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Crime contre l'humanité

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Un crime contre l'humanité est une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». Cependant, « il n’y a pas, pour les crimes contre l’humanité, de définition généralement admise ». 

Procès de Nuremberg

Procès de Nuremberg

La notion de crime contre l'humanité est une catégorie complexe de crimes punis au niveau international et national par un ensemble de textes qui regroupent plusieurs incriminations. La Cour pénale internationale comprenant 110 États-membres est le principal tribunal permanent chargé de sanctionner les crimes contre l'humanité. L’article 7 du Statut de Rome en détaille la liste, même si elle n'est pas exhaustive :

meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; déportation ou transfert forcé de population ; emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; torture ; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (..) ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; disparitions forcées de personnes ; crimes d’apartheid, autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Cette définition sera remise en cause à l'occasion de la Conférence de révision du Statut de Rome à Kampala en Ouganda qui se tiendra du 31 mai au 11 juin 2010. L'examen pourra porter aussi, mais pas exclusivement, sur la liste des crimes figurant à l'article 5 à savoir le crime de génocide, le crime de guerre et le crime d'agression. Le concept de crime contre l’Humanité apparaît pour la première fois en tant que notion proprement juridique en 1945 dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres (art. 6, c). Cette apparition est la conséquence de la volonté de juger les responsables des atrocités exceptionnelles commises pendant la Seconde Guerre mondiale comme la Shoah. Ce principe sera également retenu quelques mois plus tard pour assigner des hauts dirigeants du régime showa devant le Tribunal de Tokyo. Le concept est donc fortement ancré dans un contexte historique particulier.

Brandt KarlIl appartient pourtant aujourd'hui aux concepts fondamentaux du droit. Cristallisant de nombreuses passions, la définition de cette qualification ne s’est faite que lentement au cours des années postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, le crime contre l’Humanité est devenu un chef d’inculpation beaucoup plus large et mieux défini grâce à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais il demeure sujet à controverses. Un crime contre l'humanité est une infraction criminelle comprenant l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre une population civile. Principe d'origine ancienne qui s’impose juridiquement en 1945. Le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945 (sur la photo, Karl Brandt, médecin personnel d'Hitler et responsable du programme d'euthanasie)

Le concept de crimes de guerre est aussi ancien que les lois de la guerre qu'on trouve aussi bien chez les peuples antiques que chez les peuples primitifs. Le droit de la guerre faisait partie du droit des gens, autrement dit du droit commun à toutes les nations, qu'elles soient en guerre ou non. La Déclaration à l'effet d'interdire l'usage de certains projectiles en temps de guerre faite à Saint-Pétersbourg le 11 décembre 1868 évoque le principe selon lequel l’emploi d’armes qui « aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou rendraient leur mort inévitable » serait « dès lors contraire aux lois de l’humanité ». En 1899, la communauté internationale débat à La Haye de la clause de Martens, concernant les « lois de l'humanité » qui figurera au préambule de la Seconde conférence de La Haye sur les lois et coutumes de guerre en 1907. Celle-ci constate que « les populations et les belligérants sont sous la sauvegarde et sous l’empire du droit des gens, tels qu’ils résultent […] des lois de l’Humanité […] ».

Le crime contre l’Humanité proprement dit est défini par l’article 6c du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et appliqué pour la première fois lors du procès de Nuremberg en 1945. Il définit ainsi le crime contre l’humanité : « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ». Le crime contre l’humanité, malgré ses débuts modestes (il prévoyait explicitement de ne s’appliquer qu’aux actes commis par les puissances de l’Axe), a peu à peu été inscrit dans la législation internationale et vu au passage sa définition précisée. Une résolution des Nations unies est ainsi votée en 1948 « confirmant les principes du droit international reconnus par le statut de la cour de Nuremberg et par l’arrêt de cette cour ».

La définition est élargie : en 1973, la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid qualifie l’apartheid de crime contre l’humanité, et en 1992 une résolution qualifie les enlèvements de personne de « crimes relevant du crime contre l’humanité ». En plus de la définition, c’est le statut juridique du crime contre l’humanité qui se précise également : en 1968, la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité déclare l'imprescriptibilité de ces derniers. Une seconde étape est franchie à l’occasion des guerres de Yougoslavie : une résolution de l’ONU crée en 1993 un Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye qui reprend la qualification de crime contre l’humanité définie par le statut du tribunal de Nuremberg. La même démarche est confirmée le 8 novembre 1994 lors de la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR - Résolution 955).

En France, à la fin de la guerre, la qualification de crime contre l’humanité ne sera pas utilisée pour la répression des crimes commis tant par les Allemands que par les Français. La répression sera effectuée par des juridictions d’exception mais pour des crimes de droit commun. Le temps passant et la volonté que les criminels ne puissent bénéficier de la prescription s’affirmant, la loi du 26 décembre 1964 inscrit le crime contre l’humanité dans l’ordre juridique français. C’est alors un unique article du Code pénal qui renvoie à la charte du tribunal international de 1945 et à la résolution des Nations unies du 13 février 1946. Il déclare ces crimes « imprescriptibles par leur nature », c’est-à-dire qu'ils peuvent être jugés sans aucun délai dans le temps. Il s’agit du seul crime imprescriptible du droit français.

Les procédures ouvertes donnent lieu à une jurisprudence déterminante dans la définition du crime contre l’humanité. Par exemple, le 20 décembre 1985, un arrêt de la Cour de cassation élargit la notion de victime de tels crimes aux victimes de discriminations politiques, en plus des victimes de discriminations raciales ou religieuse, afin que soient jugés ceux qui ont persécuté les Juifs aussi bien que les résistants (notamment Klaus Barbie en 1987 et Paul Touvier en 1992). La même année, la Cour de cassation affine de nouveau la définition en affirmant que ces crimes doivent l’être « au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». Finalement, les parlementaires votent en 1994 une loi définissant précisément le crime contre l’humanité (articles 211-1, 212-1 et s. du Code pénal) — et prenant en compte la jurisprudence —. Le 22 janvier 1995 et le 22 mai 1996, des lois françaises étendent la compétence des tribunaux français aux crimes relevant des TPIY et TPIR.

En dépit de la ratification par la France du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 9 juin 2000, aucune loi n'a à ce jour été votée par le Parlement français qui permettrait d'instaurer la compétence universelle des juridictions françaises pour connaître des crimes relevant de la compétence de la Cour : le génocide, le crime de guerre et le crime contre l'humanité. En 2001, la France reconnaît officiellement que la traite des Noirs et l'esclavage constituaient des crimes contre l'humanité (loi n° 2001-434). Aboutissement de la définition  : l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 1998. Une définition complète et détaillée par l’article 7 du Statut de Rome. L'article 711 définit onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité, lorsqu’ils sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l'attaque » :

 

  • le meurtre ;
  • l'extermination ;
  • la réduction en esclavage ;
  • la déportation ou le transfert forcé de population ;
  • l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
  • la torture ;
  • le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
  • la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
  • la disparition forcée de personnes ;
  • le crime d’apartheid ;
  • d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.


À la lumière de l’article 7 et des textes qui le précèdent, trois grands principes de droit international peuvent être dégagés qui régissent le crime contre l’humanité : il peut être commis en tout temps (en temps de guerre extérieure ou intérieure comme en temps de paix) ; il est imprescriptible ; personne ne peut échapper à la répression, des chefs de l’État aux exécutants (article 27 du Statut). Le crime contre l'humanité consacre donc une certaine primauté du droit international sur le droit national par sa nature même, puisqu'il peut s’agir aussi bien d’agissements légaux qu'illégaux dans le pays concerné. Ce qui peut être déclaré légal par un certain régime peut devenir illégal compte tenu de la législation de la justice pénale internationale.

La question se pose aussi de la pertinence de la loi française de 1994 sur les crimes contre l’humanité maintenant que l’article 7 apporte sa propre définition. En effet, la définition française est beaucoup moins large et moins précise que celle de l'article 7. Or pour ne pas se voir dessaisis au profit de la Cour pénale internationale, les États Parties doivent s’assurer que leur législation nationale leur permet bien de juger les individus ayant commis des infractions relevant de la compétence de la Cour. Il est probable que la France va intégrer les définitions du Statut de Rome dans son droit pénal français. L'article 7 du statut de la CPI se termine par une définition ouverte, qui qualifie de crime contre l'humanité « tout acte inhumain de caractère analogue [à ceux énoncés précédemment] causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Alors que les définitions précédentes sont très précises, cette dernière invite à l'élargissement d'une notion qui a déjà été définie difficilement en termes juridiques.

Plusieurs juristes considèrent que la définition du crime contre l'humanité fait donc une entorse au principe de spécificité de la loi. Ce serait ainsi dénaturer la spécificité de l’infraction que de vouloir l’étendre à un trop grand nombre de conduites criminelles. Le crime contre l'humanité s’applique en effet à des faits réprimés sous d’autres qualifications beaucoup plus anciennes : meurtre, torture, viol, déportation. La dilution du concept constitue un risque évident. La spécificité des crimes contre l’humanité ne peut être protégée par exemple qu’en exigeant une intention discriminatoire pour tous ces crimes, alors que seules les persécutions sont soumises à une telle exigence en droit international positif. Cette conception conduit à remettre en question la qualification comme « crime contre l'humanité » de certains actes, tels que les attaques « aveugles », les expulsions et transferts forcés de population, etc.

Il faut également qu’il s’agisse de crimes commis en exécution d’une politique étatique dont il faut prouver qu’elle était criminelle (la Cour de cassation l’avait bien compris en exigeant que les crimes contre l’humanité le soient « au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». Il ne faudrait pas que tout comportement criminel étatique puisse être qualifié à la légère de crime contre l’humanité. Ces choix relèveront de la jurisprudence dégagée de la Cour pénale internationale, mais il y a une certaine dérive des tribunaux pénaux internationaux, qui ont tendance à privilégier l’efficacité de la répression sur la cohérence de l’incrimination. Le 31 janvier 2005, la commission d'enquête internationale sur le Soudan de l'ONU publie un rapport qui conclut que les exactions perpétrées au Darfour constituent bien un crime contre l'humanité. En 2004, le législateur complète la protection de l'Homme, initié par les crimes contre l'humanité, par l'édiction d'un nouveau type d'infraction, dû à la nouvelle nature des atteintes à la dimension humaine permise par le progrès de la science génétique : les crimes contre l'espèce humaine.


Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient

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Le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient — TMIEO — (ou Tribunal de Tōkyō ou encore Tribunal militaire de Tōkyō), fut créé le 19 janvier 1946 pour juger les grands criminels de guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale. La création du TMIEO n'est qu'une des pièces d'un ensemble plus vaste de mesures prises pour réprimer les crimes de guerres

Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient

Dès 1942, par la déclaration de Saint James, les représentants de dix-huit nations avaient affirmé leur volonté de poursuivre les criminels de guerre dans le cadre d'une juridiction internationale. Mais cette déclaration, toute de principe, n'avait en vue que les crimes commis par les troupes nazies sur le théâtre d'opération européen, ce qui fit réagir le représentant chinois à Londres. À l'occasion de la Déclaration de Moscou, les ministres des Affaires étrangères des États-Unis de la Grande Bretagne et de l'URSS réaffirment cette volonté de justice. Les crimes perpétués par les armées japonaises n'y sont toujours pas pris en considération.


La déclaration de Moscou pose toutefois un principe qui soutiendra ultérieurement la création du tribunal militaire international pour l'Extrême Orient : il y était en effet précisé que ceux qui avaient commis des crimes sans localisation précise devraient être punis par une décision conjointe des alliés. Une Commission des crimes de guerre des Nations unies est d'ailleurs mise en place à cette époque pour répertorier les criminels de guerre ; mais ce n'est qu'au printemps 1944 que la Commission spécialement dédiée à l'Extrême Orient et au Pacifique commencera à établir la liste des suspects. C'est finalement à la proclamation de Potsdam du 26 juillet 1945, que les représentants des États-Unis, de la Grande Bretagne et de la Chine, rendant public les conditions d'une reddition du Japon, firent spécifiquement connaître leur intention de conduire en justice les criminels de guerre japonais (l'URSS, toujours liée au Japon par un traité de non-agression, s'était abstenue de prendre part à cette décision).

Le 6 août c'est le bombardement d'Hiroshima, le 9 août c'est celui de Nagasaki et l'entrée en guerre de l'Union Soviétique contre le Japon ; le 10 août le Japon fait savoir qu'il accepte les termes de la déclaration de Potsdam à l'exception des dispositions qui viseraient l'empereur ; le 14 le Japon fait connaître sa pleine acceptation de la déclaration de Potsdam : le 15 c'est l'allocution de l'empereur (Gyokuon-hōsō). Le 25 août 1945 la Commission des crimes de guerre des Nations unies — UNWCC — avait publié ses recommandations concernant la poursuite des criminels de guerre japonais. Le 29 août 1945, dans le cadre du document qui devait définir la politique générale des États-Unis au Japon, le Comité Interarmes (State War Navy Coordinating Committee — SWNCC —) évoque la poursuite des criminels de guerre. Ce document — SWNCC150/4 — sera approuvé par Truman le 6 septembre, et rendu public le 22.

Alors que les premiers éléments avancés des forces américaines ont pris pied au Japon le 30 août, la reddition japonaise est signée le 2 septembre sur le croiseur Missouri. Les Actes de capitulation du Japon évoquent la question des crimes de guerre. Les Américains entrent à Tokyo le 8 septembre. Le 11 septembre 1945, le Commandant suprême des forces alliées fait procéder à l'arrestation de trente-neuf suspects dont le général Hideki Tojo. Ce même jour il ordonne la dissolution du Quartier Général de l'Armée Japonaise - mais le ministère de la guerre est encore maintenu ; la veille la censure avait été instaurée par la directive SCAPIN 16 (connue sous le nom de "Freedom of Speech and Press" directive) : dans les jours qui suivirent, le SCAP s'opposera à la publication de la liste des personnes recherchées pour crime de guerre dans les journaux japonais).

Le 6 octobre 1945 (on trouve aussi le 8 octobre) le Comité Interarmes enjoint MacArthur à mettre en place les moyens de juger les criminels de guerre les plus importants ; cela visait les personnes suspectées d'avoir elles-mêmes planifié la guerre, violé des traités ou qui ont participé à une conspiration visant à la réalisation de ces mêmes crimes. La directive précisait également que les faits examinés en vue du jugement pourraient remonter jusqu'au 4 juin 1928, date de l'assassinat de Chang Zolin. Ces instructions adressées au SCAP, ainsi que le mémorandum qui y était joint, ne furent communiqués aux alliés que vers la fin octobre. Les 12 et 14 novembre 1945 la Commission des crimes de guerre établit une liste de personnes suspectes. Le 19 novembre, MacArthur ordonne une série d'arrestations. Le 30 novembre 1945 Joseph Keenan est nommé Procureur en chef par le président Truman. Arrivé à Tokyo le 6 décembre — accompagné de trente-neuf collaborateurs — Keenan recueille documents et témoignages ; c'est aussi lui qui élabore la Charte du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient. Le 5 décembre 1945, publication des règles devant régir le procès des personnes accusées de crime de guerre.

Le 3 décembre, MacArthur fait procéder à une troisième vague d'arrestation. Parmi les personnes arrêtées figurent notamment des membres de la cour impériale, ce qui fit forte impression au Japon. Devançant sa probable arrestation, le prince Fumimaro Konoe se suicida le 16 décembre. À la fin de l'année 1945, parmi les 1200 personnes arrêtées dans le cadre de cette procédure, ce sont 80 personnes qui devaient répondre d'accusation de crime de guerre de catégorie A. Le 27 décembre 1945, une déclaration des ministres des affaires étrangères des États-Unis du Royaume-Uni et de l'URSS reconnaissent au SCAP l'entière autorité pour mener à bien les dispositions arrêtées par l'acte de reddition. Le 19 janvier 1946, la Charte est promulguée par le Commandement suprême des forces alliées. En son article premier, la charte pose que Tribunal militaire international pour l'Extrême Orient est établi afin de procéder au jugement rapide et équitable, des criminels de guerre majeurs ; son siège permanent étant à Tokyo. La nature des crimes soumis à la juridiction du tribunal est précisée dans son article 5 . Si le Tribunal pourra juger de toute accusation de crime de guerre , les prévenus qui lui seront présentés devront nécessairement être accusés de crime de guerre de classe A.

 

  • Classe A : crimes contre la paix, visait uniquement les hautes sphères du pouvoir et ceux qui avaient planifié et dirigé la guerre.
  • Classe B : crimes de guerre conventionnels.
  • Classe C : crimes contre l'humanité


Cette classification est quasiment identique à celle établie par la Charte de Londres du Tribunal militaire international qui faisait l'objet de l' Accord de Londres du 08 août 1945 et qui avait été conçue pour le Procès de Nuremberg. En matière de crime contre l'humanité, les définitions s'appliquant à Nuremberg et à Tokyo diffèrent : alors qu'à Nuremberg il ne concernait que les populations civiles, à Tokyo, cette précision à disparu : les prisonniers de guerre sont ainsi également "couverts" par cette définition. Une autre différence avec Nuremberg : l'absence de poursuites contre des organisations en tant que telles .

NB : Le crime contre l'humanité fut précisé par la résolution des Nations unies du 13 février 1946 : crime commis en exécution d'un plan concerté visant à détruire une communauté dans son ensemble. Par ailleurs, parallèlement au procès qui se met en place, le SCAP organise l'épuration de la société japonaise par la directive SCAPIN 550 du 4 janvier 1946. L'article 2 de la Charte définit la composition du collège des juges . Limité d'abord à 9 juges - autant que des pays signataires de l'Acte de reddition – le nombre de juge fut porté à 11 pour inclure l'Inde et les Philippines. Suite à la promulgation de la Charte, MacArthur enjoignit aux membres de la Commission d'Extrême-Orient de lui proposer le nom d'un juge et d'un procureur adjoint avant le 05 janvier 1947. Les propositions concernant les juges lui parviendront le 15 février 1946 : MacArthur les désigne le jour même. Il s'agit de Higgins (remplacé ensuite par Myron Crammer) pour les États-Unis, Zarayanov pour l'Union Soviétique, Lord Patrick pour le Royaume-Uni, H. Reimburger (remplacé ensuite par H. Bernard) pour la France, Röling pour les Pays-Bas, MeiJu Hao pour la Chine, William Webb pour l'Australie, H. Northcroft pour la Nouvelle-Zélande et Stuart Mac Dougall pour le Canada. Enfin, le 20 février, il nomme le juge Webb président du Tribunal.

Devant les protestations de l'Inde et des Philippines, qui ne sont pas représentés au tribunal (membres de la Commission d'Extrême Orient, ces pays n'étaient pas signataires de l'acte de reddition — pour la bonne raison qu'ils n'accédèrent à l'indépendance qu'en 1947 et 1946), MacArthur promulgue un amendement à la Charte le 6 avril 1946 qui fixe le nombre de juges à onze et non plus à neuf : Radhabinod Pal représentera l'Inde et Delfin Jaramilla/Jaranilla les Philippines. La Charte précisait, dans son article 8, que toutes les nations ayant été en guerre contre le Japon avaient la faculté de désigner un procureur adjoint. Seules les onze nations de la Commission d'Extrême-Orient le feront : Arthur Comyns Carr (G.B.), Hsiang Che-Chun (Chine), Frederick Borgerhoff-Mulder (Pays-Bas), Robert Oneto (France), Alan Mansfield (Australie), Henri Nolan (Canada), Ronald Quillian (Nouvelle Zélande), P. Govinda Menon (Inde), Pedro Lopez (Phillippines) et enfin Sergei Alexandrovitch (URSS). Ainsi, de trente-neuf américains, le pool de procureurs connu sous le nom de International Prosecution Section pu passer à un groupe multinational de cinq cent personnes (juristes, sténographes et employés confondus).

Le Tribunal visait trois catégories de personnes différentes :

 

  • Les hauts responsables.
  • Les officiers militaires.
  • Les officiers de grades inférieurs.


Plusieurs personnes ne comparurent pas devant le tribunal, en raison de leurs appuis ou des informations qu'ils détenaient.

Les procureurs adjoints et des représentants de l'administration américaine formèrent un comité exécutif chargé de choisir parmi les 80 prévenus lesquels seraient présentés au tribunal. Au bout de dix semaines et de longs débats, le Comité arrêta d'abord une liste de vingt-six personnes, qui dut être modifiée suite à l'insistance du procureur soviétique tardivement intégré au Comité. Réclamés par les soviétiques, le général Umezu et le ministre Shigemitsu — signataires de l'acte de reddition — seront arrêtés et internés à la prison de Sugamo : ce seront donc 28 personnes qui devront comparaître devant le Tribunal (19 militaires et 9 civils) :

 

  • Quatre Premiers ministres : Kiichiro Hiranuma, Koki Hirota, Kuniaki Koiso, Hideki Tōjō
  • Trois ministres des Affaires étrangères : Yosuke Matsuoka, Mamoru Shigemitsu, Shigenori Togo
  • Quatre ministres de la Guerre : Sadao Araki, Shunroku Hata, Seishiro Itagaki, Jiro Minami
  • Deux ministres de la Marine : Osami Nagano, Shigetaro Shimada
  • Six généraux : Kenji Doihara, Heitaro Kimura, Iwane Matsui, Akira Muto, Kenryo Sato, Yoshijiro Umezu
  • Deux ambassadeurs : Hiroshi Oshima, Toshio Shiratori
  • Trois hommes d'affaires ou trafiquants de drogue : Naoki Hoshino, Okinori Kaya, Teiichi Suzuki
  • Le garde des sceaux Koichi Kido
  • Le théoricien radical : Shumei Okawa
  • Un amiral : Takasumi Oka
  • Un colonel : Kingoro Hashimoto


Au début de la procédure il était prévu de présenter au tribunal (au moins) un autre groupe de prévenus. Cependant dès décembre 1946 cela ne sembla plus envisageable. La décision officielle de s'en tenir à ces 28 personnes fut prise immédiatement après la fin du procès. Dès avant la fin du conflit, les questions de la responsabilité de l'empereur d'une part et de l'institution impériale en tant que telle d'autre part, avaient été l'objet de réflexions et de débats par différentes autorités américaines mais aussi alliées (il y avait d'ailleurs eu un précédent célèbre suite à la Première Guerre mondiale : celui de Guillaume II que le traité de Versailles avait voulu, en vain, faire comparaître devant des juges).

De leur côté, les diplomates japonais à la recherche d'une issue furent longtemps opposés à une reddition sans condition notamment par crainte de mettre en danger ainsi l'empereur et l'institution impériale (à cet égard, l'acte de reddition, s'il appelait à la reddition inconditionnelle aux Puissances Alliées du Quartier général impérial japonais, de toutes les forces armées japonaises et de toutes les forces armées sous contrôle japonais, ménageait habilement l'avenir en posant : Dans la direction de l'État, l'autorité de l'Empereur et du Gouvernement japonais sera subordonnée à celle du Commandant Suprême des Puissances Alliées... ce qui n'excluait pas d'envisager le maintien de l'institution impériale).

Les Américains étaient encore très partagés sur ces points non seulement au moment même de la reddition, mais encore assurément dans les mois qui suivirent : des déclarations, des directives officielles contradictoires furent publiées, tandis que des discussions officieuses se déroulaient. L'opinion de MacArthur sur ces points semble s'être formée dès mai 1945 aussi son entretien informel avec Hirohito à l'ambassade américaine le 27 septembre, tout important qu'il fut, n'aura fait que confirmer son opinion. Du côté japonais, seuls les communistes appelaient au jugement de Hirohito (et même de l'impératrice) ; plusieurs voix cependant évoquaient l'abdication de l'empereur, comme Higashukuni ou encore Konoe (qui voyaient dans l'abdication un moyen pour Hirohito d'échapper à un éventuel jugement).

Finalement, c'est le point de vue de MacArthur — proposé depuis longtemps par d'autres personnes et notamment par Hugh Borton au Département d'État — qui devait prévaloir : le maintien de l'empereur étant considéré comme nécessaire à la stabilité du Japon dévasté et occupé, non seulement l'empereur ne serait pas accusé, mais il ne devrait même pas comparaître comme témoin au tribunal. En échange, et comme un premier pas vers la redéfinition des pouvoirs de l'empereur que devra prévoir la nouvelle Constitution du Japon alors encore à l'état de projet, il fut obtenu de l'empereur qu'il renonce à son statut divin (déclaration du 1er janvier 1946). Pour rendre acceptable cette non-inculpation de l'empereur — qui ne fut connue du public que le 18 juin 1946 par une déclaration officielle du procureur en chef Keenan — il fut décidé de le présenter comme une autorité purement symbolique, tenu à l'écart des affaires du monde, sans aucun pouvoir de décision : cela exigea une certaine coopération des accusés eux-mêmes, tout autant que la non-comparution des proches de l'empereur dont certains pourtant s'étaient très directement compromis.

Ainsi, en raison d'un pacte de collaboration conclu entre MacArthur et l'empereur Hirohito, ce dernier conserva son poste en dépit de nombreuses pressions d'abdication provenant même de membres de sa famille. En vertu de cet accord, des membres de la famille impériale impliqués dans la commission de crimes de guerre ou dans la conduite des opérations militaires ne furent pas inquiétés : les frères de l'empereur, Yasuhito Chichibu, maître d'œuvre de l'opération Lys d'or, et Nobuhito Takamatsu ou encore des parents plus éloignés comme le prince Hiroyasu Fushimi, le prince Naruhiko Higashikuni, le prince Yasuhiko Asaka, instigateur du massacre de Nankin et le prince Tsuneyoshi Takeda. Ce souci de la préservation de l'empereur, tout partagé qu'il pût être par les accusés eux-mêmes — du moins assurément par certains d'entre-eux — demandait à ce qu'aucun des témoignages lors des séances du Tribunal ne laisse supposer que l'empereur ait pu prendre part aux décisions.

De plus, les membres de l'unité de recherche bactériologique, Unité 731 comme Shiro Ishii ne furent pas inquiétés en échange d'informations sur les résultats de leurs « travaux » dont il ne fut fait mention devant le tribunal qu'à une très brève occasion et de façon très lacunaire. Si le procureur décida donc de ne pas verser au dossier cette accusation, au demeurant très confidentielle à l'époque, une intervention en séance du Président du Tribunal, le juge Webb, joua également un rôle dans le silence fait autour de ces atrocités qu'il considérait comme de simples assertions non prouvées. En 1981, le Bulletin of the Atomic Scientists publia un article par John W. Powell expliquant en détail les expérimentations de l'Unité 731 et les tests à l'air libre sur les populations civiles. Cet article était accompagné d'un mot du juge néerlandais B. V. A. Röling, dernier survivant du Tribunal, qui notait que "Comme membre du Tribunal, c'est pour moi une expérience amère d'être informé aujourd'hui que des actes criminels de la nature la plus abjecte, ordonnés par le gouvernement central du Japon, ont été tenus à l'écart de la Cour par le gouvernement des États-Unis."

De nombreux criminels ont bénéficié des rivalités entre les forces nationalistes de Chiang et les communistes de Mao pour échapper à la justice. Mentionnons parmi eux le général Yasuji Okamura, instigateur des maisons de confort où étaient employées les femmes de réconfort et maître d'œuvre de la Politique des Trois Tout (« tue tout, brûle tout, pille tout »), une stratégie de la terre brûlée, ou encore Masanobu Tsuji, instigateur du massacre de Singapour et complice de la marche de la mort de Bataan. Le tribunal était localisé au centre de Tokyo — quartier d'Ichigaya — dans les anciens bâtiments de l'académie militaire qui avait accueilli pendant la guerre le quartier général de l'Armée de terre. La disposition de la salle du tribunal était semblable à celle de Nuremberg. La première audience se tient le 3 mai 1946. Les audiences étaient publiques. La défense contesta rapidement — mais finalement en vain — les fondements juridiques de cette accusation : ce crime n'ayant pas d'existence juridique avant la création du tribunal, le principe de la non-rétroactivité des lois aurait dû interdire qu'on s'en servit contre les prévenus. Il leur fut opposé divers traités internationaux : la Seconde conférence de La Haye de 1907, le Traité de Versailles de 1918, le Pacte Briand-Kellog de 1928 (qu'avait signé le Japon).

