Philippe Pétain déclare le premier jour qu’il avait toujours été un allié caché du général de Gaulle et qu’il n’était responsable que devant la France et les Français qui l’avaient désigné et non devant la Haute Cour de justice. Dans ces conditions, il ne répondra pas aux questions qui lui seront posées. Viennent déposer de nombreuses personnalités en tant que témoins soit à charge : Édouard Daladier, Paul Reynaud, Léon Blum, Pierre Laval, soit à décharge : le général Weygand, le pasteur Boegner. Le procès s’achève le 15 août 1945 à l’aube. La cour déclare Pétain coupable, notamment, d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison. Elle le condamne à mort, à la dégradation nationale à la confiscation de ses biens, assortissant toutefois ces condamnations du vœu de non-exécution de la sentence de mort, en raison de son grand âge. La condamnation a été voté à une voix de majorité.

Le verdict de la Haute Cour de justice frappe d'indignité nationale Philippe Pétain, ce qui implique « la perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations », de facto il est déchu de son titre (de sa « dignité ») de maréchal de France. À la fin du procès, il se dépouille de son uniforme  avant d'être incarcéré. La mention du titre sur l'acte de décès est une liberté prise par un agent de l'état-civil qui n'engage aucune institution officielle. Il convient donc, comme le font les historiens d'aujourd'hui, de le nommer simplement « Philippe Pétain », en particulier pour la période qui suit sa condamnation du 15 août 1945. On rencontre aussi la dénomination « ex-maréchal Pétain ».

Cependant la décision judiciaire qui le frappe d'indignité nationale interprétée stricto sensu comme « lui retirant son rang dans les forces armées et son droit à porter ses décorations », le titre de maréchal de France étant une distinction, et non un grade, décernée, non pas par un décret, mais par une loi votée au Parlement, peut permettre de considérer que cette décision de justice ne peut annuler une mesure législative. Accomplissant le vœu de la Haute Cour de justice, le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, commue la sentence de mort en peine de réclusion à perpétuité le 17 août 1945. Compte tenu de la peine de dégradation nationale (article 21 de l'ordonnance du 26 décembre 1944), le maréchal Pétain est exclu automatiquement de l'Académie française (l'ordonnance prévoit l'exclusion de l'Institut). Toutefois, celle-ci s’abstient d’élire un remplaçant de son vivant au 18e fauteuil, égard auquel a également eu droit Charles Maurras (tandis qu’Abel Bonnard et Abel Hermant sont remplacés dès 1946).

Philippe Pétain est emprisonné au fort du Portalet, dans les Pyrénées, du 15 août au 16 novembre 1945, puis transféré au fort de la Citadelle sur L'Île-d'Yeu (Vendée). Son épouse installée à son tour dans l’île, bénéficie d’un droit de visite quotidien. La santé du maréchal Pétain décline à partir du début de l’année 1951, les moments de lucidité devenant de plus en plus rares. Eu égard à cette situation, le Conseil supérieur de la magistrature, présidé par Vincent Auriol, président de la République, en vue d’adoucir une fin prévisible, autorise le 8 juin 1951 « l’élargissement » du prisonnier et son assignation à résidence « dans un établissement hospitalier ou tout autre lieu pouvant avoir ce caractère ». Le transfert dans une maison privée de Port-Joinville a lieu le 29 juin 1951, où Philippe Pétain meurt le 23 juillet 1951. Il est inhumé le surlendemain dans le cimetière marin de l’île d’Yeu.

Payen FernandAu procès Pétain, l’avocat Jacques Isorni avec ses confrères Jean Lemaire et le bâtonnier Fernand Payen lance la légende du « détournement de vieillard » : Pétain aurait été abusé par Pierre Laval qui aurait profité de son grand âge. Sous la IVe République, le RPF gaulliste emploie la fameuse phrase de Charles de Gaulle dans ses mémoires : « la vieillesse est un naufrage », « la tragédie est que le Maréchal est mort en 1925 et que personne ne s’en est aperçu ». L’historien Éric Roussel, entre autres, a montré que ce jugement gaullien n’explique en rien les choix du chef de l’État français, et qu’il n’a en réalité qu’une finalité électorale : pour rallier le plus possible de voix contre le « régime des partis » honni, les gaullistes doivent rallier les ex-pétainistes sans se déjuger de leur action dans la Résistance, d’où cette excuse commode de Pétain par l’âge de l’intéressé.

En réalité, comme le montrent Marc Ferro, Jean-Pierre Azéma ou François Bédarida, les choix de Pétain étaient parfaitement cohérents et bénéficiaient d’appuis dans les milieux les plus divers de la société. Yves Durand souligne qu’il bâtissait son régime comme s’il avait du temps devant lui, sans se soucier de la possibilité de sa disparition prochaine. Quant aux fameuses « absences du Maréchal » rapportées par Jean-Raymond Tournoux, Marc Ferro ou Jean-Paul Brunet (il se mettait à disserter soudain sur le menu du jour ou le temps dehors face à des visiteurs), il s’agissait surtout d’une tactique pour éluder les questions gênantes en jouant du respect qu’inspirait sa qualité d’octogénaire.

Le journaliste Robert Aron, a beaucoup contribué à lancer la légende parallèle de « l’épée et du bouclier » : Pétain aurait tenté de résister pied à pied aux demandes allemandes, et secrètement cherché à aider les Alliés, pendant que de Gaulle préparait la revanche ; d’autre part, il y aurait un « Vichy de Pétain » opposé au « Vichy de Laval ». Cheval de bataille des apologistes de la mémoire de Pétain, ces distinctions ont volé en éclat à partir de la parution de la France de Vichy de Robert Paxton en 1973. Archives allemandes puis françaises à l’appui, les historiens actuels démontrent, à sa suite, que la collaboration a été recherchée par Pétain, alors que Hitler n’y croyait pas et n’a jamais voulu traiter la France en partenaire. Si la collaboration n’est pas allée aussi loin qu’elle aurait pu, c’est bien en raison des réticences d’Hitler, et non grâce à une quelconque résistance de Pétain aux demandes de l’occupant. Ainsi, la collaboration répondait aux choix fondamentaux et intangibles de Pétain comme de Laval, que le maréchal a nommé et laissé agir en aidant son gouvernement de son charisme. Quant au fameux « double-jeu » du maréchal, il n’a jamais existé. Les quelques sondages informels qu’il a autorisés avec Londres, fin 1940, n’ont eu aucune suite et ne pèsent rien au regard de son maintien constant de la collaboration d’État jusqu’à la fin de son régime à l’été 1944.

Loin d’avoir protégé les Français, selon les historiens, Pétain a accru leurs souffrances en permettant aux Allemands de réaliser à moindres frais leurs objectifs : livraisons de Juifs dans le cadre de la Shoah, répression de la Résistance, envoi forcé de main-d’œuvre au STO, pillage alimentaire et économique. Avec leur peu de troupes, de fonctionnaires et de policiers, jamais l’occupant n’aurait vu ses projets aboutir sans le concours indispensable des autorités de Vichy, et sans le prestige de Pétain, qui maintenait les Français dans le doute ou dans la conviction qu’ils faisaient leur devoir en collaborant. 80 % des 76 000 Juifs de France déportés et exterminés par les nazis dans les camps de la mort ont ainsi été arrêtés par la police française. La France a par ailleurs été le pays le plus pillé d’Europe occupée, et l’un des premiers fournisseurs de main-d’œuvre et de tributs financiers et alimentaires au IIIe Reich. De plus, en excluant de sa propre initiative des catégories entières de la communauté nationale (Juifs, communistes, républicains, francs-maçons, et bien sûr résistants), Pétain les a rendu plus vulnérables à la répression allemande, et a écarté d’emblée ces catégories de son hypothétique protection, tout comme les Alsaciens-Mosellans, abandonnés. Aussi Pétain apparaît-il aujourd’hui aux historiens, selon le mot de Jean-Pierre Azéma, comme « un bouclier percé ».

 

Depuis 1945, huit demandes en révision du procès Pétain ont été rejetées, ainsi que la demande répétée du transfert de ses cendres à Douaumont. Dans une note à Alexandre Sanguinetti, le 4 mai 1966, le général de Gaulle, alors président de la République, signifia ainsi sa position sur cette question : «  Les signataires de la « pétition » relative au « transfert » des restes de Pétain à Douaumont n'ont aucunement été mandatés par les 800 000 anciens combattants pour s'emparer de cette question politique. Ils ne sont mandatés que pour faire valoir les intérêts spécifiques de leurs associations. Le leur dire » En 1995, le président Jacques Chirac reconnut officiellement la responsabilité de l’État dans la rafle du Vélodrome d'Hiver et en 2006, pour les 90 ans de la bataille de Verdun, son discours mentionna à la fois le rôle de Pétain dans la bataille et ses choix désastreux de la Seconde Guerre mondiale. C’est l’ultime avatar, à l’heure actuelle, de la volonté de la France et des Français de « regarder en face » un des personnages les plus énigmatiques et les plus controversés de leur histoire récente.

Une longue bataille judiciaire a eu lieu d'octobre 1984 à septembre 1998 au sujet de la mémoire du maréchal Pétain. Jacques Isorni et François Lehideux avaient fait paraître le 13 juillet 1984 dans le quotidien Le Monde un encart publicitaire intitulé « Français, vous avez la mémoire courte », dans lequel, au nom de l'Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain et l'Association nationale Pétain-Verdun, ils prenaient sa défense. À la suite d'une plainte déposée par l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance pour apologie de crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi, le procureur de la République prit un réquisitoire définitif de non-lieu le 29 mai 1985, mais le juge d'instruction renvoya une semaine plus tard les parties devant le tribunal correctionnel de Paris, qui relaxa les prévenus le 27 juin 1986 - jugement confirmé par la Cour d'appel de Paris le 8 juillet 1987. L'arrêt de la Cour d'appel fut cassé par la Cour de cassation le 20 décembre 1988. La Cour d'appel de Paris se déjugea le 26 janvier 1990 en déclarant les constitutions de parties civiles recevables ; elle infirma le jugement de relaxe et condamna les prévenus à un franc de dommages et intérêts et à la publication de l'arrêt dans Le Monde. Le pourvoi en cassation déposé par les prévenus fut rejeté par la Cour le 16 novembre 1993.

Enfin, le 23 septembre 1998 (par l'arrêt Lehideux et Isorni contre France) la Cour européenne des droits de l'homme décida par quinze voix contre six qu'il y avait eu violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme — portant sur la liberté d'expression : l'opinion majoritaire chez les juges fut qu'il devait être possible de présenter un personnage, quel qu'il soit sous un jour favorable et de promouvoir sa réhabilitation — au besoin en passant sous silence les faits qui peuvent lui être reprochés — et que la condamnation pénale subie en France par les requérants était disproportionnée.

Procés Pétain

Eichmann Adolf

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Né le 19 mars 1906 à Solingen en Allemagne, Adolf Eichmann est le fils d’un industriel et homme d’affaires, Adolf Karl Eichmann, et de Maria née Schefferling. En 1914, après la mort de Maria, la famille Eichmann déménage à Linz en Autriche. Durant la Première Guerre mondiale, le père d’Eichmann sert dans l'armée austro-hongroise. À la fin de la guerre, il retourne à Linz et reprend les rênes de l’affaire familiale. Le jeune Eichmann quitte l’école (Realschule) sans diplôme et débute l’apprentissage de la mécanique qu’il abandonnera également. En 1923, il commençe à travailler pour la compagnie minière de son père. De 1925 à 1927, il travaille comme vendeur pour Oberösterreichische Elektrobau AG, ensuite il travaille comme agent régional de la Vacuum Oil Company AG, une filiale de la Standard Oil jusqu’au printemps 1933 où il retourne en Allemagne.
Adolf Eichmann en Israël préparant son procès

Adolf Eichmann en Israël préparant son procès

Adolf Eichmann épouse Vera Liebl le 21 mars 1935. Le couple aura quatre fils, Klaus, né en 1936 à Berlin, Horst Adolf né en 1940 à Vienne, Dieter Helmut né en 1942 à Prague, et Ricardo Francisco né en 1955 à Buenos Aires. Il a ses premiers contacts avec le parti Nazi lorsqu'il rejoint le mouvement des Wandervogel, classé de nos jours dans le courant idéologique de l'anarchisme de droite, qui entretient des relations troubles avec le milieu antisémite. À 26 ans, en 1932, il est invité avec son père à une réunion du parti nazi autrichien, sur l'invitation d'Ernst Kaltenbrunner, un vieil ami de la famille. Fortement impressionné, cet épisode déterminera l'engagement de Eichmann dans le national-socialisme. Suivant le conseil d'Ernst Kaltenbrunner, Eichmann rejoint la SS autrichienne le 1er avril 1932 en qualité de SS-Anwärter. Il est pleinement intégré à la SS en novembre comme SS-Mann sous le matricule 45326. Il sert alors à mi-temps dans la Allgemeine-SS de Salzburg. Quand, en 1933, les nazis accèdent au pouvoir, Eichmann revient en Allemagne et demande son intégration à plein temps dans la SS, qui est acceptée, et en novembre il est promu Scharführer et intégré à l'équipe d'administration du camp de concentration de Dachau.

En 1934, il choisit de faire une carrière dans la SS demande son transfert dans la Sicherheitspolizei qui commence à devenir une organisation puissante et crainte. Il y est effectivement transféré en novembre et est promu Oberscharführer. Il est alors assigné au centre de commandement des Sicherheitsdienst (SD) à Berlin où il est rapidement remarqué par ses supérieurs qui le promeuvent encore au rang de Hauptscharführer en 1935 puis à celui de SS-Untersturmführer en 1937.

Cette même année, il est envoyé avec son supérieur Herbert Hagen en Palestine, alors sous mandat britannique, pour étudier la possibilité d'une émigration massive des Juifs allemands vers cette contrée. Ils débarquent à Haifa, mais n'obtenant qu'un visa de transit, ils vont jusqu'au Caire où ils rencontrent un membre de la Haganah, mais le sujet de la discussion est encore de nos jours mal connu. Les rencontres qu'ils avaient prévues avec les chefs arabes ne purent avoir lieu du fait de l'interdiction de territoire palestinien. Dans leur rapport ils déconseillèrent une émigration à grande échelle des Juifs allemands autant pour des raisons économiques que pour ne pas contredire la politique du Reich qui préconisait de ne pas laisser un État juif se créer en Palestine.

En 1938, après l’Anschluss, Eichmann est envoyé en Autriche pour organiser les forces de sécurité SS à Vienne. Pour cette action il est promu SS-Obersturmführer. À la fin de cette même année il est désigné par le commandement SS pour former le Zentralstelle für jüdische Auswanderung, le bureau central pour l'émigration juive, qui a la charge de déporter et d'expulser les Juifs d'Autriche. Pour cette tâche, il étudie le judaïsme qui le fascine et il développe alors un profond antisémitisme. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Eichmann est promu SS-Hauptsturmführer et s'est fait un nom au bureau de l'émigration juive. Il s'y est fait de nombreux contacts avec les leaders du mouvement sioniste avec lesquels il travaille pour accélérer l'émigration juive depuis le Reich. Eichmann retourne à Berlin en 1939 après la formation du Bureau central de sécurité du Reich (RSHA).

En décembre 1939, il est désigné à la tête du RSHA Referat IV B4, la section du RSHA qui s'occupe des affaires juives et de l'évacuation. En août 1940, il publie le Reichssicherheitshauptamt: Madagaskar Projekt qui prévoyait la déportation de l'ensemble de la population juive d'Europe dans la colonie française de Madagascar. C'est alors qu'il obtient le grade de SS-Sturmbannführer et un an plus tard il accède à celui de Obersturmbannführer. En 1942, Reinhard Heydrich invite Eichmann à participer à la conférence de Wannsee où l'Allemagne nazie décide de la solution finale et Eichmann est nommé « administrateur du transport ». Il a la charge de tous les trains qui transportent les Juifs vers les camps de la mort en Pologne. Durant les deux années suivantes, Eichmann assume son rôle avec zèle et déclare qu'il rirait « en sautant dans la tombe, car j'ai le sentiment d'avoir tué cinq millions de Juifs.