Tous les accusés furent reconnus coupables de ce crime, pour l'une ou l'autre des guerres entreprises par le Japon. Étant donné la rareté des documents écrits, suite notamment aux destructions opérées par les autorités japonaises juste avant l'arrivée des américains, furent admis comme preuves des documents à l'authenticité parfois contestables comme le mémorandum tanaka par exemple. Le gouvernement américain et le SCAP étaient attentifs aux réactions de l'opinion publique japonaise - tout encadrée qu'elle ait pu être - à la nouvelle du procès et au procès lui-même . La tentative de suicide de Tojo fit sensation. Loin de susciter la compassion ou la révolte de la population, ce geste raté - et donc honteux au regard des sentiments d'honneur communément partagés - fut plutôt cause d'incompréhension et d'anxiété. Les Japonais auraient compris que Tojo se suicida à l'annonce de la reddition ; qu'il le fit au moment où il était en position de défendre le Japon à la barre d'un tribunal fut vécu comme un dangereux abandon pouvant placer l'empereur exposé en première ligne. À mesure que la presse - soumise à la censure américaine depuis le 11 septembre - rapportait les crimes perpétués par les troupes japonaises, se répandit dans la population le sentiment d'avoir été trompé par les militaires et les bureaucrates : les nouvelles des arrestations n'excitèrent pas la passion des foules par ailleurs aux prises avec un quotidien très difficile.

L'attachement à la personne de l'empereur était très forte (les opinions activement émises par les communistes japonais n'ayant qu'une faible audience). Le gouvernement de Naruhiko Higashikuni voulut s'appuyer sur ce sentiment pour enrayer le mouvement de libéralisation impulsé par les américains : suite à l'émoi suscité par la publication dans la presse d'une photo présentant l'empereur et MacArthur (lors de leur célèbre entrevue du 27 septembre), le ministre de l'intérieur Yamazaki Iwao tenta, le 29 septembre, de saisir les journaux en cause. Les Américains réagirent fortement en émettant une directive - SCAPIN 66 - antidatée du 27 septembre - mettant fin notamment au crime de lèse-majesté encore en vigueur ; de plus, ils exigèrent la démission de Yamazaki Iwao ; le 4 octobre la directive SCAPIN 93 prolongea les dispositions prises le 27 septembre.Naruhiko Higashikuni présenta alors la démission de son gouvernement le 5 octobre.

Les sentiments à l'égard de Tojo évoluèrent favorablement car s'attachant à défendre la politique menée par le Japon il ne centrait pas sa défense directement autour de ses intérêts personnels à la différence des autres accusés. En fait, comme l'exposa un rapport produit par les autorités américaines en août 1948, l'acceptation du Procès par les Japonais, loin de témoigner d'une réévaluation critique du passé résultait plus d'un trait culturel largement partagé voulant que le vaincu soit totalement soumis au vainqueur... trait qui avait justement été précédemment la cause de bien des horreurs (ainsi que le releva le juge Röling à l'issue du Procès). Si les débats prirent fin le 6 avril 1948, il fallut plusieurs mois aux juges pour rédiger leur jugement qu'ils rendirent public du 4 au 12 novembre 1948. Matsuoka Yosuke et Nagano Osami étant morts de causes naturelles (tuberculose, attaque cardiaque) pendant le procès, Okawa Shumei ayant été interné pour troubles mentaux dès le début de la procédure, le verdict ne concerna que 25 accusés sur les 28. Tous furent déclarés coupables (à Nuremberg, il y eu des acquittements). Des cinquante-cinq chefs d'accusation — soit par insuffisance de preuves soit par amalgame de charges voisines — seuls dix furent évoqués dans le verdict (huit au titre de guerre d'agression, deux au titre d'atrocités).

Aussitôt, les défenseurs introduisent un recours auprès du général MacArthur (au titre de l'article 17 de la Charte) qui, après consultation du Conseil Interallié pour l'Extrême-Orient le 22 novembre, confirme finalement — sans surprise — la décision du tribunal le 24 novembre. Sept condamnés tentèrent encore de saisir la Cour Suprême des États-Unis, qui se déclara finalement incompétente le 20 décembre. L'exécution des sept condamnés à la peine de mort suivit aussitôt. Ils furent pendus le 23 décembre 1948 dans la prison de Sugamo. Il s'agissait de :

 

  • Kenji Doihara
  • Koki Hirota
  • Heitaro Kimura
  • Seishiro Itagaki
  • Iwane Matsui
  • Akira Muto
  • Hideki Tōjō


Aucune photographie de l'exécution ne fut permise ; les corps des condamnés furent incinérés et leurs cendres dispersées par avion au dessus de la baie de Tokyo afin de prévenir toute commémoration ultérieure autour d'une tombe. Une source japonaise plus tardive prétend toutefois qu'une partie des cendres, soustraite à cette dispersion, aurait été enterrée près de Nagoya en 1960. Tous les autres prévenus furent condamnés à des peines d'emprisonnement de 7 ans (Mamoru Shigemitsu ), 20 ans (Shinegori Togo), ou à perpétuité (Sadao Araki, Kingoro Hashimoto, Shunroku Hata, Kiichiro Hiranuma, Naoki Hoshino, Okinori Kaya, Marquis Koichi Kido, Kuniaki Koiso, Jiro Minami, Takazumi Oka, Hiroshi Oshima, Kenro Sato, Shigetaro Shimada, Toshio Shiratori, Teiichi Suzuki, Yoshiro Umezu). Kuniaki Koiso, Toshio Shiratori, Yoshijiro Umezu et Shigenori Togo moururent en prison durant leur peine.

Le 24 décembre 1948, suite à une décision du gouvernement américain mais contre l'avis de MacArthur, dix-neuf prévenus accusés de crime de guerre de classe A furent libérés (six autres étaient morts en détention — comme le général Hayao Tada — ou avaient été libérés plus tôt) : les juristes pensaient qu'il y avait peu de chances qu'ils soient condamnés au titre de crime de guerre de classe A suivant la jurisprudence établie par le procès de Tokyo (deux d'entre eux furent toutefois ultérieurement poursuivis de nouveau, cette fois pour crimes de guerre conventionnels). Okawa Shumei, qui avait recouvré ses esprits depuis longtemps, fut également libéré de son asile une semaine après ces exécutions.

Certains des hommes politiques suspectés de crime de guerre qui ne furent pas jugés par le tribunal purent reprendre une vie politique, après la fin de l'interdiction de participation aux affaires publiques, en 1952, comme Nobusuke Kishi qui fut premier ministre en 1957, ou Ryōichi Sasakawa. En 1949, la ville de Khabarovsk sera le lieu des Procès de Khabarovsk, où furent jugés douze criminels de guerre japonais, anciens membres de l'Armée impériale japonaise du Guandong pour l'utilisation d'armes biologiques produites par l'Unité 731 dans la région de Changde pendant la Seconde Guerre mondiale. Le premier février 1950, les soviétiques appellent les États-Unis et leurs alliés à instituer un tribunal d'exception pour juger l'empereur ainsi que quatre généraux japonais, dont Ishii, au titre de crime contre l'humanité. Un refus leur est notifié par le biais d'un communiqué de presse en date du 3 février.

Le 7 (17) mars 1950 le commandement américain publie la circulaire n° 5 Clemency for War Criminals prévoyant la libération anticipée de prisonniers ayant fait preuve de bonne conduite. Mamoru Shigemitsu profite de cette disposition : il est relâché sur parole le 21 novembre 1950. Par le Traité de San Francisco — signé le 8 septembre 1951, qui prendra effet le 28 avril 1952 — le Japon s'est engagé à respecter le verdict du tribunal (en comparaison, l'attitude du gouvernement de la République Fédérale Allemande sera beaucoup plus ambigu concernant le Procès de Nuremberg ; à l'inverse, le gouvernement allemand conduira lui-même quelques procès après son indépendance, ce que ne fit pas le Japon).

Dans les années 1950 s'exprima un mouvement demandant l'aménagement des peines prononcées, voire l'amnistie des condamnés. Plus de dix millions de personnes pétitionnèrent en faveur des criminels de guerre emprisonnés. Le 16 juin 1952, le baron Kiichiro Hiranuma est libéré sur parole pour raisons de santé. Le 4 septembre 1952, le Président Harry Truman émet l'ordre exécutif n° 10393 instituant un comité chargé d'examiner les demandes d'atténuation des peines formulées par le gouvernement japonais Establishment of the Clemency and Parole Board for War Criminals.

À compter de 1954, les condamnés furent libérés par le nouveau Parti libéral démocrate et le retour au pouvoir d'anciennes personnalités influentes du régime shôwa comme Ichiro Hatoyama et Nobusuke Kishi. En 1954, Hashimoto Kingorô, Hata Shunroku, Minami Jirô, et Oka Takazumi furent libérés sur parole. Araki Sadao, Hoshino Naoki, Kaya Okinori, Kido Kôichi, Ôshima Hiroshi, Shimada Shigetarô, et Suzuki Teiichi le furent en 1955. Satô Kenryô, pourtant un des condamnés dont la condamnation était la plus discutée, ne fut libéré qu'en mars 1956. Cette libération permit à certains criminels d'occuper à nouveau des postes très importants dans l'administration japonaise, comme Mamoru Shigemitsu qui fut ministre des Affaires étrangères du gouvernement.

Ces libérations anticipées (ainsi que les cas non traités, comme la responsabilité de Hirohito) furent le reflet de la politique ambiguë des États-Unis vis-à-vis du Japon. La guerre froide battant son plein (avec la guerre de Corée), il fallait faire du Japon un pays allié et le meilleur moyen était de tourner la page le plus rapidement possible. Cela favorisa certainement la montée d'un révisionnisme japonais sur les crimes de guerre commis par le Japon. En 1978 les "âmes" de 14 personnes exécutées comme criminels de guerre de classe A furent "accueillies" dans le sanctuaire Yasukuni.

Certaines critiques furent formulées par les juges eux-mêmes. En effet, le jour même du prononcé du jugement, pas moins de cinq juges - sur onze - exprimèrent des jugements séparés : le juge indien Radhabinod Pal (qui avait arraché ce droit d'émettre un jugement séparé, initialement non prévu par la Charte, et déclara qu'il fallait acquitter tous les prévenus), le juge français Henri Bernard, le juge hollandais B. V. A. Röling, le juge philippin Delfin Jaranilla et même le président du tribunal, le juge Webb.

Pour Dower, "Même les pacifistes japonais qui ont endossé les idéaux de Nuremberg et de Tokyo, et qui ont travaillé à documenter et à publiciser les atrocités du régime shôwa, ne peuvent justifier la façon dont les procès sur les crimes de guerre ont été menés ; pas plus qu'ils ne peuvent défendre la décision américaine d'exonérer l'empereur de sa responsabilité pour la guerre et ensuite, au sommet de la guerre froide, de libérer et peu après d'embrasser des criminels de guerre d'extrême-droite accusés comme le futur premier ministre Nobusuke Kishi".

Plusieurs historiens critiquent cette décision d'exonérer l'Empereur et la famille impériale de poursuites criminelles. Selon l'historien John Dower, "La campagne menée à bien pour absoudre l'Empereur de sa responsabilité à l'égard de la guerre ne connut pas de limite. Hirohito ne fut pas seulement présenté comme étant innocent de tout action formelle qui aurait pu le rendre susceptible d'une inculpation comme criminel de guerre, il fut transformé en une sorte d'icone sainte ne portant même aucune responsabilité morale pour la guerre".

Selon Herbert Bix, "Les mesures réellement extraordinaires entreprises par MacArthur pour sauver Hirohito d'un jugement comme criminel de guerre eurent un impact persistant et profondément distordant dans la compréhension des Japonais à l'égard de la guerre perdue." et "Immédiatement à son arrivée au Japon, (le brigadier-général) Bonner Fellers se mit au travail pour protéger Hirohito du rôle qu'il avait joué pendant et à la fin de la guerre." et "permit aux principaux criminels de coordonner leur version des faits afin que l'empereur échappe à une inculpation".

Tout comme le Tribunal de Nuremberg, le tribunal de Tōkyō fut très politique mais il permit de juger des criminels et avec ses 11 juges, 12 procureurs, sa durée (2 ans et demi), son jugement de 1200 pages, ses comptes-rendus de 124 volumes, il eut une ampleur supérieure à celui de Nuremberg. Ces deux tribunaux participèrent à l'effort pour l'établissement d'une justice internationale pénale (voir l'article sur la Cour pénale internationale).

Les premières initiatives des Nations Unies en la matière furent d'ailleurs contemporaines du procès de Tokyo : d'abord, les résolutions du 11 décembre 1946 adoptèrent comme fondement le statut et la juridiction du Tribunal de Nuremberg. En 1947 M. Henri Donnedieu de Vabres, le représentant français auprès de la "commission pour le développement progressif du droit international et sa codification" - nouvellement créée - soumit - en vain - un mémorandum contenant son Projet de création d'une juridiction criminelle internationale. Une résolution du 21 novembre 1947 confia à une Commission du droit international (CDI) le soin d'élaborer un code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. a Charte du Tribunal militaire international de Tokyo n'a été ni ratifiée, ni publiée en France.

Procès des médecins nazis

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Le Procès des médecins ou Procès des docteurs (officiellement The United States of America v. Karl Brandt, et al.) a été le premier des douze procès pour crimes de guerre fait par les autorités américaines dans leur zone d'occupation en Allemagne à Nuremberg après la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

Première rangée, de gauche à droite:  Karl Brandt, Siegfried Handloser, Paul Rostock, Oskar Schröder, Karl Genzken, Karl Gebhardt, Kurt Blome, Joachim Mrugowsky, Rudolf Brandt, Helmuth Poppendick et Wolfram Sievers. Seconde rangée de gauche à droite: Gerhard Rose, Siegfried Ruff, Viktor Brack, Hans Wolfgang Romberg, Hermann Becker-Freyseng, Georg August Weltz, Konrad Schäfer, Waldemar Hoven, Wilhelm Beiglböck, Adolf Pokorny, Herta Oberheuser (la seule femme - on distingue à peine son visage) et Fritz Ernst Fischer.

Première rangée, de gauche à droite: Karl Brandt, Siegfried Handloser, Paul Rostock, Oskar Schröder, Karl Genzken, Karl Gebhardt, Kurt Blome, Joachim Mrugowsky, Rudolf Brandt, Helmuth Poppendick et Wolfram Sievers. Seconde rangée de gauche à droite: Gerhard Rose, Siegfried Ruff, Viktor Brack, Hans Wolfgang Romberg, Hermann Becker-Freyseng, Georg August Weltz, Konrad Schäfer, Waldemar Hoven, Wilhelm Beiglböck, Adolf Pokorny, Herta Oberheuser (la seule femme - on distingue à peine son visage) et Fritz Ernst Fischer.

20 des 23 accusés avaient été médecins, les trois autres étant fonctionnaires nazis. Ils ont tous été accusés d'avoir été impliqués dans l'expérimentation médicale nazie. Les attendus du jugement, appelés improprement Code de Nuremberg, ont été à la base des principes positifs éthiques de l'expérimentation clinique, plus tard décrits dans la Déclaration d'Helsinki.


Les accusés
 

  • Karl Brandt, autorité médicale suprême du IIIe Reich. Chargé notamment du programme Aktion T4, utilisé pour euthanasier les malades mentaux et les handicapés. Il est condamné à mort et exécuté le 2 juin 1948.
  • Karl Gebhardt, médecin de Heinrich Himmler et président de la Croix-Rouge allemande. Jugé pour avoir pratiqué des expériences sur les prisonniers des camps, spécialement les femmes de Ravensbrück. Condamné à mort, il est exécuté le 2 juin 1948.
  • Waldemar Hoven, médecin du camp de Buchenwald. Jugé pour avoir euthanasié massivement les déportés. Condamné à mort, il est exécuté le 2 juin 1948.
  • Joachim Mrugowsky, médecin et chef de l'Institut d'hygiène de la SS. Jugé pour expérimentation sur les prisonniers des camps. Condamné à mort, il est exécuté le 2 juin 1948.
  • Wolfram Sievers, dirigeant de l'Ahnenerbe. Jugé pour ses expériences mortelles sur des humains. Condamné à mort, il est exécuté le 2 juin 1948.
  • Kurt Blome, scientifique ayant testé des vaccins sur des prisonniers de camp de concentration. Jugé pour extermination de prisonniers malades et expériences conduites sur des êtres humains, il est acquitté.


Le tribunal
 

L'un des membres du tribunal, le docteur canadien Donald Ewen Cameron, fut plus tard le premier président de l'association mondiale de psychiatrie, après avoir travaillé pour la CIA dans le projet d'expérimentations illégales MKULTRA.

Hess Rudolf

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Rudolf Walter Richard Hess, (26 avril 1894 à Alexandrie, Égypte - 17  août 1987 à la prison de Spandau, Berlin-Ouest, République fédérale allemande) est une personnalité majeure du Troisième Reich. 

Rudolf Hess

Rudolf Hess

Après avoir gravité dans l'ombre d'Adolf Hitler dès ses débuts politiques, il en devient le représentant officiel auprès du parti nazi et participe activement en 1935 à la rédaction des lois de Nuremberg. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il prend l'initiative, à la veille de l'invasion de l'URSS, de s'envoler pour l'Écosse afin de négocier un accord de paix avec la Grande-Bretagne.

À son arrivée il est aussitôt arrêté par les autorités britanniques. Après la capitulation allemande il est condamné à l'emprisonnement à perpétuité lors du procès de Nuremberg. En 1987, après 46 ans de captivité, il est retrouvé mort pendu dans la prison de Spandau. Né le 26 avril 1894 à Alexandrie en Égypte dans une famille de commerçants européens (mère britannique d'origine grecque et père allemand autoritaire, politiquement ultra-nationaliste), il sert dans l'armée allemande lors de la Première Guerre mondiale. Il est blessé à plusieurs reprises et tente d'entrer dans l'armée de l'air, mais la guerre s'achève avant qu'il ne puisse piloter. Il adhère au NSDAP dès sa création en 1919 en prenant la 16e carte du parti .

Il rencontre Adolf Hitler en 1921 et tombe rapidement sous son influence. Lorsque Adolf Hitler prend la direction du NSDAP, il devient alors son secrétaire particulier. Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas lui mais Karl Haushofer qui est l'inventeur du concept de Lebensraum (espace vital). Il est cependant possible que ce soit Hess qui ait introduit l'idée auprès d'Hitler comme l'un des éléments majeurs de la politique nazie. Cette idée sera développée ultérieurement par d'autres personnes dans la revue qu'il dirige, Zeitschrift für Geopolitik (Cahiers pour la géopolitique). Rudolf Hess participe en 1923 au putsch de la brasserie à Munich.

Après l'échec de la tentative de coup d'État, il est emprisonné avec Hitler à Landsberg am Lech et l'aide à la rédaction de Mein Kampf. À sa sortie de prison, Rudolf Hess occupe une position privilégiée en tant qu'adjoint d'Hitler lors des premières années du mouvement nazi, mais son influence se réduit petit à petit dans les années 1930 lors de l'arrivée au pouvoir du parti nazi. En 1933, Hitler le considère publiquement comme son dauphin, puis comme le 3e homme du régime après Göring.

Rudolf Hess engage comme secrétaire personnel Martin Bormann et représente le Führer dans des manifestations mineures. En 1935, il participe activement à la rédaction des lois de Nuremberg.Il se passionne pour l'astrologie et les horoscopes et se nourrit de plantes médicinales. Certains y voient plutôt un esprit romantique cherchant à obtenir une paix séparée avec les Britanniques.

Il a un fils, prénommé Wolf Rudiger Hess (Rudiger vient de la légende des Niebelungen, le conte préféré de son père) ayant Hitler pour parrain. La marginalisation de son rôle politique s'accroît lors des premières années de la Seconde Guerre mondiale, qui focalise toute la gloire populaire sur les lieutenants d'Hitler : Hermann Göring, Joseph Goebbels et Heinrich Himmler. Il est cependant nommé membre du Conseil de la défense du Reich dès 1939 et assiste Hitler lors de la signature de l'armistice français de 1940 à Rethondes. Le 10 mai 1941, Rudolf Hess prétend vouloir essayer un Messerschmitt Bf 110 et détourne l'avion jusqu'au nord du Royaume-Uni.

Il saute en parachute à Ayrshire lorsqu'il essuie des tirs de DCA. Il se casse la cheville à son atterrissage et est immédiatement arrêté par les autorités britanniques. Il demande alors à rencontrer le Duc d'Hamilton qu'il dit connaître depuis une visite officielle du Prince de Galles en Allemagne avant la guerre. Il pense que le Duc serait un bon médiateur, au service de lord Halifax, opposant et successeur potentiel de Winston Churchill. Les services secrets avaient encouragé le premier ministre britannique à accepter d'ouvrir des discussions avec des représentants de l'Allemagne nazie pour laisser penser qu'une paix était envisageable. Pour rendre crédible cette opération, la stratégie consistait à laisser croire qu'une fois que Winston Churchill serait mis en opposition à la Chambre des Lords, Lord Halifax - son successeur le plus crédible - accepterait de négocier un arrêt des hostilités.

À cette époque, l'Empire britannique supportait seul l'effort de guerre et la politique de Churchill était très critiquée. Une partie de la classe politique, menée par Lloyd George, souhaitait l'arrêt des hostilités afin de préserver l'Empire. Rudolf Hess est emprisonné quelque temps à la Tour de Londres. Hitler prétend alors que Hess est devenu fou, et qu'il a agi de sa seule initiative. Toutefois, le colonel SS Otto Skorzeny affirme dans son livre La guerre inconnue que Hitler était parfaitement au courant du projet de Rudolf Hess de partir négocier en Grande-Bretagne. Martin Bormann lui succède au poste d'adjoint et Hess passe le reste de la guerre au Royaume-Uni. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,

Rudolf Hess est jugé au cours du procès de Nuremberg pour complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Au cours du procès, il ne se reconnaît coupable d'aucun de ces crimes et se dit même fier d'avoir servi son maître, Adolf Hitler, et le peuple allemand. Il va jusqu'à invoquer son action en Écosse où il avait tenté, selon lui, de mettre fin à la guerre entre l'Allemagne et le Royaume-Uni, au péril de sa vie, et avait été emprisonné pour cela. Des quatre chefs d'accusation, seuls sont finalement retenus le complot et les crimes contre la paix. Il écope de la prison à perpétuité, sanction qui sera appliquée sans remise de peine. Pendant les années qui suivent, il est le prisonnier « numéro 7 ».

Après les libérations de Baldur von Schirach et d'Albert Speer en 1966, il reste le dernier prisonnier de la prison de Spandau (Berlin-Ouest). Ses aumôniers (Charles Gabel 1977-1986 et Michel Roehrig 1986-1987) affirment que contrairement aux idées reçues, Hess n'avait rien d'un fou, ou d'une personne psychologiquement fragile. Seuls les Soviétiques se seraient opposés à une libération. Spandau étant à Berlin-Ouest, le détachement soviétique chargé de prendre la relève traversait en armes une partie de l'espace contrôlé par les Occidentaux ; cette particularité a pris fin avec le décès de Hess en 1987.

Il meurt à Spandau en 1987 à 93 ans, pendu à un fil électrique. Sa mort est classée comme un suicide, bien que son fils Wolf Rüdiger Hess ait toujours défendu la thèse d'un assassinat perpétré par les SAS ou la CIA. La thèse de l'assassinat est défendue par la famille de la victime, ainsi que par les néonazis qui voient à travers cette mort un martyr nazi. Les médecins légistes anglais confirment néanmoins la thèse du suicide. On peut lire sur la tombe de Rudolf Hess l'épitaphe suivante : « Ich habe gewagt » (« J'ai osé »). Cette phrase énigmatique alimente une controverse.

Les hypothèses sur ce qu'il aurait osé sont diverses : de se supprimer, d'avoir agi comme il le fit au cours de la Seconde Guerre mondiale, d'avoir essayé de faire la paix avec l'Angleterre, etc. Après la mort de Hess, la prison de Spandau fut détruite afin d'éviter qu'elle ne devienne un lieu de rassemblement de néonazis.

Cependant, des Allemands et d'autres personnes européennes se retrouvèrent à Wunsiedel, où il est enterré (c'est aussi la ville d'origine de sa famille paternelle), pour une « marche de la mémoire ». Ces manifestations se renouvellent chaque année, le jour anniversaire de la mort de Hess, bien qu'interdites de 1991 à 2000 (années durant lesquelles les marches eurent lieu dans diverses villes des alentours). Les marches de 2002 et 2003 (à nouveau autorisées) rassemblèrent plus de 500 personnes.

Rudolf Hess was convicted and sentenced to life in Spandau Prison on Oct. 1, 1946. This segment shows some of the highlights of the trial against Hess and his stay and death at Spandau prison. For further information, see www.roberthjackson.org.

Schirach Baldur von

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Baldur von Schirach (9 mars 1907 à Berlin - 8 août 1974 à Kröv-an-der-Mosel (de)) était le chef des Jeunesses hitlériennes et également gauleiter de Vienne. Il fut condamné à vingt ans de prison à la suite du procès de Nuremberg et emprisonné à la prison de Spandau. 

Baldur von Schirach

Baldur von Schirach

Baldur von Schirach est né le 9 mars 1907 à Berlin. Il est issu d'une riche famille d'aristocrates officiers et est le dernier des quatre enfants von Schirach. Son père, l'officier Carl von Schirach épousa Emma, la fille d'un avocat américain. En 1908, Carl démissionna de l’armée pour devenir directeur du théâtre de la Cour grand-ducale de Weimar. Baldur connaît une enfance privilégiée, marquée par la musique, le théâtre et la littérature.

Très tôt, il fit preuve d’un talent de poète et aime particulièrement Goethe. Malheureusement, la Première Guerre mondiale mit vite fin à cette vie sans souci. À 10 ans, le jeune von Schirach devint membre de la ligue des Jeunes Allemands, une organisation nationaliste et raciste. Le lendemain de la défaite allemande de 1918, son père fut révoqué et resta quelque temps sans emploi. Les désordres qui agitaient alors l’Allemagne traumatisèrent durablement la famille von Schirach. Le fils aîné ne supportant pas le déshonneur de sa patrie mit fin à ses jours.

Désenchanté, Carl von Schirach se tourne vers l’extrême-droite et devint l’un des partisans du parti national-socialiste. urant son adolescence, Baldur fut marqué par la haine de son père envers la République de Weimar. Au cours d’un voyage qu’il effectua avec sa mère aux États-Unis, sa famille américaine lui proposa de s’y installer pour entamer une carrière. Mais Baldur choisit de retourner en Allemagne. Le 29 août 1925, lors d’un dîner organisé dans la maison familiale, il fit la connaissance d'Adolf Hitler. L’adolescent profondément impressionné par cette rencontre adhéra peu après au NSDAP. En 1927, Baldur entra à la SA et s’installa à Munich où il s’inscrivit à l’université pour y suivre des cours d’histoire de l’art, d’anglais et de littérature allemande. n dépit de son jeune âge, von Schirach fit très vite partie du cercle intime des dirigeants du NSDAP. Ainsi, le 20 juillet 1928, il fut nommé à la tête de l’Union des étudiants hitlériens .

En 1929 son engagement politique le poussa à abandonner ses études. Propagandiste et organisateur remarquable du mouvement étudiant, il inspira chez ses compagnons les idéaux de la camaraderie, du sacrifice, de la discipline, du courage et de l’honneur. Il gagna ainsi à la cause nazie des centaines de milliers de jeunes. L'efficacité de son action auprès de la jeunesse et la dévotion aveugle qu’il exprime dans ses poèmes lui valent l’estime de Hitler. Le 30 octobre 1931, celui-ci le nomma chef des Jeunesses hitlériennes, poste qu'Hitler crééa spécialement pour lui. Baldur, qui n’avait que 24 ans, devint ainsi colonel SA. En mars 1932, il épousa Henriette Hoffmann, la fille du photographe personnel de HitlerHeinrich Hoffmann. Leur  témoin, Hitler, leur offrit un chien. Le couple aura quatre enfants, trois garçons et une fille. Le 31 juillet, von Schirach entre au Reichstag. Quelques mois plus tard, début octobre 1932, il organisa une monumentale marche de la jeunesse nazie.

Des dizaines de milliers de jeunes, venus à pied de toute l'Allemagne, rendirent ainsi hommage à Hitler au cours d’un défilé qui dura près de 7 heures. Le Führer fut lui-même très impressionné. A partir de janvier 1933, von Schirach travailla d’arrache-pied pour atteindre son objectif : inculquer à la jeunesse allemande les idéaux nazis. Il prit ainsi possession, par la force, des bureaux du comité des associations de jeunesse du Reich, puis de l’organisation des auberges de jeunesse. Le 17 juin 1933, lors d’une cérémonie en présence de Hitler, von Schirach devint chef des Jeunesses du Reich allemand. La Hitlerjugend fut ainsi libérée de la tutelle SA et devint autonome du parti. Entre janvier 1933 et 1934, les jeunesses hitlériennes passèrent de un à 3,5 millions de membres. À la suite du décret du 1er décembre 1936 qui en fit une organisation d’État, les adhérents furent de plus en plus nombreux. Von Schirach devint alors Secrétaire d’État à la jeunesse. Désormais, il ne dépendit plus que de Hitler et fut « entièrement responsable de l’éducation physique, idéologique et morale de la jeunesse allemande ».