Voilà qui me donne beaucoup de satisfaction et de plaisir. » Son travail est remarqué et, en 1944, il est nommé en Hongrie pour organiser la déportation des Juifs et il envoie 400 000 Hongrois de toutes confessions dans les chambres à gaz nazies. En 1945, Heinrich Himmler, ministre de l'intérieur et Reichsführer SS, ordonne l'arrêt des exterminations et la destruction des preuves de la solution finale. Eichmann refuse les ordres et continue à déporter et à assassiner les Hongrois. Il s'efforce aussi d'éviter d'intégrer les unités combattantes, ayant été nommé un an auparavant Untersturmführer de réserve de la Waffen-SS. Eichmann fuit l'avancée soviétique et rejoint l'Autriche où il retrouve Ernst Kaltenbrunner. Durant les années 1950, de nombreux juifs s'emploient à retrouver les criminels nazis en fuite, et Eichmann fait partie des premiers sur la liste. Des documents déclassifiés montrent que le gouvernement ouest-allemand ainsi que la CIA connaissent, dès 1952 (1958 pour la CIA), le pseudonyme sous lequel se cache Eichmann (Klement), mais ne le révèlent pas pour raisons d'État. Il semble que la crainte ait été que Eichmann dénonce Hans Globke, alors membre du gouvernement du chancelier Konrad Adenauer.

Simon Wiesenthal, un de ces chasseurs de nazis, rencontre, lors d'une réunion philatélique, un ami autrichien, baron, qui, par hasard, en lui montrant sa collection, lui confie avoir conservé cette carte postale d'un de ses contacts en Argentine, bien connue à l'époque pour abriter de nombreux anciens responsables nazis, qui dit avoir vu « ce sale porc d'Eichmann » ayant "régné" sur les Juifs et qui contient des informations plus précises : « Il vit à Buenos Aires et travaille pour la société des eaux ». Il semble que ces informations (entre autres) recueillies par Wiesenthal permirent aux Israéliens de localiser Eichmann en Argentine. Il existe cependant une controverse concernant le rôle exact de Wiesenthal depuis que le Jerusalem Post a révélé dans son édition du 7 mai 1991 l'existence d'un manuscrit non publié d'Isser Harel, dirigeant du Mossad lors de la capture d'Eichmann, qui sous-entend que les agissements de Wiesenthal auraient failli compromettre l'enlèvement d'Eichmann et empêché celui de Joseph Mengele. L'autre acteur principal de la chasse lancée contre Eichmann est Lothar Hermann, un rescapé de Dachau, qui émigre en Argentine dans les années 1950 avec toute sa famille. Or, sa fille Sylvia entretient une relation avec Klaus, le fils aîné d'Eichmann.

Les remarques de Klaus concernant le passé nazi de son père, ainsi que la lecture en 1957 d'un article concernant les criminels nazis réfugiés en Argentine (dont Eichmann), mettent Hermann sur la voie. Il envoie alors sa fille enquêter chez les Eichmann (qui se font encore appeler Klement), et elle obtient de la bouche même d'Adolf la confirmation des soupçons de son père. Celui-ci prévient Fritz Bauer, le procureur de la Hesse. Bauer n'ayant pas confiance en la justice allemande qui compte encore de nombreux ex-nazis dans ses rangs, prévient directement les autorités israéliennes qui prennent contact avec Hermann. Le Mossad localise alors précisément Eichmann et, grâce aux indications de Hermann qui continue à le surveiller, il échafaude un plan d'enlèvement. Le gouvernement israélien approuve finalement en 1960 ce plan qui est exécuté peu après. Eichmann est enlevé en pleine rue par une équipe d'agents du Mossad le 11 mai 1960 et, le 21, il est transporté jusqu'en Israël à partir d'un aéroport militaire argentin. Pour l'anecdote, à l'entrée de la base, un barrage militaire les attendait. Afin qu'Eichmann ne dévoile pas aux soldats argentins qu'il venait d'être enlevé, il fut revêtu d'un uniforme israélien et on le força à boire une bouteille de whisky entière. Rafi Eitan (chargé de l'opération) et ses hommes s'aspergèrent de whisky. À l'entrée de la base, les soldats argentins arrêtèrent l'automobile et se moquèrent des Israéliens incapables de tenir l'alcool.

Cette action, contrevenant aux lois internationales, soulève la colère des autorités argentines. Le gouvernement israélien nie tout d'abord être impliqué dans cet enlèvement et prétend qu'il est le fait de volontaires civils juifs chasseurs de nazis. David Ben Gourion, alors Premier ministre, annonce la capture d'Eichmann à la Knesset le 23 mai 1960. Cette annonce est acclamée debout par les députés présents. Pour connaître les détails de la capture d'Eichmann, on peut se reporter à l'ouvrage d'Isser Harel La Maison de la rue Garibaldi.

Eichmann comparaît à Jérusalem pour quinze chefs d'accusation le 11 avril 1961. On peut regrouper les chefs d'accusation en quatre catégories : crimes contre le peuple juif (chefs d’inculpation 1-4) ; crimes contre l’humanité (5-7, 9-12) ; crimes de guerre (8) ; participation à une organisation hostile (13-15). Exceptionnellement, ce procès fut présidé par trois juges au lieu d'un jury comme le veut la procédure israélienne normale. De plus, le procureur n'est autre que Gideon Hausner, alors procureur général. Ce procès provoqua une controverse internationale et un émoi gigantesque. Les téléspectateurs du monde entier découvrirent en direct Eichmann dans une cage de verre blindée écoutant un interminable défilé de témoins décrivant son rôle dans le transport des victimes de l'Holocauste.

La seule ligne de défense d'Eichmann était d'affirmer n'avoir rien fait d'autre que « suivre les ordres ». Déclaré coupable pour tous les chefs d'inculpation, il est condamné à mort le 15 décembre 1961 et pendu par l'agent pénitentiaire Shalom Nagar peu après minuit le 1er juin 1962 dans la cour de la prison de Ramla. Il est l'un de deux seuls condamnés à mort à avoir été exécuté par Israël et le seul civil. En Israël, les infractions dont Eichmann a été accusé, avec la trahison, constituent les seuls crimes capitaux.

On prétend que ses derniers mots furent : « Vive l'Allemagne. Vive l'Autriche. Vive l'Argentine. Ce sont les trois pays desquels je fus le plus proche et je ne les oublierai pas. Je devais obéir aux règles de la guerre et à mon drapeau. Je suis prêt » puis «Pourim 1946 !», faisant sans doute référence à l'événement de Pourim. Pourtant, le bourreau d'Eichmann ne fait mention d'aucune parole. D'après son souvenir : "Il n'y avait là qu'Eichmann et moi. Je me tenais à un mètre de lui et le regardai droit dans les yeux. Il refusa qu'on lui bande les yeux, et il portait encore aux pieds des pantoufles à carreaux ordinaires. J'ai tiré la manette et il est tombé en se balançant au bout de la corde".

 

Il est vraisemblable qu'Eichmann n'ait prononcé aucune parole, car il a passé sa captivité à rédiger un document de 1 300 pages intitulé "False Gods" qui tenait lieu de dernières paroles et fut rendu public par les autorités israéliennes le 29 février 2000. Son corps a été incinéré et ses cendres dispersées dans la Méditerranée. La dispersion des cendres dans la mer fut l’une des dernières volontés d’Adolf Eichmann. Israël accepta la dispersion des cendres, mais uniquement au-delà des eaux territoriales de l’État hébreu.

Le député de la Knesset (le parlement israëlien) Ivo Goldberg fit un long discours à l'assemblée le lendemain matin à ce sujet : « J'ai perdu ma mère, j'ai perdu mon père, j'ai perdu mes sœurs, j'ai perdu mes frères, j'ai perdu des tantes, j'ai perdu des oncles, j'ai perdu des amis il y a vingt ans. J'ai survécu aux camps avec la honte de m'en être sorti et pas eux. De ma famille et de mes amis, il ne me reste rien à part leurs souvenirs. Eichmann est mort. Et alors? Certes cela ne fera pas revenir ma famille, cela ne fera pas non plus revenir mes amis, mais au moins il a été jugé. Qu'il ait été pendu m'indiffère. Qu'il soit mort m'est égal. L'homme et le criminel ont été jugés et condamnés. J'étais dans le camp de Bergen-Belsen quand ce petit homme boiteux, rachitique et engoncé dans son uniforme avait inspecté le camp. Comme nous avions été avertis de sa visite, nous étions tous dehors à vouloir voir qui était ce Eichmann qui avait tant de haine contre nous. Je le vis marcher fièrement toisant les vieillards faméliques et regarder avec mépris les adolescents aux corps décharnés. Ce jour-là, j'étais à mille lieux de me douter que je reverrais cet homme moins de vingt ans plus tard dans une salle d'audience pour être jugé, De terrible bourreau actif et passif, il est devenu un simple citoyen banal pour reprendre l'expression d'Hannah Arendt. Eichmann est mort, mais le souvenir de nos frères de persécution ne doit pas pour autant l'être. Apprenons aux jeunes ce qui s'est passé pour qu'il n'y ait plus jamais d'autre Eichmann. ... »

Depuis plus de quarante ans qu'Eichmann est mort, les historiens n'ont cessé de spéculer sur sa vie et sur son action. La question la plus cruciale étant de définir sa responsabilité exacte dans la mise en œuvre de la solution finale. La plupart affirment qu'il savait exactement ce qu'il faisait et connaissait les conséquences de ses actes. Néanmoins, quelques-uns, dont son fils, estiment qu'il a été méjugé et qu'il ne faisait que son devoir de soldat allemand. Une troisième et très controversée analyse est faite notamment par Hannah Arendt, philosophe juive allemande exilée aux États-Unis lors de la montée du nazisme dans les années 1930 et qui a couvert le procès Eichmann pour le magazine The New Yorker. Dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem qui compile ses chroniques de ce procès, Arendt conclut qu'Eichmann n'a montré ni antisémitisme ni troubles psychiques, et qu'il n'avait agi de la sorte durant la guerre que pour « faire carrière ». Elle le décrit comme étant la personnification même de la « banalité du mal », se basant sur le fait qu'au procès il n'a semblé ressentir ni culpabilité ni haine et présenté une personnalité tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Elle élargit cette constatation à la plupart des criminels nazis, et ce quel que soit le rang dans la chaîne de commandement, chacun effectuant consciencieusement son travail de fonctionnaire ou de soldat plus préoccupé comme tout un chacun par son avancement que par les conséquences réelles du travail. Beaucoup allèrent plus loin dans ce raisonnement en affirmant que chacun, pour peu que les bonnes conditions soient réunies, les bons ordres, les bonnes incitations données au bon moment, peut commettre les crimes les plus odieux, mais Arendt elle-même refusa cette interprétation.  Une autre analyse, menée par Christophe Dejours, essaie de mettre en relation le cas Eichmann et le recours aux stratégies de défense dans la banalisation du mal. On pourra lire a cet égard : Souffrance en France, où Christophe Dejours compare également sa propre analyse avec les écrits de Arendt.


Laval Pierre

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Pierre Laval

Pierre Laval

Pierre Laval, né le 28 juin 1883 à Châteldon dans le Puy-de-Dôme et mort fusillé le 15 octobre 1945 à Fresnes dans le département de la Seine, (actuellement Val-de-Marne), était un homme politique français. Plusieurs fois président du conseil sous la Troisième République, il est, immédiatement après Philippe Pétain, la personnalité la plus importante de la période du régime de Vichy et le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. Ayant puissamment aidé à la fondation de « l’État français », il est vice-président du Conseil et dauphin désigné du maréchal jusqu’à son éviction soudaine le 13 décembre 1940.

Il revient au pouvoir avec le titre de chef du gouvernement, du 18 avril 1942 à son départ de Paris le 17 août 1944. Pierre Laval était originaire d’une famille modeste de la petite bourgeoisie (son père était aubergiste et commerçant de chevaux à Châteldon, dans le Puy-de-Dôme). Il devra notamment être « pion » dans un lycée parisien pour payer ses études. Son ascension sociale lui permettra ultérieurement de racheter le château du bourg où il est né. Il passe son baccalauréat et obtient une licence en sciences naturelles avant d’opter pour le droit, et de s’installer à Paris comme avocat en 1907.

De ses origines populaires, Laval gardera toute sa vie un parler direct et familier, volontiers badin, souvent très croustillant. En témoignent de multiples propos rapportés par les témoins qui l’ont rencontré. Ce qui ne doit pas dissimuler son bagage culturel acquis. Membre de la SFIO depuis 1905, défendant parfois des syndicalistes de la CGT notamment, devant les tribunaux, Pierre Laval s’affiche comme pacifiste avant la Première Guerre mondiale. Il est même inscrit au fameux « Carnet B », la liste de tous les militants de l’extrême-gauche pacifiste que le ministère de l’Intérieur prévoyait initialement d’arrêter en cas de conflit. En 1914, Laval est élu député SFIO d’Aubervilliers, mais fut cependant, en raison de son pacifisme militant, battu aux élections de 1919, qui virent la victoire du Bloc national, très marqué par l’esprit « ancien combattant », alors qu'il avait lui-même été réformé pendant la Première Guerre mondiale. Il devient maire d’Aubervilliers en 1923, mandat qu’il devait conserver jusqu’à la Libération.

Il garde toujours un fort sentiment pacifiste, entretenu par ses contacts réguliers avec Aristide Briand, avec qui il travaillait à établir de bonnes relations avec l’Allemagne et l’Union soviétique. Il s’éloigne progressivement de la gauche à mesure que s’accroît sa fortune, et glisse de plus en plus vers la droite parlementaire. Il eut la satisfaction d’être réélu député en 1924, comme socialiste indépendant face à un candidat SFIO auquel il reprochait ses sympathies pour les communistes. À la tête d’un cabinet florissant, jouissant d’une excellente implantation locale, il apparaissait déjà bien davantage comme un opportuniste, avant tout soucieux de sa réussite sociale, que comme un homme de conviction. En 1927, il est élu Sénateur de la Seine, comme candidat sans étiquette, mais avec le soutien du centre droit et de la droite. Il est plusieurs fois ministre et président du Conseil. En 1931, Laval est élu « Homme de l’année » par le Time magazine aux États-Unis.

Il mènera au cours de ces différents mandats une politique déflationniste, qui ne fera qu’aggraver la crise économique et sociale des années 1930, (bien qu’en 1935 le budget de l’État français est l’un des rares en Europe à être en équilibre, ce qui est précisément un effet de cette politique déflationniste) et précipiter la victoire électorale du Front populaire. Un autre aspect de sa politique est la limitation du budget de l’armée au moment où Hitler remilitarise l’Allemagne. Sur le plan diplomatique, alors que s’affirme la menace nazie, Laval multiplie tous azimuts les initiatives souvent brouillonnes et contradictoires. Il rencontre Staline à Moscou et conclut avec lui un pacte d’assistance franco-soviétique (mai 1935), mais ne l’assortit pas d’un accord militaire.

Il rencontre peu après Mussolini à Rome, et ne réagit pas quand ce dernier le met dans la confidence des préparatifs de l’agression contre l’Éthiopie. Le Duce interprète cela comme un consentement à sa guerre, qu’il déclenche en octobre 1935, et accueille avec fureur les sanctions de Paris et de Londres, croyant à une trahison de Laval, ce qui entre autres contribue au rapprochement Rome-Berlin et à la constitution de l’Axe, qui précipitera l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale. En novembre 1942, lors d’une réunion à Munich avec Hitler, où Laval est présent, Mussolini confiera à l’interprète Paul Schmidt que Laval lui avait rendu fier service en 1935, en refusant de couper le ravitaillement en pétrole de l’Italie et de fermer le canal de Suez : dans ce cas, les troupes italiennes n’auraient plus eu qu’à se retirer d’Éthiopie sous huit jours.

En janvier 1936, à l’approche du Front populaire, Laval est écarté du pouvoir. Il en gardera, dès cette date, une vive hostilité envers les « socialo-communistes » qu’il associera à la Troisième République. Réélu à son poste de sénateur de la Seine pendant 10 jours en 1936, il devient sénateur du Puy-de-Dôme la même année. À partir de 1937, il incline vers des idées sinon autoritaires, du moins antiparlementaires. De retour au privé, il accumule un empire commercial basé sur les journaux, l’imprimerie et la radio. La défaite de 1940 fournit à Laval l’occasion de revenir au pouvoir. Il place son empire de médias au service de Pétain et du gouvernement de Vichy. Le lendemain même de la conclusion de l’armistice du 22 juin 1940 il entre au gouvernement Philippe Pétain. Le 10 juillet 1940, il use également de son influence à l’Assemblée nationale pour faire donner à Pétain les pleins pouvoirs. Deux jours plus tard, le 12 juillet 1940, Laval est appelé par Pétain comme vice-président du Conseil, le maréchal restant à la fois chef de l’État et du gouvernement.

Laval développa des rapports très étroits avec Otto Abetz, ambassadeur allemand en France. Jouant de son image de « francophile », ce dernier le persuade un peu plus, tout à fait à tort, que le Führer est prêt à tendre la main au vaincu et à réserver à la France une place privilégiée dans l’Europe nazie. Le 22 octobre 1940, Laval rencontre Adolf Hitler à Montoire et propose que les deux pays s’allient très étroitement. Deux jours après, il organise l’entrevue retentissante de Montoire, où la poignée de main symbolique entre Hitler et Pétain engage la France dans la collaboration d’État. Un mois plus tard, lors d’une autre réunion avec Hermann Göring, Laval suggère une alliance militaire avec l’Allemagne nazie, et fait dresser des plans pour une reconquête commune du Tchad, passé aux gaullistes sous l’impulsion de son gouverneur, Félix Éboué. Il multiplie par ailleurs les gestes de bonne volonté, sans contrepartie aucune ni demandée ni obtenue. Ainsi, il livre à l’Allemagne l’or de la Banque nationale de Belgique, confié par Bruxelles à la France. Il lui cède les participations françaises dans les mines de cuivre de Bor (Serbie), les plus importantes d’Europe à produire ce métal hautement stratégique. Il envisage le retour du gouvernement à Paris, où il serait plus étroitement sous regard allemand.

De juillet à décembre 1940, Laval mène une politique de collaboration active, avec le projet d’alliance avec l’Allemagne nazie évoqué ci-dessus. Des membres du gouvernement se sont inquiétés au sujet de cette alliance. Mais surtout, Laval agit trop indépendamment au goût de Pétain, jaloux de son autorité, et son impopularité auprès de la masse des Français risque à terme de rejaillir sur le régime. Enfin, c’est le dernier parlementaire à siéger encore au gouvernement, et il déplaît aux tenants de la Révolution nationale comme vestige de la République honnie. Le 13 décembre 1940, Philippe Pétain limoge brusquement Laval, et le remplace par Flandin puis par Darlan, lequel poursuit d’ailleurs sans grand changement la politique de collaboration et renforce le caractère autoritaire du régime.

Laval est brièvement arrêté, mais Otto Abetz intervient pour le libérer et l’emmène à Paris, où il vivra désormais sous la protection de l’armée allemande. Ce limogeage n’empêche pas Pierre Laval de continuer à participer à la vie publique et politique. Le 27 août 1941, alors qu’il passait en revue le premier contingent de la Légion des volontaires français (LVF), volontaires français sous uniforme nazi sur le point de partir pour participer à l’opération Barbarossa, Laval est victime d’un attentat à Versailles. La cérémonie organisée à la caserne Borgnis-Desbordes, avenue de Paris, réunissait Eugène Deloncle, président du Comité central de la Légion des volontaires français, Marcel Déat, fondateur du Rassemblement national populaire (RNP), Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, Marc Chevallier, préfet de Seine-et-Oise et le ministre plénipotentiaire allemand Schleier.

L’auteur des cinq coups de feu est un jeune ouvrier de 21 ans, Paul Collette, ancien membre des Croix-de-feu. Le 17 avril 1942, toujours sous la pression allemande, Laval, qui a recouvré la santé, est nommé chef du gouvernement du régime de Vichy par le maréchal Philippe Pétain. Il déclare publiquement qu’il croit en la victoire définitive de l’Allemagne nazie et renforce encore la politique de collaboration avec l’occupant. Si Pétain n’a toujours pas d’affection personnelle pour Laval, il partage avec lui les mêmes options de politique extérieure, et approuve ses décisions en conseil des ministres. En juin 1942, le maréchal déclare très clairement en public que les propos et les ordres de Laval sont « comme les [siens] » et que tous lui doivent obéissance comme à lui-même. Ainsi que l’ont montré Henri Michel, Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma et bien d’autres historiens, il n’a jamais existé de différences entre un « Vichy de Pétain » et un « Vichy de Laval », que les apologistes de Pétain ont inventées après la guerre afin de rejeter sur le seul Laval la responsabilité des turpitudes du Régime de Vichy.

Féru de diplomatie, intimement persuadé d’être le seul Français capable de négocier avec Hitler, Laval mise tout sur une collaboration sans équivoque qui consiste à anticiper sur les désirs allemands et à multiplier les gages de bonne volonté envers le vainqueur, sans en attendre de contrepartie. Il espère ainsi obtenir de Joachim von Ribbentrop ou d’Hitler l’entrevue décisive, pendant laquelle il fait d’avance généreusement confiance aux capacités de charme personnel qu’il se prête pour séduire les chefs nazis, et les convaincre de réserver à la France une place de choix dans l’Europe allemande. Laval ne semble jamais avoir eu conscience ni de la spécificité radicale de l’idéologie nazie et du régime hitlérien, ni de l’absence complète de volonté du Führer de traiter la France ni aucun autre vassal comme un partenaire.

Profondément convaincu d’avoir raison seul contre tous, et persuadé que la postérité seule comprendrait les mérites de sa politique, Laval n’a jamais tenu aucun compte de l’impopularité de sa personne et du sentiment de collaboration auprès de la masse des Français, pas plus que des avertissements qui lui parvenaient de plus en plus de toutes parts. D’où, parmi tant d’autres témoignages, ce dialogue significatif avec le général Weygand, en novembre 1942, au moment où ce dernier doit quitter Vichy en raison de l’avancée des troupes allemandes dans la « zone libre » : « Monsieur Laval, vous avez contre vous 95 % des Français.Dites plutôt 98 %, mais je ferai leur bonheur malgré eux. » Pierre Laval s’enferre ainsi sans retour dans une politique de collaboration de plus en plus coûteuse humainement et moralement pour la France, sans contrepartie. Il n’en varie pas, y compris en 1943-1944, alors que la défaite allemande est pourtant devenue prévisible.

Le 22 juin 1942, Laval prononce à la radio un retentissant discours dont se détachent ces phrases essentielles : « J’ai toujours trop aimé mon pays pour me soucier d’être populaire ; j’ai à remplir mon rôle de chef » « Darlan lisait les communiqués tous les matins afin de savoir quel camp choisir dans la journée, pour ou contre l’Allemagne. Je ne m’occupe pas des communiqués : je mène une politique dont rien ne me fera changer ». « Agir de telle façon que l’Allemagne ne soit pas trop forte pour nous éteindre, mais de telle façon que le bolchevisme ne puisse pas, lui, nous supprimer. » Et la non moins célèbre : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que sans elle le bolchevisme, demain, s’installerait partout ».


L’effet sur l’opinion publique est désastreux, les propres conseillers et ministres de Laval sont effondrés. Préparant ce discours, Laval avait annoncé à ses conseillers qu’il mettrait aux Français « de l’acide sulfurique sur leurs plaies ». Alors que tous lui demandent de ne pas insérer cette phrase, il tient absolument à la garder, estimant qu’il doit dissiper toute équivoque envers les Allemands et ancrer résolument la France dans le camp de l’Axe. Il consent toutefois à montrer son texte au maréchal Pétain. Ce dernier se contente de lui faire modifier la version initiale – « Je crois à la victoire de l’Allemagne » – du moment qu’un civil n’a pas selon lui à faire de pronostic militaire. D’avoir émis le souhait de la victoire allemande discrédite définitivement Laval dans l’esprit de la masse des Français occupés. Laval reviendra plusieurs fois en public sur cette phrase, toujours pour refuser de la désavouer. Il déclara plus tard au moment de son procès que cette phrase lui valut la confiance du Führer et que de l’avoir prononcée lui sauva la vie quand il dut se rendre précipitamment à Munich en novembre 1942 pour voir Adolf Hitler qui s’inquiétait d’un revirement possible du gouvernement de Vichy à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. Hitler était persuadé que la présence de Darlan à Alger n’était pas fortuite et craignait que son ralliement aux forces américaines ait reçu l’aval de Vichy.

En septembre 1942, il autorise la Gestapo à pourchasser les résistants français en Zone libre (mission Desloges). Lors de l’invasion de la Zone Sud le 11 novembre, il ne démissionne pas et reste au pouvoir, comme Pétain. Le matin du 27 novembre, il tente in extrémis d’empêcher par téléphone le sabordage de la Flotte française à Toulon, au risque que ses nombreux navires de guerre tombent tous aux mains d’Hitler. En public comme en privé, Laval réaffirmera jusqu’à la fin son refus viscéral de toute idée de double-jeu. De fait, cet homme si souvent stigmatisé par ses contemporains comme un « maquignon » et un « opportuniste » joue jusqu’au bout un seul jeu : celui de l’entente avec l’Allemagne. Le 27 mars 1942, trois semaines avant le retour de Laval au pouvoir, le premier convoi de déportés juifs en direction d’Auschwitz a lieu au départ de Drancy et Compiègne. Dannecker, chef de la Gestapo à Paris, prévoit la déportation dans un premier temps de tous les Juifs adultes vivant en France occupée ou non occupée. Il a besoin pour cela du concours des forces de police en zone occupée et de la collaboration du gouvernement de Vichy en zone non occupée.

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Début juillet, selon une notice conçue par son attaché Camille Gaspard, Pierre Laval propose de livrer les Juifs étrangers vivant en zone non occupée en y joignant leurs enfants, en échange de l’exemption collective des Juifs de nationalité française des deux zones. Ses responsabilités dans la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ du 16-17 juillet 1942 et dans celle perpétrée le 26 août 1942 en zone sud sont accablantes. Sollicité de revenir sur sa décision d’inclure dans les convois les enfants de moins de 16 ans (initialement non demandés des Allemands), notamment par le pasteur Boegner, chef des protestants de France, Laval refuse : « pas un seul de ces enfants ne doit rester en France ». Le pasteur Boegner rapportera plus tard : « Que pouvais-je obtenir d’un homme à qui les Allemands avaient fait croire - ou qui faisait semblant de croire - que les juifs emmenés de France allaient en Pologne du Sud pour y cultiver les terres de l’État juif que l’Allemagne affirmait vouloir constituer. Je lui parlais de massacre, il me répondait jardinage ». Laval ne semble jamais s’être préoccupé particulièrement du sort exact qui pouvait attendre les familles déportées. Il prétendra après la guerre avoir livré les Juifs étrangers pour éviter la déportation des Juifs français.

Mais sans même parler du caractère singulier et pour le moins éthiquement discutable de ce marchandage, Laval n’a jamais demandé ni obtenu la moindre assurance écrite des Allemands à ce sujet, se fiant visiblement à de vagues assurances verbales jamais tenues, puisque des milliers de Juifs français sont déportés ultérieurement à leur tour. Par ailleurs, Laval tient peu après la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ ses seuls propos antisémites connus, déclarant aux préfets faire de la « prophylaxie sociale » en débarrassant la France de Juifs étrangers qui auraient « abusé de son hospitalité » et fait de l’Hexagone un « dépotoir » humain.

Le Commissariat général aux questions juives, dirigé par Darquier de Pellepoix, est sous l’autorité directe de Laval depuis juillet 1942. Le 30 septembre 1942, dans un télégramme aux ambassades françaises à travers le monde, il reprend une rhétorique antisémite pour justifier les récentes déportations : "Le seul moyen de conjurer le péril juif était le rapatriement de ces individus dans l'Est de l'Europe, leur pays d'origine". Pour la seule année 1942, plus de 43 000 Juifs sont déportés, la plupart arrêtés par la police française. En août 1943, Laval refuse cependant de dénaturaliser les Juifs français, ce qui aurait permis aux Allemands d’accélérer leur déportation. 11 000 Juifs n’en sont pas moins déportés encore cette année-là, et 17 000 en 1944. 80 % d’entre eux ont été arrêtés par la police française. 97 % des Juifs déportés périssent dans les chambres à gaz ou sont exterminés par le travail dans les camps de concentration.

Des 11 000 enfants de moins de 16 ans déportés, la plupart sur l’insistance personnelle de Laval, aucun n’est revenu. Dès le 12 mai 1942, Laval écrit au ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, pour lui proposer la participation de la France à l’effort de guerre allemand, au travers de l’envoi de travailleurs. Le Reich manque en effet cruellement de main-d’œuvre, ses ouvriers étant massivement mobilisés sur le front de l’Est. Lors de son discours du 22 juin 1942, Laval annonce la décision très controversée de créer la Relève, ancêtre du Service du travail obligatoire (STO). Il s’agit d’envoyer les meilleurs travailleurs en Allemagne en échange de prisonniers de guerre français. Mais Laval tait jusqu’au 11 août le véritable taux d’échange : trois ouvriers spécialistes contre un seul prisonnier paysan.

En outre, la plupart des prisonniers libérés par le Reich sont des hommes âgés ou malades, peu productifs donc, et qui auraient sans doute été rapatriés de toute façon. Début septembre, la Relève est un échec, avec seulement 17 000 candidats au départ. Sur l’impatience du gauleiter Fritz Sauckel, le « négrier de l’Europe », Laval passe alors au recrutement forcé. Le 4 septembre, Pétain promulgue une première loi à l’origine du départ forcé de 250 000 ouvriers en Allemagne en à peine six mois. Les exigences suivantes de Sauckel reçoivent pareillement pleine satisfaction : le 16 février 1943, une loi signée de Laval permet l’envoi en Allemagne de tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1923. Au total, en juillet 1943, plus de 600 000 travailleurs ont été envoyés en Allemagne.

Laval met activement l’inspection du travail, la police et la gendarmerie au service des prélèvements forcés de main-d’œuvre et de la traque des réfractaires au Service du travail obligatoire. Le 11 juin, dans un discours radiodiffusé, il menace ouvertement les réfractaires de représailles sur leur famille. Il durcit aussi les mesures à l’encontre de ceux qui les aident, et supprime les exemptions des étudiants et des jeunes paysans. Le prix à payer est lourd, sans aucune contrepartie : l’économie est désorganisée par la saignée en travailleurs, l’impopularité du régime se voit considérablement accrue, des milliers de jeunes réfractaires au Service du travail obligatoire sont jetés dans les bras de la Résistance et à l’origine de la naissance des maquis.

Tardivement conscient que le Service du travail obligatoire mine le régime, Laval finit par s’opposer aux nouvelles demandes exorbitantes de Fritz Sauckel lors d’une entrevue très orageuse le 6 août 1943. Cette dernière est assez rude pour que Laval soit pris d’une syncope et s’évanouisse. Appuyé par le ministre de l’Armement allemand Albert Speer, qui préfère désormais que les vaincus produisent sur place pour le Reich plutôt que de les exploiter en Allemagne, Laval obtient une suspension des départs, mais en échange d’une intégration considérablement accrue de l’industrie française à l’économie de guerre nazie (accords Albert Speer - Jean Bichelonne, 15 septembre 1943). Auparavant, Laval a été le seul chef de gouvernement d’Europe occupée à avoir « rempli à 100 % le programme de main-d’œuvre » (télégramme du plénipotentiaire d’ambassade Schleier à Berlin, avril 1943), et grâce à son aide indispensable, Sauckel a toujours obtenu tout ce qu’il voulait jusqu’à l’été 1943.

En janvier 1943, Laval crée la Milice française, force de police politique sous la conduite de Joseph Darnand, mais dont il est officiellement le président. En six mois, elle recrute plus de 35 000 hommes et joue alors le principal rôle dans la traque des Juifs et des résistants, qui sont soit torturés et exécutés sommairement sur place, soit déportés vers les camps de concentration. Recrutant largement parmi les ultra-collaborationnistes convaincus, mais aussi les aventuriers de toutes sortes et les criminels de droit commun, la Milice s’illustre aussi par de nombreux vols, viols, extorsions de fonds, voies de fait sur la voie publique ou agressions contre des fonctionnaires et des policiers.

Laval ne désavouera jamais son soutien public à la Milice. En novembre 1943, il proclame qu’il marche « main dans la main avec Darnand » car « la démocratie, c’est l’antichambre du bolchevisme ». En juillet 1944, il apparaît sincèrement horrifié par l’assassinat de son ancien ami et collègue de gouvernement, Georges Mandel, liquidé par la Milice. Mais il ne montrera guère d’émotion particulière pour les nombreuses autres exactions de cet authentique instrument de guerre civile, qu’il a lui-même encouragé à sévir. Cette même année 1943, il livre Léon Blum, Paul Reynaud et Édouard Daladier aux nazis. Depuis son retour au pouvoir, Pierre Laval obtient des prérogatives sans cesse accrues de la part de Pétain, avec l’appui des Allemands. Laval cumule de plus en plus de portefeuilles et place ses créatures à tous les postes-clés. Dès l’été 1942, il est à la fois ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Information. La gendarmerie est directement placée sous son autorité depuis juin 1942. Doté du titre nouveau de « chef du gouvernement » en avril 1942, Laval redevient dauphin officiel du maréchal en novembre 1942, après que l’amiral Darlan a changé de camp et est passé aux Américains lors du débarquement allié en Afrique du Nord.