En janvier 1937, avec l'aide du docteur Ley, il ouvrit les écoles Adolf Hitler pour former l’élite du IIIe Reich. Son organisation travailla en étroite collaboration avec le ministère de la propagande qui avait pour chef Joseph Goebbels. Présenté comme une sorte de héros, adulé par les jeunes nazis comme un dieu, les photographies du chef des jeunesses hitlériennes furent diffusées en nombre dans l’ensemble du Reich. En 1938, von Schirach déclara : « Le combat pour l’unification de la jeunesse allemande est terminé. Je considère comme de mon devoir de la conduire d’une manière dure et intransigeante [...] et je promets au peuple allemand que la jeunesse du Reich, la jeunesse d’Adolf Hitler, accomplira son devoir suivant l’esprit de l’homme à qui seul leurs vies appartiennent. » Le 25 mars 1939, l’adhésion aux jeunesses hitlériennes devint obligatoire pour les jeunes voulant faire des activités sportives ou encore aller à l'école. Elles regroupèrent alors 12 millions de jeunes. Von Schirach transforma ainsi la jeunesse allemande en « objet de propagande vivante », faisant ainsi l'embrigadement des parents par leurs enfants.

C'est à cette époque que von Schirach prononça la célèbre phrase dans un meeting, joignant le geste à la parole : « Quand j'entends le mot « culture », je sors mon revolver ! ». Cette phrase a en fait été écrite par Hanns Johst (de) (1890-1978), lui-même national-socialiste, qui l'a placée comme réplique d'un personnage de l'une de ses pièces de théâtre intitulée « Schlageter » (1933). Attribuée à tort à Hermann GoeringJoseph Goebbels ou von Schirach lui-même, c'est une des plus célèbres citations apocryphes du XXe siècle. Terrain d’entraînement des futurs officiers, les jeunesses hitlériennes devinrent également à partir du 26 août 1938 le vivier de la SS : à la suite d’un premier accord conclu entre Baldur von Schirach et Heinrich Himmler, les meilleures recrues furent orientées vers l’Ordre noir après avoir suivi un entraînement particulier. Un bureau de liaison entre la SS et la Hitlerjugend fut mis en place le 1er octobre, et un nouvel accord renforçant cette collaboration fut signé le 17 décembre 1938.

Quant à la coopération avec l’armée, elle fut renforcée le 11 août 1939. Von Schirach signa alors une nouvelle convention avec Wilhelm Keitel, commandant en chef de la Wehrmacht, suivant laquelle la Hitlerjugend effectuera l’entraînement pré-militaire suivant les règles fixées par l'armée qui, en contrepartie, s’engagea à former chaque année 30.000 instructeurs pour la jeunesse hitlérienne. Cependant, le Jugendführer n’avait pas que des amis au sein du NSDAP. L’un de ses principaux ennemis, Martin Bormann, fit en sorte de nuire à sa réputation par des plaisanteries sur son comportement. Il fut vrai que le grassouillet Baldur n’appréciait guère la vie spartiate qu’il faisait régner dans les camps de la Hitlerjugend, et se montra distant envers ses troupes lors de ses déplacements. Quelque temps après le déclenchement de la guerre, en décembre 1939, sans doute pour couper court aux insinuations de ses opposants, von Schirach rejoignit volontairement l’armée. Après avoir subi un entraînement, il servit sur le front de l’ouest à partir d’avril 1940 et participa à la campagne de France.

En juin 1940, promu lieutenant, il reçut la Croix de fer de seconde classe, avant d’être rappelé à Berlin par Hitler. Son opposition à la guerre et des litiges internes le conduisirent à être remplacé à la tête des jeunesses hitlériennes ; il resta néanmoins Reichsleiter, chargé de l’éducation de la jeunesse allemande. Déçu par son protégé, Hitler l’exila en le nommant en 1940 gouverneur de la région de Vienne et Reich commissaire à la défense. À partir de septembre 1940, il fut également chargé de l’évacuation des enfants des villes pour les protéger des bombardements britanniques. Dans la métropole viennoise, Baldur von Schirach donna de somptueuses fêtes. Sur place, ses responsabilités couvraient l’économie de guerre, l’administration de Vienne et celle du Gau sous la supervision du ministre de l’Intérieur. Il y fut responsable du programme de travail forcé. Surtout, dès sa prise de fonction, von Schirach précipita la déportation des Juifs de la région de Vienne. Le 2 octobre 1940, alors qu’il participait à une réunion dans le bureau de Hitler, il demanda au chef du Gouvernement Général de se charger des Juifs qui étaient encore présents à Vienne. Le 3 décembre 1940, à la suite de ses rapports, il reçut une lettre lui annonçant que Hitler avait décidé de déporter les 60 000 Juifs restant à Vienne vers le Gouvernement Général. Au total, il participa directement à l’envoi à l’Est de 185 000 Juifs. Expulsion qu’il jugea, dans l’un de ses discours, comme étant « une contribution active à la culture européenne ».

Von Schirach n’a désormais plus de réelle influence au sein du Reich. Ses rapports avec son Führer iront en se dégradant jusqu’à la fin du conflit. Bormann fit d’ailleurs en sorte d’envenimer leurs relations. Après le 17 novembre 1942, une nouvelle répartition administrative le déchargea de la responsabilité du Danube inférieur et du Danube supérieur. En 1943, il s’attira les foudres de Hitler pour avoir organisé à Vienne une exposition sur « l’art décadent ». La rupture fut pratiquement consommée au cours d’un dîner avec le Führer, le 24 juin 1943. Von Schirach aurait alors demandé qu’un meilleur traitement soit accordé aux peuples de l’Est, en particulier aux civils russes, et aurait protesté contre les conditions dans lesquelles s’effectue la déportation des Juifs. Quant à sa femme Henriette, elle se serait déclarée opposée aux déportations et aurait demandé au Führer s’il avait lui-même permis que les Juifs soient maltraités. Hitler, furieux, aurait quitté la pièce avec fracas.

Au moment de la prise de Vienne par l’Armée rouge le 13 avril 1945, von Schirach tenta dans un premier temps d’échapper à la capture. Sous le nom de Falk, il travailla à Schwaz, dans le Tyrol, comme interprète pour l’armée américaine. Cependant, quelques jours avant la capitulation allemande, le 5 mai 1945, il dévoila par lettre son identité aux Américains et se constitua prisonnier. Le 20 novembre, il fut mis en accusation par le tribunal de Nuremberg pour « plan concerté ou complot » et « crimes contre l’humanité ». Le principal acte d’accusation reposa sur sa participation aux déportations des Juifs d’Autriche. Au cours du procès de Nuremberg, von Schirach fut le seul, avec Speer et Hans Frank, à reconnaître la culpabilité du régime nazi et à faire preuve de quelque repentance. Il déclara : « Devant Dieu, devant la nation allemande, devant le peuple allemand, je porte seul la culpabilité d’avoir entraîné la jeunesse à soutenir un homme qui durant de longues années a été considéré comme étant irréprochable et qui a assassiné des millions de gens ». Il apporta la preuve qu’il avait protesté auprès de Bormann contre le traitement inhumain infligé aux Juifs et, déclarant que les crimes commis resteront pour des siècles une tache dans l’histoire allemande, il assura ne pas avoir eu connaissance de l’existence des camps d’extermination.

Affirmation fort douteuse, puisque ses fonctions lui valaient de recevoir les rapports du SD sur l’application de la « Solution Finale ». Il se défendit en déclarant que ses « principales activités à Vienne étaient sociales et culturelles ». Le 1er octobre 1946, disculpé du premier chef d’accusation, von Schirach fut reconnu coupable de Crime contre l'humanité et condamné à 20 ans de prison. Au cours de ses années d’incarcération, il commença à écrire secrètement ses mémoires. En 1950, les époux von Schirach divorcèrent. La même année, ses enfants demandèrent sa grâce, en vain. Ce fut un homme malade et prématurément vieilli qui sortit de la prison de Spandau le 30 septembre 1966. Jusqu’à son décès, il vécut retiré dans le sud-ouest de la République fédérale d'Allemagne. En 1967, il publia Ich glaubte an Hitler (J’ai cru en Hitler), tentant d’expliquer la fascination que le Führer avait exercée sur lui et sur la jeunesse allemande. Il mourut dans son sommeil dans un petit hôtel de Kröv-an-der-Mosel, le 8 août 1974.

Sauckel Fritz

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Fritz Sauckel (27 octobre 1894 - 16 octobre 1946) était un responsable nazi. Il organisa les déportations de travailleurs des pays occupés vers l'Allemagne.

Fritz Sauckel

Fritz Sauckel

Ernst Friedrich Christoph Sauckel (27 octobre 1894 à Haßfurt - 16 octobre 1946 à Nuremberg) était un responsable nazi. Surnommé le « négrier de l'Europe », il organisa les déportations de travailleurs des pays occupés vers l'Allemagne. Marin sur des navires de commerce, puis ouvrier d'usine, il adhéra en 1923 au parti nazi, dont il devint Gauleiter en Thuringe en 1927. Chef du gouvernement de Thuringe en 1932, puis Reichsstatthalter de Thuringe en 1933, il fut nommé plénipotentiaire général pour l'emploi de la main d'œuvre en 1942 et organisa à ce titre les déportations de travailleurs des pays occupés vers l'Allemagne. Son représentant en France était Julius Ritter, assassiné en septembre 1943. Il fut condamné à mort au cours du procès de Nuremberg pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité et pendu en 1946.

 

 

Marin sur des navires de commerce, puis ouvrier d'usine, il adhéra en 1923 au parti nazi, dont il devint Gauleiter en Thuringe en 1927. Chef du gouvernement de Thuringe en 1932, puis Reichsstatthalter de Thuringe en 1933, il fut nommé plénipotentiaire général pour l'emploi de la main d'œuvre en 1942 et organisa à ce titre les déportations de travailleurs des pays occupés vers l'Allemagne. Son représentant en France jusqu'à son assassinat en septembre 1943 était Julius Ritter. Il fut condamné à mort au cours du procès de Nuremberg pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité et pendu en 1946.

Sauckel Fritz Ernst Friedrich Christoph "Fritz" Sauckel (27 October 1894 – 16 October 1946) was a German Nazi politician, Gauleiter of Thuringia and the General Plenipotentiary for Labour Deployment from 1942 until the end of the Second World War. Sauckel was among the 24 persons accused in the Nuremberg Trial of the Major War Criminals before the International Military Tribunal. He was found guilty of war crimes and crimes against humanity, and was sentenced to death by hanging. He was born in Haßfurt (Kingdom of Bavaria), the only child of a postman and a seamstress. Sauckel was educated at local schools and left early when his mother fell ill.

He joined the merchant marine of Norway and Sweden when he was 15, first on a Norwegian three-masted schooner, and later on Swedish and German vessels. He went on to sail throughout the world, rising to the rank of Vollmatrose. At the outbreak of World War I, he was on a German vessel en route to Australia when the vessel was captured. He was subsequently interned in France from August 1914 until November 1919.

He returned to Germany, found factory work in Schweinfurt, and studied engineering in Ilmenau from 1922 to 1923. He joined the National Socialist German Workers Party (NSDAP) in 1923 (member 1,395). In 1924 he married Elisabeth Wetzel, with whom he had ten children. He remained a party member over its dissolution and publicly rejoined in 1925. Sauckel was appointed party Gauleiter of Thüringia in 1927 and became a member of the regional government in 1929. Following Hitler's appointment as Chancellor in 1933, he was promoted to Reich Regent of Thüringia and Reichstag member. He was also given an honorary rank of Obergruppenführer in the SA and the SS in 1934. During World War II he was Reich defence commissioner for the Kassel district (Reichsverteidigungskommissar Wehrkreis IX) before being appointed General Plenipotentiary for Labour Deployment (Generalbevollmächtigter für den Arbeitseinsatz) on 21 March 1942, on the recommendation of Martin Bormann.

He worked directly under Goering through the Four-Year Plan Office, directing and controlling German labour. In response to increased demands, he met the requirement for manpower with people from the occupied territories. Voluntary numbers were insufficient and forced recruitment was introduced within a few months. Of the 5 million foreign workers brought to Germany, around 200,000 came voluntarily according to Sauckel himself in his testimony at Nuremburg. The majority of the acquired workers originated from the Eastern territories, especially Poland and the Soviet Union where the methods used to gain workers were very harsh. The Wehrmacht was used to pressgang local people, and most were taken by force to the Reich. Conditions of work were extremely poor, and discipline severe, especially for concentration camp prisoners. All the latter were unpaid and provided with starvation rations, barely keeping those workers alive. Such slave labour was widely used by swathes of German industry, coal mining, steel making, armaments manufacture and so on. It was to be one of the main accusations against Sauckel when he was brought before the Nuremburg trials for his crimes. The use of forced and slave labour increased throughout the war, especially when Albert Speer came to power in 1943 to replace Fritz Todt in charge of armaments production, and he demanded much more labour from Sauckel as a result.

At the Nuremberg trials, Fritz Sauckel was accused of conspiracy to commit crimes against peace; planning, initiating and waging wars of aggression; war crimes and crimes against humanity. He defended the Arbeitseinsatz as "nothing to do with exploitation. It is an economic process for supplying labour". He denied that it was slave labour or that it was common to deliberately work people to death (extermination by labour) or to mistreat them. After a defense led by Robert Servatius, Sauckel was found guilty of war crimes and crimes against humanity, and together with a number of colleagues was hanged on 16 October 1946, just 11 days shy before his 52nd birthday. His last words were recorded as "Ich sterbe unschuldig, mein Urteil ist ungerecht. Gott beschütze Deutschland!" (I die an innocent man, my sentence is unjust. God protect Germany!).

La collaboration tactique

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Le collaborateur tactique dit : « J'accepte de collaborer malgré mon hostilité vis-à-vis du National-Socialisme et de l'Allemagne nazie. Je le fais pour un certain nombre de raisons : libérer le pays du joug étranger et recouvrer ma liberté, éviter, autant que possible, le massacre de masse de gens innocents, ... la collaboration dissimule la résistance et une forme de combat. ».
Otto Abetz (gauche) saluant le maréchal Pétain

Otto Abetz (gauche) saluant le maréchal Pétain

Pour illustrer cette forme de collaboration, Rings cite l'exemple d'employés de chemin de fer qui pouvaient faire circuler des trains le jour et pratiquer le sabotage la nuit. Autre exemple de cette sorte de collaboration : en janvier 1941, après que les Allemands ont menacé de bloquer l'approvisionnement en charbon du Danemark, ce dernier accepte de livrer des vedettes lance-torpille, mais après les avoir rendu pratiquement inutilisables. 

Une telle attitude a également été celle du président Emil Hácha de Bohême-Moravie, qui continue, en 1939, de rester en contact avec Edvard Beneš, réfugié à Londres. D'après Rings, certains groupes ou organisations sont amenés à pratiquer la collaboration tactique : les consistoires juifs, pour gagner du temps, les partis communistes avant juin 1941, pour exister politiquement.

Parfois également, certains groupes de résistants sont amenés à négocier avec l'occupant : Tito, en mars 1943, pour un échange de prisonniers, les Tchetniks, de façon beaucoup plus répétée, aussi bien avec les Allemands qu'avec les Italiens. En France, en 1944, l'OCM de Bordeaux, accepte de livrer aux Allemands 45 tonnes d'armes parachutées depuis Londres en échange de la libération de 300 prisonniers. En avril 1942, juste après son évasion, le général Giraud accepte de rencontrer Otto Abetz mais refusera les propositions qui lui sont faites.

Rings souligne que, sous la pression des évènements, la collaboration tactique ne peut pas durer longtemps : bien vite, le gouvernement d'Emil Hácha doit passer de la collaboration tactique à la collaboration conditionnelle, puis, inconditionnelle à partir de l'été 1940. Les partis communistes passent carrément à la résistance à partir de juin 1941, et même au Danemark, la collaboration prudente du gouvernement danois doit prendre fin en août 1943 date de sa dissolution.

Feldgendarmerie

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La Feldgendarmerie (terme traduit du français « gendarmerie »), était une unité de police militaire allemande entre la fin des guerres napoléoniennes et la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Feldgendarmes

Feldgendarmes

La Feldgendarmerie fut créée lors du regroupement des unités militaires allemandes, notamment au cours des guerres de 1866 et de 1870. En 1914, au début des hostilités de la Première Guerre mondiale, la Feldgendarmerie comptait trente-trois unités ; elles étaient au nombre de cent-quinze à la fin de la guerre.

Les « Feldgendarmes », péjorativement surnommés « Kettenhunde » (en français « chiens enchaînés ») à cause de la chaîne qu'ils portaient autour du cou, eurent un rôle important jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment en traquant des dizaines de milliers de déserteurs connus sous le nom de Fahnenflüchtiger. Selon la formule de Hitler qui disait que « les soldats peuvent mourir, mais les déserteurs doivent mourir », de nombreux déserteurs de l'armée allemande furent exécutés sommairement.

Vers la fin de la guerre, alors que le soutien populaire pour des actions autres que défensives commençaient à diminuer, la Feldgendarmerie fut surnommée « Heldenklau » (approximativement « voleur de héros ») à cause de toutes les missions impopulaires qui lui incombaient. Ces missions, notamment la recherche des déserteurs parmi les réfugiés et l'envoi des populations de l'arrière vers le front, contribuent à entacher l'image des gendarmes de la Wehrmacht. En outre, certaines unités de Feldgendarmerie sont chargées des missions d'occupation des territoires sous contrôle de la Wehrmacht. Ceci s'entend du contrôle du trafic aux missions de police civile en passant par la poursuite et l'exécution des résistants et des soldats ennemis isolés, le contrôle de la chasse de la pêche et de l'agriculture ou encore l'interception de tracts parachutés par l'ennemi.

Lorsque les unités quittaient une région, le contrôle était transféré aux unités SS. La participation de la Feldgendarmerie aux massacres et crimes de guerre commis par les SS n'a jamais été prouvée officiellement, même si, d'une façon générale, l'histoire de cette unité au cours du second conflit mondial a fait l'objet de nombreuses publications et recherches. Avec la création de la Bundeswehr, de nombreuses unités furent baptisées de noms choisis pour éviter toute ressemblance avec leurs équivalents de la Wehrmacht. En ce qui concerne la police militaire au sein de la Bundeswehr, ce rôle est assumé par les Feldjäger (ce nom est celui de l'ancienne Feldgendarmerie prussienne).


Montgomery Bernard

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Field Marshal  Bernard Law Montgomery, 1er vicomte Montgomery of Alamein, (très souvent référencé par son surnom «Monty») (17 novembre 1887, Londres - 24 mars 1976, Alton) est un officier d'infanterie britannique au début de la Première Guerre mondiale, puis un officier supérieur membre de l'état-major britannique au cours de l'entre-deux-guerres. Il exerce des responsabilités de commandement éminentes pendant la Seconde Guerre mondiale et surtout après le retour à la paix, en tant que chef de l'état-major impérial (C.I.G.S.) de 1946 à 1949, puis commandant adjoint des forces de l'OTAN de 1951 à 1958.

 

Bernard Montgomery

Bernard Montgomery

Bernard Law Montgomery est né dans le quartier de Kennington à Londres en 1887. Il est le quatrième d'une famille anglo-irlandaise de neuf enfants au train de vie modeste. Son père, le révérend Henry Hutchinson Montgomery est un prêtre anglican dévoué à l'église et à ses fidèles qui parvient à l'épiscopat après sa nomination en Tasmanie en 1889. À cette date, sa mère, Maud Farrar qui fut mariée à dix-sept ans, avait déjà eu cinq enfants du pasteur de Saint-Marc, Kennington Oval, lorsqu'elle était âgée de 25 ans.

Sa famille déménage de Moville dans le comté de Donegal près de Derry en Irlande du nord pour s'installer à New Park. Montgomery se considère lui-même en partie comme un natif d'Irlande et du comté de Donegal. En 1889, la famille suit le père pasteur nommé évêque en Tasmanie. Son père qu'il adore est un homme doux, presqu'un saint : dévoué envers les autres chrétiens et pointilleux sur ses obligations professionnelles, il est bien peu présent à la maison. Mrs Montgomery de nature autoritaire se retrouve responsable d'une grande famille, souvent renforcée par des cousins ou des enfants hébergés. Elle donne des consignes strictes et au besoin applique sans ménagement de sévères punitions corporelles ou psychologiques à ses trois premiers garçons. Elle gère aussi les faibles économies familiales d'une main de maître, imposant même à son époux de sévères restrictions.

Le vieux Montgomery a confié qu'il a eu une enfance assez malheureuse, car ses grands frères étant plus malléables ou diplomates, c'est sur lui enfant de nature rebelle et résistante qu'ont abouti les nombreux conflits violents entamés contre le despotisme maternel. Lorsque ces plus jeunes frères furent choyés par sa mère trentenaire, il devient rapidement le « mouton noir » de la famille, recevant coups de canne et rebuffades. Quand le petit solitaire en quête d'intimité avait disparu aux yeux de tous, la voix sèche de sa mère s'élevait souvent : « Allez voir ce que fait Bernard, et dites-lui de cesser immédiatement ». Mais à dix-neuf ans après avoir été longtemps placé en pension au collège, Bernard qui voulait être militaire avait un immense respect envers la maîtresse de maison qui - il le comprenait mieux adulte - n'avait pu lui apporter une affection maternelle.

En 1901, l'évêque Montgomery devient secrétaire de la Society for the Propagation of the Gospel (société de propagation de l'évangile) et la famille retourne à Londres fin 1901. Bernard et son frère Donald sont envoyés à l'école St Paul à Londres. Ces jeunes coloniaux tasmaniens sont robustes, résistants et vifs, adaptés à la nage, à la marche et à la course. Leur éducation scolaire a été négligée et ils ne connaissent ni le cricket ni le foot-ball, sports prédominants dans tous les collèges anglais.

À quatorze ans, le jeune fils Montgomery surnommé Monkey (singe) pour son aptitude bravache à tirer les cheveux des grands élèves n'est nullement préparé à la vie studieuse du collège anglais, mais il se précipite sur le sport, rugby à quinze et cricket à onze, parvenant à la responsabilité de capitaine de ces équipes. Monkey veut être soldat, mais ses notes en anglais sont catastrophiques en 1904. Son bulletin scolaire indique un retard d'une année. Bernard Law comprend qu'il ne pourra pas devenir officier et reprend les études avec assiduité.

En 1907, il entre au collège de l'Académie royale militaire de Sandhurst après un examen, puis prépare le concours, le passant au 72e rang sur 170. Le niveau est faible car les candidats de valeur ne sont pas attirés par la carrière des armes, au demeurant faiblement lucrative et très souvent coûteuse en Angleterre. Choisi par l'encadrement pour être caporal, et même pressenti pour être enseigne, le jeune homme sportif accompli s'affirme en leader de compagnie. Il faillit être renvoyé suite à une altercation avec un élève de la compagnie rivale durant laquelle les deux antagonistes se battent avec des tisonniers incandescents. Sa victime est brûlée au derrière par sa chemise enflammée. Le caporal Montgomery rendu responsable de l'agitation nocturne des chambrées et de l'exécrable rivalité entre compagnies est dégradé, il doit être renvoyé. Sa mère qui a financé ses études et surtout un ami nommé Forbes, major des Royal Scot Fusiliers interviennent en sa faveur. Sanctionné, il doit rester six mois de plus à Sandhurst, et n'est nommé sous-lieutenant au 1er bataillon du Royal Warwickshire Regiment (Mle 8742) que le 19 septembre 1908.

Sorti 36e de l'école, l'officier n'a pu prétendre à être admis dans l'armée des Indes, seule carrière dignement rétribuée. Or il n'a ni fortune personnelle ni source de revenu d'origine familiale : il ne peut servir en Angleterre où le coût moyen du mess des officiers dépasse la solde. Mais le régiment provincial possède un bataillon détaché qui sert en Inde. Ainsi il peut rejoindre en décembre 1908 à Peshawar le 1er bataillon. Son unité est mutée à la fin 1910 à Bombay jusqu'en 1913, date de sa rentrée en Angleterre. Il est témoin au mariage de son cousin St. John Philby.

Son intérêt pour l'art de la guerre est éveillé par le capitaine Lefroy, revenu d'un stage à l'école d'état-major de Camberley à la deuxième compagnie du régiment. Le lieutenant Montgomery, qui peut en dehors du service être un joyeux et bruyant trublion prend conscience des immenses lacunes de l'armée britannique. Mais le rappel violent survient en août 1914.

La Première Guerre mondiale éclate en août 1914 : le régiment du lieutenant Montgomery placé dans la dixième brigade de la quatrième division est envoyé en France. Il arrive après une longue marche de nuit sur les champs de blé près de Haucourt. C'est le moment de la retraite de la bataille de Mons. Son bataillon au bivouac doit attaquer l'unité allemande qui a investi par surprise la colline confiée à un second bataillon du régiment. L'attaque s'improvise sans reconnaissance préalable, sans plan, sans couverture de feu. C'est un carnage : la moitié des hommes de son bataillon sont inutilement tués, blessés ou faits prisonniers. Le commandant du régiment, rendu responsable, sera limogé de l'armée.

Les survivants abandonnés à leur sort doivent finalement se replier pendant plusieurs jours dans des conditions d'insécurité intolérables. Mais le major Poole, officier de grande valeur exerce dorénavant le commandement. Il réussit à sauver l'essentiel. La guerre reprend avec plus de prudence et de préparation pour le régiment avec quelques engagements dans l'Aisne. Enfin, ce qui reste du corps expéditionnaire anglais est envoyé sur le flanc nord du front allié en formation.

Sa compagnie charge vers les bâtiments aux abords du village de Méteren le 13 octobre 1914, non loin de la frontière belge. Après avoir pris les maisons, il est touché dans le village par un tir de sniper lors de la contre-offensive alliée. Grièvement blessé au poumon droit, il tombe à découvert et s'efforce de ne pas signaler sa survie. Un vaillant soldat anglais de sa section lui porte secours, le panse avant de s'effondrer, touché en pleine tête. Les tirs allemands dévastent le corps et le barda du malheureux qui protège Montgomery. Pris dans le feux croisés, il n'est à nouveau blessé qu'au genou. Tout le monde pense que les deux hommes sont morts. A la tombée de la nuit, les brancardiers les ramassent. Bernard est en mauvais état, au côté de son premier secouriste raide mort. A l'ambulance de campagne, les médecins débordés estiment qu'il n'en a plus pour longtemps avant d'agoniser. Ordre est donné de creuser les tombes. Lorsque les fossoyeurs viennent le chercher, il manifeste sa présence d'esprit par un râle. Il est dirigé vers un hôpital après un long et douloureux voyage. Pendant quelques mois d'hospitalisation, il comprend que l'organisation, la logistique et l'information ciblée sont cruciales. Autrement dit, suivant le vieil adage, « la plume est plus puissante que l'épée ».

Le lieutenant Montgomery reçoit l'insigne de l'Ordre du service distingué pour son commandement efficace et courageux lors de l'assaut de Méteren. Le blessé évacué en Angleterre se remet en quelques mois : guéri, il décide de se faire verser à l'état-major. Mais il est d'abord incorporé dans une brigade d'entraînement de la Kitchener's New Army au début de l'année 1915. En 1916, le commandant Montgomery revoit le front ouest en tant qu'officier de l'état-major des opérations dans la Somme, à Arras et Passchendaele. Il constate l'incroyable distance entre les planificateurs de l'état-major et les hommes sur le terrain. Pendant cette période, il est sous le commandement du général Herbert Plumer et s'occupe de l'instruction des hommes du 9e corps. Grâce à l'entraînement prodigué par Montgomery, aux répétitions et la combinaison de l'artillerie avec l'infanterie, les troupes de Plumer atteignent leurs objectifs avec un minimum de pertes.

Montgomery participe à la bataille de la Lys et à la troisième bataille de l'Aisne (bataille du Chemin Des Dames) avant de finir la guerre avec le rang d'officier de niveau 1 de l'état-major général et chef de l'état-major de la 47e division britannique (2e de Londres) avec le grade temporaire de lieutenant-colonel. Une photographie de 1918 montre le lieutenant-colonel Montgomery, alors peu connu, se tenant debout en face de Winston Churchill durant un défilé. Dans son état-major à Londres, il met au point un dispositif de progression de compagnies, utilisant des postes de télégraphie sans fil mettant en contact l'officier commandant la section et l'état-major à l'arrière qui peut ainsi coordonner sereinement les actions globales. Cette modélisation d'une tactique de progression toutes armes lui permet de mettre en avant le rôle d'officier de liaison, qui du fait de la généralisation de la motorisation, joueront un rôle crucial au cours du second conflit mondial.