Le 26 novembre, un acte constitutionnel de Pétain l’autorise à signer seul tous les décrets et les lois. En 1943, il obtient même des pouvoirs constituants. Il est officiellement le chef de la Milice française. René Bousquet, qu’il a placé au Secrétariat général de la police, se montre en toutes circonstances l’un de ses protégés les plus fidèles. Ce grand responsable des déportations de Juifs sera d’ailleurs encore à ses côtés dans sa cellule de Fresnes pour partager ses derniers instants (Pascale Froment, René Bousquet, Fayard, 2001). Les Commissariats spécialisés chargés de la persécution des Juifs ou de la livraison de main-d’œuvre à l’Allemagne relèvent aussi directement du chef du gouvernement. Plusieurs autres ministres sont des alliés et amis proches, ainsi Pierre Cathala aux Finances ou Jean Bichelonne à la Production industrielle et aux Transports.

Laval dispose aussi d’une clientèle de compatriotes auvergnats qu’il place à d’importantes fonctions. Le préfet de police de Paris, Amédée Bussière, un des principaux organisateurs de la rafle du Vel’ d’Hiv, est un Clermontois qu’il a connu à la préfecture du Puy-de-Dôme. À la tête de la Légion française des combattants, Laval installe le maire d’Ambert Raymond Lachal, partisan d’une ligne plus collaborationniste. Un autre Auvergnat, Grasset, devient ministre de la Santé. L’administration pénitentiaire, qui collabore à la garde des résistants capturés, est dirigée par Baillet, qu’il a connu comme commissaire à Aubervilliers du temps où il en était député. Très peu intéressé par la Révolution nationale, sans préjugés antisémites ou antimaçonniques particuliers, Laval n’hésite pas à prononcer le mot honni de « République » dans ses discours. Trop isolé et trop impopulaire pour négliger des soutiens éventuels, il est prêt à s’appuyer sur des républicains ralliés au régime, passant outre les récriminations des collaborationnistes et des pétainistes. C’est ainsi que Laval fait sonder entre autres l’ancien préfet de Chartres révoqué par Pétain, Jean Moulin, pour voir s’il veut reprendre du service au profit de l’État français. Celui dont Laval ignorait qu’il était entre-temps devenu l’un des plus grands résistants français opposa évidemment une fin de non-recevoir.

Mais à partir de fin 1943, Laval accepte aussi la fascisation progressive du régime en faisant entrer à son gouvernement les ultra-collaborationnistes affichés Joseph Darnand, Philippe Henriot et Marcel Déat. Il laisse la Milice française, organisation de type ouvertement fasciste, prendre un rôle de plus en plus grand dans l’État, un milicien devenant même préfet de Montpellier. En août 1944, après le jour J, Laval démissionne mais est emmené par les Allemands à Belfort puis à Sigmaringen en Allemagne. En mai 1945, il fuit en Espagne, est arrêté à Barcelone et, le 30 juillet, remis au gouvernement provisoire français promulgué par le général de Gaulle. Laval comparait devant la Haute cour de justice en octobre 1945. Particulièrement inconscient de la gravité des actes qui lui sont reprochés, Laval parlait fréquemment à ses proches du jour où il reprendrait sa carrière politique… Il semblait sincèrement persuadé de pouvoir encore convaincre ses juges du bien-fondé et de la nécessité de sa politique. La haine générale accumulée contre lui pendant l’Occupation éclate au grand jour à son entrée dans le box des accusés : très vite, Laval est hué et insulté par les jurés (dont plusieurs sont d’anciens collègues au Parlement, qu’il s’est pris inconsidérément à tutoyer familièrement), il est de fait empêché de parler et de se défendre. Il est exclu de son procès, et la défense refuse de plaider en protestation. La presse résistante elle-même condamnera le naufrage pénible du procès. Laval n’en est pas moins beaucoup trop compromis pour que le verdict de culpabilité fasse de toute façon le moindre doute. Il est condamné à mort le 9 octobre pour « Haute trahison en ayant aidé l’ennemi et violé la sécurité de l’État ».

Pierre Laval lors de son procès

Pierre Laval lors de son procès

Alors qu’il avait tenté de se suicider le jour de son exécution en avalant une capsule de cyanure, les médecins lui firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d'estomac. Son état s’étant sensiblement amélioré, il fut amené devant le peloton d'exécution qui le fusilla le 15 octobre 1945, dans la cour de la prison de Fresnes. Dans Le Procès Laval. Compte rendu sténographique (1946), réalisé sous la direction de Maurice Garçon, les derniers moments de Laval sont décrits en ces termes : « Le 15 octobre, vers 9 h 00 du matin, M. le Procureur Général Mornet, accompagné de M. le Président de la Commission d’Instruction Bouchardon, se présentèrent à la prison de Fresnes dans la cellule du condamné, lui annoncèrent que le moment était venu d’expier. Pierre Laval était couché et parut ne pas entendre. Rapidement on comprit qu’il était sous le coup d’une intoxication et le docteur Paul, médecin légiste, qui était présent, lui fit une piqûre de morphine. On trouva sur les couvertures du lit une ampoule qui avait contenu du poison que le condamné venait d’absorber, ne voulant pas, avait-il écrit, tomber sous des balles françaises. Il devint évident au bout de peu de temps que le poison était éventé. Les médecins firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d’estomac.

Le condamné rendit la plus grande partie de la substance toxique qu’il avait absorbée et se ranima assez rapidement. Son état s’étant amélioré, il fut décidé, puisqu’il pouvait se tenir debout et marcher, que l’arrêt serait exécuté. Pierre Laval, qui s’était habillé et qui maintenant paraissait rétabli, marcha d’un pas ferme jusqu’à la porte de la prison et monta dans le fourgon qui le conduisit derrière la prison de Fresnes devant une butte qui pendant la guerre avait servi aux Allemands de lieu d’exécution. Quelques minutes suffirent pour le conduire au poteau. Il refusa l’escabeau qu’on lui proposait pour s’asseoir, se laissa lier au poteau et mourut courageusement.
»

Il fut inhumé dans une fosse commune du cimetière parisien de Thiais puis au cimetière du Montparnasse. Alors que huit demandes en révision du procès Pétain ont été rejetées, aucun défenseur de Vichy n’a pris la peine, ou le risque, de demander la révision du procès de Laval. Seule la famille de Laval et en particulier son gendre René de Chambrun, mari de sa fille unique Josée et ardent défenseur de sa mémoire, milita pour sa réhabilitation, mais en pure perte. Jean Jardin (1904-1976), son directeur de cabinet, fut aussi son éminence grise et continua à jouer ce rôle après la guerre auprès d’autres personnalités.

Daladier Edouard

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Édouard Daladier, né à Carpentras (Vaucluse) le 18 juin 1884 et mort à Paris le 10 octobre 1970, était un homme politique français, figure du Parti radical. Fils d'un boulanger de Carpentras, Édouard Daladier suit les cours de khâgne d'Édouard Herriot au lycée Ampère de Lyon. Il est reçu premier à l'agrégation d'histoire. Il devient professeur d'histoire. En 1911, il est élu maire de Carpentras, il part pour le front en 1914 où il se bat comme lieutenant, il revient en 1918 avec la Légion d'honneur et quatre citations. Puis il est député radical de Vaucluse de 1919 à 1940. Il devient président du Parti radical en 1927-1930 et 1936-1938.

Edouard Daladier

Edouard Daladier

 

Daladier est surnommé « le taureau du Vaucluse » en politique. Il participe aux gouvernements du Cartel des gauches (entre 1924 et 1932) à la demande d'Herriot, comme ministre des Colonies (1924), de la Guerre (1925), de l’Instruction publique (1926), et des Travaux publics (trois fois entre 1930 à 1932). Il devient lui-même président du Conseil en 1933, puis en 1934, où il doit démissionner après l'émeute du 6 février. Lors du Congrès radical de Nantes en 1934, il lance le thème des « 200 familles », repris par l'extrême-droite et les communistes (« Deux cents familles sont maîtresses de l'économie française et, en fait, de la politique française »). Chef du parti radical, il participe au rassemblement de la gauche pour les élections de juin 1936, en permettant l'alliance du PCF, de la SFIO et des radicaux. Il devient ministre de la Défense nationale durant le gouvernement du Front populaire de 1936 à 1937.

Initiateur le 7 juin 1933 du « pacte à quatre », signé avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie pour favoriser l'intégration de l'Allemagne au sein de la Société des Nations, il est le signataire, en tant que président du Conseil. Opposé à la négociation avec Hitler, il ne signera ces accords qu'à contrecœur, poussé par la Grande-Bretagne de Neville Chamberlain sans qui une guerre contre l'Allemagne n'était pas possible, le Royaume-Uni contrôlant alors la majeure partie des approvisionnements en pétrole. Après Munich, à son retour en France, Daladier est persuadé d'être hué pour avoir cédé à Hitler, les accords de Munich abandonnant aux nazis une partie de la Tchécoslovaquie sans presque rien demander en échange sinon de vagues promesses de paix. Mais à sa sortie de l'avion le ramenant vers Paris, Daladier est vivement acclamé, à sa grande surprise, pour avoir sauvé la paix. Il se serait exclamé, entendu du seul Alexis Léger qui le suivait : « Ah les cons ! S'ils savaient ! ».

Le 3 septembre 1939, il déclare néanmoins la guerre à l'Allemagne en raison de l'invasion de la Pologne par les troupes allemandes, et engage une politique anticommuniste suite au pacte de non agression signé par Molotov et Ribbentrop (mise hors la loi du Parti communiste français et interdiction de parution de L'Humanité, élus communistes déchus de leurs mandats). Renversé le 20 mars 1940 à la suite de la non-intervention de la France en Finlande (guerre d'Hiver contre l’URSS), il fait partie du cabinet Paul Reynaud comme ministre de la Défense nationale et de la Guerre.

Il embarque pour le Maroc en juin 1940, puis revient en France début août où il est arrêté et jugé lors du procès de Riom par le gouvernement de Vichy. Incarcéré par l’État français de 1940 à 1943, il est placé de 1943 à 1945 en résidence surveillée au château d'Itter (Tyrol) en compagnie du général Maurice Gamelin, de Léon Jouhaux et sa compagne Augusta Bruchlen, de Paul Reynaud et sa collaboratrice Christiane Mabire, du général Weygand, du colonel de La Rocque, de Michel Clémenceau et de Jean Borotra. Il retrouve son mandat de député de 1946 à 1958, et est élu maire d'Avignon en 1953. Il préside le Rassemblement des gauches républicaines en 1957, puis quitte toutes ses fonctions en 1958. Il soutient Pierre Mendès France et vote contre l'investiture du général de Gaulle en 1958. Il meurt le 10 octobre 1970 et est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris (division 72). Sa tombe est d'une grande discrétion et n'évoque guère le rôle et l'importance de cet homme qui traversa une époque confuse.

Reynaud Paul

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Le 22 janvier 1953, Jean Monnet discute avec Paul Reynaud lors d'une séance de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe.

Le 22 janvier 1953, Jean Monnet discute avec Paul Reynaud lors d'une séance de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe.

Paul Reynaud , né le 15 octobre 1878 à Barcelonnette (Basses-Alpes), mort le 21 septembre 1966 à Neuilly-sur-Seine (Seine), est un homme politique français. Député des Basses Alpes, puis de Paris de la droite modérée, il fut plusieurs fois ministre sous la IIIe république dont ministre des Finances en 1938 dans le gouvernement Daladier.

Il sera président du Conseil du 22 mars au 17 juin 1940, fonction qu'il cumulera avec celle de ministre des Affaires étrangères puis de ministre de la Guerre. Après la débâcle de juin, Paul Reynaud, alors en désaccord avec les principaux membres du gouvernement et responsables militaires quant à la conduite à tenir, démissionne et est remplacé par le maréchal Pétain qui signera l'Armistice. Diplômé de l'École des hautes études commerciales, avocat, Paul Reynaud épouse Jeanne Henri-Robert, la fille de l'avocat Henri-Robert puis se tourne assez vite vers le monde de la politique.

Conseiller général puis député des Basses-Alpes à la Chambre des députés avec le Bloc national d'abord en 1919, il est battu en 1924. Tentant de se représenter dans la Seine lors d'une élection partielle, il est de nouveau battu, cette fois par le célèbre communiste Jacques Duclos en 1926, puis est réélu de 1928 à 1940 comme député de Paris. Membre d'un parti de droite modérée, l'Alliance démocratique, il est plusieurs fois ministre sous la Troisième République et est en charge des portefeuilles des Finances, des Colonies et de la Justice. Il se spécialise vers deux domaines très différents, l'économie et la défense, pour lesquels il adopte tout de suite des positions hétérodoxes. Ainsi, il préconise une dévaluation du franc pour affronter la Crise de 1929, qui atteint la France en 1931 alors que l'opinion reste très attachée au mythe du franc Poincaré depuis 1926. D'autre part, il est l'un des rares hommes politiques à se rallier à la stratégie des divisions blindées préconisée par le colonel de Gaulle dans son livre Vers l'Armée de métier. L'originalité de sa réflexion le marginalise au parlement.

En 1938, même s'il vote la confiance au Parlement pour ratifier les accords de Munich, il est en rupture avec la ligne directrice de son parti et celle du Parti radical-socialiste d'Édouard Daladier sur ce sujet. Nommé ministre des Finances en novembre 1938, il prend des mesures énergiques par décrets-loi pour remettre le pays au travail : dévaluation du franc, hausse des impôts, réarmement, économies drastiques sur d'autres postes, majoration du plafond des heures supplémentaires (+15 %). La durée du travail remonte à 41,5 heures par semaine. Un important redressement est ainsi acquis. Il déclare alors : « Croyez-vous que la France puisse à la fois maintenir son train de vie, dépenser 25 milliards d'armement et se reposer deux jours par semaine ? »

En septembre 1939, il déclare : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Interrogé après la fin de la guerre sur cette phrase, Paul Reynaud affirma avoir toujours eu en tête qu'il s'agirait d'une guerre mondiale, continuation de la première. Paul Reynaud est nommé, le 22  mars 1940, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères par Albert Lebrun. Il lance aussitôt l'expédition militaire en Norvège, après l'invasion du Danemark par le Reich ; le but est d'interrompre l'approvisionnement de minerai de fer suédois vers l'Allemagne. Au parlement, Reynaud proclame : « la route du fer est coupée ! ». Le 9  mai 1940, devant la tournure que prennent les événements, Paul Reynaud remet sa démission mais se rétracte devant l'insistance du président Lebrun et le début de l'offensive allemande aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, le 10 mai.

Après la percée de Sedan, le 15 mai, qui voit les Panzerdivisionnen prendre à revers les armées franco-britanniques en Belgique, il prend tout de suite conscience de la gravité de la situation et téléphone à Churchill pour lui dire que l'armée française est battue. Il reprend le portefeuille de la Guerre à Édouard Daladier et s'adjoint le maréchal Pétain le 18 mai comme vice-président, Georges Mandel, l'ancien chef de cabinet de Clemenceau, comme ministre de l'Intérieur, et le général de Gaulle, pour lequel il a une grande estime, comme sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale, le 6 juin. Le 10 juin, en prévision de l'entrée des Allemands à Paris, les pouvoirs publics se réfugient à Tours puis à Bordeaux. L'affrontement entre les partisans de la continuation des combats (Mandel, de Gaulle) et les tenants d'un armistice (Pétain, Weygand), tourne à l'avantage des derniers.

Après l’évacuation de 340 000 franco-britanniques à la bataille de Dunkerque (31 mai – 3 juin 1940), la Wehrmacht lance une offensive le 5 juin contre une armée française considérablement affaiblie, car tout le matériel a été perdu en Belgique et dans les Flandres. Le 10 juin, le Gouvernement français abandonne la capitale, déclarée ville ouverte. Winston Churchill et Anthony Eden arrivent à Briare (Loiret) pour conforter Paul Reynaud, le maréchal Pétain et le général Weygand, ces deux derniers partisans d’un armistice rapide pour éviter l’anéantissement. Churchill remarque immédiatement le seul membre du Gouvernement français à ne pas sombrer dans le pessimisme total, le général de Gaulle, tout récemment nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre. Comme Churchill, celui-ci raisonne en terme planétaire et ne limite pas ce conflit, désormais mondial, à un simple enjeu franco-allemand.