Après la guerre, le lieutenant-colonel Montgomery commande un bataillon de l'armée britannique du Rhin avant de retrouver son grade de capitaine. Deux fois refusé à l'école ou Staff College de Camberley, il se fait inscrire grâce à la recommandation sollicitée sur un court de tennis auprès de son adversaire d'un jour, sir William Robertson, commandant en chef de l'armée d'occupation en Allemagne. Il rédige déjà des brochures et des manuels d'entraînement où il fait part de son expérience et des leçons apprises durant la guerre. Cet expert en art militaire étudie avec assiduité ce qu'il dénomme la vie (life) sous toutes ses formes.

Mais la sale guerre contre les Sinn Fein en Irlande du Sud hâte sa nomination de major à la 17e brigade d'infanterie vers la fin 1920. La brigade est basée dans le comté de Cork pendant la guerre civile irlandaise. Un cousin de Montgomery avait notamment été assassiné par l'IRA en 1920 (voir le gang du Caire). Montgomery prend part de manière significative au conflit. Efficace, il n'emploie toutefois pas des méthodes aussi expéditives et brutales que celles d'Arthur Percival. À son arrivée, Montgomery exige des unités de sa brigade que leur comportement soit « en deçà de tout reproche ». Mais la guerre dégénère en une campagne de massacres réitérées à la joie sadique de quelques officiers et soldats dégénérés. Il admet néanmoins plus tard que le fait de « connaître le nombre de maisons brûlées ne l'avait pas gêné » (faisant allusion à une directive gouvernementale spécifiant que les maisons des personnes suspectées d'appartenir à l'IRA ou d'être des sympathisants soient incendiées). L'officier de l'IRA Tom Barry dit de Montgomery qu'il s'était comporté d'une « manière très correcte ».

Montgomery se rend progressivement compte que le conflit avilissant pour les hommes et les officiers évolue au détriment de la Grande-Bretagne et que le retrait des troupes parait être la seule issue. En 1923, après l'établissement de l'État libre d'Irlande et pendant la guerre civile irlandaise, Montgomery écrit à Percival que « pour gagner une guerre de ce type, vous devez être impitoyable » et que la Grande-Bretagne démocratique du XXe siècle n'est pas prête à mettre en place ce genre de stratégie. Il ajoute que la « seule façon (de s'en sortir) était de leur (les Irlandais) donner une sorte de gouvernement et les laisser écraser la rébellion eux-mêmes ».

En 1923, Montgomery rejoint l'armée territoriale au sein de la 49e division d'infanterie (West Riding). Le célibataire endurci retourne au 1er régiment royal Warwickshire et commande une compagnie en tant que capitaine, occupe plusieurs postes d'état-major avant de devenir un instructeur au Staff College de Camberley en 1926. Il travaille trois années avec des hommes qu'il admire : Alan Brooke, Paget, Franklin... Il passe au rang de major. Très studieux et appliqué, affichant des opinions réformatrices dans un milieu d'officiers conservateurs en compétition effrénée pour cumuler fonctions et responsabilité au sein d'une armée soucieuse d'économies, prête à limoger ou mettre en longue indisponibilité à la suite de la moindre peccadille ou d'un sur-effectif constaté, Montgomery passe pour un officier atypique, libre penseur et rédacteur intellectuel mais d'une grande franchise, loyauté et disponibilité auprès des officiers généraux de l'état-major. Bénéficiant d'un réseau protecteur qu'ils ont tissé tout en gardant leur distance, les officiers atypiques sont craints. Marginaux suspectés d'être protégés d'en haut, ils s'attirent la haine larvée de ceux qui ne partage leurs convictions trop franchement exprimées. Des officiers supérieurs chefs de famille ne se privent pas de petites remarques désobligeantes sur son état-civil : « Toi, tu t'es décidément marié avec l'armée »

En janvier 1926, en vacances hivernales en Suisse, à Lenk dans l'Oberland bernois, il rencontre Sir Edward Crowe et sa famille ainsi qu'une mère de famille de deux enfants, veuve d'un officier anglais mort en 1915 à Gallipoli, Elizabeth Carver. Les deux enfants Carver avec lesquels il sympathise d'abord ont onze et douze ans : ils sont farouchement antimilitaristes. Montgomery et Crowe qui surveillent la sortie sportive des enfants et adolescents alors que les femmes restent ensemble, entament des discussions animées et joyeuses avec ces jeunes et irréductibles pacifistes. L'année suivante, il retourne à Lenk avec son ami Edward en janvier 1927. Là, il s'éprend de la veuve surnommée Betty. Ce coup de foudre chamboule sa vie. Il se marie le 27 juillet 1927. Un unique garçon David naît de leur union le 18 août 1928. Montgomery est lieutenant-colonel du 1er bataillon royal du régiment de Warwickshire en 1931. Il effectue son service en Palestine, en Égypte et en Inde. Sa femme qui, énergique et gaie, se révèle une excellente femme de colonel et son fils ne le quittent exceptionnellement qu'en période d'insécurité. Le père de famille attentionné est nommé colonel et instructeur au Staff College de l'armée indienne à Quetta en Inde.

Comme ce fut le cas pendant toute sa carrière, Montgomery s'attire les foudres de ses supérieurs en raison de son franc parler, de sa débrouillardise souvent perçue comme une arrogance envers le règlement, de ses manières dictatoriales pour défendre la solidarité du groupe, ainsi que pour son mépris des conventions lorsque celles-ci vont à l'encontre de l'efficacité militaire ou entrave la poursuite de l'objectif. Il met par exemple en place un bordel pour son bataillon, un établissement régulièrement inspecté par un médecin militaire, pour le « rafraîchissement horizontal » de ses soldats plutôt que de devoir les forcer à se rendre dans des lupanars irréguliers, une pratique potentiellement dangereuse pour la santé. En 1930, il est choisi pour remanier le manuel d'infanterie. Devant les protestations d'une commission pointilleuse, chapitre par chapitre, paragraphe par paragraphe, il décide d'ajourner le travail nécessaire à cette publication, mais remet ensuite une version définitive omettant tous les amendements de la commission dissoute.

Son père chéri décède en 1932 à Molville. En 1937, Montgomery devient officier commandant de la 9e brigade d'infanterie. Mais cette année reste dramatique pour Bernard et son fils. Sa femme Betty allongée dans le sable aurait été piquée par un insecte alors qu'elle réside en villégiature de fin de vacances à Burnham-on-Sea avec leur fils unique David. La blessure s'infecte méchamment, elle doit subir une amputation, tolère d'atroces souffrances et succombe des suites d'une septicémie le 19 octobre 1937. Bernard lui lit le psaume XXIII au moment où dans ses bras, elle expire. Il ne prévient son fils David pensionnaire de la terrible évolution de la maladie qu'immédiatement après les funérailles de sa femme. Dévasté par la mort de sa compagne, son seul et unique amour féminin connu, le brigadier Montgomery homme secret reste plusieurs jours cloîtré dans sa maison de Portsmouth. Puis gardant en mémoire les 3700 jours de sa merveilleuse vie conjugale, il insiste envers et contre tous pour recommencer son travail harassant à l'état-major. Père et fils instaurent une relation d'amitié durable en mémoire de Betty.

En 1938, il organise une opération amphibie combinée avec des exercices de débarquement. Ces démonstrations impressionnent le commandant en chef du commandant récemment nommé du secteur sud, le général Archibald Wavell qui le soutient avec un humour désarmant dans le terrible bras de fer qui l'oppose au major général Salisbury. Ce dernier responsable de l'administration du secteur sud s'entête à prêcher une sanction exemplaire auprès du War Office pour les moyens peu réglementaires que le brigadier Montgomery a employé afin de renflouer la caisse des services d'assistance aux familles des soldats mariés de son régiment. Montgomery inquiet est promu au rang de major-général et n'entend plus parler de l'affaire. Il est placé à la tête de la 8e division d'infanterie en Palestine. Il y réprime la révolte arabe avant de retourner, épuisé et malade d'une tâche au poumon, en juillet 1939 en Grande-Bretagne. Rétabli inopinément durant sa traversée au bon air, il est néanmoins mis en indisponibilité alors que la guerre couve en Europe. Il harcèle le War office et obtient de prendre le commandement de la 3e division d'infanterie (Iron).

La 3e division est d'abord déployée au sud de Lille dans le prolongement théorique de la ligne Maginot au sud de la frontière belge : elle fait partie du second corps dirigé par Alan Brooke, la force expéditionnaire britannique (BEF) commandé par Lord Gort, ancien chef de l'état-major impérial, se composant de deux corps d'armée à deux divisions. A gauche du corps expéditionnaire britannique, la division de Montgomery prend place dès l'ouverture véritable des hostilités le 10 mai 1940 à côté de l'armée belge indépendante à sa gauche. Avant cette date, la Belgique est strictement neutre.

Le sens critique de Montgomery supprime les dernières illusions cachant l'impréparation des troupes anglaises :

 

  • Le soutien administratif et l'organisation du haut commandement, inexistants avant le conflit, ont été improvisés dans l'urgence au moment de la mobilisation en septembre. Les dysfonctionnements et les choix illogiques sautent aux yeux d'un enfant. Les politiques inconscients n'avaient longtemps retenu qu'une contribution navale et aérienne britannique à une guerre annoncée sur le continent. Le réarmement timide n'avait commencé qu'au printemps 1939.
  • Il n'existe aucune mobilité indépendante dans l'armée britannique. Le moyen de déplacement est fourni par la réquisition de camions en Grande Bretagne. Les engins à fonction commerciale provenant de différentes villes anglaises sont vétustes ou en mauvais état ; les conducteurs improvisés n'ont aucune connaissance en maintenance mécanique. La route des ports de débarquement vers la zone de concentration à la frontière franco-belge est parsemée d'épaves, repérable à la trace des débris par quiconque.
  • Le système de transmission de l'armée de campagne est inadéquat. Aucune manœuvre réaliste à vaste ampleur n'a été effectuée au cours des dernières années. Les projets de liaisons sans fil entre front mobile et état-major des années 1919 sont restés lettre morte. Le silence des ondes imposé en France impose l'emploi du téléphone civil, bien peu fiable en temps de guerre.
  • Les armes et les équipements militaires sont absolument inadaptés au conflit. L'équipement antichar, mais à part quelques canons de deux livres faiblement efficace, est inexistant. Le brigadier achètent des canons légers en France. Il n'y a surtout pas de chars disponibles dans l'armée, à part une brigade de char à la disposition du C.Q.G. et Montgomery n'en verra aucun ni pendant la drôle de guerre ni au cours du brutal conflit en mai 1940, un comble pour le pays inventeur du char d'assaut en 1916.
  • La moindre difficulté du corps expéditionnaire ne peut être réglée sous un double commandement français contradictoire qui tantôt les fait appartenir au groupe d'armées n°1 du général Billotte, tantôt les remet sous le général Georges, responsable du front nord-est auprès du commandant en chef des armées alliés, le général Gamelin. La mort du général Billotte deux jours après un grave accident de voiture le 21 mai lors d'un repli de son quartier général laisse trois jours de vacance totale, avant son remplacement trop tardif par le chef de la 1er armée le général Blanchard.


Montgomery est stupéfait lorsqu'il lit mi-octobre 1939 un journal français rapportant les propos louangeurs au parlement du secrétaire d'état à la guerre, Leslie Hore-Belisha. L'armée récemment envoyée en France est équipée « de la manière la plus parfaite possible ». Il prédit un désastre au mieux similaire à celui de 1914 et passe beaucoup de temps à entraîner ses troupes pendant la Drôle de guerre puisqu'il constate qu'il n'y a aucun exercice de mouvement autorisé. Il privilégie l'instruction tactique plutôt que les opérations offensives. Il est à nouveau au cœur des critiques en raison de sa prise de position vis-à-vis de la sexualité des soldats.

Sa rigueur dans les entraînements est payante lorsque les Allemands débutent leur invasion aux Pays-Bas le 10 mai 1940. Sa 3e division avance jusqu'à la rivière Dyle et se retire jusqu'à Dunkerque avec un grand professionnalisme. Les pertes sont très limitées. Mais c'est la débâcle autant militaire que civile. Lord Gort qui souhaite ramener sain et sauf les soldats britanniques en terre d'Albion est pourtant relevé de ses fonction fin mai 1940. Pendant l'opération Dynamo qui consiste à évacuer les 330 000 membres de la force expéditionnaire piégée dans la poche de Dunkerque vers la Grande-Bretagne, Montgomery assume le commandement du 2e corps britannique.

À son retour, Montgomery qui se tient prêt à repartir avec d'autres troupes éveille l'hostilité du War Office en raison de ses opinions franches au sujet de la gestion de la force expéditionnaire. Relégué au rang de commandant de division, avec une nomination à l'Ordre du Bain, il est promu lieutenant-général en juillet 1940. Durant l'été 1940, il met en défense le secteur de Brighton face à un éventuel débarquement, suscitant l'ire effroyable des élus des villes balnéaires et des propriétaires des villas sur la côte. L'après-midi 2 juillet, il rencontre et reçoit pour la première fois de sa vie Mr et Mrs Churchill. Après la visite des installations sur le terrain, l'officier qui affirme ni boire d'alcool ni fumer et être à 100 % de ses moyens physiques parle au dîner en tête à tête avec le ministre qui lui rétorque avec vivacité qu'il boit et fume tout en se sentant en forme à 200 %. Montgomery avec franchise lui donne son point de vue sur l'équipement de combat, sur le fondamental entraînement à l'exercice des recrues et la nécessaire mobilité des troupes qui sont pourtant ici contraintes à un rôle uniquement statique. Il insinue aussi le lent combat pour affirmer des idées pratiques originales par des officiers marginaux et réformateurs au sein d'une armée caduque et rétrograde de l'entre-deux-guerre. Cette rencontre d'une personnalité primordiale de la politique jusque-là inconnue de lui est, affirme-t-il dans ses mémoires, la naissance d'une amitié. Son unité malgré la perplexité du War office recevra ses autobus pour organiser ses déplacements sur la ligne de front et ses mouvements de contre-attaques.

Placé à la tête du 5e corps britannique, il commence une longue querelle avec le commandant en chef du commandement du secteur sud, Claude Auchinleck. En avril 1941, il commande le 12e corps et en décembre 1941, il renomme le commandement du sud-est en armée du sud-est pour promouvoir l'esprit offensif. Durant cette période, il développe et applique ses idées sur ses soldats, avec à son apogée, l'exercice Tiger en mai 1942 qui implique 100 000 personnes.

En 1942, un autre commandant sur le terrain est nécessaire au Moyen-Orient et Egypte, théâtre des opérations où Auchinleck est commandant en chef succédant à Archibald Wavel. Auchinleck a stabilisé les positions alliées devant El-Alamein mais Winston Churchill décide à la suite d'une visite en août 1942, de le remplacer par Harold Alexander. Alan Brooke persuade le premier ministre de nommer Montgomery au rang de commandant de la 8e armée britannique engagée dans la campagne en Afrique du Nord. Le candidat préféré de Churchill était William Gott mais le prétendant fut tué lors de son retour du Caire.

Auchinleck et son état-major n'apprécient guère les méthodes de commandement de Montgomery mais celui-ci réussit à rénover le fonctionnement de la 8e armée. Il s'empare du commandement deux jours plus tôt que la date prévue (le 13 août 1942) et décide de renforcer immédiatement la position stratégique de Alam Halfa. Il regroupe le commandement de l'armée de l'air et de terre en une seule entité et ordonne la destruction de tous les documents et plans relatifs à une éventuelle retraite. Lorsque Brooke et Alexander visitent le quartier-général le 19 août, ils sont très surpris par la nouvelle ambiance instaurée par Montgomery. Pourtant, une photographie du 23 août 1942 montre la silhouette maigre et voûté du chef de la VIIIe armée gravissant quelques marche en uniforme d'été : un homme aux cheveux blancs, le visage émacié par des traits de fatigue, un officier presque accablé et dépressif, prématurément vieilli et conscient de la responsabilité qu'il engage sur ce front méridional, crucial en ces heures de guerre.

Montgomery réussit à transformer le moral des troupes mais il doit en contrepartie dénigrer Auchinleck et mettre en valeur l'intelligence stratégique de Wavel qui a posé les bases d'usage de l'espace dans ce conflit local. Il veille à apparaître le plus souvent possible au sein de la troupe, en rendant souvent visite à ses unités afin de se faire connaître. Avant l'arrivée de Montgomery, les unités de la 8e armée ont tendance à travailler séparément et à mener leurs propres batailles. Montgomery décide de mettre un terme à cette désorganisation et fait en sorte que les unités tirent sur la même corde.

Le commandant allemand de l'Afrika Korps, Erwin Rommel, essaie d'encercler la 8e armée lors de la bataille d'Alam Halfa le 31 août 1942. Les travaux des cryptanalystes de Ultra ont confirmé les intentions de Rommel, et Montgomery a vu juste en ordonnant la défense des positions alliées. Rommel est stoppé dans son offensive avec très peu de pertes mais Montgomery n'attaque pas les Allemands qui reculent en quittant l'Égypte. Il est critiqué pour cette décision mais avance que la 8e armée n'était pas en mesure de lancer une offensive mobile sur des forces allemandes mécanisées, fluides et quand même redoutables malgré leurs pertes. Au cours des opérations en Afrique du Nord, l'une de ses unités s'était particulièrement distinguée, la 7e division blindée, surnommé « les rats du désert ».

La reconquête de l'Afrique du Nord est essentielle pour installer des aérodromes à partir desquels le support sur Malte et l'opération Torch peuvent être lancés. Ignorant la demande de Churchill qui exige une mise en place rapide, Montgomery déploie l'infrastructure consciencieusement afin de mener l'offensive dans les meilleures conditions. Il ne veut pas se lancer hâtivement dans le combat et préfère être certain d'être en mesure de remporter la victoire. Il applique les méthodes qui ont fait leurs preuves : accumulation de ressources, planification poussée, entraînement des unités pour le combat nocturne et les assauts avec les 300 tanks Sherman ainsi que l'aspect psychologique avec des rencontres fréquentes avec la troupe.

La seconde bataille d'El Alamein commence le 23 octobre 1942 et se termine douze jours plus tard avec, pour la première fois de la guerre, une victoire significative des Alliés contre les Allemands sur terre. Montgomery prédit correctement la durée de la bataille et le nombre de pertes (13 500). La nouvelle enchante Churchill : « it is not the beginning of the end, it is the end of the beginning », clame-t-il. Montgomery est anobli à l'Ordre du Bain et promu général. La 8e armée en profite pour avancer alors que les Allemands dépités et épuisés battent en retraite sur des centaines de kilomètres en direction de la Tunisie. L'évènement marque un tournant en Afrique du Nord et montre que les Allemands ne sont plus invincibles. Montgomery conserve l'initiative en utilisant la supériorité de son armée quand cela est nécessaire. Il déloge infailliblement un Rommel acculé de chacune de ses positions successives. Le 6 mars 1943 dans le cadre de l'opération Capri, l'attaque massive de Rommel sur une 8e armée britannique très étendue à Médenine est un échec. Du 20 au 27 mars, sur la ligne de Mareth, Montgomery rencontre une opposition plus soutenue que prévue. Il emprunte une autre stratégie en prenant à revers les Allemands avec un support des chasseurs-bombardiers de la RAF opérants à faible altitude. Cette campagne montre que la victoire se joue à la fois sur le plan psychologique (la maladie et l'absentéisme sont éliminés de la 8e armée), sur le plan coopératif avec l'armée de l'air et l'armée de terre, sur le plan logistique avec des installations bien pensées et une planification précise avec des ordres clairs lors des opérations.

L'attaque alliée majeure qui suit est l'invasion de la Sicile (opération Husky). Les tensions notoires entre Montgomery et le haut-commandement américain débutent à ce moment. Montgomery met en doute le plan de l'invasion alliée et par la force des choses, les généraux américains Patton et Bradley n'apprécient pas cette incursion du général britannique dans leur stratégie. Même s'ils reconnaissent les qualités de Montgomery en tant que général, les Américains n'arrivent que difficilement à travailler avec sa personnalité très expansive. Montgomery continue à commander la 8e armée lors du débarquement en Italie, mais il abhorre le manque de coordination, la dispersion des efforts et une tactique qu'il considère comme inutilement compliquée. Le 23 décembre, il préfère se retirer de l'équipe décisionnelle pour la campagne italienne. Ainsi naît la légende de son mauvais caractère.

Montgomery retourne en Grande-Bretagne pour reprendre le commandement du 21e groupe de l'armée qui regroupe toutes les forces terrestres alliées qui doivent prendre part à l'opération Overlord, l'invasion de la Normandie. Les plans pour cette opération majeure ont été préparés durant deux années, notamment par l'état-major du commandant suprême allié (COSSAC). Montgomery arrive rapidement à la conclusion que le plan du COSSAC reste trop limité, et il plaide avec vigueur pour l'adjonction de deux divisions aux trois initialement prévues. De la même manière qu'en Afrique du Nord, il rend souvent visite à ses unités pour s'assurer du moral des troupes et de la qualité de l'instruction. Montgomery est le beau-frère de Percy Hobart, ingénieur militaire britannique et commandant de la 79e division blindée en charge du développement des Hobart's Funnies, une série de chars destinés au génie militaire. Hobart fait une démonstration des tanks à Eisenhower et à Montgomery au début de l'année 1944. Le 7 avril et le 15 mai 1944, Montgomery présente à l'école Saint-Paul sa stratégie pour l'invasion. En qualité de commandant des forces alliées d'invasion terrestre, il a prévu une bataille de quatre-vingt-dix jours, qui se terminerait lorsque les troupes auraient atteint la Seine en pivotant autour de Caen prise par les Alliés, les armées britanniques et canadiennes assurant l'offensive et l'armée américaine progressant à l'est.

Au cours des combats intensifs de la bataille de Normandie, qui s'étalent sur deux mois et demi, Montgomery n'arrive pas à suivre le plan original mais une série d'offensives improvisées et menées sous son commandement aboutit à l'une des plus grandes défaites allemandes sur le front ouest de l'Europe. La campagne lancée par Montgomery vise à harceler et à user l'ennemi. Cette stratégie est suivie jusqu'au milieu du mois de juillet. L'occupation de la péninsule du Cotentin et d'autres offensives à l'est permettent de sécuriser Caen et de concentrer les blindés allemands dans cette région. L'opération Cobra permet de percer les lignes allemandes et d'encercler la Wehrmacht. La thèse selon laquelle Montgomery fixait les blindés allemands à Caen pour permettre une percée américaine prête toujours à débat. Elle aurait en effet été développée par Montgomery lui-même, afin de justifier ses échecs récurrents dans la prise de Caen. De plus sa responsabilité est bien engagée dans le fait d'avoir trop tardé à fermer la poche de Falaise, permettant à une partie des troupes allemandes d'échapper à l'encerclement.

La présence croissante des troupes américaines sur le théâtre européen (2 divisions sur 5 le jour du débarquement, 72 sur 85 en 1945) rend politiquement impossible une gestion exclusivement britannique du commandement des forces terrestres. À la fin des opérations en Normandie, le général Eisenhower prend lui-même en charge le commandement des forces terrestres en même temps que le rôle de commandant suprême. Montgomery de son côté poursuit le commandement du 21e groupe d'armée qui comprenait désormais principalement des Britanniques et des Canadiens. Le général n'accepte que difficilement ce changement de situation, même si cette décision était antérieure au débarquement. Churchill a en quelque sorte dédommagé Montgomery en le nommant maréchal.

Promu maréchal le 1er septembre 1944, Montgomery réussit à persuader Eisenhower sur les opérations à mener en Allemagne : une stratégie fondée sur une percée d'une traite en direction de la Ruhr en septembre 1944 (opération Market Garden). Si Eisenhower s'était rallié à la cause du maréchal, George Patton s'était montré beaucoup plus réservé. Cette bataille fut l'une des plus inhabituelles pour Montgomery : l'offensive était trop audacieuse et mal planifiée. Elle est un échec avec la destruction de la 1re division aéroportée à Arnhem et la mort de plusieurs milliers de civils hollandais. Au total, 10 000 soldats alliés périssent durant l'opération, 8 000 sont capturés ou portés disparus. L'attention du maréchal s'étant fixée sur l'opération en Ruhr, il passe au second plan la tâche essentielle qui consiste à nettoyer les rives et la région de l'Escaut pendant la capture d'Anvers. Le groupe de Montgomery reçoit l'ordre de se concentrer sur cet objectif afin que le port d'Anvers soit ouvert lors de la bataille de l'Escaut.

Après la destruction d'Arnhem et l'évacuation de la population, les civils hollandais doivent subir le terrible hiver qui suit. Bien que l'opération Market Garden est un désastre et un effroyable gaspillage d'hommes, Montgomery refusera toujours de le reconnaître. Il dira même de cette opération qu'elle était à 90% une réussite.

Lorsque l'attaque surprise dans les Ardennes débute le 16 décembre 1944 avec la bataille des Ardennes, le front du 12e groupe de l'armée américaine est scindé. La première armée américaine est repoussée au nord des troupes allemandes. Le commandant du groupe, le général Omar Bradley se trouve au Luxembourg au sud de la percée et le commandement de la première armée devient problématique. Montgomery est le commandant le plus proche du feu de l'action et le 20 décembre, Eisenhower (alors à Versailles) transfère d'urgence le commandement de la 1re armée américaine (menée par Courtney Hodges) et la 9e armée américaine (commandée par William Hood Simpson) à Montgomery. Bradley s'indigne de cette décision pour des raisons nationalistes.

Montgomery profite de l'occasion et rend visite aux commandants des différentes unités. Il met en place un réseau de communication et attribue un rôle de réserve au 30e corps britannique. Les défenses américaines sont réorganisées au nord du front, et il ordonne l'évacuation de Saint-Vith. Le commandant allemand de la 5e armée de Panzers, Hasso von Manteuffel dit :

« Les opérations de la 1ère armée américaine s'étaient concrétisées par une série d'actions individuelles. La contribution de Montgomery pour corriger la situation fut de transformer ces séries d'actions isolées en une bataille cohérente suivant un plan clair et bien défini. C'est son refus de s'engager dans des contre-attaques prématurées et itératives qui a permis aux Américains de regrouper leurs réserves et frustrer les Allemands dans leurs tentatives d'extension de la percée »

Eisenhower demande à Montgomery de lancer l'offensive le 1er janvier afin de rencontrer l'armée de Patton en provenance du sud et de piéger les Allemands. Mais Montgomery refuse de lancer l'infanterie, qu'il considère comme insuffisamment entraînée, dans une tempête de neige et une zone qui lui paraît peu intéressante du point de vue stratégique. Il ne lance pas l'attaque avant le 3 janvier, date à laquelle les troupes allemandes ont déjà réussi à s'échapper. Une majeure partie des militaires américains pensent qu'il aurait mieux fait d'envoyer les troupes mais tout le monde savait que le maréchal exécrait les offensives irréfléchies. Après la bataille, la 1re armée américaine retourne dans le 12e groupe de l'armée. Quant à la 9e armée américaine, elle reste dans le 21e groupe de Montgomery jusqu'à ce qu'elle traverse le Rhin.

Son groupe avance jusqu'au Rhin avec les opérations Veritable et Grenade en février 1945. Après l'opération Plunder (la traversée du Rhin) soigneusement menée le 24 mars et l'encerclement du groupe B de l'armée allemande dans la Ruhr, le rôle de Montgomery consiste à assurer le flanc de l'avancée américaine. Cette vision est retravaillée pour devancer les troupes soviétiques qui se dirigent vers le Danemark. Le 21e groupe reçoit l'ordre d'occuper Hambourg et Rostock, empêchant ainsi l'Armée rouge de s'emparer de la péninsule danoise.

Le 4 mai 1945, à Lüneburg, Montgomery reçoit la délégation allemande apportant la capitulation officielle des forces du 3e Reich en Allemagne du nord, au Danemark et en Hollande. L'évènement eut lieu dans une tente sans aucune cérémonie particulière. Après la fin du conflit mondial, Montgomery reçut en 1946 le titre de Vicomte Montgomery of Alamein. Il fut le premier commandant de la British Army of the Rhine ( 1945-1946 ) puis chef de l'état-major général impérial de 1946 à 1948 mais cette fonction ne lui convenait pas puisqu'elle était politisée. Montgomery continua à entretenir des liens avec le régiment royal, et fut élevé au rang honorifique de colonel du régiment en 1947. Sa mère mourut en 1949 mais Montgomery ne se rendit pas à son enterrement car il était « trop occupé ».

Nommé commandant suprême ou président du comité de l'union des commandants en chef occidentaux, il fut un inspecteur-général efficace et mit en place des exercices utiles mais fut dépassé par la dimension politique de ce mandat. Montgomery devint adjoint au commandant suprême des forces atlantiques en Europe de 1951 à 1958, une fonction qu'il assura aux côtés d'Eisenhower et qui permit de mettre en place l'OTAN. Il prit sa retraite en 1958.