D’emblée, le général Weygand demande l’intervention massive de la RAF, seule susceptible de changer le cours de la bataille. Devant le refus de Churchill qui a un besoin absolu de ces 25 escadrilles de chasse pour la défense du Royaume-Uni, l’alliance franco-anglaise se brise. En effet, au nom de la parole donnée, Churchill exigeait de Paul Reynaud le maintien de la France dans la guerre, mais au nom de l’intérêt suprême du Royaume-Uni, refusait de mettre tous ses moyens militaires dans cette bataille.

Paul Reynaud tente alors de persuader Weygand de faire capituler ce qui reste de l'armée en métropole et de transférer la Flotte et l'Aviation en Afrique du Nord pour continuer la guerre. Weygand s'y oppose absolument au nom de « l'honneur de l'armée » et avance un argument militaire, il n'existe aucune installation industrielle quelconque en Afrique du Nord pour continuer la guerre et un argument politique, c'est le Gouvernement qui a pris la décision de la guerre, c'est lui qui doit prendre la décision de l'arrêter ; comme argument supplémentaire, Weygand ajoute que tout le monde aura oublié Paul Reynaud dans les six mois à venir s'il quitte la France, à cause de l'instabilité ministérielle qui caractérise le régime. Paul Reynaud n'est pas soutenu par le Conseil des ministres et n'a pas voulu trancher dans le vif ce débat en révoquant Weygand.

La démission de Paul Reynaud et son remplacement par le maréchal Pétain, pour demander un armistice au Reich devint donc inévitable (16 – 17 juin). Jean Monnet, depuis Londres où le général de Gaulle est en mission, imagine et propose à Reynaud le projet d'Union franco-britannique, qui fusionnerait les nations et institutions françaises et britanniques pour continuer la guerre. Après l'échec le 16  juin 1940 de ce projet défendu par Winston Churchill et Charles de Gaulle, et face au ralliement progressif des membres de son gouvernement au souhait du maréchal Pétain de demander les conditions d'armistice, Paul Reynaud présente sa démission au président Lebrun qui l'accepte. Le maréchal Pétain, nommé chef du gouvernement, propose à Reynaud le poste d'ambassadeur auprès des États-Unis que celui-ci refuse.

Finalement, le 5 septembre 1940, il est interné sur ordre de Pétain au château de Chazeron (Puy-de-Dôme), puis au fort du Portalet (Basses-Pyrénées), comme étant l'un des responsables de la défaite. Après l'occupation de la zone libre en novembre 1942, il est pris par les Allemands et emprisonné au camp de Sachsenhausen. Le 11 mai 1943 il est transféré au château d'Itter dans le Tyrol où il retrouve Daladier, Gamelin et Jouhaux. En juillet, Christiane Mabire, collaboratrice et future femme de Reynaud, le rejoint à Itter. Les conditions de détention sont totalement différentes ; journaux et radio sont à disposition. Selon Reynaud « les maîtres se conduisent tout de même mieux que leurs valets de Vichy ». Il est libéré le 7 mai 1945 par les troupes alliées. De 1946 à 1958, Paul Reynaud siège à l'Assemblée nationale en tant que député du Nord. Il devient ministre de l'Économie nationale et des Finances en 1948.

Rallié aux conceptions institutionnelles de Charles de Gaulle en 1958, il préside le Comité consultatif constitutionnel. Il rompt avec le Général en 1962, et est battu par Jules Houcke (UNR) en novembre 1962, après s'être opposé à l'élection du président de la République au suffrage universel direct en étant le premier signataire de la motion de censure du 4 Octobre 1962 (référendum du 28  octobre 1962). Il soutient ensuite Jean Lecanuet puis François Mitterrand lors de l'élection présidentielle de 1965. Il meurt le 21 septembre 1966 à Neuilly-sur-Seine. Des obsèques nationales ne lui sont pas accordées.

Père de plusieurs enfants, resté veuf au cours de la Guerre, il s'était remarié à 71 ans en 1949 et avait eu trois autres enfants. Paul Reynaud est l'auteur de différents essais, dont : Courage de la France (1939), Le problème militaire français (1945), la France a sauvé l'Europe (1947) ou encore Au cœur de la mêlée, La politique étrangère du gaullisme (1964) ainsi que de Mémoires (1960 - 1963). Selon Raymond Aron, Paul Reynaud fut « le plus intelligent de nos hommes politiques de l'entre-deux-guerres » : en effet, il fut très clairvoyant sur la crise des années 1930 en France et les conceptions novatrices du général de Gaulle dans le domaine de la stratégie. Il n'hésita jamais à se marginaliser, voire à mettre sa carrière en péril, quand il était sûr de son choix. Ainsi, en octobre 1962, il joua un rôle essentiel dans la motion de censure qui renversa le gouvernement Pompidou, puis présida le « Cartel des non » lors du référendum sur l'élection au suffrage universel du président de la République, ce qui lui valut sa défaite électorale.

Gaulle Charles de

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Charles de Gaulle

Charles de Gaulle

Charles de Gaulle son rôle dans le destin du pays à partir de 1940 fait certainement de Charles de Gaulle l'homme politique français le plus important du XXe siècle. C'est d'abord dans l'adversité que s'est forgée sa figure : chef de la France libre, il l'a menée à la victoire en 1945. Revenu au pouvoir en 1958 et fondateur de la Ve République, il a mis fin à la guerre d'Algérie et accompli la décolonisation de l'ancien empire; président de la République jusqu'au 28 avril 1969, il dénoue, au moins sur le plan politique, la crise de Mai 68.

Charles de Gaulle grandit à Paris, où son père, Henri, enseigne l'histoire et les mathématiques dans un collège catholique. À quinze ans, il hésite entre la littérature et l'armée. La crise d'Agadir avec l'Allemagne, en 1911, et la «montée des périls» l'orientent vers l'école militaire de Saint‑Cyr. Il appartient, avec ses trois frères, à la «génération de la revanche», qui veut effacer la défaite de 1870. Engagé dès août 1914, il est blessé deux fois, avant d'être laissé pour mort en mars 1916 sur le champ de bataille de Verdun. Pris par les Allemands, il est soigné et envoyé dans un camp de prisonniers. Sa détention, marquée par trois tentatives d'évasion, ne prend fin qu'avec l'armistice de novembre 1918.

Cette captivité est cependant féconde. Tout en suivant les opérations de guerre – sur lesquelles il fait des conférences –, il essaie, par un vaste programme de lectures, de percer le «mystère» de la France: cinq fois envahie depuis la Révolution, elle n'a pas trouvé les institutions capables de concilier démocratie et stabilité. Mais il laissera dans l'ombre sa réflexion politique pour n'écrire que sur la guerre: la Discorde chez l'ennemi (1924). En 1920, il accompagne le général Weygand auprès des Polonais en guerre contre les bolcheviques. À son retour en France en 1921, il épouse Yvonne Vendroux, qui lui donnera trois enfants: Philippe, Élisabeth et Anne – cette dernière, handicapée, mourra à dix‑neuf ans. Deux années au Liban (1929-1930) achèvent sa formation géopolitique: il y découvre l'Islam résistant à l'Occident et s'interroge sur l'avenir des empires coloniaux.

Ses qualités d'analyste le font remarquer. D'abord par le maréchal Pétain, alors vice‑président du Conseil supérieur de la guerre, qui le prend en 1925 dans son cabinet. De Gaulle multiplie alors les articles sur la situation militaire et politique. Ces réflexions donneront naissance au Fil de l'épée (1932), portrait du chef de guerre, et Vers l'armée de métier (1934), esquisse d'une armée de professionnels conçue pour le mouvement et axée sur les blindés, puis à la France et son armée (1938). C'est ensuite Paul Reynaud, plusieurs fois ministre dans les années 1930 avant de devenir président du Conseil en mars 1940, et partisan de la fermeté face à l'Allemagne nazie, qui le fait entrer dans le cercle de ses collaborateurs. De Gaulle rédige ses déclarations ministérielles; en mai, il est nommé général de brigade à titre temporaire, et, le 5 juin 1940, sous‑secrétaire d'État à la Guerre, dans un gouvernement qui ne durera que onze jours.

Pour Charles de Gaulle, la guerre a commencé en 1938 avec Munich et l'abandon de la Tchécoslovaquie. Il pense qu'elle sera mondiale, que l'URSS – malgré le pacte germano‑soviétique d'août 1939 – et les États‑Unis interviendront, que la défaite de l'Allemagne nazie ne pourra être que l'œuvre d'une alliance des nations. Cette vision stratégique explique sa lucidité pendant la «drôle de guerre» (septembre 1939 ‑ mai 1940), quand les Français se croient à l'abri, et son refus presque solitaire de l'armistice de juin 1940, dont le défaitisme lui paraît «abominable». La guerre éclair de mai‑juin 1940 jette les Français sur les routes de l'exode. À la tête de ses chars, de Gaulle exécute à Montcornet l'une des rares actions brillantes au milieu du désastre. C'est alors que Paul Reynaud l'appelle au ministère et lui demande d'aller à Londres, où il discute avec Winston Churchill d'un pacte d'union franco‑britannique. Rentré en France – à Bordeaux, où le ministère s'est réfugié –, il assiste à la démission de Reynaud puis à l'arrivée de Pétain, qui s'informe auprès des Allemands des conditions d'un armistice. De Gaulle décide alors de retourner à Londres.

Reconnu «chef des Français libres» par Churchill dès le 28 juin, de Gaulle entame un dur combat pour faire valoir la légitimité de son action. En France, l'Assemblée nationale, réunie à Vichy le 10 juillet 1940, donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain; en Grande‑Bretagne même, beaucoup de soldats français réfugiés après Dunkerque, choqués par la destruction de la flotte française basée à Mers el‑Kébir (Algérie, 3 juillet 1940), préfèrent retraverser la Manche. En outre, la majeure partie de l'empire colonial proclame sa fidélité à Vichy.

Cependant, Félix Eboué, gouverneur du Tchad, se rallie dès juillet 1940. Le capitaine Leclerc réussit, à la fin août, à rattacher l'Afrique‑Équatoriale à la France libre. De Gaulle le rejoint au Cameroun et, malgré un échec devant Dakar fin septembre – il a été reçu à coups de canon – lance le 27 octobre 1940, à Brazzaville (République du Congo), son premier manifeste politique. Il y dénonce le régime "inconstitutionnel" du maréchal et proclame sa volonté de "rendre compte de ses actes devant les représentants du peuple français dès qu'il lui sera possible d'en désigner librement"; il crée le Conseil de défense de l'Empire, reconnu par la Grande‑Bretagne le 24 décembre. Il s'oriente désormais vers le combat diplomatique, pour que la France libre soit reconnue par les Alliés comme la "seule" France.

Le ralliement du Moyen‑Orient au printemps 1941 se réalise dans des conditions dramatiques. Restés fidèles à Pétain, les soldats français résistent aux Britanniques et aux Français libres. La victoire remportée, Churchill tergiverse, ne voulant pas accepter que la France libre devienne la puissance mandataire en Syrie. Une grave crise de confiance éclate entre le Premier ministre britannique et le général de Gaulle.

L'invasion de l'URSS par l'armée allemande en mai 1941, puis l'attaque japonaise contre Pearl Harbor en décembre étendent la guerre au monde entier. De Gaulle, pour qui "la présence soviétique dans le camp des Alliés offre, vis‑à‑vis des Anglo‑Saxons, un élément d'équilibre", envoie l'escadrille de chasse Normandie combattre auprès des Russes. Les Américains et les Britanniques songent cependant à ouvrir un second front par un débarquement. L'Afrique du Nord française est choisie, et la date – le 8 novembre 1942 – arrêtée, sans que le chef de la France combattante en soit prévenu. Bien plus, le président Roosevelt choisit de remettre le gouvernement civil et militaire de l'Afrique du Nord libérée entre les mains d'un homme de Vichy, l'amiral Darlan; puis, Darlan ayant été assassiné en décembre 1942, les Américains favorisent l'arrivée au pouvoir du général Giraud, évadé d'Allemagne et amené à Alger par les Britanniques.

C'est le soutien de la Résistance intérieure unie – dans une France entièrement occupée par les Allemands depuis le débarquement à Alger (Algérie) – et le succès de la troupe de Leclerc en Libye et en Tunisie qui permettent à de Gaulle de prendre pied en Afrique du Nord, le 30 mai 1943. La veille, Jean Moulin, initiateur du Conseil national de la Résistance – qui réunit partis traditionnels et mouvements de la Résistance – lui a envoyé un télégramme de fidélité. Face à Giraud, qui n'a pas su rompre avec la législation de Vichy, de Gaulle incarne le retour à la légalité républicaine. D'abord coprésident, puis, à partir du 3 octobre 1943, président du Comité français de libération nationale (CFLN), il gouverne l'Empire français revenu dans la guerre.

Une Assemblée consultative siège à Alger (Algérie); composée de parlementaires ralliés et de représentants des mouvements de la Résistance, elle est chargée de préparer l'avenir. Ainsi entouré, le CFLN se transforme, le 3 juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française, selon le vœu unanime de l'Assemblée, et est reconnu officiellement par les Alliés. Tous les partis y siègent, même le parti communiste, avec lequel le colonel Rémy, agent secret de la France libre, a pris contact dès 1942. Le débarquement allié en Normandie a lieu le 6 juin 1944. Dès le 14, le général de Gaulle est à Courseulles‑sur‑Mer, où la population l'applaudit. Il obtient d'Eisenhower que la division Leclerc libère Paris, et gagne lui-même la capitale le 25 août. Le lendemain, il descend triomphalement les Champs‑Élysées. Libérée, la France de 1944 n'est pas encore victorieuse. Il lui faut participer à la guerre et aller jusqu'à Berlin, où le général de Lattre réussit à imposer la signature de la France aux accords d'armistice, le 8 mai 1945. Le combat engagé si difficilement en 1940 est gagné. Reste à reconstruire le pays.

À la tête du Gouvernement provisoire, le général de Gaulle poursuit sa politique d'union nationale et cherche la «pacification des esprits» – il obtient notamment la dissolution des milices patriotiques formées à la Libération par le PCF. En outre, il veut «rendre la parole au peuple» par voie de référendum: les partis traditionnels, qui voient dans cette pratique un retour aux plébiscites du Second Empire, l'accusent dès lors d'ambitions personnelles, de "bonapartisme". Prisonniers et déportés étant revenus, les élections législatives peuvent avoir lieu; elles sont encadrées par deux référendums: l'un pour savoir s'il faut une nouvelle Constitution (95 % de "oui"), l'autre pour décider de soumettre ou non à référendum le texte élaboré par l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, où dominent les communistes, les démocrates‑chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) et les socialistes (66 % de "oui").

Élu chef de gouvernement à l'unanimité, le 13 novembre 1945, de Gaulle se trouve pourtant rapidement en désaccord avec la majorité de l'Assemblée sur le projet de Constitution: opposé à un système de souveraineté parlementaire, dans lequel il voit la raison de la faiblesse et des errements de la IIIe République, il veut un exécutif plus fort. Le 20 janvier 1946, il démissionne. Était-il convaincu qu'on le rappellerait bien vite? Toujours est-il que, avec la ratification de la nouvelle Constitution, en octobre 1946, la IVe République s'installe sans lui, et sans doute contre lui. En avril 1947, de Gaulle lance alors le Rassemblement du peuple français (RPF) pour obtenir la réforme du régime. Malgré un succès immédiat aux élections municipales, il échoue aux élections législatives de 1951. En 1953, il rend leur liberté à ses élus et se retire à Colombey‑les‑Deux‑Églises, où il entreprend la rédaction de ses Mémoires de guerre (1954-1959). Il ne sort guère de son silence que pour s'opposer, en 1954, au projet d'armée européenne.

La guerre d'Indochine se termine en 1954 après la défaite de Diên Biên Phu. La même année commence en Algérie une guerre où le contingent sera bientôt envoyé en renfort de l'armée de métier. Pour prix de cet effort, l'armée exige les pleins pouvoirs afin de faire aboutir sa politique d'"intégration" des musulmans dans l'"Algérie française". Le 13 mai 1958, après une émeute à Alger, le général Massu lance un appel à de Gaulle. Le 15 mai, le général se déclare prêt à former le gouvernement. Le président Coty fait appel à lui le 29 mai, et le Parlement l'investit le 1er juin. Comme en 1946, il pose comme préalable la rédaction d'une Constitution instituant un exécutif fort et soumise à la ratification populaire. Cette condition est acquise en septembre, avec l'aide de Michel Debré, garde des Sceaux: le projet constitutionnel obtient 80 % de "oui", en France et dans l'ensemble du vieil Empire d'outre‑mer, transformé en "Communauté" (seule la Guinée a voté " non "). En décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la Ve République par un collège de notables.