Entre 1951 et 1966, Montgomery fut président du rectorat de l'école St John à Leatherhead, Surrey. En 1953, le Hamilton Board of Education à Hamilton au Canada écrivit au maréchal Montgomery pour lui demander la permission de nommer une nouvelle école à l'est de la ville en son honneur. Le projet de la Viscount Montgomery Elementary se présentait comme l'école la plus moderne de l'Amérique du Nord lorsque la première pierre fut posée le 14 mars 1951. L'école fut inaugurée le 18 avril 1953, avec Montgomery dans le public de 10 000 personnes. Il déclara lors de son discours : « Gardez Bien », faisant référence au motto du blason de sa famille.

Montgomery disait de cet établissement qu'il était son « école bien-aimée » et lui rendit visite à 5 occasions, la dernière fois en 1960. Lors de sa dernière apparition, Montgomery dit aux étudiants : « Faisons de la Viscount Montgomery School la meilleure d'Hamilton, la meilleure en Ontario, la meilleure du Canada. Je ne m'associe pas avec quelque chose qui n'est pas bon. Il ne tient qu'à vous de voir tout ce qui est bien dans cette école. Il ne tient qu'aux étudiants d'être non seulement les meilleurs à l'école mais également de par leur comportement en dehors de la Viscount. L'éducation n'est pas seulement une chose qui va vous permettre de passer vos examens et vous faire décrocher un travail, mais également de développer votre cerveau pour qu'il puisse vous apprendre à rassembler les faits et à réaliser des choses. »

Sujet quasi intouchable durant bien des années, du fait de son extrême popularité, Montgomery fut ensuite âprement critiqué sur ses conceptions tactiques et stratégiques et certains aspects de sa personnalité comme son égocentrisme marqué, notamment par l'historien britannique Liddell Hart. Il lui fut reproché sa prudence extrême, sa détestation à prendre le moindre risque (sauf, curieusement, lors de l'opération d'Arnhem), et les nombreuses occasions manquées du fait de sa pusillanimité et de son égoïsme (poursuite de l'Afrika Korps, Falaise, percée de Patton en Lorraine...).

Avant sa retraite, les opinions franches de Montgomery sur certains sujets, comme les races, étaient souvent officiellement censurées. Après s'être retiré des affaires militaires, ces déclarations devinrent publiques, ce qui affecta sa réputation. Ses mémoires furent jugées arrogantes et ne servant qu'à assoir sa personnalité et ses actes. Il critiqua de nombreux compagnons qu'il avait côtoyé durant la guerre selon des termes très durs, y compris Eisenhower qu'il accusa entre autres d'avoir prolongé la guerre d'une année en raison de son incompétence. Ces accusations mirent un terme à leur amitié. Montgomery applaudit également l'apartheid et le régime de Mao Zedong. Il plaida contre la légalisation de l'homosexualité au Royaume-Uni, avançant que le Sexual Offences Act de 1967 était une « charte pour la bougrerie » et que « ce genre de chose était peut-être tolérée en France, mais nous sommes Britanniques, Dieu merci ! ».

Peut-être en partie à cause des scandales, Montgomery ne fut jamais anobli « earldom  » (contrairement à ses contemporains comme Harold Alexander et Archibald Wavell). Une tâche officielle qu'il voulait absolument honorer durant ses dernières années fut celle du port du Sword of State (littéralement « l'épée de l'état ») pendant l'ouverture du parlement. Arrivant à un âge avancé, certains se demandaient s'il était réellement capable de rester debout durant de longues périodes avec une arme aussi lourde. Ces craintes furent confirmées lorsqu'il s'évanouit durant la cérémonie en 1968. Il cessa définitivement ses activités publiques à la suite de cet incident.

La presse britannique avait trouvé en Montgomery un sujet idéal. Les journalistes photographiaient l'ancien maréchal en train de toucher sa pension au bureau local de la sécurité sociale. En raison de sa notoriété, beaucoup pensaient que Montgomery était à l'abri du besoin et qu'il dilapidait l'argent public. En fait, Montgomery avait toujours été un homme modeste et il fut blessé que l'opinion publique ne le juge pas comme tel.

Son domicile fut aussi cambriolé. Malgré son apparition à la télévision pour demander le retour de ses biens, essentiellement de valeur sentimentale, ces objets ne furent jamais retrouvés. Il est mort en 1976 à son domicile d'Alton dans le Hampshire et fut enterré au cimetière de Holy Cross à Binsted après des funérailles nationales à la chapelle Saint-George de Windsor.

Roosevelt Franklin Delano

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Franklin Delano Roosevelt, né le 30 janvier 1882 à Hyde Park, dans l’État de New York, et mort le 12 avril 1945 à Warm Springs, dans l’État de Géorgie, était le trente-deuxième président des États-Unis. Figure centrale du XXe siècle, il fut le seul président américain à être élu à quatre reprises à partir de 1932. Il ne fit qu'entamer son quatrième mandat, emporté par la maladie quelques mois après le début de celui-ci.

Franklin Delano Roosevelt

Franklin Delano Roosevelt

Confronté à la Grande Dépression, Roosevelt mit en œuvre le New Deal, un programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage. Il réforma le système bancaire américain, et fonda la Sécurité sociale. Il créa de nombreuses agences gouvernementales telles que la Works Progress Administration, la National Recovery Administration ou l’Agricultural Adjustment Administration. Il réussit à élaborer un nouveau mode de présidence, plus interventionniste et plus actif grâce à son équipe de conseillers, appelée Brain Trust.

Roosevelt fut l’un des principaux acteurs de la Seconde Guerre mondiale et rompit avec l’isolationnisme traditionnel de son pays. Dès avant l’entrée en guerre des États-Unis, il lança le programme Lend-Lease afin de fournir les pays alliés en matériel de guerre. Après l’attaque de Pearl Harbor, il assuma pleinement ses fonctions de commandant en chef de l’armée américaine et prépara largement la victoire des Alliés. Il tint un rôle de premier plan dans la transformation du monde au sortir du conflit, et inspira notamment la fondation de l'ONU. Critiqué par les uns, admiré par les autres, il a laissé une très forte empreinte dans l'histoire de son pays et celle du monde. Franklin Delano Roosevelt est né le 30 janvier 1882 à Hyde Park, une localité de la vallée de l’Hudson située à environ 160 km au nord de New York. Ses parents appartenaient à deux vieilles familles patriciennes de New York. Son père, James Roosevelt Sr. riche entrepreneur, avait un ancêtre hollandais, Nicholas Roosevelt, installé à la Nouvelle-Amsterdam, dont la descendance donnera un autre président américain Theodore Roosevelt, dont Franklin Delano épousera la nièce Eleanor.

Sa mère, Sara Ann Delano avait des ancêtres franco-luxembourgeois. Son grand-père maternel, Warren Delano Jr., qui avait fait fortune dans le commerce de l’opium avec la Chine, était un descendant de Philippe de La Noye (1602-1681), issu de l'illustre Maison de Lannoy, l’un des passagers du Fortune qui accosta à Plymouth en novembre 1621, rejoignant les premiers colons du Mayflower. La descendance de Philippe de La Noye donna quelques décennies auparavant un autre président aux États-Unis, le général Ulysses S. Grant. Franklin Roosevelt était fils unique ; il grandit sous l’influence d’une mère possessive et eut une enfance heureuse et solitaire. Il passait souvent ses vacances dans la maison familiale de l'île de Campobello située au Canada. Grâce à de nombreux voyages en Europe, Roosevelt se familiarisa avec les langues allemande et française. Il reçut une éducation aristocratique, apprit à monter à cheval, pratiqua de nombreux sports comme le polo, l’aviron, le tennis et le tir.

À l'âge de quatorze ans, il entra dans un établissement privé et élitiste, la Groton School dans le Massachusetts. Pendant ses études, il fut influencé par son maître, le révérend Endicott Peabody, qui lui enseigna le devoir chrétien de charité et la notion de service pour le bien commun. En 1899, Franklin Roosevelt continua ses études à Harvard où il résida dans la luxueuse Adams House. Il entra dans la fraternité Alpha Delta Phi et participa au journal étudiant The Harvard Crimson. Il perdit son père qui mourut en 1900. À cette époque, son cousin lointain et oncle par alliance Theodore Roosevelt accéda à la présidence des États-Unis et devint son modèle en politique. C'était le début de l'ère progressiste (« Progressive Era ») qui remodelait profondément le paysage politique américain, et c'est au sein du Parti démocrate qu'il entra en politique. Il appartenait aussi à la franc-maçonnerie et fut initié à New York le 11 octobre 1911.

En 1902, au cours d’une réception à la Maison Blanche, Franklin Roosevelt fit la connaissance de sa future épouse Anna Eleanor Roosevelt, qui était aussi la nièce du Président Theodore Roosevelt. Eleanor et Franklin Roosevelt avaient un ancêtre commun, le Hollandais Claes Martenzen van Roosevelt qui débarqua à la Nouvelle-Amsterdam (future New York) dans les années 1640. Ses deux petits-fils, Johannes et Jacobus ont fondé les deux branches de la famille, celle de l’Oyster Bay et celle d’Hyde Park. Eleanor et Theodore Roosevelt descendaient de la branche aînée, alors que Franklin Roosevelt était issu de la branche cadette, celle de Jacobus. En 1902, Franklin Roosevelt entra à l’école de droit de l’université Columbia mais abandonna son cursus en 1907 sans diplôme. Il passa avec succès l’examen du barreau de l’État de New York et fut engagé dès 1908 dans un cabinet d’affaires prestigieux de Wall Street, la Carter Ledyard & Milburn.

Franklin Roosevelt épousa Eleanor le 17 mars 1905 à New York, malgré l’opposition de sa mère. Lors de la cérémonie, Theodore Roosevelt remplaçait le père défunt de la mariée, Elliott Roosevelt. Le jeune couple s’installa ensuite sur le domaine familial de Springwood à Hyde Park. Alors que Franklin était un homme charismatique et sociable, sa femme était à cette époque timide et se tenait à l’écart des mondanités pour élever ses enfants :

  • Anna Eleanor (1906 – 1975)
  • James (1907 – 1991)
  • Franklin Delano Jr. (3 mars 1909 – 7 novembre 1909)
  • Elliott (1910 – 1990)
  • Franklin Delano, Jr. (1914 – 1988)
  • John Aspinwall (1916 – 1981)

Franklin Roosevelt eut plusieurs aventures amoureuses pendant son mariage : il entretint dès 1914 une liaison avec la secrétaire de son épouse, Lucy Page Mercer Rutherfurd. En septembre 1918, Eleanor trouva la correspondance écrite des amants dans les affaires de son mari. Elle menaça ce dernier de demander le divorce. Sous la pression de sa mère et de sa femme, Roosevelt s’engagea à ne plus voir Lucy Mercer et le couple sauva les apparences. Eleanore s’établit dans une maison séparée à Valkill, tout en continuant à voir son époux. Les enfants du couple ont eu quant à eux des existences tumultueuses : 19 mariages, 15 divorces et 22 enfants pour l’ensemble des cinq enfants. Les quatre fils ont participé à la Seconde Guerre mondiale comme officiers et ont été décorés pour leur bravoure au combat. Après le conflit, ils ont mené des carrières dans les affaires et la politique. Franklin Delano Roosevelt Jr. a représenté l’Upper West Side au Congrès pendant trois mandats et James Roosevelt pour le 26e district de Californie pendant six mandats.

Roosevelt n'aimait pas particulièrement sa carrière juridique et ne termina pas ses études de droit commencées à l'Université de Columbia . Il se tourna vers la politique à la première occasion. En 1910, il se présenta au poste de sénateur démocrate pour le 26e district de l’État de New York. Il fut élu et entra en fonction le 1er janvier 1911 au Sénat d’Albany. Il prit rapidement la tête d’un groupe parlementaire de réformistes qui s’opposait au clientélisme du Tammany Hall, la « machine » politique du Parti démocrate à New York. Roosevelt devint un personnage populaire parmi les démocrates de l'État et fut réélu le 5 novembre 1912 grâce au soutien du journaliste Louis Howe, avant de démissionner le 17 mars suivant. En 1914, il se présenta aux élections primaires pour le poste de sénateur mais fut battu par le candidat soutenu par le Tammany Hall, James W. Gerard.

En 1913, Roosevelt fut nommé Secrétaire adjoint à la Marine par le président Woodrow Wilson et travailla pour Josephus Daniels, le Secrétaire à la Marine des États-Unis. Entre 1913 et 1917, il s’employa à développer la marine américaine et fonda la United States Navy Reserve. Pendant la Première Guerre mondiale, Roosevelt fit preuve d’une attention particulière pour la marine et milita pour le développement des sous-marins. Afin de parer aux attaques sous-marines allemandes contre les navires alliés, il proposa d’installer un barrage de mines en mer du Nord, entre la Norvège et l’Écosse. En 1918, il inspecta les équipements navals américains en Grande-Bretagne et se rendit sur le front en France. Pendant sa visite, il rencontra Winston Churchill pour la première fois. Après l’armistice du 11 novembre 1918, il fut chargé de superviser la démobilisation et quitta son poste de Secrétaire-adjoint à la Marine en juillet 1920.

En 1920, la convention nationale du Parti démocrate choisit Franklin Roosevelt comme candidat à la vice-présidence des États-Unis, aux côtés du gouverneur de l’Ohio James M. Cox. Dans un discours prononcé à Butte (Montana) le 18 août 1920, il mit en avant son rôle dans la rédaction de la constitution imposée à Haïti en 1915 : « J’ai écrit moi-même la constitution de Haïti, et je pense que cette constitution est plutôt bonne. » Le ticket Cox-Roosevelt fut battu par le Républicain Warren Harding qui devint président. Après cet échec, il se retira de la politique et travailla à New York : il fut vice-président d’une société de vente par actions et directeur d’un cabinet d’avocats d’affaires.

En août 1921, pendant ses vacances à l'île Campobello, Roosevelt contracta une maladie que l’on pensait être à l’époque la poliomyélite. Il en résulta une paralysie de ses membres inférieurs : il avait alors 39 ans. Il ne se résigna jamais à accepter la maladie, fit preuve de courage et d’optimisme. Il essaya de nombreux traitements : en 1926, il acheta une propriété à Warm Springs en Georgie, où il fonda un centre d’hydrothérapie pour les patients atteints de la poliomyélite, le Roosevelt Warm Springs Institute for Rehabilitation, qui est toujours en activité. Le jour de sa première investiture présidentielle, il reçut personnellement des enfants paralytiques. Pendant sa présidence, il participa à la création de la National Foundation for Infantile Paralysis. Roosevelt cacha la dégradation de son état de santé pour pouvoir être réélu. En public, il marchait avec des attelles orthopédiques ou une canne ; en privé, il se déplaçait en fauteuil roulant. Lors de ses apparitions publiques, il était soutenu par l’un de ses fils ou par un auxiliaire. Une étude de 2003 a démontré que Roosevelt n’était pas atteint par la polio mais par le syndrome de Guillain-Barré.

Roosevelt prit bien soin de rester en relation avec le Parti démocrate et s’allia avec Alfred E. Smith, ancien gouverneur du New Jersey. Il se rapprocha du Tammany Hall et fut finalement élu gouverneur de l'État de New York à une courte majorité et dut cohabiter avec un Congrès à majorité républicaine. Il prit sa charge de gouverneur en 1929 et entama aussitôt une politique novatrice et audacieuse pour l'époque : il agit en faveur des campagnes (reboisement, conservation du sol), établit des programmes sociaux comme l'office temporaire des secours d'urgence (Temporary Emergency Relief Administration) qui accordait des aides financières directes aux chômeurs. Deux concepts forts, outre un remarquable pragmatisme, dominaient son action publique. Tout d'abord l'idée qu'il était souvent nécessaire de substituer la liberté collective à la liberté individuelle, mais aussi sa grande méfiance envers l'idée de concurrence sans contrainte (« la coopération doit intervenir là où cesse la concurrence » et celle-ci « peut être utile jusqu'à une certaine limite mais pas au-delà »). C'est ainsi qu'il réduisit la durée du temps de travail pour les femmes et les enfants, lança un programme d'amélioration des hôpitaux, des prisons et renforça l'autorité publique.

Ses détracteurs l'accusèrent d'être « socialiste », dans un sens péjoratif. Roosevelt fit en effet preuve d'une grande tolérance sur les thèmes de l'immigration et de la religion, tolérance qui se manifesta par ses réserves sur la politique des quotas, sur la prohibition et sur les querelles internes au Parti démocrate entre juifs, catholiques et protestants. C'est à cette époque que Roosevelt commença à réunir une équipe de conseillers parmi lesquels Frances Perkins et Harry Hopkins, en prévision de son élection au poste de président. Le principal point faible de son mandat fut la corruption de Tammany Hall à New York. Roosevelt fut réélu en 1930 contre le Républicain Charles Egbert Tuttle pour un deuxième mandat de gouverneur de l'État de New York.

La même année, les Boy Scouts of America (BSA) lui décernèrent la plus haute distinction pour un adulte, la Silver Buffalo Award, en l’honneur de son engagement pour la jeunesse. Roosevelt soutint le premier Jamboree scout et devint président honoraire des BSA. Roosevelt remplaça le catholique Alfred E. Smith à la tête du Parti démocrate de New York dès 1928. La popularité de Roosevelt dans l’État le plus peuplé de l’Union fit de lui un candidat potentiel à l'élection présidentielle de 1932. Ses adversaires à l'investiture, Albert Ritchie, le gouverneur du Maryland et W. H. Murray, celui de l'Oklahoma, étaient des personnalités locales et moins crédibles. John Nance Garner, candidat de l’aile conservatrice du Parti, renonça à la nomination en échange du poste de vice-président, charge qu’il assuma jusqu’en 1941. Roosevelt resta confronté à l'hostilité affichée du président du parti, John Raskob, mais reçut le soutien financier de William Randolph Hearst, de Joseph P. Kennedy, de William G. McAdoo et d’Henry Morgenthau.

L’élection présidentielle se déroula dans le contexte de la Grande Dépression et des nouvelles alliances politiques qui en découlaient. En 1932, Roosevelt avait récupéré physiquement de sa maladie, si ce n'est l'usage de ses jambes, et il n'hésita pas à se lancer dans une épuisante campagne électorale. Dans ses nombreux discours électoraux, Roosevelt s’attaqua aux échecs du président sortant Herbert Hoover et dénonça son incapacité à sortir le pays de la crise. Il s’adressa en particulier aux pauvres, aux travailleurs, aux minorités ethniques, aux citadins et aux Blancs du Sud en élaborant un programme qualifié de New Deal (« nouvelle donne ») : il avait prononcé cette expression lors de la Convention démocrate de Chicago le 2 juillet 1932. Il développa surtout les questions économiques et proposa une réduction de la bureaucratie et une abolition partielle de la Prohibition. Le programme de Roosevelt n'obéissait à aucune idéologie, bien qu'il fut d'inspiration social-démocrate et keynésienne, et n'était pas précis quant aux moyens qui devraient être mis en œuvre pour aider les Américains les plus pauvres.

La campagne de Roosevelt fut un succès pour plusieurs raisons. Tout d'abord le candidat fit preuve de pédagogie et sut convaincre les Américains par ses talents d’orateur. Il parcourut près de 50 000 kilomètres à travers tout le pays pour convaincre ses électeurs. De plus, Roosevelt avait mûri politiquement sous l'influence de personnalités comme Louis Howe, l'un de ses associés, ou Josephus Daniels, son ministre de tutelle à la Marine. Il ne faut pas négliger non plus le rôle des conseillers du gouverneur qu'il fut, tels Raymond Moley, Rexford Tugwell, Adolf Berle, tous les trois chercheurs et universitaires, généralement de Columbia, pressentis par Samuel Rosenman le rédacteur des discours de Roosevelt. Ces hommes, avec Bernard Baruch, un financier ancien chef du War Industries Board durant la Première Guerre mondiale, ou encore Harry Hopkins, son confident, qui constituèrent ensuite le célèbre « Brain Trust » du président. Mais le succès de Roosevelt fut surtout dû à l'extrême impopularité du président Hoover et de sa politique de « laisser-faire » ayant largement aggravé la crise de 1929.

Le 8 novembre 1932, Roosevelt recueillit 57 % des voix et le Collège électoral lui était favorable dans 42 États sur 48. Le Congrès était acquis au Parti démocrate. Les États de l’Ouest, du Sud et les zones rurales le plébiscitèrent. Les historiens et les politologues considèrent que les élections de 1932-1936 ont fondé une nouvelle coalition autour des Démocrates et le 5e système de partis. Le 15 février 1933, Roosevelt échappa à un attentat alors qu’il prononçait un discours impromptu depuis l'arrière de sa voiture décapotable à Bayfront Park à Miami en Floride. L’auteur des coups de feu était Joseph Zangara, un anarchiste d’origine italienne dont les motivations étaient d’ordre personnel. Il fut condamné à 80 ans de réclusion, puis à la peine de mort, car le maire de Chicago Anton Cermak mourut des blessures reçues pendant l’attentat.

Lorsque Franklin Roosevelt prit ses fonctions de Président de États-Unis le 4 mars 1933, le pays était plongé dans une grave crise économique : 24,9 % de la population active, plus de 12 millions de personnes étaient alors au chômage et deux millions d’Américains étaient sans-abri. Entre 1930 et 1932, 773 établissements bancaires firent faillite. Lors de son discours inaugural, Roosevelt dénonça la responsabilité des banquiers et des financiers dans la crise ; il présenta son programme directement aux Américains par une série de discussions radiophoniques connues sous le nom de fireside chats (« causeries au coin du feu »). Le premier cabinet de l'administration Roosevelt comprenait une femme pour la première fois de l'histoire politique américaine : il s'agissait de Frances Perkins, qui occupa le poste de Secrétaire au travail jusqu'en juin 1945.

Au début de son mandat, Roosevelt prit de nombreuses mesures pour rassurer la population et redresser l’économie. Entre le 4 mars et le 16 juin, il proposa 15 nouvelles lois qui furent toutes votées par le Congrès. Le premier New Deal ne fut pas une politique socialiste et Roosevelt gouverna plutôt au centre. Entre le 9 mars et le 16 juin 1933, période de Cent Jours qui correspond à la durée de la session du Congrès américain, il fit passer un nombre record de projets de loi qui furent facilement adoptés grâce à la majorité démocrate, au soutien de sénateurs comme George Norris, Robert F. Wagner ou Hugo Black, mais aussi grâce à l’action de son Brain Trust, l'équipe de ses conseillers issus pour la plupart de l'Université Columbia. Pour expliquer ces succès politiques, les historiens invoquent également la capacité de séduction de Roosevelt et son habileté à utiliser les médias.

Comme son prédécesseur Herbert Hoover, Roosevelt considérait que la crise économique résultait d’un manque de confiance qui se traduisait par une baisse de la consommation et de l’investissement. Il s’efforça donc d’afficher son optimisme. Au moment des faillites bancaires du 4 mars 1933, son discours d'investiture, entendu à la radio par quelque deux millions d'Américains, comportait cette déclaration restée célèbre : « The only thing we have to fear is fear itself » (« la seule chose que nous ayons à craindre, c’est la crainte elle-même »). Le jour suivant, le président décréta un congé pour les banques afin d’enrayer la panique causée par les faillites, et annonça un plan pour leur prochaine réouverture.

Le 9 mars 1933 passe l'Emergency Banking Act (approximativement "Loi de secours bancaire") au Congrès, suivi le 5 avril de l'Ordre exécutif présidentiel 6102 requérant des possesseurs de pièces d'or de le retourner au Trésor américain. En trente jours, un tiers de l'or en circulation est retourné au Trésor. Le 28 aout le Président Roosevelt publie une autre ordonnance enjoignant à tout possesseur d'or d'enregistrer ses avoirs auprès du Trésor public.

Roosevelt poursuivit le programme de Hoover contre le chômage placé sous la responsabilité de la toute nouvelle Federal Emergency Relief Administration (FERA). Il reprit également la Reconstruction Finance Corporation pour en faire une source majeure de financement des chemins de fer et de l’industrie. Parmi les nouvelles agences les plus appréciées de Roosevelt figurait le « corps de préservation civile » (Civilian Conservation Corps - CCC -), qui embaucha 250 000 jeunes chômeurs dans différents projets locaux. Le Congrès confia de nouveaux pouvoirs de régulation à la Federal Trade Commission et des prêts hypothécaires à des millions de fermiers et de propriétaires. En outre, le 19 avril, les États-Unis abandonnaient l’étalon-or, ce qui eut pour effet de relancer l’économie.

Les réformes économiques furent entreprises grâce au National Industrial Recovery Act (NIRA) de 1933. Cependant la cour suprême le déclara anticonstitutionnel par une décision du 27 mai 1935. Le NIRA établissait une planification économique, un salaire minimum et une baisse du temps de travail ramené à 36 heures hebdomadaires. Le NIRA instaurait également plus de liberté pour les syndicats.

Roosevelt injecta d'énormes fonds publics dans l’économie : le NIRA dépensa ainsi 3,3 milliards de dollars par l’intermédiaire de la Public Works Administration sous la direction de Harold Ickes. Le Président travailla avec le sénateur républicain George Norris pour créer la plus grande entreprise industrielle gouvernementale de l’histoire américaine, la Tennessee Valley Authority (TVA) : celle-ci permit de construire des barrages et des stations hydroélectriques, de moderniser l’agriculture et d’améliorer les conditions de vie dans la vallée du Tennessee. En avril 1933, l'abrogation du Volstead Act qui définissait la prohibition, permit à l’État de lever de nouvelles taxes.

Roosevelt essaya de tenir ses engagements de campagne sur la réduction des dépenses publiques : mais il souleva l’opposition des vétérans de la Première Guerre mondiale en diminuant leurs pensions. Il fit des coupes sévères dans le budget des armées ; il baissa le salaire et le nombre des fonctionnaires par l'Economy Act le 20 mars 1933. Il réduisit également les dépenses dans l’éducation et la recherche.

Le relèvement de l’agriculture fut l’une des priorités de Roosevelt comme en témoigne le premier Agricultural Adjustment Administration (AAA) qui devait faire remonter les prix agricoles. Son action fut critiquée car elle imposait de détruire les récoltes alors qu'une partie de la population était mal nourrie. Par ailleurs, le Farm Credit Act fut voté pour réduire l'endettement des agriculteurs. À la suite des rigueurs de l’hiver 1933-1934, la Civil Works Administration fut fondée et employa jusqu’à 4,5 millions de personnes ; l'agence engagea des travailleurs pour des activités très diverses telles que des fouilles archéologiques ou la réalisation de peintures murales. Malgré ses réussites, elle fut dissoute après l’hiver. À partir de 1934, la politique de Franklin Roosevelt s’orienta à gauche avec la création de l’État-providence (Welfare State).

Les élections législatives de 1934 donnèrent à Roosevelt une large majorité aux deux chambres du Congrès. Le président put continuer ses réformes afin de relancer la consommation et de faire baisser le chômage. Cependant, le taux de chômage restait à un niveau très élevé (12,5 % en 1938). Le 6 mai 1934, le Président crée l'Administration chargée de l'avancement des travaux (Works Progress Administration), dirigée par Harry Hopkins. Elle employa jusqu'à 3,3 millions de personnes en 1938 sur des chantiers divers : réalisation de routes, de ponts, de bâtiments publics… Les professeurs enseignaient la langue anglaise aux immigrants, les acteurs jouaient des pièces de théâtre jusque dans les petites villes, les peintres comme Jackson Pollock recevaient des commandes. L'Administration nationale de la jeunesse (National Youth Administration) fut fondée en juin 1935 pour faire baisser le chômage des jeunes et les encourager à faire des études. L'Administration pour la réinstallation (Resettlement Administration), créée en avril 1935, fut placée sous la direction de Rexford Tugwell pour réduire la pauvreté des agriculteurs. Elle fut remplacée par l'Administration pour la sécurité agricole (Farm Security Administration) en 1937.

Le 28 mai 1934, Roosevelt rencontra l’économiste anglais Keynes, entrevue qui se passa mal, ce dernier estimant que le président américain ne comprenait rien à l'économie. Le 6 juin 1934, le Securities Exchange Act permit la création de la Securities and Exchange Commission (Commission des titres financiers et des bourses) qui règlementait et contrôle les marchés financiers. Roosevelt nomma Jospeh P. Kennedy, le père de John F. Kennedy, comme premier président de la SEC. Le Social Security Act prévoyait pour la première fois à l’échelon fédéral la mise en place d’une sécurité sociale pour les retraités, les pauvres et les malades. La loi sur les retraites fut signée le 14 août 1935. Le financement devait reposer sur les cotisations des employeurs et des salariés pour ne pas accroître les dépenses de l'État fédéral.