Pendant les dix années où il restera à la tête de l'État, le général de Gaulle va demander au suffrage universel, dans le calme ou la tempête, d'être à la fois la «source» de son action et son "recours". L'œuvre la plus urgente est le règlement de la question algérienne. Paisible en Afrique noire, la marche vers l'autodétermination puis vers l'indépendance est dramatique en Algérie : le chef de l'État doit surmonter la révolte des Européens "pieds‑noirs" en janvier 1960 ("journées des barricades" à Ager, 24 janvier); le putsch des généraux en avril 1961; les vagues d'attentats de l'OAS (dont lui-même manque d'être victime, le 8 septembre à Pont‑sur‑Seine), et, une fois l'indépendance ratifiée (accord d'Évian, 18 mars 1962), il échappe à un nouvel attentat de l'OAS, sur la route du Petit‑Clamart (22 août). Le 28 octobre 1962, il demande aux Français d'approuver pour l'avenir l'élection du président de la République au suffrage universel. Adoptée par 6225 % des voix contre l'ensemble des partis, sauf l'Union pour la nouvelle République (UNR) créée pour le soutenir, cette réforme assure la seconde fondation de la Ve République.

À l'extérieur, de Gaulle conduit avec ténacité une politique d'indépendance nationale. En 1963, il signe avec le chancelier allemand Adenauer un traité (le traité de l'Élysée) qu'il souhaite de réconciliation pour le passé et, pour l'avenir, de construction d'une Europe redevenue maîtresse de son destin. Il le dit à Moscou, où il se rend en 1966; il le dit en Pologne et en Roumanie. Le Cambodge et le Québec entendent ses appels à la liberté des peuples. Il s'attire ainsi l'hostilité des États‑Unis et même celle d'Israël, qu'il prévient contre les méfaits à venir – le terrorisme – de sa guerre de 1967. À l'intérieur, avec la prospérité économique, les progrès de la recherche civile et militaire (avion Caravelle; mise au point de la bombe atomique) sont les instruments de sa politique d'indépendance qui lui permettent de sortir la France de l'OTAN, en 1966.

Réélu en 1965, de Gaulle doit affronter l'opposition des partis de gauche réunis autour de François Mitterrand. Mais c'est à l'université que la crise éclate en mai 1968. Devant l'émeute qui enflamme Paris et les grèves qui paralysent le pays, de Gaulle, dont les premières actions pour rétablir l'ordre puis la proposition d'un référendum sur la participation ont échoué, quitte l'Élysée pour rejoindre le général Massu à Baden‑Baden, le 29 mai. Va-t-il se retirer ? Il revient le lendemain, pour dénoncer à la radio, comme il l'a fait dans les heures graves, la "menace totalitaire" et dissoudre l'Assemblée. Le parti gaulliste, l'Union pour la défense de la République (UDR), remporte triomphalement les élections de juin 1968. Mais, dès avril 1969, le Général entreprend de tester la confiance des Français en organisant un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le "non" l'emporte: il démissionne aussitôt, et assiste silencieux à l'élection de son successeur, Georges Pompidou, qui assure la pérennité du régime. Retiré à Colombey, il rédige le premier tome de ses Mémoires d'espoir (1970) et meurt brusquement, le 9 novembre 1970, dix‑huit mois après avoir quitté le pouvoir.

Heydrich Reinhard

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Le Général Karl Oberg, Heydrich et Helmut Knochen

Le Général Karl Oberg, Heydrich et Helmut Knochen

Reinhard Tristan Eugen Heydrich (7 mars 1904, Halle, Saxe - 4 juin 1942, Prague. Il fut l'adjoint direct de Heinrich Himmler et joua un rôle important dans l'organisation de l'appareil répressif nazi et lors de l'élimination de la Sturmabteilung (SA) en tant que force politique.  Il eut également un rôle majeur dans l'organisation de la Shoah par la planification et le contrôle de l'activité des Einsatzgruppen, et lors de la conférence de Wannsee, qu'il présida. Il mourut, le 4 juin 1942, des suites d'un attentat perpétré par la résistance tchèque, le 27 mai 1942. Son décès ota au régime nazi un dirigeant efficace et déterminé. De la Nuit des Longs Couteaux à l’organisation de la Shoah, il fut l’un des maillons de la terreur nazie à laquelle il a collaboré de manière déterminée et déterminante de 1931 à sa mort.
 

Son père, Bruno Heydrich, est un excellent musicien, sorti du Conservatoire royal de Dresde en 1882 avec la plus haute distinction. Il est ensuite un chanteur d'opéra relativement connu, notamment à l'opéra de Weimar, puis à ceux de Cologne et de Brunswick. Compositeur d'une certaine notoriété, il devient enfin le directeur du conservatoire de musique de Halle, où la mère d'Heydrich, Elizabeth Kranz, enseigne le piano et était inspectrice de l'école d'institutrices. Ses parents lui donnent les prénoms de Reinhard Tristan Eugen en référence, pour le prénom de Reinhard au nom du héros de l'opéra composé par son père, Amen, pour Tristan à l'opéra de Richard Wagner, et pour Eugen en hommage au père d'Elizabeth, Georg Eugen Krantz, professeur de musique et conseiller aulique de Dresde.

Dans son curriculum vitæ rédigé en 1903, Bruno Heydrich fait preuve d'une recherche des honneurs et de la reconnaissance que l'on retrouve chez son fils. En effet, outre sa volonté d'être reconnu en tant que pilote de chasse, Reinhard Heydrich collectionne des titres fort éloignés de ses fonctions en tant que chef du RSHA, comme celui de directeur de l'Office de l'Escrime et d'inspecteur d'Himmler pour la gymnastique ; en 1940, il tente, sans succès, de prendre la présidence de l'Union internationale d'escrime. Ce milieu familial baigné par la musique explique la passion d'Heydrich pour le violon, qu'il pratique toute sa vie durant et qui constitue souvent son seul refuge, son seul véritable moyen de détente. Il explique aussi le choix de deux de ses prénoms, Reinhard, nom du héros de l'opéra de Bruno Heydrich, Amen, et Tristan tiré de l'œuvre de Wagner, son troisième prénom, Eugen étant l'un de ceux de son grand-père maternel. Reinhard Heydrich naît le 7 mars 1904 ; sa naissance suit celle de sa sœur, Maria, et précède celle d'un frère Heinz.

Conformément aux souhaits de sa mère, Reinhard est baptisé selon le rite catholique, alors que son père est un protestant non pratiquant. À l'instar de la majorité des personnes de sa génération issues de la moyenne bourgeoisie, il est éduqué dans un climat strict et rigoriste, dans une ambiance nationaliste où la fidélité absolue au Kaiser est la règle. Il devient en grandissant un adversaire résolu de l'Église catholique, sans pour autant adhérer au néo-paganisme cher à Himmler. La fin de la Première Guerre mondiale par la capitulation de l'Allemagne le 11 novembre 1918, outre le fait qu'elle appauvrit les Heydrich comme des millions d'autres Allemands, donne naissance à la légende du « coup de poignard dans le dos », selon laquelle communistes et Juifs auraient trahi une armée invaincue. La famille Heydrich est convaincue de la véracité de cette théorie, matrice de l'engagement des futurs nazis et d'une myriade de groupes ou groupuscules ultranationalistes. Avec l'effondrement de l'Empire allemand, l'Allemagne est secouée par de nombreuses insurrections de gauche comme celles menées par les Spartakistes férocement réprimées, souvent à la demande du ministre de la Reichswehr social-démocrate Gustav Noske, par les Corps francs. Halle est également frappée de ces soubresauts.

Au début de l'année 1919, un conseil d'ouvriers et de soldats, s'inspirant du modèle des Soviets, prend le pouvoir à Halle. Il est combattu et défait par le Freikorps Maercker. Après la fin des combats, dont une partie s'était déroulée à proximité du conservatoire, Heydrich s'enrôle comme estafette au sein du Freikorps Halle. Cet engagement précoce se confirme en 1920.  Le Putsch de Kapp, tentative réactionnaire de rétablir la monarchie, est mis en échec suite à une grève générale organisée par les forces de gauche. L'état d'urgence proclamé à Halle par les opposants à Kapp est réprimé dans le sang au prix de plusieurs centaines de victimes, par les troupes gouvernementales plutôt proches du putschiste. Durant cet épisode, Reinhard Heydrich s'engage à nouveau, cette fois comme membre du service technique de secours. Son engagement aux côtés des forces ultranationalistes « völkisch » a parfois été minimisé par sa famille, mais il ne fait aucun doute. Il a été glorifié par d'autres alors que Heydrich n'a occupé que des fonctions tout à fait insignifiantes, en 1919 après la fin des combats, et en 1920 sans y participer. Cet engagement est à la fois précoce et constant : en 1918, Heydrich adhère à une association de jeunesse nationaliste, le Deutsch-Nationaler Jugendbund ; il la quitte puis s'affilie en 1920 au Deutscher Völkischer Schutz und Trutzbund.

Cette organisation dont le slogan est Wir sind die Herren der Welt! (« Nous sommes les maîtres du monde ! »), a pour but d'alerter le peuple allemand sur l'importance et l'étendue de la menace que représente « l'influence des Juifs et des sentiments et pensées d'origine étrangère ». En 1921, il fonde avec un ami le Deutschvölkische Jugenschar, organisation avec laquelle il reste en contact lorsqu'il rejoint la Reichsmarine. Avec de bonnes notes, Heydrich termine ses études en 1922. Durant cette période, il devient un sportif accompli et pratique la natation, la course, la voile et l'escrime – comme pour le violon, sa passion pour le sport se poursuit tout au long de sa vie. Il devient d'ailleurs un escrimeur de niveau international et continue à participer à des compétitions d'escrime une fois devenu le responsable de l'appareil répressif du Reich. En 1941, il est classé cinquième aux championnats d'escrime d'Allemagne. En décembre de la même année, il remporte ses trois engagements contre les escrimeurs hongrois, alors que l'équipe allemande est battue par la Hongrie sur le score de cinq victoires contre onze, mais ces victoires peuvent s'expliquer par sa position de puissant chef du régime répressif nazi (les 3 escrimeurs hongrois l'auraient laissé gagner). Le 30 mars 1922, il rejoint la Reichsmarine, sans doute sous l'influence des « exploits » du Comte Félix Von Luckner, « corsaire » de la Première Guerre mondiale et ami de ses parents. Au cours de sa carrière militaire, Heydrich se fait surtout remarquer par ses talents sportifs et musicaux et par ses liaisons féminines.

En 1930, il n'est d'ailleurs classé que vingt-troisième lors de sa promotion comme enseigne de vaisseau. Après cette promotion, il demande et obtient son affectation à la section politique des services de renseignements de la marine à Kiel. Peu de faits marquants lors de ces années, si ce n'est la relation établie avec Wilhelm Canaris, futur amiral et futur chef de l'Abwehr, le service de contre-espionnage militaire.  Les bonnes relations nouées entre les deux hommes n'empêcheront pas le SD et l'Abwehr, et leurs chefs respectifs, de mener une guerre féroce pour le contrôle des services d'espionnage. Ce conflit se terminera à l'avantage de la SS et du SD après la disgrâce et la démission de Canaris en février 1944. La carrière d'Heydrich dans la marine est brutalement interrompue en 1931. Après l'annonce de ses fiançailles avec Lina von Osten, qu'il épouse quelque temps après, il est traîné devant un tribunal d'honneur présidé par le futur amiral Erich Raeder, suite à la plainte d'une jeune fille qui s'estime déjà fiancée avec Heydrich. L'identité de celle-ci et la nature exacte de sa relation avec Heydrich restent à ce jour inconnues. En eux-mêmes, les faits sont relativement mineurs et ils ne devaient pas avoir de conséquences majeures.

Mais, lors du procès, Heydrich se montre suffisant et méprisant, fait preuve de mauvaise foi et d'arrogance : le verdict débouche sur un renvoi pour indignité, rendu public le 1er mai 1931. Cette hypothèse est mise en doute par Peter Padfield, qui ne cautionne cependant pas la justification tardive avancée par Heydrich, selon laquelle il aurait été exclu de la Marine en raison de ses sympathies nazies. Pour Padfield, il s'agirait d'une mise en scène de Canaris destinée à faciliter l'entrée dans les services de renseignements du parti nazi. En juin 1931, Heydrich se retrouve donc sans emploi et sans perspective de carrière. Avant d'aborder la carrière de Heydrich à la SS et au RSHA, il faut dissiper la rumeur de ses origines juives, invoquée à plusieurs reprises par ses rivaux au sein du régime nazi. Elle provient du fait que la grand-mère paternelle de Heydrich, Ernestine Heydrich, née Lindner, avait épousé en secondes noces, soit après le décès de son premier mari, Reinhold Heydrich, un serrurier, Gustav Süss, dont le patronyme pourrait être d'origine juive.

Le 22 juin 1932, une commission d'évaluation de l'origine raciale, dont les recherches sont effectuées à la demande d'Heydrich, affirme qu'« au vu de la liste généalogique ci-jointe, il apparaît que Reinhard Heydrich, enseigne de vaisseau de 1e classe relevé de ses fonctions, est d'origine allemande et ne présente pas de sang de couleur ni de sang juif ». Malgré ses bases particulièrement fragiles, cette rumeur constituait certainement une source d'inquiétude pour Heydrich et peut-être un moyen de pression qu'Himmler pouvait employer contre lui. Le 1er mai 1931, soit le jour même où son renvoi de la Reichsmarine est rendu public, Heydrich s'affilie au parti nazi et moins de quinze jours plus tard, sur la recommandation de Karl von Eberstein, il se présente au domicile de Heinrich Himmler, alors que celui-ci soigne une grippe. Cette maladie n'est peut-être qu'un prétexte pour organiser une rencontre discrète, à l'abri des regards de la SA. Non seulement celui-ci l'accepte dans la SS, aux critères de sélection nettement plus sévères et à la discipline plus stricte que ceux de la SA, mais il lui confie immédiatement la création du service de renseignements du parti nazi, le futur Sicherheitsdienst (SD), compte tenu de son expérience au sein des services de renseignements de la Marine à Kiel.

Sous l'appellation « service Ic », ses activités débutent à Munich le 10 août 1931, avec des moyens inexistants et dans l'amateurisme le plus total. Ce nouveau service monte rapidement en puissance et collecte des renseignements tout d'abord sur les policiers infiltrés dans le parti nazi, sur les ennemis de celui-ci mais aussi et surtout sur les membres du parti nazi et de la SA. Il sert aussi d'instrument d'extorsion de fonds pour financer l'expansion de la SS. Il entre au parti nazi le 1er juin 1931, sous le numéro 544 916 puis dans la SS le 14 juillet 1931, avec le matricule 10120. Travailleur, bon organisateur, nazi convaincu, adjoint direct d'Himmler, Heydrich est promu Hauptsturmführer le 1er décembre 1931. Le 26 décembre 1931, Reinhard Heydrich épouse Lina von Osten lors d'un mariage où abondent les symboles nazis : en entrant, les futurs mariés défilent entre deux rangées de notables nazis locaux faisant le salut hitlérien, le mur de l'autel est décoré d'une croix gammée et, à la fin de la messe, l'orgue joue le Horst Wessel Lied. Ce décorum ne peut que plaire à la promise, dont toute la famille est nazie, un de ses cousins étant l'auteur du proverbe « Sur Fehmarn [l'île du Holstein où est née Lina] il n'y a ni serpents, ni taupes, ni Juifs ». Quatre enfants naîtront de ce mariage :

 

  • Klaus (17 juin 1933 - 24 octobre 1943),
  • Heider (28 décembre 1934 -),
  • Silke (9 avril 1939 -).
  • Marte (23 juillet 1942 -).

 

En guise de cadeau de mariage, Himmler nomme Heydrich Sturmbannführer. En juillet 1932, il est officiellement nommé à la tête du Sicherheitsdienst (SD), nouvelle appellation du service Ic et à nouveau promu, cette fois au grade de Standartenführer. Le 30 janvier 1933, les nazis arrivent au pouvoir. Heydrich favorise la nomination de Hitler comme chancelier par le président de la République, le Maréchal Hindenburg, en mettant en cause son fils Oskar, dans le détournement des subsides de l'Osthilfe, destinés à soutenir l'agriculture dans l'Est de la Prusse, et en inventant de toutes pièces la menace d'une tentative de coup d'État des communistes. Heinrich Himmler prend les rênes de la police de Munich et Heydrich devient son adjoint pour la section politique, tout en demeurant le chef du SD. Il participe aux premières répressions menées par le régime nazi dès le mois de février et contribue à remplir le camp de Dachau ouvert en mars 1933 et dont la garde est confiée à la SS en avril. Pour ce faire, il s'appuie notamment sur le Reichstagsbrandverordnung, l'ordonnance d'urgence pour la protection du peuple et de l'État, votée le lendemain de l'incendie du Reichstag (à la préparation et à l'exécution duquel il aurait lui-même participé avec l'aide de son frère Heinz, journaliste bien informé), qui permet de suspendre les libertés fondamentales et l'habeas corpus. Heydrich bloque toutes les tentatives de contrôle juridique sur ce qui se passe à l'intérieur du camp. Il essaie même d'y faire interner le prix Nobel de littérature, Thomas Mann, parce qu'il a, selon Heydrich, « une position non allemande, ennemie du mouvement national, marxiste et judéophile ». On passe de la terreur de rue des SA à la terreur d'État de la SS, même si celle-ci est toujours officiellement subordonnée à la SA. En 1934, Heydrich est avec Heinrich Himmler l'un des artisans de la « Nuit des Longs Couteaux » qui débouche sur l'élimination de la SA en tant que force politique et qui permet à la SS de dépendre directement du Führer.

Avec plus de quatre millions de membres, totalement dévouée à son chef, Ernst Röhm, la SA exige des réformes sociales et économiques ; sa volonté de prendre le contrôle de l'armée suscite l'opposition des dirigeants militaires dont Hitler a un pressant besoin. Afin de prévenir un complot de Röhm, inventé de toutes pièces par Heydrich, Himmler et Hermann Goering, Heydrich lui-même convainc Hitler de sa réalité. Après avoir reçu l'approbation de Hitler, toutefois réticent pour l'assassinat de Röhm, les 30 juin et 1er juillet 1934, la SA est décapitée par les troupes de Himmler et Heydrich. Les fichiers détaillés patiemment constitués depuis 1931 par Heydrich et le SD sont particulièrement utiles pour désigner les victimes. L'épuration fait une centaine de victimes dont Röhm lui-même (assassiné par Theodor Eicke, futur inspecteur des camps de concentration puis commandant de la 3e Panzerdivision SS Totenkopf), de nombreux responsables de la SA mais aussi des opposants à Hitler, opposants internes comme Gregor Strasser, pendant l'agonie duquel Heydrich hurle « qu'on laisse ce porc se vider de son sang », ou externes comme l'ancien chancelier von Schleicher. La liste des exécutions aurait été signée par Heydrich lui-même, qui reçoit les 18 tueurs envoyés par Dietrich et leur désigne leurs cibles, avant le début des meurtres . Une partie de celles-ci a lieu dans la cour de la prison de Stadelheim, à Munich, le peloton d'exécution étant commandé par Sepp Dietrich, futur commandant de la 1ère division SS Leibstandarte Adolf Hitler.

C'est sur son insistance qu'est assassiné Erich Klausener, directeur de l'Action catholique et fonctionnaire au ministère des Transports, qui s'était opposé aux nazis lorsqu'il était directeur de la police au ministère de l'Intérieur prussien. Pour l'adversaire de l'église catholique qu'est Heydrich, la déclaration de Klausener selon laquelle la messe est « une reconnaissance toute particulière de l'action sociale de l'Église » et ses prêches publics contre les nazis lors de la journée d'action catholique à Hoppergarten sont intolérables.  Heydrich remet personnellement un pistolet au Hauptsturmführer Kurt Gildish, en lui donnant l'ordre formel d'abattre Klausener de sa propre main. Cette fois, Heydrich a choisi une victime à titre personnel, en dehors du cadre de l'épuration de la SA et du Parti. Pour Hermann Goering, le meurtre de Klausener « fut une action vraiment sauvage de Heydrich ». Même Wilhelm Frick, nazi convaincu, ministre de l'Intérieur, qui sera condamné à mort et pendu lors du procès de Nuremberg est choqué par la cruauté de Heydrich.

En mai 1935, il déclare qu'« il est possible que par la suite je sois forcé de laisser entrer au ministère Himmler, mais en aucun cas l'assassin Heydrich ne sera admis ». La SS élimine ainsi une organisation rivale dont elle dépend encore formellement. En remerciement de ses services, Heydrich est à nouveau promu, cette fois au grade de Gruppenführer. Lorsqu'en 1936, après de nombreuses luttes d'influence, notamment avec Hermann Goering, Heinrich Himmler devient Chef der Deutschen Polizei (chef de toutes les polices allemandes), Heydrich est son bras droit.  A la tête du Reichssicherheitshauptamt ou RSHA, Heydrich dirige le Sicherheitsdienst, organisme du parti qui comporte notamment les deux cellules opérationnelles du SD (SD-Inland et SD-Ausland) mais aussi la Sicherheitspolizei (Sipo), organisme d'État qui regroupe la Gestapo et la Kriminalpolizei. Les responsables de ces quatre départements, Müller, personnellement choisi par Heydrich, Ohlendorf, Schellenberg et Nebe, sont présents tout au long de la répression nazie.

Ces quatre adjoints d'Heydrich, aux profils variés, seront fort efficaces. Müller, âgé de 36 ans en 1936, et, Nebe, 42 ans, sont tous deux des policiers de métier qui ont commencé leur carrière au début des années 1920. Müller sert fidèlement la République de Weimar pour laquelle il a pourchassé indifféremment nazis et communistes ; il ne s'inscrit d'ailleurs au NSDAP que le 31 mai 1939. Par contre, Nebe est militant du parti depuis 1931. Si Müller est un bourreau, Nebe semble avoir agi de manière correcte à la tête de la Kripo. Ohlendorf, 29 ans, et Schellenberg, 26 ans, ont des profils plus intellectuels. Ohlendorf est diplômé en droit et en économie des universités de Leipzig et Göttingen, Schellenberg a étudié la médecine puis le droit à l'université de Bonn. Seules la date et, sans doute, la profondeur de leur engagement politique les séparent : Ohlendorf est membre du NSDAP depuis 1925 et de la SS depuis 1926 ; Schellenberg ne s'inscrit au parti qu'en 1933, peu avant son recrutement comme juriste au Sicherheitsdienst. La Gestapo, police politique, se charge de traquer, d'interner ou d'éliminer les opposants alors que la Kripo a un rôle de police criminelle traditionnelle. Le SD-Inland a notamment pour tâche d'établir des rapports sur l'intégration de la conception du monde nationale-socialiste, la Weltanschauung dans la sphère individuelle, de déterminer si elle suscite de l'opposition, et dans ce cas, d'identifier les opposants. Le SD-Ausland, en dehors de ses missions d'espionnage classiques, dresse des listes de personnalités à éliminer, notamment en Autriche, et élabore des « solutions aux problèmes tchèque et russe ».

La seule force de police qui échappe à l'autorité de Heydrich et dépend directement de Himmler en tant que Chef der Deutschen Polizei est l'Ordnungspolizei, la police en uniforme chargée du maintien de l'ordre au sens classique du terme (gendarmerie, police de la route, polices urbaine et rurale, etc.) dirigée par Kurt Daluege. Dès l'Anschluss, soit l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne le 13 mars 1938, Heydrich, qui a participé activement à sa préparation, utilise son outil répressif contre les opposants autrichiens avec la même vigueur qu'il avait déployée en Allemagne. Après avoir rempli le camp de concentration de Dachau, c'est au tour de Mauthausen. Depuis 1935, le SD dispose en outre d'un nouvel outil de répression, la détention préventive (Schutzhaft) qui lui permet d'interner qui bon lui semble sans aucune procédure devant les tribunaux et dont il fait un large usage en Allemagne et dans tous les territoires occupés. À partir du 7 décembre 1941, la Schutzhaft est plus terrible encore, avec l'entrée en vigueur du décret « Nuit et brouillard » qui impose que les prisonniers disparaissent sans laisser de trace et interdit de donner le moindre renseignement à leurs proches sur leur sort ou leur lieu de détention. Le 9 novembre 1938, Heydrich est à Munich, où Hitler célèbre l'anniversaire de la tentative de prise du pouvoir lors du Putsch de la brasserie en 1923, en présence de Joseph Goebbels et de nombreux dirigeants nazis.

Après que Hitler eut appris la mort du diplomate Ernst vom Rath, assassiné à Paris par un jeune Juif Polonais, Herschel Grynszpan, dont les parents avaient été déportés, Goebbels prononce un discours haineux, appelant à des « actions spontanées » de représailles contre les Juifs, immédiatement relayé par les participants auprès de leurs troupes : des pogroms se déclenchent à travers toute l'Allemagne.  En fait d'actions spontanées, il s'agit d'une campagne orchestrée par le parti nazi et menée par la SA, mais sans drapeaux à croix gammée. Si Heydrich n'est pas l'initiateur du déclenchement des violences contre les Juifs, et si d'après certains auteurs il désapprouve ce déchaînement de violence sauvage, il participe à l'encadrement de l'opération et envoie le télégramme suivant : « On ne devra mener que des actions qui ne mettent pas en danger la vie et les biens allemands (par exemple des incendies de synagogues uniquement s'il n'y a pas de danger de propagation alentour). Les commerces et les appartements des Juifs seront seulement saccagés mais non pillés » — Reinhard Heydrich, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Quelques heures plus tard, il précise que « les actions contre les Juifs ne devaient entraîner aucune sanction ».

Le 12 novembre, c'est encore lui qui dresse le bilan des actions anti juives, lors d'une conférence interministérielle : 7 500 magasins et 177 synagogues détruits, plus de 100 millions de Marks de dégâts, et 91 morts. Lors de cette même réunion, il propose de concentrer les Juifs dans des ghettos, de leur faire porter un insigne distinctif, de les exclure des transports publics, des hôpitaux, des écoles et de tous les endroits où ils pourraient côtoyer des Allemands.  Au bilan officiel dressé par Heydrich, il faut ajouter les quelques 20 000 Juifs déportés en camp de concentration, grâce à la collaboration entre la police politique et la police ordinaire. « Même en éliminant totalement le Juif de l'économie, le problème fondamental reste entier : il faut que le Juif quitte l'Allemagne », affirmait par ailleurs Reinhard Heydrich, le 12 novembre 1938. Lors de son bilan, Heydrich vante également les mérites de la centrale d'émigration créée à Vienne en mars 1938, dont il a confié la responsabilité à Adolf Eichmann, et qui a permis d'accélérer les départs de Juifs, dont 50 000 ont quitté l'Autriche depuis l'Anschluss.

Le 24 janvier 1939, ce modèle est généralisé à l'ensemble du Reich, sous l'autorité directe de Heydrich. Début août 1939, Heydrich organise, à la demande d'Hitler et de Himmler la mise en scène, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1939, de la prétendue attaque de la station radio allemande de Gleiwitz et celle du poste des douanes de Hochlinden, prétextes cousus de fil blanc dont se saisit Hitler pour envahir la Pologne. « Quand les blindés rouleront, plus personne n'en parlera », dit ainsi Reinhard Heydrich. Pour Hochlinden, Heydrich ordonne à la Gestapo d'extraire six déportés du camp de Sachsenhausen et de les exécuter. Leurs cadavres, revêtus d'uniformes polonais sont disposés autour du poste des douanes. La même technique est utilisée à Gleiwitz. L'exécution de ces deux opérations est confiée à la Gestapo et plus particulièrement à Heinrich Müller et à Alfred Naujocks. Ces deux hommes organisent également l'Incident de Venlo, soit l'enlèvement de deux agents secrets britanniques aux Pays-Bas dans la nuit du 8 au 9 septembre 1939. Le 1er septembre 1939 au matin, les troupes allemandes franchissent la frontière : la campagne de Pologne débute.

La création des Einsatzgruppen revêt clairement un caractère idéologique et racial, et constitue un véritable prélude à la destruction des Juifs d'Europe. Lors de la campagne de Pologne, dans le sillage de la Wehrmacht, les Einsatzgruppen, constitués en juillet par Reinhard Heydrich, procèdent au massacre planifié de l'élite polonaise, en mettant l'accent sur les Juifs considérés comme opposants potentiels. De septembre 1939 au printemps 1940, les exécutions font 60 000 victimes. Si la Wehrmacht commet elle aussi de nombreuses exactions en représailles aux actions de francs-tireurs le plus souvent imaginaires, amorçant ainsi le processus de « barbarisation » de l'armée allemande, l'action des Einsatzgruppen est quant à elle planifiée avant même le début de l'invasion, dirigée vers des victimes prédéfinies, considérées comme des opposants ou de futurs opposants potentiels à l'occupation allemande. Heydrich indique ainsi « nous voulons bien protéger les petites gens, mais les aristocrates, les curetons et les Juifs doivent être supprimés ». Cette action n'a toutefois pas encore le caractère génocidaire qu'elle revêtira lors de l'invasion de l'Union soviétique.

En termes d'organisation des actions à mener, les leçons de l'action des Einsatzgruppen en Pologne sont tirées lors de l'attaque contre l'Union Soviétique, notamment afin d'éviter les tensions avec la Wehrmacht dont certains officiers avaient protesté contre la brutalité des SS en Pologne. En Union soviétique, les tâches et les zones de déploiement des Einsatzgruppen, ainsi que leur mode de collaboration avec la Wehrmacht, seront ainsi définies en concertation avec les plus hautes autorités militaires, avant même le début des opérations. Suite à des instructions écrites d'Heydrich en date du 21 septembre 1939, la concentration des Juifs dans des ghettos, situés dans des villes reliées au chemin de fer commence dès la fin du mois de septembre, et des Judenräte (conseils juifs) sont constitués « afin que les futures mesures en soient facilitées ».

En novembre et décembre 1939, 87 000 Juifs et Polonais sont déportés de la partie de la Pologne annexée au Reich vers le « Gouvernement général », au prix de conflits incessants avec le dirigeant de celui-ci, Hans Frank. Cette expérience est également mise à profit lorsque l'action contre les Juifs concerne l'Allemagne et tous les territoires occupés. En décembre, Heydrich nomme Adolf Eichmann directeur de la section spéciale IV D4 de la Gestapo, qui deviendra plus tard l'Amt B4, afin de disposer d'un spécialiste de la question juive. En 1939 et 1940, Heydrich étudie les possibilités de vider le Reich de tous les Juifs : il confie notamment à Eichmann la mission d'élaborer un plan pour déporter l'ensemble de la population juive sur l'île de Madagascar. Mais dès le mois de juin 1940, il comprend que la question juive ne pourra être résolue par l'émigration. En mars 1941, soit avant l'invasion de l'Union Soviétique, Heydrich, avec l'accord de Hitler, prend contact avec Hermann Goering afin de trouver un projet de solution à la « question juive ».  Dans les mois qui précèdent l’invasion de l'Union Soviétique du 22 juin 1941, Heydrich mène d’intenses négociations avec des responsables de l’armée afin de mieux coordonner l’action des Einsatzgruppen avec les opérations militaires. Vu l’ampleur du conflit qui se prépare, les difficultés rencontrées en Pologne ne peuvent se répéter.

Un accord est finalement conclu afin de définir avec précision les missions des uns et des autres, ce qui n’empêche ni les tensions, ni les contradictions. Quatre Einsatzgruppen sont formés, dont deux sont dirigés par de proches collaborateurs d’Heydrich : Artur Nebe, chef du bureau V (police judiciaire ou Kripo) pour le groupe B et Otto Ohlendorf, chef du bureau III (SD-Ausland) pour le groupe D ; le groupe A est dirigé par Franz Walter Stahlecker, le groupe C par Otto Rasch. Désignés par Heydrich sans être volontaires, ils accomplissent leur tâche avec une redoutable efficacité. Comme en Pologne, mais sur une bien plus vaste échelle, les quatre groupes s’engouffrent dans le sillage des armées allemandes dès le début de l'opération Barbarossa et procèdent à l’élimination systématique des cadres du parti communiste, surtout s’ils sont Juifs, des commissaires politiques de l’Armée rouge, des partisans et supposés tels, de ceux qui les abritent et les soutiennent ou sont soupçonnés de le faire.