Le sénateur Robert Wagner rédigea le Wagner Act, qui fut ensuite adopté sous le nom de National Labor Relations Act. Cette loi signée le 5 juillet 1935 établissait le droit au niveau fédéral pour les travailleurs d’organiser des syndicats, d’engager des négociations collectives. Elle fondait le Bureau national des relations au sein du travail (National Labor Relations Board) qui devait protéger les salariés contre les abus des employeurs. Le nombre de syndiqués augmenta fortement à partir de ce moment.

Le deuxième New Deal fut attaqué par des démagogues tels que le père Coughlin, Huey Long ou encore Francis Townsend. Mais il suscita également l’opposition des démocrates les plus conservateurs emmenés par Al Smith. Avec l’American Liberty League, ce dernier critiqua Roosevelt et le compara à Karl Marx et Lénine. Le 27 mai 1935, la Cour suprême des États-Unis s'opposa à l’une des lois du New Deal, donnant au gouvernement fédéral des pouvoirs sur les industriels. Elle décréta unanimement que le National Recovery Act (NRA) n'était pas constitutionnel car il donnait un pouvoir législatif au président. Ce fut un premier échec pour Roosevelt mais aussi pour le gouvernement fédéral face aux États et aux intérêts individuels. Le monde des affaires se montra également hostile au « type de la Maison-Blanche ». Enfin, Roosevelt était critiqué pour avoir creusé le déficit du budget fédéral, qui passa de 2,6 milliards de dollars en 1933 à 4,4 milliards de dollars en 1936.

Favorable à la retraite par répartition, Roosevelt déclara à un journaliste qui lui suggérait de financer les retraites par l’impôt : « Je suppose que vous avez raison sur un plan économique, mais le financement n’est pas un problème économique. C’est une question purement politique. Nous avons instauré les prélèvements sur les salaires pour donner aux cotisants un droit légal, moral et politique de toucher leurs pensions […]. Avec ces cotisations, aucun fichu politicien ne pourra jamais démanteler ma sécurité sociale. »

Après quatre ans de présidence, l'économie avait progressé mais restait encore fragile. En 1937, 7,7 millions d'Américains étaient au chômage soit 14 % de la population active. Aux élections présidentielles de novembre 1936, Roosevelt fut confronté à un candidat républicain sans réelle envergure, Alfred Landon, dont le parti était désuni. Il réussit à réunir sous sa bannière l'ensemble des forces opposées « aux financiers, aux banquiers et aux spéculateurs imprudents ». Cet ensemble électoral multi-ethnique, multi-religieux essentiellement urbain devint ensuite le réservoir de voix du Parti démocrate. Roosevelt fut réélu pour un deuxième mandat. Sa victoire écrasante dans 46 États sur 48, obtenue avec un écart de 11 millions de voix, contredisait tous les sondages et les prévisions de la presse. Elle indiquait un fort soutien populaire à sa politique de New Deal et se traduisit par une majorité démocrate dans les deux Chambres du Congrès.

Par rapport à la période de son premier mandat, peu de grandes législations furent adoptées lors du second mandat : ainsi l’United States Housing Authority qui faisait partie du New Deal (1937), un deuxième ajustement pour l’agriculture ainsi que le Fair Labor Standards Act (FLSA) de 1938 qui créa un salaire minimum. Lorsque l’économie se détériora à nouveau fin de l’année 1937, Roosevelt lança un programme agressif de stimulation de celle-ci en demandant au Congrès 5 milliards de dollars pour lancer des travaux publics dans le but de créer 3,3 millions d’emplois en 1938.

La Cour suprême des États-Unis était l’obstacle principal empêchant Roosevelt de réaliser ses programmes. Roosevelt étonna le Congrès en 1937 en proposant une loi lui offrant la possibilité de nommer cinq nouveaux magistrats. Cette demande fut accueillie par une large opposition comprenant même des membres de son propre parti dont le Vice-Président John Nance Garner car il semblait aller à l’encontre de la séparation des pouvoirs. Les propositions de Roosevelt furent ainsi rejetées. Des décès et des départs à la retraite de membres de la Cour suprême permirent néanmoins à Roosevelt de nommer assez rapidement de nouveaux magistrats avec peu de controverse. Entre 1937 et 1941, il nomma huit magistrats libéraux à la Cour suprême.

Roosevelt Franklin Delano

Le marché boursier connut une rechute dans l'été 1937, la production s'effondra et le chômage grimpa à 19 % de la population active en 1938. En 1938, le Président réagit en demandant une rallonge financière au Congrès, en présentant une loi sur l'aide au logement, en aidant les agriculteurs (deuxième AAA en février 1938). Le 25 juin 1938 fut votée la loi sur les salaires et la durée du travail (Fair Labor Standards Act). La durée hebdomadaire du travail fut abaissée à 44 heures puis à 40 heures. Roosevelt obtint le soutien des communistes américains et de l’union des syndicats qui connaissaient alors une forte progression mais ceux-ci se séparèrent suite à des querelles internes au sein de l'AFL et du CIO mené par John L. Lewis. Ces querelles affaiblirent le parti lors des élections de 1938 à 1946.

Le deuxième mandat de Roosevelt a été marqué par la montée des oppositions. Ces dernières s'exprimèrent d'abord dans les contre-pouvoirs, la Cour suprême et le Congrès, y compris dans les rangs démocrates, mais aussi dans les journaux où les caricatures et les éditoriaux n'hésitaient pas à critiquer l'action présidentielle. La presse fit état des scandales qui touchaient la famille du président. Les conservateurs l'accusaient d'être trop proche des communistes et attaquèrent la WPA. Les groupuscules et leaders fascistes tels que le Front chrétien du père Coughlin, lancèrent une croisade contre le Jew Deal mais qui trouva peu d'écho.

Déterminé à surmonter l’opposition conservatrice chez les démocrates du Congrès (pour la plupart en provenance des États du sud), Roosevelt s’impliqua lui-même lors des primaires de 1938 en apportant son soutien aux personnes favorables à la réforme du New Deal. Roosevelt ne réussit qu'à déstabiliser le démocrate conservateur de la ville de New York. Il dut préserver l'équilibre politique pour pouvoir conserver sa majorité et ménagea les Démocrates du Sud du pays en ne remettant pas en cause la ségrégation contre les Noirs.

Lors des élections de novembre 1938, les démocrates perdirent sept sièges au sénat et 71 sièges au Congrès. Les pertes se concentraient chez les démocrates favorables au New Deal. Lorsque le Congrès fut réuni en 1939, les républicains menés par le sénateur Robert Taft formèrent une coalition conservatrice avec les démocrates conservateurs du sud du pays ce qui empêchait Roosevelt de transformer ses programmes en lois. La loi de 1938 sur le salaire minimum fut ainsi la dernière réforme du New Deal à être entérinée par le Congrès.

Il n’y a aucune preuve que le New Deal eut une quelconque efficacité dans la lutte contre la crise, qui perdura jusqu’à ce que l’Amérique mobilise son économie pour la Seconde Guerre mondiale. Son succès fut en revanche indéniable au niveau social. La politique menée par le président Franklin Roosevelt a changé le pays par des réformes et non par la révolution. Sur le plan économique, la situation était meilleure qu'en 1933 qui avait constitué le moment le plus difficile de la crise : la production industrielle avait retrouvé son niveau de 1929. En prenant comme base 100 la situation de 1929, le PNB en prix constants était de 103 en 1939, 96 pour le PNB/hab. Cependant, le chômage était toujours massif : 17 % de la population active américaine se trouvait au chômage en 1939 et touchait 9,5 millions de personnes. Ils recevaient une allocation chômage, ce qui représentait un progrès par rapport à l'avant New Deal. La population active avait augmenté de 3,7 millions de personnes entre 1933 et 1939.

Le New Deal inaugurait en outre une période d'interventionnisme étatique dans de nombreux secteurs de l'économie américaine : bien qu'il n'y avait pas eu de nationalisations comme dans la France du Front populaire, les agences fédérales avaient développé leurs activités, employé davantage de fonctionnaires issus de l'université. Ainsi, les mesures du New Deal ont posé les bases de la future superpuissance américaine. Sur le plan politique, le pouvoir exécutif et le cabinet présidentiel avaient renforcé leur influence, sans pour autant faire basculer le pays dans la dictature. Roosevelt avait su instaurer un lien direct avec le peuple, par les nombreuses conférences de presse qu'il avait tenues, mais aussi par l'utilisation de la radio (« causeries au coin du feu ») et ses nombreux déplacements. Le New Deal a permis une démocratisation de la culture et la réconciliation des artistes avec la société.

L'esprit du New Deal a imprégné le pays : le cinéma et la littérature s'intéressaient davantage aux pauvres et aux problèmes sociaux. La Works Projects Administration (1935) mit en route de nombreux projets dans le domaine des arts et de la littérature, en particulier les cinq programmes du fameux Federal One. La WPA permit la réalisation de 1 566 peintures nouvelles, 17 744 sculptures, 108 099 peintures à l’huile et de développer l'enseignement artistique. À la fin du New Deal, le bilan était mitigé : si les artistes américains avaient été soutenus par des fonds publics et avaient acquis une reconnaissance nationale, cette politique culturelle fut interrompue par la Seconde Guerre mondiale et la mort de Roosevelt en 1945.

Entre l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et l'entrée en guerre des États-Unis, Roosevelt dut prendre position sur les différentes questions internationales en tenant compte du Congrès et de l'opinion américaine. Il fut partagé entre l'interventionnisme défini par le président Wilson et l'isolationnisme qui consistait à tenir son pays en dehors des affaires européennes. La politique étrangère de Roosevelt fit l'objet de nombreuses controverses. Franklin Delano Roosevelt connaissait bien l'Europe, l'Amérique latine et la Chine. Au début de sa carrière politique, il fut d'abord partisan de l'interventionnisme et soucieux de l'influence américaine à l'étranger : dans les années 1920, il était favorable aux idées wilsonniennes. En 1933, il nomme Cordell Hull Secrétaire d'État et celui-ci est contre le protectionnisme économique et le repli des États-Unis. Le 16 novembre 1933, le gouvernement américain reconnut officiellement l’Union soviétique et établit des relations diplomatiques avec ce pays.

Cependant, Roosevelt changea rapidement de position sous la pression du Congrès, du pacifisme ou du nationalisme de l'opinion publique, et fit entrer les États-Unis dans une phase d'isolationnisme, tout en condamnant moralement les agressions des dictatures fascistes. Le président inaugura la « politique de bon voisinage » (Good Neighbor policy) avec l'Amérique latine et s'éloigna de la doctrine Monroe qui prévalait depuis 1823. En décembre 1933, il signa la Convention de Montevideo sur les Droits et Devoirs des États, et renonça au droit d'ingérence unilatérale dans les affaires sud-américaines. En 1934, il fit abroger l'amendement Platt qui permettait à Washington d'intervenir dans les affaires intérieures de la République de Cuba. Les États-Unis abandonnaient le protectorat sur Cuba issu de la Guerre contre l’Espagne. La même année, les Marines quittèrent Haïti et le Congrès vota la transition vers l’indépendance des Philippines qui ne fut effective que le 4 juillet 1946. En 1936, le droit d'intervention au Panama fut aboli, mettant au fin au protectorat américain sur ce pays.

Face aux risques de guerre en Europe, Roosevelt eut une attitude qui a pu paraître ambigüe : il s'évertua officiellement à maintenir les États-Unis dans la neutralité, tout en faisant des discours qui laissaient entendre que le Président souhaitait aider les démocraties et les pays attaqués.

Le 31 août 1935, il signa la loi sur la neutralité (Neutrality Act) des États-Unis au moment de la seconde guerre italo-éthiopienne : elle interdisait les livraisons d'armes aux belligérants. Elle fut appliquée à la guerre entre l’Italie et l’Éthiopie, puis à la guerre civile en Espagne. Roosevelt désapprouvait cette décision car il estimait qu'elle pénalisait les pays agressés et qu'elle limitait le droit du Président américain d'aider les États amis. La loi de neutralité fut reconduite avec davantage de restrictions le 29 février 1936 (interdiction des prêts aux belligérants) et le 1er mai 1937 (clause Cash and Carry - « payé – emporté » - qui autorisait les clients à venir chercher eux-mêmes les marchandises aux États-Unis et à les payer comptant). En janvier 1935, Roosevelt proposa que les États-Unis participassent au Tribunal permanent de justice internationale ; le Sénat, pourtant majoritairement démocrate, refusa d'y engager le pays.

Face à l'isolationnisme du Congrès et à sa propre volonté d'intervenir qui brouillaient la politique étrangère américaine, Roosevelt déclara : « Les États-Unis sont neutres, mais personne n'oblige les citoyens à être neutres. » En effet, des milliers de volontaires américains ont participé à la guerre d'Espagne (1936-1939) contre les Franquistes dans la brigade Abraham Lincoln ; d'autres se sont battus en Chine dans l'American Volunteer Group qui formaient les « Les Tigres volants » de Claire Chennault et plus tard les volontaires de la Eagle Squadron au sein de la RAF dans la bataille d'Angleterre. Lorsque la guerre sino-japonaise (1937-1945) se déclencha en 1937, l’opinion publique favorable à la Chine permit à Roosevelt d’aider ce pays de plusieurs façons.

Le 5 octobre 1937 à Chicago, Roosevelt prononça un discours en faveur de la mise en quarantaine de tous les pays agresseurs qui seraient traités comme une menace pour la santé publique. En décembre 1937, au moment du massacre de Nankin en Chine, les avions japonais coulèrent la canonnière américaine Panay sur le Yang-tseu-Kiang. Washington obtint des excuses mais la tension monta rapidement entre les États-Unis et l'Empire du Soleil Levant. En mai 1938, le Congrès vota des crédits pour le réarmement. Le président américain fit publiquement part de son indignation face aux persécutions antisémites en Allemagne (nuit de cristal, 1938). Il rappela son ambassadeur à Berlin sans fermer la représentation diplomatique. À partir de 1938, l'opinion américaine se rendit progressivement compte que la guerre était inévitable et que les États-Unis devraient y participer. Roosevelt prépara dès lors le pays à la guerre, sans entrer directement dans le conflit. Ainsi, il lança en secret la construction de sous-marins à long rayon d’action qui auraient pu bloquer l’expansionnisme du Japon.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale se déclencha en septembre 1939, Roosevelt rejeta la proposition de neutralité du pays et chercha des moyens pour aider les pays alliés d’Europe. Il fit du 11 octobre 1939 le Pulaski Day en soutien des Polonais. Le 4 novembre 1939, Roosevelt obtint l'abrogation de l'embargo automatique sur les armes et les munitions. Il commença aussi une correspondance secrète avec Winston Churchill pour déterminer le soutien américain au Royaume-Uni.

Roosevelt se tourna vers Harry Hopkins qui devint son conseiller en chef en temps de guerre. Ils trouvèrent des solutions innovantes pour aider le Royaume-Uni comme par exemple l’envoi de moyens financiers à la fin de 1940. Le Congrès se ravisa petit à petit en faveur d’une aide aux pays attaqués et c’est ainsi qu’il alloua une aide en armements de 50 milliards de dollars à différents pays dont la République de Chine et la Russie entre 1941 et 1945. Contrairement à la Première Guerre mondiale, ces aides ne devaient pas être remboursées après la guerre. Toute sa vie, un des souhaits de Roosevelt était de voir la fin du colonialisme européen. Il se forgea d’excellentes relations avec Churchill qui devint Premier ministre du Royaume-Uni en mai 1940.

Au mois de mai 1940, l’Allemagne nazie envahit le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, et la France en laissant seul le Royaume-Uni face au danger d’une invasion allemande. Très vite, on se mit d’accord pour agrandir l’enveloppe des dépenses pour l’aide aux pays attaqués en sachant que le pays risquait d’entrer en guerre contre l'Allemagne à cause de cette aide. Roosevelt mit au pouvoir deux chefs républicains Henry L. Stimson et Frank Knox comme secrétaire de guerre et secrétaire de la Navy. La chute de Paris choqua l’opinion américaine et le sentiment d'isolationnisme tomba. Tout le monde se mit d’accord pour renforcer l’armée américaine mais certaines réticences à l’entrée en guerre eurent la dent dure encore un moment. Roosevelt demanda au Congrès de faire la première conscription de troupes en temps de paix du pays en septembre 1940.

Il recommença en 1941. Roosevelt usa de son charisme pour que le public fût favorable à une intervention militaire du pays. Le pays devait devenir l’arsenal de la démocratie. Au mois d’août 1940, Roosevelt viola ouvertement l’acte de neutralité avec l’accord Destroyers for Bases Agreement qui devait donner 50 bateaux destroyers des États-Unis au Royaume-Uni en échange de terres appartenant à ce pays dans les Caraïbes. Cet acte fut précurseur des aides massives qui suivirent en mars 1941 envers le Royaume-Uni, la Chine et la Russie.

Le 29 décembre 1940, Roosevelt évoqua dans un discours radiodiffusé la conversion de l'économie américaine pour l'effort de guerre : le pays devait devenir « l'arsenal de la démocratie » (The Arsenal of Democracy). Le 6 janvier 1941, il prononça son discours sur les Quatre libertés présentées comme fondamentales dans son discours sur l'état de l'Union : la liberté d'expression, de religion, de vivre à l'abri du besoin et de la peur. Le lendemain, le président créa le Bureau de la gestion de la production (Office of Production Management) ; d'autres organismes furent fondés par la suite pour coordonner les politiques : Bureau de l’administration des prix et des approvisionnements civils (Office of Price Administration and Civilian Supply), Bureau des priorités d’approvisionnement et des allocations (Supplies Priorities and Allocation Board) dès 1941 ; Service de la mobilisation de guerre (Office of War Mobilization) en mai 1943. Le gouvernement fédéral renforça ainsi ses prérogatives ce qui suscita des réactions parmi les Républicains, mais aussi dans le propre camp de Roosevelt : ainsi, en août 1941, le sénateur démocrate Harry Truman rendit un rapport sur les gaspillages de l'État fédéral.

Le programme Lend-Lease (programme prêt-bail en français) devait fournir les Alliés en matériel de guerre sans intervenir directement dans le conflit. La loi Lend-Lease fut signée le 11 mars 1941 et autorisa le Président des États-Unis à « vendre, céder, échanger, louer, ou doter par d'autres moyens » tout matériel de défense à tout gouvernement « dont le Président estime la défense vitale à la défense des États-Unis. »

Le 7 juillet 1941, Washington envoya quelque 7 000 marines en Islande pour empêcher une invasion allemande. Les convois de matériel à destination de l’Angleterre furent escortés par les forces américaines.

En août 1941, Roosevelt rencontra le Premier Ministre britannique Winston Churchill lors de la conférence de l'Atlantique, tenue à bord d'un navire de guerre au large de Terre-Neuve. Les deux hommes signèrent la Charte de l'Atlantique le 14 août 1941, qui reprenait et complétait le Discours des quatre libertés de Roosevelt, « entreprend de jeter les fondements d'une nouvelle politique internationale. »

Le 11 septembre 1941, Roosevelt ordonna à son aviation d’attaquer les navires de l’Axe surpris dans les eaux territoriales américaines. Cinq jours plus tard, le service militaire obligatoire en temps de paix était instauré. Le 27 octobre 1941, après le torpillage de deux navires de guerre américains par des sous-marins allemands, Roosevelt déclara que les États-Unis avaient été attaqués. À la différence de la Première Guerre mondiale, les États-Unis avaient eu le temps de se préparer au conflit. Il ne restait qu'à attendre l'étincelle qui déclencherait l'entrée en guerre : elle vint du Japon et non de l'Allemagne nazie comme le pensait Roosevelt.

Le 26 juillet 1941 les forces militaires philippines, encore sous contrôle américain, furent nationalisées et le général Douglas MacArthur fut nommé en charge du théâtre Pacifique. Les relations avec le Japon commençaient à se détériorer. En mai 1941, Washington accorda son soutien à la Chine par l’octroi d’un prêt-bail. Suite au refus du Japon de se retirer de l'Indochine et de la Chine, à l'exclusion du Manchukuo, les États-unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas décrétèrent l’embargo complet sur le pétrole et l’acier ainsi que le gel des avoirs japonais sur le sol américain.

Le 7 décembre 1941, les forces japonaises bombardèrent Pearl Harbor à Hawaii, la plus grande base navale américaine dans l'océan Pacifique. L'attaque fit 2 403 morts et 1 178 blessés. De nombreux navires et avions de guerre furent anéantis. Les forces japonaises attaquèrent aussi ce même jour non seulement Honk-Hong et la Malaisie, mais aussi Guam, les îles de Wake et des Philippines. Au matin du 8 décembre, les Japonais lancèrent aussi une attaque contre Midway. Les Japonais firent une déclaration de guerre officielle mais à cause de divers contretemps, elle ne fut présentée qu'après l'attaque. Le 8 décembre 1941, le président Roosevelt déclara à la radio : « Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera dans l'Histoire comme un jour d’infamie, les États-Unis d'Amérique ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l'empire du Japon ».

Le Congrès américain déclara la guerre au Japon à la quasi unanimité et Roosevelt signa la déclaration le jour même. Le 11 décembre, l’Allemagne et l’Italie déclaraient la guerre aux États-Unis. Avec la loi sur la conscription du 20 décembre 1941, la mobilisation s'élargit à tous les Américains entre 20 et 40 ans. Le 22 décembre 1941 débuta la conférence Arcadia au cours de laquelle Churchill et Roosevelt décidèrent d'unir leurs forces contre l'Allemagne nazie. La Déclaration des Nations unies du 1er janvier 1942 prévoyait la création de l'ONU. L'entrée en guerre des États-Unis marquait un tournant dans la mondialisation du conflit.

Une thèse très controversée affirme que Roosevelt était au courant de l'attaque sur Pearl-Harbor et qu'il laissa faire pour provoquer l'indignation de la population et faire entrer son pays dans la guerre. Cette théorie fut d'abord avancée par les officiers déchus par les commissions d'enquête : Husband Kimmel se dit victime d'un complot visant à cacher la responsabilité du gouvernement et de l'état-major. Il diffusa cette idée dans ses Mémoires parues en 1955. Cette thèse fut ensuite reprise par les adversaires de Roosevelt et de sa politique extérieure. Plus tard, plusieurs historiens américains, tels que Charles Beard et Charles Tansill ont essayé de prouver l'implication du président.

Les faits cités à l'appui de cette théorie sont notamment l'absence supposée providentielle des trois porte-avions en manœuvre le jour de l'attaque et qui ne furent donc pas touchés, le fait que les nombreux messages d'avertissement aient été ignorés et enfin les négligences locales. Certains soupçonnent le gouvernement américain d'avoir tout fait pour ne recevoir la déclaration de guerre japonaise qu'après le bombardement. Les partisans de cette thèse sont convaincus que Roosevelt a poussé les Japonais à la guerre tout au long des années 1930 afin de convaincre le peuple américain partisan de la neutralité.

Il est cependant difficile d'imaginer que Roosevelt ait laissé détruire autant de bâtiments de la marine juste pour engager son pays dans la guerre. En effet, la valeur tactique des porte-avions était méconnue en 1941, même si d'évidence, compte-tenu des investissements réalisés, les Japonais et les Américains fondaient de gros espoirs sur cette nouvelle unité marine. C'était encore le cuirassé qui faisait figure de navire principal dans les flottes de guerre et même l'amiral Yamamoto envisageait la confrontation finale entre les deux pays sous la forme d'un combat entre cuirassés. Dès lors, tout officier au courant de l'attaque aurait fait en sorte de protéger les cuirassés qui seraient alors partis au large en sacrifiant les porte-avions.

Par conséquent, rien ne permet d’affirmer que Roosevelt était au courant de l'attaque sur Pearl Harbor, même s'il fait peu de doute qu'il a accumulé les actes contraires à la neutralité durant les années 1930. Cependant, les sanctions économiques visaient avant tout les Allemands et le président américain donnait la priorité au théâtre d’opérations européen comme le montre par exemple la conférence Arcadia, et la guerre contre le Japon ne fut jamais sa priorité. Si Roosevelt et son entourage étaient conscients des risques de guerre provoqués par la politique de soutien au Royaume-Uni, à l'URSS et à la Chine, il n'y a pas d'indication qu'il ait souhaité l'attaque de Pearl Harbor. Le désastre fut provoqué par la préparation minutieuse des Japonais, par une série de négligences locales et par des circonstances particulièrement défavorables aux Américains.

La tradition d'une limite maximale de deux mandats présidentiels était une règle non écrite mais bien ancrée depuis que George Washington déclina son troisième mandat en 1796. C'est ainsi que Ulysses S. Grant et Theodore Roosevelt furent attaqués pour avoir essayé d'obtenir un troisième mandat (non consécutif) de président. Franklin Delano Roosevelt coupa pourtant l'herbe sous les pieds des secrétaires d'État Cordell Hull et James Farley lors de l'investiture démocrate aux nouvelles élections. Roosevelt se déplaça dans une convention de Chicago où il reçut un fervent support de son parti. L'opposition à FDR était mal organisée malgré les efforts de James Farley. Lors du meeting, Roosevelt expliqua qu'il ne se présenterait plus aux élections sauf s'il était plébiscité par les délégués du parti qui étaient libres de voter pour qui ils souhaitaient. Les délégués furent étonnés un moment mais ensuite la salle cria « Nous voulons Roosevelt... Le monde veut Roosevelt ! » Les délégués s'enflammèrent et le président sortant fut nommé par 946 voix contre 147. Le nouveau nommé pour la vice-présidence était Henry A. Wallace, un intellectuel liberal qui devint plus tard Secrétaire à l'Agriculture.

Le candidat républicain, Wendell Willkie, était un ancien membre du Parti démocrate qui avait auparavant soutenu Roosevelt. Son programme électoral n'était pas véritablement différent de celui de son adversaire. Dans sa campagne électorale, Roosevelt mit en avant son expérience au pouvoir et son intention de tout faire pour que les États-Unis restent à l'écart de la guerre. Roosevelt remporta ainsi l'élection présidentielle des États-Unis d'Amérique de 1940 avec 55 % des votes et une différence de 5 millions de suffrages. Il obtint la majorité dans 38 des 48 états du pays à l'époque. Un déplacement à gauche de la politique du pays se fit sentir dans l'administation suite à la nomination de Henry A. Wallace comme vice-président en lieu et place du conservateur texan John Nance Garner qui était devenu un ennemi de Roosevelt après 1937.

Si dans les institutions américaines, le président est le chef des armées, Roosevelt ne se passionnait pas pour les affaires strictement militaires. Il délégua cette tâche et plaça sa confiance dans son entourage, en particulier George Marshall et Ernest King. Une agence unique de renseignements fut mise en place en 1942 (Office of Strategic Services) qui fut remplacée par la CIA en 1947. Le président créa par la suite l’Office of War Information (Bureau de l’information de guerre) qui mit en place une propagande de guerre et surveilla la production cinématographique. Il autorisa le FBI à utiliser les écoutes téléphoniques pour démasquer les espions. Le 6 janvier 1942, Roosevelt annonça un « Programme de la Victoire » (Victory Program) qui prévoyait un effort de guerre important (construction de chars, avions).

Enfin, Roosevelt s'intéressa au projet Manhattan pour fabriquer la bombe atomique. En 1939, il fut averti par une lettre d'Albert Einstein que l'Allemagne nazie travaillait sur un projet équivalent. La décision de produire la bombe fut prise en secret en décembre 1942. En août 1943, à Québec, fut signé un accord anglo-américain de coopération atomique. Selon le Secrétaire à la Guerre Henry Stimson, Roosevelt n’a jamais hésité sur la nécessité de la bombe atomique. Mais ce fut son successeur Harry Truman qui prit l'initiative des bombardements nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki, plusieurs mois après la mort de Roosevelt.

Dès avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt avait dénoncé l’oppression et les lois de Nuremberg. Pourtant, il considérait également qu'il ne pouvait intervenir directement dans les affaires internes de l'Allemagne. Il ne fit pas pression sur le Congrès pour augmenter l'accueil des réfugiés juifs. Pendant la guerre, le président américain n'a pas cherché à aider les Juifs d'Europe, considérant que le principal objectif devait être l'écrasement du régime nazi. Malgré la pression des Juifs américains, de sa femme et de l'opinion publique américaine, le président ne dévia pas de cette direction. Il ne fut pas mis au courant des projets de bombardements d’Auschwitz ou des voies ferrées.

Roosevelt fut l'un des principaux acteurs des conférences inter-alliées et tenta d'y défendre les intérêts des États-Unis tout en faisant des compromis. En 1942, il donna la priorité au front européen tout en contenant l'avancée japonaise dans le Pacifique. Il subit la pression de Staline qui réclamait l'ouverture d'un second front à l'ouest de l'Europe, alors que Churchill n'y était pas favorable et préférait la mise en œuvre d'une stratégie périphérique. Roosevelt eut le grand mérite, bien que l'implication de son pays dans cette guerre ait résulté avant tout de l'attaque japonaise, d'orienter prioritairement la riposte américaine en direction de l'Europe, une fois le conflit équilibré sur le front du Pacifique par la victoire aéronavale des Îles Midway.

Son évaluation à sa juste mesure de l'énormité du danger hitlérien et de la nécessité d'empêcher l'URSS de sombrer justifiait certes ce choix. Mais il dut néanmoins pour l'imposer surmonter les préférences post-isolationnistes de la majorité des Américains pour lesquels l'ennemi principal était le Japon. C'est ainsi que fut mise sur pied une vigoureuse entrée en ligne des États-Unis aux côtés des Britanniques, d'abord vers l'Afrique du Nord par l'opération Torch, puis vers l'Europe par les débarquements successifs en Italie et en France.

À la Conférence d'Anfa (Casablanca, janvier 1943), Roosevelt obtint d'exiger la reddition sans condition des puissances de l'Axe. Les Alliés décidèrent d'envahir l'Italie. Les 11-24 août 1943, Roosevelt et Churchill se rencontrèrent au Canada pour préparer le débarquement en France prévu au printemps 1944. Au cours de la conférence de Téhéran (novembre 1943), plusieurs décisions majeures furent prises : organisation d'un débarquement en Normandie, rejet par Staline et Roosevelt du projet britannique d’offensive par la Méditerranée et les Balkans. Sur le plan politique, Staline accepta le principe de la création d'une organisation internationale, proposé par Roosevelt. Les Trois Grands s'entendirent également sur le principe d'un démembrement de l’Allemagne. Ils ne fixèrent pas précisément les nouvelles frontières de la Pologne, car Roosevelt ne voulait pas heurter les millions d'Américains d’origine polonaise. Entre le 1er et le 22 juillet 1944, les représentants de 44 nations se réunirent à Bretton Woods et créèrent la Banque mondiale et le FMI (Fonds monétaire international). La politique monétaire de l’après-guerre fut fortement affectée par cette décision. À la conférence de Dumbarton Oaks (août-octobre 1944), Roosevelt réussit à imposer un projet auquel il tenait beaucoup : les Nations Unies.

La Conférence de Yalta Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Staline

La Conférence de Yalta Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Staline

Ce fut à l'initiative de Roosevelt que se tint de la conférence de Yalta en février 1945. Le président arriva dans la station balnéaire de Crimée très fatigué et malade. Il dut faire d'importantes concessions à l'URSS car il avait besoin de Moscou pour vaincre les Japonais. Roosevelt faisait alors confiance à Staline. « Si je lui donne (à Staline), estima-t-il, tout ce qu'il me sera possible de donner sans rien réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d'annexer quoi que ce soit et travaillera à bâtir un monde de démocratie et de paix. ».

Les Alliés reparlèrent également de l'ONU et fixèrent le droit de veto du conseil de sécurité, le projet auquel tenait beaucoup Roosevelt. Ils s'entendirent sur la tenue d'élections libres dans les États européens libérés, l’entrée en guerre de l'Union soviétique contre le Japon après la défaite de l'Allemagne, la division de l'Allemagne en zones d'occupation, le déplacement de la Pologne vers l'ouest. Après la conférence de Yalta, Roosevelt s'envola pour l'Égypte et rencontra le roi Farouk ainsi que l'empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié Ier à bord de l'USS Quincy. Le 14 février, il s'entretint avec le roi Abdulaziz, fondateur de l'Arabie saoudite.

De la situation complexe de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt écrivit à Churchill qu'elle était leur « mal de tête commun ». Sa politique étrangère fut largement contestée et soumise aux pressions du Département d'État et par ses diplomates Leahy et Murphy. Dans un premier temps, le président américain garda des contacts diplomatiques avec l'État français : il pensait ainsi éviter que la flotte française ne tombât aux mains des nazis et avoir des renseignements sur la France. Il refusait de reconnaître l'autorité et la légitimité de Charles De Gaulle. Au début de 1942, il s'opposait à ce que la France libre participât aux Nations unies avant les élections en France. Dès 1941 pourtant, une partie des Américains protesta contre la complaisance du Département d’État envers le régime de Vichy. La presse américaine était également favorable à la France libre.

Mais en avril 1942, le retour de Laval au pouvoir entraîna le départ de l'ambassadeur américain. Washington ouvrit alors un consulat à Brazzaville. Mais la méfiance vis-à-vis de De Gaulle ne se dissipa pas : pour le département d’État, le personnage n'était qu'« apprenti-dictateur » et Roosevelt était persuadé que les gaullistes divulgueraient les opérations secrètes des armées alliées. Roosevelt soutint successivement François Darlan, puis Henri Giraud, malgré leur maintien du Régime de Vichy en Afrique libérée (1942-1943), et il tenta de bloquer l'action du Comité français de la Libération nationale d'Alger, puis de placer la France libérée sous occupation militaire américaine (AMGOT).

De Gaulle ne fut mis au courant du débarquement en Normandie qu'à la dernière minute. Roosevelt ne reconnut le GPRF qu'en octobre 1944. La France ne fut pas invitée à la conférence de YaltaChurchill insistait pour que la France fût en charge d'une zone d'occupation de l'Allemagne. Mais le président américain se rendit compte que De Gaulle était l'homme qui contrerait la menace communiste en France. Profondément anticolonialiste, il souhaitait que l'Indochine française fût placée sous la tutelle des Nations unies, mais il dut finalement abandonner cette idée sous la pression du Département d'État, des Britanniques et de De Gaulle.

Sur le plan économique, Roosevelt prit des mesures contre l'inflation et pour l'effort de guerre. Dès le printemps 1942, il fit accepter la loi du General Maximum visant à augmenter l'impôt sur le revenu, à bloquer les salaires et les prix agricoles pour limiter l'inflation. Cette politique fiscale fut renforcée par le Revenue Act en octobre 1942. La conversion de l'économie se fit rapidement : entre décembre 1941 et juin 1944, les États-Unis produisirent 171 257 avions et 1 200 navires de guerre, ce qui entraîna la croissance du complexe militaro-industriel. Cependant, les produits de consommation courante et d'alimentation furent insuffisants, sans que la situation fût aussi difficile qu'en Europe. Une économie mixte, alliant capitalisme et intervention de l'État fut mise en place pour répondre aux nécessités de la guerre. Sur le plan social, les campagnes connurent un exode rural et une surproduction agricole. Les Afro-américains du Sud migrèrent vers les centres urbains et industriels du Nord-Est. Dans le monde ouvrier, la période fut agitée par de nombreuses grèves à cause du gel des salaires et de l'augmentation de la durée du travail. Le chômage baissa à cause de la mobilisation et le taux d'emploi des femmes progressa.

Les discriminations à l'égard des Afro-américains persistèrent jusqu'au sein de l'armée, malgré l'ordre exécutif 8802 qui les interdisaient dans les usines de défense nationale. Après l'attaque de Pearl Harbor, le sentiment anti-japonais prit de l'ampleur. Dans ce contexte, 110 000 Japonais et citoyens américains d'origine japonaise furent rassemblés et surveillés dans des camps d'internement (War Relocation Centers). Le 14 janvier 1942, Roosevelt signa un décret de fichage des Américains d’origine italienne, allemande et japonaise soupçonnés d'intelligence avec l’Axe. Le décret présidentiel 9066 du 19 février 1942 fut promulgué par Roosevelt et concerna l'ouest du pays où se concentraient les populations japonaises, regroupés dans des camps surveillés.

Le 7 novembre 1943, Franklin Roosevelt se présenta à la Présidence avec le soutien de la quasi-totalité de son parti. Il fut de nouveau opposé à un candidat républicain, Thomas Dewey, dont le programme n'était pas en contradiction totale avec la politique de Roosevelt. Ce dernier, malgré son âge et sa fatigue, mena campagne en demandant aux Américains de ne pas changer de pilote au milieu du gué. Roosevelt fut réélu pour un quatrième mandat avec une courte majorité de 53 % (25 602 505 voix) mais plus de 80 % du vote du collège électoral (432 mandats).

Mercer-Rutherfurd LucyLors de son discours devant le congrès le 1er mars 1945, Roosevelt apparut amaigri et vieilli ; il partit pour Warm Springs le 30 mars pour prendre du repos avant la conférence des Nations Unies. Le 12 avril 1945, il s'écroula se plaignant d'un terrible mal de tête alors qu'Elizabeth Shoumatoff était en train de peindre son portrait. Il mourut à 15h35 à l'âge de 63 ans d'une hémorragie cérébrale.

Lucy Mercer Rutherfurd, l'ancienne maîtresse du président, était présente aux côtés de Roosevelt et partit rapidement pour éviter le scandale. Eleanore Roosevelt prit le premier avion pour se rendre à Warm Springs. Le corps du président fut transporté en train jusqu'à la capitale : des milliers de personnes, notamment des Afro-américains, se rassemblèrent le long de la voie ferrée pour lui rendre hommage.

Le cercueil fut déposé à la Maison Blanche puis dans la maison familiale de Hyde Park. Les fils de Franklin Roosevelt étant mobilisés, ils ne purent assister à la cérémonie funèbre sauf Elliott. Le président fut enterré au Franklin D. Roosevelt National Historic Site le 15 avril 1945.

La mort de Roosevelt souleva une grande émotion dans le pays et à l'étranger. Son état de santé avait été caché par son entourage et par les médecins de la Maison Blanche. Roosevelt était président depuis plus de 12 ans, une longévité jamais égalée par aucun président américain. En URSS, le drapeau soviétique fut bordé de noir et les dignitaires assistèrent à la cérémonie à l’ambassade. Staline pensait que le président américain avait été empoisonné. Le président du conseil italien décréta trois jours de deuil. En Allemagne, la nouvelle rendit Goebbels joyeux, on ne connaît pas la réaction d’Hitler. Conformément à la constitution américaine, le vice-président Harry Truman devint le 33e président des États-Unis alors qu'il avait été tenu à l’écart des décisions politiques et qu'il ne s'était pas rendu à Yalta. Truman dédia la cérémonie du 8 mai 1945 à la mémoire de Roosvelt.

Gaulle Charles de

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Charles de Gaulle son rôle dans le destin du pays à partir de 1940 fait certainement de Charles de Gaulle l'homme politique français le plus important du XXe siècle. C'est d'abord dans l'adversité que s'est forgée sa figure : chef de la France libre, il l'a menée à la victoire en 1945. Revenu au pouvoir en 1958 et fondateur de la Ve République, il a mis fin à la guerre d'Algérie et accompli la décolonisation de l'ancien empire; président de la République jusqu'au 28 avril 1969, il dénoue, au moins sur le plan politique, la crise de Mai 68.

Charles de Gaulle

Charles de Gaulle

Charles de Gaulle grandit à Paris, où son père, Henri, enseigne l'histoire et les mathématiques dans un collège catholique. À quinze ans, il hésite entre la littérature et l'armée. La crise d'Agadir avec l'Allemagne, en 1911, et la «montée des périls» l'orientent vers l'école militaire de Saint‑Cyr. Il appartient, avec ses trois frères, à la «génération de la revanche», qui veut effacer la défaite de 1870. Engagé dès août 1914, il est blessé deux fois, avant d'être laissé pour mort en mars 1916 sur le champ de bataille de Verdun. Pris par les Allemands, il est soigné et envoyé dans un camp de prisonniers. Sa détention, marquée par trois tentatives d'évasion, ne prend fin qu'avec l'armistice de novembre 1918.

Cette captivité est cependant féconde. Tout en suivant les opérations de guerre – sur lesquelles il fait des conférences –, il essaie, par un vaste programme de lectures, de percer le «mystère» de la France: cinq fois envahie depuis la Révolution, elle n'a pas trouvé les institutions capables de concilier démocratie et stabilité. Mais il laissera dans l'ombre sa réflexion politique pour n'écrire que sur la guerre: la Discorde chez l'ennemi (1924). En 1920, il accompagne le général Weygand auprès des Polonais en guerre contre les bolcheviques. À son retour en France en 1921, il épouse Yvonne Vendroux, qui lui donnera trois enfants: Philippe, Élisabeth et Anne – cette dernière, handicapée, mourra à dix‑neuf ans. Deux années au Liban (1929-1930) achèvent sa formation géopolitique: il y découvre l'Islam résistant à l'Occident et s'interroge sur l'avenir des empires coloniaux.

Ses qualités d'analyste le font remarquer. D'abord par le maréchal Pétain, alors vice‑président du Conseil supérieur de la guerre, qui le prend en 1925 dans son cabinet. De Gaulle multiplie alors les articles sur la situation militaire et politique. Ces réflexions donneront naissance au Fil de l'épée (1932), portrait du chef de guerre, et Vers l'armée de métier (1934), esquisse d'une armée de professionnels conçue pour le mouvement et axée sur les blindés, puis à la France et son armée (1938). C'est ensuite Paul Reynaud, plusieurs fois ministre dans les années 1930 avant de devenir président du Conseil en mars 1940, et partisan de la fermeté face à l'Allemagne nazie, qui le fait entrer dans le cercle de ses collaborateurs. De Gaulle rédige ses déclarations ministérielles; en mai, il est nommé général de brigade à titre temporaire, et, le 5 juin 1940, sous‑secrétaire d'État à la Guerre, dans un gouvernement qui ne durera que onze jours.

Pour Charles de Gaulle, la guerre a commencé en 1938 avec Munich et l'abandon de la Tchécoslovaquie. Il pense qu'elle sera mondiale, que l'URSS – malgré le pacte germano‑soviétique d'août 1939 – et les États‑Unis interviendront, que la défaite de l'Allemagne nazie ne pourra être que l'œuvre d'une alliance des nations. Cette vision stratégique explique sa lucidité pendant la «drôle de guerre» (septembre 1939 ‑ mai 1940), quand les Français se croient à l'abri, et son refus presque solitaire de l'armistice de juin 1940, dont le défaitisme lui paraît «abominable». La guerre éclair de mai‑juin 1940 jette les Français sur les routes de l'exode. À la tête de ses chars, de Gaulle exécute à Montcornet l'une des rares actions brillantes au milieu du désastre. C'est alors que Paul Reynaud l'appelle au ministère et lui demande d'aller à Londres, où il discute avec Winston Churchill d'un pacte d'union franco‑britannique. Rentré en France – à Bordeaux, où le ministère s'est réfugié –, il assiste à la démission de Reynaud puis à l'arrivée de Pétain, qui s'informe auprès des Allemands des conditions d'un armistice. De Gaulle décide alors de retourner à Londres.

Reconnu «chef des Français libres» par Churchill dès le 28 juin, de Gaulle entame un dur combat pour faire valoir la légitimité de son action. En France, l'Assemblée nationale, réunie à Vichy le 10 juillet 1940, donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain; en Grande‑Bretagne même, beaucoup de soldats français réfugiés après Dunkerque, choqués par la destruction de la flotte française basée à Mers el‑Kébir (Algérie, 3 juillet 1940), préfèrent retraverser la Manche. En outre, la majeure partie de l'empire colonial proclame sa fidélité à Vichy.

Cependant, Félix Eboué, gouverneur du Tchad, se rallie dès juillet 1940. Le capitaine Leclerc réussit, à la fin août, à rattacher l'Afrique‑Équatoriale à la France libre. De Gaulle le rejoint au Cameroun et, malgré un échec devant Dakar fin septembre – il a été reçu à coups de canon – lance le 27 octobre 1940, à Brazzaville (République du Congo), son premier manifeste politique. Il y dénonce le régime "inconstitutionnel" du maréchal et proclame sa volonté de "rendre compte de ses actes devant les représentants du peuple français dès qu'il lui sera possible d'en désigner librement"; il crée le Conseil de défense de l'Empire, reconnu par la Grande‑Bretagne le 24 décembre. Il s'oriente désormais vers le combat diplomatique, pour que la France libre soit reconnue par les Alliés comme la "seule" France.

Le ralliement du Moyen‑Orient au printemps 1941 se réalise dans des conditions dramatiques. Restés fidèles à Pétain, les soldats français résistent aux Britanniques et aux Français libres. La victoire remportée, Churchill tergiverse, ne voulant pas accepter que la France libre devienne la puissance mandataire en Syrie. Une grave crise de confiance éclate entre le Premier ministre britannique et le général de Gaulle.

L'invasion de l'URSS par l'armée allemande en mai 1941, puis l'attaque japonaise contre Pearl Harbor en décembre étendent la guerre au monde entier. De Gaulle, pour qui "la présence soviétique dans le camp des Alliés offre, vis‑à‑vis des Anglo‑Saxons, un élément d'équilibre", envoie l'escadrille de chasse Normandie combattre auprès des Russes. Les Américains et les Britanniques songent cependant à ouvrir un second front par un débarquement. L'Afrique du Nord française est choisie, et la date – le 8 novembre 1942 – arrêtée, sans que le chef de la France combattante en soit prévenu. Bien plus, le président Roosevelt choisit de remettre le gouvernement civil et militaire de l'Afrique du Nord libérée entre les mains d'un homme de Vichy, l'amiral Darlan; puis, Darlan ayant été assassiné en décembre 1942, les Américains favorisent l'arrivée au pouvoir du général Giraud, évadé d'Allemagne et amené à Alger par les Britanniques.

C'est le soutien de la Résistance intérieure unie – dans une France entièrement occupée par les Allemands depuis le débarquement à Alger (Algérie) – et le succès de la troupe de Leclerc en Libye et en Tunisie qui permettent à de Gaulle de prendre pied en Afrique du Nord, le 30 mai 1943. La veille, Jean Moulin, initiateur du Conseil national de la Résistance – qui réunit partis traditionnels et mouvements de la Résistance – lui a envoyé un télégramme de fidélité. Face à Giraud, qui n'a pas su rompre avec la législation de Vichy, de Gaulle incarne le retour à la légalité républicaine. D'abord coprésident, puis, à partir du 3 octobre 1943, président du Comité français de libération nationale (CFLN), il gouverne l'Empire français revenu dans la guerre.

Une Assemblée consultative siège à Alger (Algérie); composée de parlementaires ralliés et de représentants des mouvements de la Résistance, elle est chargée de préparer l'avenir. Ainsi entouré, le CFLN se transforme, le 3 juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française, selon le vœu unanime de l'Assemblée, et est reconnu officiellement par les Alliés. Tous les partis y siègent, même le parti communiste, avec lequel le colonel Rémy, agent secret de la France libre, a pris contact dès 1942. Le débarquement allié en Normandie a lieu le 6 juin 1944. Dès le 14, le général de Gaulle est à Courseulles‑sur‑Mer, où la population l'applaudit. Il obtient d'Eisenhower que la division Leclerc libère Paris, et gagne lui-même la capitale le 25 août. Le lendemain, il descend triomphalement les Champs‑Élysées. Libérée, la France de 1944 n'est pas encore victorieuse. Il lui faut participer à la guerre et aller jusqu'à Berlin, où le général de Lattre réussit à imposer la signature de la France aux accords d'armistice, le 8 mai 1945. Le combat engagé si difficilement en 1940 est gagné. Reste à reconstruire le pays.

À la tête du Gouvernement provisoire, le général de Gaulle poursuit sa politique d'union nationale et cherche la «pacification des esprits» – il obtient notamment la dissolution des milices patriotiques formées à la Libération par le PCF. En outre, il veut «rendre la parole au peuple» par voie de référendum: les partis traditionnels, qui voient dans cette pratique un retour aux plébiscites du Second Empire, l'accusent dès lors d'ambitions personnelles, de "bonapartisme". Prisonniers et déportés étant revenus, les élections législatives peuvent avoir lieu; elles sont encadrées par deux référendums: l'un pour savoir s'il faut une nouvelle Constitution (95 % de "oui"), l'autre pour décider de soumettre ou non à référendum le texte élaboré par l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, où dominent les communistes, les démocrates‑chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) et les socialistes (66 % de "oui").

Élu chef de gouvernement à l'unanimité, le 13 novembre 1945, de Gaulle se trouve pourtant rapidement en désaccord avec la majorité de l'Assemblée sur le projet de Constitution: opposé à un système de souveraineté parlementaire, dans lequel il voit la raison de la faiblesse et des errements de la IIIe République, il veut un exécutif plus fort. Le 20 janvier 1946, il démissionne. Était-il convaincu qu'on le rappellerait bien vite? Toujours est-il que, avec la ratification de la nouvelle Constitution, en octobre 1946, la IVe République s'installe sans lui, et sans doute contre lui. En avril 1947, de Gaulle lance alors le Rassemblement du peuple français (RPF) pour obtenir la réforme du régime. Malgré un succès immédiat aux élections municipales, il échoue aux élections législatives de 1951. En 1953, il rend leur liberté à ses élus et se retire à Colombey‑les‑Deux‑Églises, où il entreprend la rédaction de ses Mémoires de guerre (1954-1959). Il ne sort guère de son silence que pour s'opposer, en 1954, au projet d'armée européenne.

La guerre d'Indochine se termine en 1954 après la défaite de Diên Biên Phu. La même année commence en Algérie une guerre où le contingent sera bientôt envoyé en renfort de l'armée de métier. Pour prix de cet effort, l'armée exige les pleins pouvoirs afin de faire aboutir sa politique d'"intégration" des musulmans dans l'"Algérie française". Le 13 mai 1958, après une émeute à Alger, le général Massu lance un appel à de Gaulle. Le 15 mai, le général se déclare prêt à former le gouvernement. Le président Coty fait appel à lui le 29 mai, et le Parlement l'investit le 1er juin. Comme en 1946, il pose comme préalable la rédaction d'une Constitution instituant un exécutif fort et soumise à la ratification populaire. Cette condition est acquise en septembre, avec l'aide de Michel Debré, garde des Sceaux: le projet constitutionnel obtient 80 % de "oui", en France et dans l'ensemble du vieil Empire d'outre‑mer, transformé en "Communauté" (seule la Guinée a voté " non "). En décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la Ve République par un collège de notables.

Pendant les dix années où il restera à la tête de l'État, le général de Gaulle va demander au suffrage universel, dans le calme ou la tempête, d'être à la fois la «source» de son action et son "recours". L'œuvre la plus urgente est le règlement de la question algérienne. Paisible en Afrique noire, la marche vers l'autodétermination puis vers l'indépendance est dramatique en Algérie : le chef de l'État doit surmonter la révolte des Européens "pieds‑noirs" en janvier 1960 ("journées des barricades" à Ager, 24 janvier); le putsch des généraux en avril 1961; les vagues d'attentats de l'OAS (dont lui-même manque d'être victime, le 8 septembre à Pont‑sur‑Seine), et, une fois l'indépendance ratifiée (accord d'Évian, 18 mars 1962), il échappe à un nouvel attentat de l'OAS, sur la route du Petit‑Clamart (22 août). Le 28 octobre 1962, il demande aux Français d'approuver pour l'avenir l'élection du président de la République au suffrage universel. Adoptée par 6225 % des voix contre l'ensemble des partis, sauf l'Union pour la nouvelle République (UNR) créée pour le soutenir, cette réforme assure la seconde fondation de la Ve République.

À l'extérieur, de Gaulle conduit avec ténacité une politique d'indépendance nationale. En 1963, il signe avec le chancelier allemand Adenauer un traité (le traité de l'Élysée) qu'il souhaite de réconciliation pour le passé et, pour l'avenir, de construction d'une Europe redevenue maîtresse de son destin. Il le dit à Moscou, où il se rend en 1966; il le dit en Pologne et en Roumanie. Le Cambodge et le Québec entendent ses appels à la liberté des peuples. Il s'attire ainsi l'hostilité des États‑Unis et même celle d'Israël, qu'il prévient contre les méfaits à venir – le terrorisme – de sa guerre de 1967. À l'intérieur, avec la prospérité économique, les progrès de la recherche civile et militaire (avion Caravelle; mise au point de la bombe atomique) sont les instruments de sa politique d'indépendance qui lui permettent de sortir la France de l'OTAN, en 1966.

Réélu en 1965, de Gaulle doit affronter l'opposition des partis de gauche réunis autour de François Mitterrand. Mais c'est à l'université que la crise éclate en mai 1968. Devant l'émeute qui enflamme Paris et les grèves qui paralysent le pays, de Gaulle, dont les premières actions pour rétablir l'ordre puis la proposition d'un référendum sur la participation ont échoué, quitte l'Élysée pour rejoindre le général Massu à Baden‑Baden, le 29 mai. Va-t-il se retirer ? Il revient le lendemain, pour dénoncer à la radio, comme il l'a fait dans les heures graves, la "menace totalitaire" et dissoudre l'Assemblée. Le parti gaulliste, l'Union pour la défense de la République (UDR), remporte triomphalement les élections de juin 1968. Mais, dès avril 1969, le Général entreprend de tester la confiance des Français en organisant un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le "non" l'emporte: il démissionne aussitôt, et assiste silencieux à l'élection de son successeur, Georges Pompidou, qui assure la pérennité du régime. Retiré à Colombey, il rédige le premier tome de ses Mémoires d'espoir (1970) et meurt brusquement, le 9 novembre 1970, dix‑huit mois après avoir quitté le pouvoir.

Laval Pierre

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Pierre Laval, né le 28 juin 1883 à Châteldon dans le Puy-de-Dôme et mort fusillé le 15 octobre 1945 à Fresnes dans le département de la Seine, (actuellement Val-de-Marne), était un homme politique français. 

Pierre Laval

Pierre Laval

Plusieurs fois président du conseil sous la Troisième République, il est, immédiatement après Philippe Pétain, la personnalité la plus importante de la période du régime de Vichy et le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. Ayant puissamment aidé à la fondation de « l’État français », il est vice-président du Conseil et dauphin désigné du maréchal jusqu’à son éviction soudaine le 13 décembre 1940.

Il revient au pouvoir avec le titre de chef du gouvernement, du 18 avril 1942 à son départ de Paris le 17 août 1944. Pierre Laval était originaire d’une famille modeste de la petite bourgeoisie (son père était aubergiste et commerçant de chevaux à Châteldon, dans le Puy-de-Dôme). Il devra notamment être « pion » dans un lycée parisien pour payer ses études. Son ascension sociale lui permettra ultérieurement de racheter le château du bourg où il est né. Il passe son baccalauréat et obtient une licence en sciences naturelles avant d’opter pour le droit, et de s’installer à Paris comme avocat en 1907.

De ses origines populaires, Laval gardera toute sa vie un parler direct et familier, volontiers badin, souvent très croustillant. En témoignent de multiples propos rapportés par les témoins qui l’ont rencontré. Ce qui ne doit pas dissimuler son bagage culturel acquis. Membre de la SFIO depuis 1905, défendant parfois des syndicalistes de la CGT notamment, devant les tribunaux, Pierre Laval s’affiche comme pacifiste avant la Première Guerre mondiale. Il est même inscrit au fameux « Carnet B », la liste de tous les militants de l’extrême-gauche pacifiste que le ministère de l’Intérieur prévoyait initialement d’arrêter en cas de conflit. En 1914, Laval est élu député SFIO d’Aubervilliers, mais fut cependant, en raison de son pacifisme militant, battu aux élections de 1919, qui virent la victoire du Bloc national, très marqué par l’esprit « ancien combattant », alors qu'il avait lui-même été réformé pendant la Première Guerre mondiale. Il devient maire d’Aubervilliers en 1923, mandat qu’il devait conserver jusqu’à la Libération.

Il garde toujours un fort sentiment pacifiste, entretenu par ses contacts réguliers avec Aristide Briand, avec qui il travaillait à établir de bonnes relations avec l’Allemagne et l’Union soviétique. Il s’éloigne progressivement de la gauche à mesure que s’accroît sa fortune, et glisse de plus en plus vers la droite parlementaire. Il eut la satisfaction d’être réélu député en 1924, comme socialiste indépendant face à un candidat SFIO auquel il reprochait ses sympathies pour les communistes. À la tête d’un cabinet florissant, jouissant d’une excellente implantation locale, il apparaissait déjà bien davantage comme un opportuniste, avant tout soucieux de sa réussite sociale, que comme un homme de conviction. En 1927, il est élu Sénateur de la Seine, comme candidat sans étiquette, mais avec le soutien du centre droit et de la droite. Il est plusieurs fois ministre et président du Conseil. En 1931, Laval est élu « Homme de l’année » par le Time magazine aux États-Unis.