À la fin du mois de juillet 1941, l’action s’étend à tous les Juifs, hommes, femmes et enfants. D'après Walter Blume, chef de l'Einsatzkommando 7a de l'Einsatzgruppe B, et Karl Jäger, chef de l'Einsatzkommando 3 de l'Einsatzgruppe A, c'est bien Heydrich qui donne l'ordre d'exécuter toute la population juive. Il n’est plus nécessaire d’être un opposant réel ou potentiel : le fait d’être Juif suffit pour être exécuté. Le plus terrible des massacres est perpétré par l'Einsatzgruppe C, à Babi Yar, près de Kiev, les 29 et 30 septembre 1941, au prix de près de trente-quatre mille victimes. Fin août ou début septembre, Heydrich confirme lors d'un entretien avec Eichmann que « le Führer a ordonné l'extermination physique des Juifs ». Afin d’accélérer l’extermination des Juifs, mais aussi d’épargner les nerfs des tueurs, les premiers camions à gaz (déjà utilisés en Allemagne pour l’extermination des malades mentaux dirigée et exécutée par les services de Heydrich) font leur apparition sur le front de l’Est en décembre 1941. Le 7 décembre 1941, les premiers gazages sont organisés dans le camp d’extermination de Chelmno, seul camp administré par la Sipo. Les autres camps d'extermination et les camps de concentration ne relèvent pas de l'autorité d'Heydrich, mais de celle d'Himmler, via le Wirtschafts- und Verwaltungs-Hauptamt, dirigé par Oswald Pohl. Après l’organisation des Einsatzgruppen, aux activités desquels il n’assiste jamais, mais dont il suit les résultats de manière constante et dont il lit les rapports tous les jours, Heydrich se voit confier par Goering, le 31 juillet 1941 la tâche de « produire dans les plus brefs délais un projet d'ensemble sur les premières mesures pratiques d'organisation à prendre pour mener à bien la solution tant désirée du problème juif ».

C'est sur la base de cette instruction qu'Heydrich organise la conférence de Wannsee qui se tient le 20 janvier 1942. Les quatorze participants, invités par Heydrich, ne sont pas des responsables de premier plan et représentent divers ministères, le gouvernement général, l'appareil du parti et la SS ; parmi eux, on retrouve également Heinrich Müller et Adolf Eichmann, qui assure le secrétariat de la conférence.« Heydrich fit part en ouverture de la mission qui lui était confiée par le Maréchal du Reich [Goering] en vue de la préparation de la solution finale de la question juive en Europe et indiqua que l'objectif de cette réunion était de clarifier les questions de fond.  Le souhait du Maréchal du Reich de se voir présenter un projet d'organisation, de déroulement et de conditions matérielles dans la perspective de la solution finale de la question juive en Europe, exigeait au préalable une harmonisation de toutes les instances centrales directement concernées par ces questions, dans la perspective d'une conduite parallèle de l'orientation des actions. ».

Il est également clair sur les méthodes à mettre en œuvre : « Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires. Ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre. Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté (voir l'expérience de l'histoire)». Pour Heydrich, il ne s'agit plus seulement d'appliquer la solution finale, l’Endlösung aux seuls Juifs du Reich, mais bien de l'étendre à tous les Juifs d'Europe, dont il estime le nombre à 11 millions de personnes. La conférence dure à peine deux heures et les propos de Heydrich ne soulèvent aucune objection : bien au contraire, plusieurs participants apportent leur contribution, notamment quant au sort à réserver aux demi-Juifs, ou pour demander d'accorder la priorité à l'évacuation des Juifs du « Gouvernement général ».

À l'issue de la conférence, Heydrich est manifestement satisfait. Selon le témoignage d'Eichmann lors de son procès, c'est la première fois qu'il voit Heydrich aussi détendu, causant avec Müller, en fumant une cigarette et en buvant un verre de cognac, ce qui ne lui arrive jamais. C'est à la suite de cette conférence qu'est ensuite lancée l’opération Reinhart, soit l’élimination systématique de tous les Juifs de Pologne et de la Russie d’Europe. Lors d'un discours devant des responsables de la SS et du SD à Paris, en mai 1942, Heydrich déclare sans détours que « la condamnation à mort a été prononcée pour l'ensemble des Juifs d'Europe ». Selon l'historien Eberhard Jäckel, « l'architecte suprême du génocide ne fut pas Himmler, mais Heydrich. Il poussa Hitler lui-même ». Heydrich est également actif dans la persécution des tsiganes par les nazis. Le 1er mars 1938, il promulgue les arrêtés d'application du décret du 8 décembre 1937 organisant la ségrégation raciale à l'égard des Tsiganes et notamment l'interdiction des unions mixtes. En octobre et novembre 1939, il collabore à la préparation de leur expulsion du territoire du Reich, qu'il organise en avril 1940. Les activités à la tête du SD, ses promotions au sein de la SS ne suffisent pas à assouvir le besoin de gloire d'Heydrich : il veut aussi être un héros de guerre. Dès 1939, il reçoit une formation de pilote de chasse et il participe à des engagements au-dessus de la Pologne, de la Norvège et des Pays-Bas. Sans aucune victoire à son actif, il capote au décollage en mai 1940 et endommage son appareil en le rentrant dans un hangar en 1941 : ces maladresses sont transformées en exploits par la propagande.

Malgré l'interdiction formelle de Himmler, il vole à nouveau lors de l'invasion de l'Union Soviétique. Le 22 juin 1941, il est abattu par la défense anti-aérienne et il se pose en catastrophe derrière les lignes ennemies. La panique est totale : le patron du RSHA, l'adjoint le plus proche d'Himmler risque de tomber aux mains des Soviétiques. Il échappe cependant à une capture et est rapidement recueilli par des membres de l'Einsatzgruppe D. Cette piètre carrière d'aviateur lui vaut cependant d'être décoré de la Croix de fer de première classe. Himmler, puis Hitler lui-même lui interdiront dès lors de participer à des actions de guerre.Depuis 1931, la carrière de Heydrich est rectiligne et se place dans le sillage de celle d'Himmler : à la tête du SD puis du RSHA, Heydrich épure le parti, pourchasse les opposants, organise les Einsatzgruppen et met en place les mécanismes de la destruction des Juifs d'Europe. En 1941, elle prend un nouveau cours. Le 24 septembre 1941, Hitler nomme Heydrich suppléant (Statthalter) du gouverneur du Protectorat de Bohême-Moravie, Konstantin von Neurath, jugé peu efficace et officiellement en congé de maladie. Si von Neurath reste officiellement en place, il n’a plus son mot à dire et la situation est claire pour tout le monde : Heydrich est seul maître à bord à Prague. Traduisant une notable extension de ses pouvoirs, cette nomination permet en outre à Heydrich d’avoir des rapports directs avec les plus hauts dirigeants du Troisième Reich, sans devoir passer par l’intermédiaire d’Himmler. De plus, il est persuadé qu’elle lui confèrerait un profil d’homme d’État. Il tire ainsi parti de ses succès et fait oublier ses échecs comme l'accusation d'homosexualité portée contre le général Werner von Fritsch, accusation montée de toutes pièces et qui débouche sur l'acquittement de von Fritsch par le tribunal de guerre du Reich, le 17 mars 1938.

Dès son arrivée à Prague, Heydrich fait arrêter et condamner à mort le premier ministre Alois Eliáš, qui avait eu des contacts avec le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres. Il met au pas le président du gouvernement fantoche, Hácha, afin de dissiper toute idée d’indépendance vis-à-vis du Reich, aussi minime soit-elle. La population tchécoslovaque ne faisant pas preuve d’assez de docilité, Heydrich utilise rapidement son arme de prédilection : la terreur. Entre la date de son arrivée le 27 septembre et le 29 novembre, quatre cents Tchécoslovaques sont exécutés. La Gestapo s’installe au palais Pecek et fait disparaître plus de quatre mille opposants ou résistants. Heydrich entreprend aussi de vider le Protectorat de sa population juive, en la déportant dans le camp de concentration de Theresienstadt, puis dans les camps d’extermination. Il veut aussi maintenir la production industrielle tchécoslovaque, vitale pour l’effort de guerre allemand et ne plus apparaître uniquement sous l’image d’un bourreau.  Il augmente les rations alimentaires, met en place des soupes populaires et lutte contre le marché noir. Ses responsabilités dans le protectorat n'empêchent pas Heydrich de continuer à diriger le RSHA, au prix d'allers-retours incessants entre Prague (Tchécoslovaquie) et Berlin (Allemagne). Il veille notamment à la répression des tendances anglophiles d'une partie de la jeunesse allemande, qui apprécie le swing. Il suit également avec attention le recrutement des prostituées du salon Kitty, bordel de luxe fréquenté par de nombreuses personnalités, dont les chambres sont truffées de micros, sans aucun résultat probant.

Au bout de quelques mois de règne absolu sur le Protectorat de Bohème-Moravie, Heydrich se sait craint. Il se croit aussi respecté, voire apprécié par la « partie saine » de la population. Au matin du 27 mai 1942, Heydrich est au faîte de sa puissance : promu Obergruppenführer, Protecteur, dans les faits, de Bohême-Moravie, directeur du RSHA, décoré à de nombreuses reprises, reconnu par les plus hautes personnalités du Reich, dont Hitler lui-même, il envisage de transposer en France les méthodes qu’il a appliquées à Prague. Pour lui l’avenir est porteur de promesses et son ascension est loin d’être terminée à seulement trente-huit ans. Comme à son habitude, Heydrich est seul avec son chauffeur, sans escorte ni protection particulière, à l’arrière d’un cabriolet décapoté. Un peu avant dix heures trente du matin, sa voiture ralentit dans un tournant sur la route qui le mène au quartier général établi dans le château de Hradcany.  Trois résistants tchèques, parachutés de Londres, y sont tapis en embuscade. Le chef du commando, Josef Valcik signale l’arrivée d’Heydrich à l’aide d’un miroir. Lorsque la voiture d’Heydrich passe à moins de trois mètres de Jozef Gabcik, celui-ci brandit sa mitraillette mais l’arme s’est enrayée. Alors qu’Heydrich se redresse et dégaine son pistolet, le troisième membre du commando, Jan Kubis, lance une grenade qui explose à l’arrière de la voiture. Les éclats transpercent le siège arrière et blessent Heydrich au dos. Après plus d’une heure, il est transporté à l’hôpital Bulovka, dans une fourgonnette de livraison. La blessure d’Heydrich n’est en elle-même pas mortelle. Mais en traversant le siège arrière, les éclats de grenade ont également fait pénétrer dans la plaie des particules du rembourrage constitué de crins de cheval. La septicémie est foudroyante et rapidement généralisée. Le 4 juin 1942, à neuf heures vingt-quatre, Heydrich meurt. Le 9 juin, les hommes de la police de sécurité encerclent le village de Lidice, soupçonné d’avoir abrité les parachutistes.

Les 184 hommes du village sont exécutés par la SS ; les femmes sont déportées à Ravensbrück, d'où une bonne partie d'entre elles reviendront ; par contre, sur les 105 enfants déportés à Lodz, puis gazés à Chelmno, seuls 17 ont survécu. Une partie des enfants du village, aux traits aryens, sont confiés à des familles allemandes, au travers du Lebensborn. Après le massacre et les déportations, Lidice est incendié et rasé jusqu’au sol. La répression se poursuit tout au long de l’été 1942 et fait plus d’un millier de victimes. À Lezaky, les hommes et les femmes du village, soit trente-trois personnes, sont tous fusillés après la découverte d’un émetteur clandestin. Les complices et sympathisants des membres du commando sont condamnés à mort. L’évêque orthodoxe de Prague, Monseigneur Gorazd, le chapelain de l’église dans laquelle les parachutistes avaient trouvé refuge, Vladimir Petrek, et deux autres religieux sont exécutés à l’issue du procès le 1er septembre. 236 autres condamnés sont déportés à Mauthausen et liquidés le 24 octobre.

Dénoncés par Karel Kurda, le quatrième membre du commando, Valcik, Gabcik et Kubis, qui se sont réfugiés avec quatre autres parachutistes dans la cathédrale orthodoxe des Saints-Cyrille-et-Méthode, sont assiégés le 18 juin par 800 hommes de la SS et de la Gestapo. Après une véritable bataille de siège durant laquelle ils opposent une résistance farouche, les sept résistants périssent dans les combats ou se donnent la mort. Pour leur identification, la Gestapo coupe la tête des cadavres et les expose sur une étagère devant laquelle elle fait défiler parents et amis. Rapatrié à Berlin, le corps d'Heydrich a droit à des funérailles nationales orchestrées avec tout le décorum nazi. Heinrich Himmler salue tout d'abord « le caractère d'une rare pureté du défunt [qui] du plus profond de son âme et de son sang, a compris, réalisé et matérialisé la conception du monde d'Adolf Hitler ». Après le SS-Reichsführer, c'est le Führer lui-même, Adolf Hitler, qui rend hommage au défunt : « Je n'ai que peu de mots à dédier à ce mort. Il était l'un des meilleurs nationaux-socialistes, l'un des plus vaillants défenseurs de l'idée du Reich allemand, et l'un des adversaires les plus résolus de tous les ennemis du Reich » (Adolf Hitler, 9 juin 1942).

En privé, Hitler se déchaîne contre l'imprudence d'Heydrich : « Des gestes héroïques comme se déplacer dans une voiture ouverte [...] sont des folies dont la nation n'avait pas besoin. Les hommes de la stature politique de Heydrich devraient avoir conscience qu'on les guette comme du gibier et que d'innombrables personnes n'ont qu'une idée en tête : comment les tuer ». Après un intérim assuré par Himmler, Ernst Kaltenbrunner reprend les rênes du RSHA le 30 janvier 1943, sans jamais atteindre le niveau de pouvoir et d'influence de son prédécesseur.  De mai 1942 à avril 1945, Lina Heydrich vit dans le château et le domaine de Jungfer-Breschnan, près de Prague, qu'elle fait notamment entretenir par des détenus extraits du camp de concentration de Theresienstadt. C'est dans le parc du château qu'elle fait inhumer, en présence de Heinrich Himmler, son fils Klaus, mort lors d'un accident de la route le 24 octobre 1943. Lors de la fuite devant les troupes soviétiques, elle réquisitionne les services du conducteur de car impliqué dans l'accident mortel de son fils, dont la Gestapo avait pourtant déclaré qu'il n'avait aucune responsabilité dans le décès de Klaus : il disparaît lors du voyage. Poursuivie et condamnée lors du processus de dénazification en Allemagne, Lina Heydrich multiplie les procédures pour se voir finalement disculpée ; elle intente ensuite procès sur procès et finit par obtenir une pension sur la base d'un jugement déclarant que Reinhard Heydrich avait été la victime d'un acte de guerre. Après avoir défendu la mémoire de son mari dans la presse et à travers ses mémoires, allant jusqu’à affirmer à maintes reprises qu'il n'avait eu aucune part de responsabilité dans l'extermination des Juifs, elle meurt sur son île natale le 14 août 1985. Grand (1 mètre 85), blond, athlétique, sportif, escrimeur de niveau international, bon violoniste, marié à une nazie convaincue et père de quatre enfants, d’un réel courage physique, Heydrich semble, par bien des aspects, correspondre au profil de l'Übermensch.

Mais il est aussi un mari volage, un coureur de jupons invétéré, un amateur de soirées éthyliques dans lesquelles il entraîne ses collaborateurs, un officier de marine à la voix grêle et à la carrière écourtée, un pilote de chasse sans victoires à son actif. Travailleur, bon organisateur, sachant s’entourer d’adjoints efficaces malgré leurs profils divers, il fait preuve d’une grande détermination et de beaucoup d'ambition. Exigeant pour ses collaborateurs, inaccessible au doute ou à la critique, il témoigne d’une obéissance totale à l’égard de son supérieur immédiat, Heinrich Himmler.  Un des traits les plus saillants de la personnalité d’Heydrich est sa totale incapacité de manifester, voire d’éprouver, le moindre sentiment, si ce n'est du mépris, notamment à l'égard de ses adjoints, ou au travers de ses fréquentes et terribles crises de colère. Pour tous ceux qui l’ont approché, qu’il s’agisse de ses complices ou de ses victimes, c’est un homme froid et dur, l’un des plus craints du régime nazi. Pour Albert Speer, « Heydrich était un homme froid qui se contrôlait toujours et formulait ses idées avec une rigueur d'intellectuel » ; pour Walter Schellenberg, « il pouvait être incorrect jusqu’à la cruauté. [...] Cela ne l'empêchait pas, étant donné que son supérieur, le Reichsführer SS Himmler, accordait beaucoup d'importance à l'image de la vie de famille, de jouer les tendres époux et les bons pères de famille [...] » ; en parlant d'Heydrich, Ernst Kaltenbrunner déclare lors de son emprisonnement pendant le procès de Nuremberg : « C'était un homme terriblement ambitieux et assoiffé de pouvoir. Ce désir de pouvoir était sans mesure, et il était extraordinairement intelligent et astucieux » ; selon l'historien Joachim Fest, « c'était un homme comme un coup de fouet, dans sa froideur de sentiments luciférienne, son amoralité tranquille et son inextinguible soif de pouvoir ».

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