Il mènera au cours de ces différents mandats une politique déflationniste, qui ne fera qu’aggraver la crise économique et sociale des années 1930, (bien qu’en 1935 le budget de l’État français est l’un des rares en Europe à être en équilibre, ce qui est précisément un effet de cette politique déflationniste) et précipiter la victoire électorale du Front populaire. Un autre aspect de sa politique est la limitation du budget de l’armée au moment où Hitler remilitarise l’Allemagne. Sur le plan diplomatique, alors que s’affirme la menace nazie, Laval multiplie tous azimuts les initiatives souvent brouillonnes et contradictoires. Il rencontre Staline à Moscou et conclut avec lui un pacte d’assistance franco-soviétique (mai 1935), mais ne l’assortit pas d’un accord militaire.

Il rencontre peu après Mussolini à Rome, et ne réagit pas quand ce dernier le met dans la confidence des préparatifs de l’agression contre l’Éthiopie. Le Duce interprète cela comme un consentement à sa guerre, qu’il déclenche en octobre 1935, et accueille avec fureur les sanctions de Paris et de Londres, croyant à une trahison de Laval, ce qui entre autres contribue au rapprochement Rome-Berlin et à la constitution de l’Axe, qui précipitera l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale. En novembre 1942, lors d’une réunion à Munich avec Hitler, où Laval est présent, Mussolini confiera à l’interprète Paul Schmidt que Laval lui avait rendu fier service en 1935, en refusant de couper le ravitaillement en pétrole de l’Italie et de fermer le canal de Suez : dans ce cas, les troupes italiennes n’auraient plus eu qu’à se retirer d’Éthiopie sous huit jours.

En janvier 1936, à l’approche du Front populaire, Laval est écarté du pouvoir. Il en gardera, dès cette date, une vive hostilité envers les « socialo-communistes » qu’il associera à la Troisième République. Réélu à son poste de sénateur de la Seine pendant 10 jours en 1936, il devient sénateur du Puy-de-Dôme la même année. À partir de 1937, il incline vers des idées sinon autoritaires, du moins antiparlementaires. De retour au privé, il accumule un empire commercial basé sur les journaux, l’imprimerie et la radio. La défaite de 1940 fournit à Laval l’occasion de revenir au pouvoir. Il place son empire de médias au service de Pétain et du gouvernement de Vichy. Le lendemain même de la conclusion de l’armistice du 22 juin 1940 il entre au gouvernement Philippe Pétain. Le 10 juillet 1940, il use également de son influence à l’Assemblée nationale pour faire donner à Pétain les pleins pouvoirs. Deux jours plus tard, le 12 juillet 1940, Laval est appelé par Pétain comme vice-président du Conseil, le maréchal restant à la fois chef de l’État et du gouvernement.

Laval développa des rapports très étroits avec Otto Abetz, ambassadeur allemand en France. Jouant de son image de « francophile », ce dernier le persuade un peu plus, tout à fait à tort, que le Führer est prêt à tendre la main au vaincu et à réserver à la France une place privilégiée dans l’Europe nazie. Le 22 octobre 1940, Laval rencontre Adolf Hitler à Montoire et propose que les deux pays s’allient très étroitement. Deux jours après, il organise l’entrevue retentissante de Montoire, où la poignée de main symbolique entre Hitler et Pétain engage la France dans la collaboration d’État. Un mois plus tard, lors d’une autre réunion avec Hermann Göring, Laval suggère une alliance militaire avec l’Allemagne nazie, et fait dresser des plans pour une reconquête commune du Tchad, passé aux gaullistes sous l’impulsion de son gouverneur, Félix Éboué. Il multiplie par ailleurs les gestes de bonne volonté, sans contrepartie aucune ni demandée ni obtenue. Ainsi, il livre à l’Allemagne l’or de la Banque nationale de Belgique, confié par Bruxelles à la France. Il lui cède les participations françaises dans les mines de cuivre de Bor (Serbie), les plus importantes d’Europe à produire ce métal hautement stratégique. Il envisage le retour du gouvernement à Paris, où il serait plus étroitement sous regard allemand.

De juillet à décembre 1940, Laval mène une politique de collaboration active, avec le projet d’alliance avec l’Allemagne nazie évoqué ci-dessus. Des membres du gouvernement se sont inquiétés au sujet de cette alliance. Mais surtout, Laval agit trop indépendamment au goût de Pétain, jaloux de son autorité, et son impopularité auprès de la masse des Français risque à terme de rejaillir sur le régime. Enfin, c’est le dernier parlementaire à siéger encore au gouvernement, et il déplaît aux tenants de la Révolution nationale comme vestige de la République honnie. Le 13 décembre 1940, Philippe Pétain limoge brusquement Laval, et le remplace par Flandin puis par Darlan, lequel poursuit d’ailleurs sans grand changement la politique de collaboration et renforce le caractère autoritaire du régime.

Laval est brièvement arrêté, mais Otto Abetz intervient pour le libérer et l’emmène à Paris, où il vivra désormais sous la protection de l’armée allemande. Ce limogeage n’empêche pas Pierre Laval de continuer à participer à la vie publique et politique. Le 27 août 1941, alors qu’il passait en revue le premier contingent de la Légion des volontaires français (LVF), volontaires français sous uniforme nazi sur le point de partir pour participer à l’opération Barbarossa, Laval est victime d’un attentat à Versailles. La cérémonie organisée à la caserne Borgnis-Desbordes, avenue de Paris, réunissait Eugène Deloncle, président du Comité central de la Légion des volontaires français, Marcel Déat, fondateur du Rassemblement national populaire (RNP), Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, Marc Chevallier, préfet de Seine-et-Oise et le ministre plénipotentiaire allemand Schleier.

L’auteur des cinq coups de feu est un jeune ouvrier de 21 ans, Paul Collette, ancien membre des Croix-de-feu. Le 17 avril 1942, toujours sous la pression allemande, Laval, qui a recouvré la santé, est nommé chef du gouvernement du régime de Vichy par le maréchal Philippe Pétain. Il déclare publiquement qu’il croit en la victoire définitive de l’Allemagne nazie et renforce encore la politique de collaboration avec l’occupant. Si Pétain n’a toujours pas d’affection personnelle pour Laval, il partage avec lui les mêmes options de politique extérieure, et approuve ses décisions en conseil des ministres. En juin 1942, le maréchal déclare très clairement en public que les propos et les ordres de Laval sont « comme les [siens] » et que tous lui doivent obéissance comme à lui-même. Ainsi que l’ont montré Henri Michel, Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma et bien d’autres historiens, il n’a jamais existé de différences entre un « Vichy de Pétain » et un « Vichy de Laval », que les apologistes de Pétain ont inventées après la guerre afin de rejeter sur le seul Laval la responsabilité des turpitudes du Régime de Vichy.

éru de diplomatie, intimement persuadé d’être le seul Français capable de négocier avec Hitler, Laval mise tout sur une collaboration sans équivoque qui consiste à anticiper sur les désirs allemands et à multiplier les gages de bonne volonté envers le vainqueur, sans en attendre de contrepartie. Il espère ainsi obtenir de Joachim von Ribbentrop ou d’Hitler l’entrevue décisive, pendant laquelle il fait d’avance généreusement confiance aux capacités de charme personnel qu’il se prête pour séduire les chefs nazis, et les convaincre de réserver à la France une place de choix dans l’Europe allemande. Laval ne semble jamais avoir eu conscience ni de la spécificité radicale de l’idéologie nazie et du régime hitlérien, ni de l’absence complète de volonté du Führer de traiter la France ni aucun autre vassal comme un partenaire.

Profondément convaincu d’avoir raison seul contre tous, et persuadé que la postérité seule comprendrait les mérites de sa politique, Laval n’a jamais tenu aucun compte de l’impopularité de sa personne et du sentiment de collaboration auprès de la masse des Français, pas plus que des avertissements qui lui parvenaient de plus en plus de toutes parts. D’où, parmi tant d’autres témoignages, ce dialogue significatif avec le général Weygand, en novembre 1942, au moment où ce dernier doit quitter Vichy en raison de l’avancée des troupes allemandes dans la « zone libre » : « Monsieur Laval, vous avez contre vous 95 % des Français.Dites plutôt 98 %, mais je ferai leur bonheur malgré eux. » Pierre Laval s’enferre ainsi sans retour dans une politique de collaboration de plus en plus coûteuse humainement et moralement pour la France, sans contrepartie. Il n’en varie pas, y compris en 1943-1944, alors que la défaite allemande est pourtant devenue prévisible.

Le 22 juin 1942, Laval prononce à la radio un retentissant discours dont se détachent ces phrases essentielles : « J’ai toujours trop aimé mon pays pour me soucier d’être populaire ; j’ai à remplir mon rôle de chef » « Darlan lisait les communiqués tous les matins afin de savoir quel camp choisir dans la journée, pour ou contre l’Allemagne. Je ne m’occupe pas des communiqués : je mène une politique dont rien ne me fera changer ». « Agir de telle façon que l’Allemagne ne soit pas trop forte pour nous éteindre, mais de telle façon que le bolchevisme ne puisse pas, lui, nous supprimer. » Et la non moins célèbre : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que sans elle le bolchevisme, demain, s’installerait partout ».

L’effet sur l’opinion publique est désastreux, les propres conseillers et ministres de Laval sont effondrés. Préparant ce discours, Laval avait annoncé à ses conseillers qu’il mettrait aux Français « de l’acide sulfurique sur leurs plaies ». Alors que tous lui demandent de ne pas insérer cette phrase, il tient absolument à la garder, estimant qu’il doit dissiper toute équivoque envers les Allemands et ancrer résolument la France dans le camp de l’Axe. Il consent toutefois à montrer son texte au maréchal Pétain. Ce dernier se contente de lui faire modifier la version initiale – « Je crois à la victoire de l’Allemagne » – du moment qu’un civil n’a pas selon lui à faire de pronostic militaire. D’avoir émis le souhait de la victoire allemande discrédite définitivement Laval dans l’esprit de la masse des Français occupés. Laval reviendra plusieurs fois en public sur cette phrase, toujours pour refuser de la désavouer. Il déclara plus tard au moment de son procès que cette phrase lui valut la confiance du Führer et que de l’avoir prononcée lui sauva la vie quand il dut se rendre précipitamment à Munich en novembre 1942 pour voir Adolf Hitler qui s’inquiétait d’un revirement possible du gouvernement de Vichy à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. Hitler était persuadé que la présence de Darlan à Alger n’était pas fortuite et craignait que son ralliement aux forces américaines ait reçu l’aval de Vichy.

En septembre 1942, il autorise la Gestapo à pourchasser les résistants français en Zone libre (mission Desloges). Lors de l’invasion de la Zone Sud le 11 novembre, il ne démissionne pas et reste au pouvoir, comme Pétain. Le matin du 27 novembre, il tente in extrémis d’empêcher par téléphone le sabordage de la Flotte française à Toulon, au risque que ses nombreux navires de guerre tombent tous aux mains d’Hitler. En public comme en privé, Laval réaffirmera jusqu’à la fin son refus viscéral de toute idée de double-jeu. De fait, cet homme si souvent stigmatisé par ses contemporains comme un « maquignon » et un « opportuniste » joue jusqu’au bout un seul jeu : celui de l’entente avec l’Allemagne. Le 27 mars 1942, trois semaines avant le retour de Laval au pouvoir, le premier convoi de déportés juifs en direction d’Auschwitz a lieu au départ de Drancy et Compiègne. Dannecker, chef de la Gestapo à Paris, prévoit la déportation dans un premier temps de tous les Juifs adultes vivant en France occupée ou non occupée. Il a besoin pour cela du concours des forces de police en zone occupée et de la collaboration du gouvernement de Vichy en zone non occupée.

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Début juillet, selon une notice conçue par son attaché Camille Gaspard, Pierre Laval propose de livrer les Juifs étrangers vivant en zone non occupée en y joignant leurs enfants, en échange de l’exemption collective des Juifs de nationalité française des deux zones. Ses responsabilités dans la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ du 16-17 juillet 1942 et dans celle perpétrée le 26 août 1942 en zone sud sont accablantes. Sollicité de revenir sur sa décision d’inclure dans les convois les enfants de moins de 16 ans (initialement non demandés des Allemands), notamment par le pasteur Boegner, chef des protestants de France, Laval refuse : « pas un seul de ces enfants ne doit rester en France ». Le pasteur Boegner rapportera plus tard : « Que pouvais-je obtenir d’un homme à qui les Allemands avaient fait croire - ou qui faisait semblant de croire - que les juifs emmenés de France allaient en Pologne du Sud pour y cultiver les terres de l’État juif que l’Allemagne affirmait vouloir constituer. Je lui parlais de massacre, il me répondait jardinage ». Laval ne semble jamais s’être préoccupé particulièrement du sort exact qui pouvait attendre les familles déportées. Il prétendra après la guerre avoir livré les Juifs étrangers pour éviter la déportation des Juifs français.

Mais sans même parler du caractère singulier et pour le moins éthiquement discutable de ce marchandage, Laval n’a jamais demandé ni obtenu la moindre assurance écrite des Allemands à ce sujet, se fiant visiblement à de vagues assurances verbales jamais tenues, puisque des milliers de Juifs français sont déportés ultérieurement à leur tour. Par ailleurs, Laval tient peu après la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ ses seuls propos antisémites connus, déclarant aux préfets faire de la « prophylaxie sociale » en débarrassant la France de Juifs étrangers qui auraient « abusé de son hospitalité » et fait de l’Hexagone un « dépotoir » humain.

Le Commissariat général aux questions juives, dirigé par Darquier de Pellepoix, est sous l’autorité directe de Laval depuis juillet 1942. Le 30 septembre 1942, dans un télégramme aux ambassades françaises à travers le monde, il reprend une rhétorique antisémite pour justifier les récentes déportations : "Le seul moyen de conjurer le péril juif était le rapatriement de ces individus dans l'Est de l'Europe, leur pays d'origine". Pour la seule année 1942, plus de 43 000 Juifs sont déportés, la plupart arrêtés par la police française. En août 1943, Laval refuse cependant de dénaturaliser les Juifs français, ce qui aurait permis aux Allemands d’accélérer leur déportation. 11 000 Juifs n’en sont pas moins déportés encore cette année-là, et 17 000 en 1944. 80 % d’entre eux ont été arrêtés par la police française. 97 % des Juifs déportés périssent dans les chambres à gaz ou sont exterminés par le travail dans les camps de concentration.

Des 11 000 enfants de moins de 16 ans déportés, la plupart sur l’insistance personnelle de Laval, aucun n’est revenu. Dès le 12 mai 1942, Laval écrit au ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, pour lui proposer la participation de la France à l’effort de guerre allemand, au travers de l’envoi de travailleurs. Le Reich manque en effet cruellement de main-d’œuvre, ses ouvriers étant massivement mobilisés sur le front de l’Est. Lors de son discours du 22 juin 1942, Laval annonce la décision très controversée de créer la Relève, ancêtre du Service du travail obligatoire (STO). Il s’agit d’envoyer les meilleurs travailleurs en Allemagne en échange de prisonniers de guerre français. Mais Laval tait jusqu’au 11 août le véritable taux d’échange : trois ouvriers spécialistes contre un seul prisonnier paysan.

En outre, la plupart des prisonniers libérés par le Reich sont des hommes âgés ou malades, peu productifs donc, et qui auraient sans doute été rapatriés de toute façon. Début septembre, la Relève est un échec, avec seulement 17 000 candidats au départ. Sur l’impatience du gauleiter Fritz Sauckel, le « négrier de l’Europe », Laval passe alors au recrutement forcé. Le 4 septembre, Pétain promulgue une première loi à l’origine du départ forcé de 250 000 ouvriers en Allemagne en à peine six mois. Les exigences suivantes de Sauckel reçoivent pareillement pleine satisfaction : le 16 février 1943, une loi signée de Laval permet l’envoi en Allemagne de tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1923. Au total, en juillet 1943, plus de 600 000 travailleurs ont été envoyés en Allemagne.

Laval met activement l’inspection du travail, la police et la gendarmerie au service des prélèvements forcés de main-d’œuvre et de la traque des réfractaires au Service du travail obligatoire. Le 11 juin, dans un discours radiodiffusé, il menace ouvertement les réfractaires de représailles sur leur famille. Il durcit aussi les mesures à l’encontre de ceux qui les aident, et supprime les exemptions des étudiants et des jeunes paysans. Le prix à payer est lourd, sans aucune contrepartie : l’économie est désorganisée par la saignée en travailleurs, l’impopularité du régime se voit considérablement accrue, des milliers de jeunes réfractaires au Service du travail obligatoire sont jetés dans les bras de la Résistance et à l’origine de la naissance des maquis.

Tardivement conscient que le Service du travail obligatoire mine le régime, Laval finit par s’opposer aux nouvelles demandes exorbitantes de Fritz Sauckel lors d’une entrevue très orageuse le 6 août 1943. Cette dernière est assez rude pour que Laval soit pris d’une syncope et s’évanouisse. Appuyé par le ministre de l’Armement allemand Albert Speer, qui préfère désormais que les vaincus produisent sur place pour le Reich plutôt que de les exploiter en Allemagne, Laval obtient une suspension des départs, mais en échange d’une intégration considérablement accrue de l’industrie française à l’économie de guerre nazie (accords Albert Speer - Jean Bichelonne, 15 septembre 1943). Auparavant, Laval a été le seul chef de gouvernement d’Europe occupée à avoir « rempli à 100 % le programme de main-d’œuvre » (télégramme du plénipotentiaire d’ambassade Schleier à Berlin, avril 1943), et grâce à son aide indispensable, Sauckel a toujours obtenu tout ce qu’il voulait jusqu’à l’été 1943.

En janvier 1943, Laval crée la Milice française, force de police politique sous la conduite de Joseph Darnand, mais dont il est officiellement le président. En six mois, elle recrute plus de 35 000 hommes et joue alors le principal rôle dans la traque des Juifs et des résistants, qui sont soit torturés et exécutés sommairement sur place, soit déportés vers les camps de concentration. Recrutant largement parmi les ultra-collaborationnistes convaincus, mais aussi les aventuriers de toutes sortes et les criminels de droit commun, la Milice s’illustre aussi par de nombreux vols, viols, extorsions de fonds, voies de fait sur la voie publique ou agressions contre des fonctionnaires et des policiers.

Laval ne désavouera jamais son soutien public à la Milice. En novembre 1943, il proclame qu’il marche « main dans la main avec Darnand » car « la démocratie, c’est l’antichambre du bolchevisme ». En juillet 1944, il apparaît sincèrement horrifié par l’assassinat de son ancien ami et collègue de gouvernement, Georges Mandel, liquidé par la Milice. Mais il ne montrera guère d’émotion particulière pour les nombreuses autres exactions de cet authentique instrument de guerre civile, qu’il a lui-même encouragé à sévir. Cette même année 1943, il livre Léon Blum, Paul Reynaud et Édouard Daladier aux nazis. Depuis son retour au pouvoir, Pierre Laval obtient des prérogatives sans cesse accrues de la part de Pétain, avec l’appui des Allemands. Laval cumule de plus en plus de portefeuilles et place ses créatures à tous les postes-clés. Dès l’été 1942, il est à la fois ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Information. La gendarmerie est directement placée sous son autorité depuis juin 1942. Doté du titre nouveau de « chef du gouvernement » en avril 1942, Laval redevient dauphin officiel du maréchal en novembre 1942, après que l’amiral Darlan a changé de camp et est passé aux Américains lors du débarquement allié en Afrique du Nord.

Le 26 novembre, un acte constitutionnel de Pétain l’autorise à signer seul tous les décrets et les lois. En 1943, il obtient même des pouvoirs constituants. Il est officiellement le chef de la Milice française. René Bousquet, qu’il a placé au Secrétariat général de la police, se montre en toutes circonstances l’un de ses protégés les plus fidèles. Ce grand responsable des déportations de Juifs sera d’ailleurs encore à ses côtés dans sa cellule de Fresnes pour partager ses derniers instants (Pascale Froment, René Bousquet, Fayard, 2001). Les Commissariats spécialisés chargés de la persécution des Juifs ou de la livraison de main-d’œuvre à l’Allemagne relèvent aussi directement du chef du gouvernement. Plusieurs autres ministres sont des alliés et amis proches, ainsi Pierre Cathala aux Finances ou Jean Bichelonne à la Production industrielle et aux Transports.

Laval dispose aussi d’une clientèle de compatriotes auvergnats qu’il place à d’importantes fonctions. Le préfet de police de Paris, Amédée Bussière, un des principaux organisateurs de la rafle du Vel’ d’Hiv, est un Clermontois qu’il a connu à la préfecture du Puy-de-Dôme. À la tête de la Légion française des combattants, Laval installe le maire d’Ambert Raymond Lachal, partisan d’une ligne plus collaborationniste. Un autre Auvergnat, Grasset, devient ministre de la Santé. L’administration pénitentiaire, qui collabore à la garde des résistants capturés, est dirigée par Baillet, qu’il a connu comme commissaire à Aubervilliers du temps où il en était député. Très peu intéressé par la Révolution nationale, sans préjugés antisémites ou antimaçonniques particuliers, Laval n’hésite pas à prononcer le mot honni de « République » dans ses discours. Trop isolé et trop impopulaire pour négliger des soutiens éventuels, il est prêt à s’appuyer sur des républicains ralliés au régime, passant outre les récriminations des collaborationnistes et des pétainistes. C’est ainsi que Laval fait sonder entre autres l’ancien préfet de Chartres révoqué par Pétain, Jean Moulin, pour voir s’il veut reprendre du service au profit de l’État français. Celui dont Laval ignorait qu’il était entre-temps devenu l’un des plus grands résistants français opposa évidemment une fin de non-recevoir.

Mais à partir de fin 1943, Laval accepte aussi la fascisation progressive du régime en faisant entrer à son gouvernement les ultra-collaborationnistes affichés Joseph Darnand, Philippe Henriot et Marcel Déat. Il laisse la Milice française, organisation de type ouvertement fasciste, prendre un rôle de plus en plus grand dans l’État, un milicien devenant même préfet de Montpellier. En août 1944, après le jour J, Laval démissionne mais est emmené par les Allemands à Belfort puis à Sigmaringen en Allemagne. En mai 1945, il fuit en Espagne, est arrêté à Barcelone et, le 30 juillet, remis au gouvernement provisoire français promulgué par le général de Gaulle. Laval comparait devant la Haute cour de justice en octobre 1945. Particulièrement inconscient de la gravité des actes qui lui sont reprochés, Laval parlait fréquemment à ses proches du jour où il reprendrait sa carrière politique… Il semblait sincèrement persuadé de pouvoir encore convaincre ses juges du bien-fondé et de la nécessité de sa politique. La haine générale accumulée contre lui pendant l’Occupation éclate au grand jour à son entrée dans le box des accusés : très vite, Laval est hué et insulté par les jurés (dont plusieurs sont d’anciens collègues au Parlement, qu’il s’est pris inconsidérément à tutoyer familièrement), il est de fait empêché de parler et de se défendre. Il est exclu de son procès, et la défense refuse de plaider en protestation. La presse résistante elle-même condamnera le naufrage pénible du procès. Laval n’en est pas moins beaucoup trop compromis pour que le verdict de culpabilité fasse de toute façon le moindre doute. Il est condamné à mort le 9 octobre pour « Haute trahison en ayant aidé l’ennemi et violé la sécurité de l’État ».

Pierre Laval lors de son procès

Pierre Laval lors de son procès

Alors qu’il avait tenté de se suicider le jour de son exécution en avalant une capsule de cyanure, les médecins lui firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d'estomac. Son état s’étant sensiblement amélioré, il fut amené devant le peloton d'exécution qui le fusilla le 15 octobre 1945, dans la cour de la prison de Fresnes. Dans Le Procès Laval. Compte rendu sténographique (1946), réalisé sous la direction de Maurice Garçon, les derniers moments de Laval sont décrits en ces termes : « Le 15 octobre, vers 9 h 00 du matin, M. le Procureur Général Mornet, accompagné de M. le Président de la Commission d’Instruction Bouchardon, se présentèrent à la prison de Fresnes dans la cellule du condamné, lui annoncèrent que le moment était venu d’expier. Pierre Laval était couché et parut ne pas entendre. Rapidement on comprit qu’il était sous le coup d’une intoxication et le docteur Paul, médecin légiste, qui était présent, lui fit une piqûre de morphine. On trouva sur les couvertures du lit une ampoule qui avait contenu du poison que le condamné venait d’absorber, ne voulant pas, avait-il écrit, tomber sous des balles françaises. Il devint évident au bout de peu de temps que le poison était éventé. Les médecins firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d’estomac.

Le condamné rendit la plus grande partie de la substance toxique qu’il avait absorbée et se ranima assez rapidement. Son état s’étant amélioré, il fut décidé, puisqu’il pouvait se tenir debout et marcher, que l’arrêt serait exécuté. Pierre Laval, qui s’était habillé et qui maintenant paraissait rétabli, marcha d’un pas ferme jusqu’à la porte de la prison et monta dans le fourgon qui le conduisit derrière la prison de Fresnes devant une butte qui pendant la guerre avait servi aux Allemands de lieu d’exécution. Quelques minutes suffirent pour le conduire au poteau. Il refusa l’escabeau qu’on lui proposait pour s’asseoir, se laissa lier au poteau et mourut courageusement. »

Il fut inhumé dans une fosse commune du cimetière parisien de Thiais puis au cimetière du Montparnasse. Alors que huit demandes en révision du procès Pétain ont été rejetées, aucun défenseur de Vichy n’a pris la peine, ou le risque, de demander la révision du procès de Laval. Seule la famille de Laval et en particulier son gendre René de Chambrun, mari de sa fille unique Josée et ardent défenseur de sa mémoire, milita pour sa réhabilitation, mais en pure perte. Jean Jardin (1904-1976), son directeur de cabinet, fut aussi son éminence grise et continua à jouer ce rôle après la guerre auprès d’autres personnalités.

Seconde Guerre mondiale

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Conflit planétaire qui, de 1939 à 1945, opposa les puissances démocratiques alliées (Pologne, Grande-Bretagne et pays du Commonwealth, France, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Belgique, Yougoslavie, Grèce, puis URSS, États-Unis, Chine, et la plupart des pays de l'Amérique latine) aux puissances totalitaires de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon et leurs satellites, Hongrie, Slovaquie, etc.).

Joseph Staline, Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill

Joseph Staline, Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill

La Seconde Guerre mondiale, qui coûta la vie de plus de 40 millions de personnes, a duré six ans, du 1er septembre 1939, date de l'agression allemande contre la Pologne, au 2 septembre 1945, jour où le Japon capitula. Circonscrite à l'origine à l'Europe, elle devient véritablement mondiale avec l'entrée dans la guerre, en 1941, de l'URSS, du Japon et des États-Unis.Le nombre des belligérants, la nature et la puissance des moyens mis en œuvre, le caractère idéologique du conflit donneront plus d'ampleur encore à cet affrontement qu'à celui de 1914-1918. On y distinguera deux immenses théâtres d'opérations. Le premier, centré sur l'Europe, va de l'Atlantique inclus à la Volga et de l'océan Arctique à l'Afrique équatoriale ; le second, axé sur le Japon, englobe le Pacifique, l'Inde, la Chine et le Sud-Est asiatique. En dehors de quelques États d'Amérique latine et de quelques îlots européens (Espagne, Portugal, Suède, Suisse), toutes les nations du monde et leurs dépendances entreront peu à peu dans la guerre. Si quelques « têtes » dominent particulièrement ce conflit (→ Churchill, Hitler, Roosevelt, Staline), ils le doivent évidemment à leur forte personnalité, mais aussi à l'importance des ressources humaines, économiques, scientifiques et techniques que leur pays mettra à leur disposition.

Les historiens s'accordent à discerner deux parties dans le déroulement de cette guerre. La première, qui s'étend jusqu'à la fin de 1942, est marquée par le flux conquérant des puissances de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon). Un terme y sera mis dans le Pacifique par l'échec naval japonais de l'archipel des Midway, en Afrique par la bataille d'El-Alamein et le débarquement allié au Maroc et en Algérie, en URSS par le désastre de la Wehrmacht à Stalingrad. Dans une seconde partie, les Alliés reprennent l'initiative et la direction du conflit, puis, refoulant systématiquement le Japon dans le Pacifique et débarquant en Europe, contraindront d'abord l'Italie (1943), puis l'Allemagne et le Japon (1945) à la capitulation.

À l'issue de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles de 1919 a été considéré par l’Allemagne comme un diktat, qui la condamne à reconnaître sa responsabilité unilatérale dans le déclenchement de la guerre, à payer au titre de « réparations » pour les dommages causés aux personnes et aux biens (une somme qui implique des versements échelonnés jusqu'en 1988), à subir des amputations de territoires à l'est et une limitation de sa souveraineté à l'ouest (démilitarisation de la Rhénanie). Mais on ne peut imputer aux seuls excès du traité la responsabilité de cette nouvelle guerre. Sans doute, l'épuisement économique et démographique des vainqueurs de 1918, leurs divisions (et notamment la crainte de l'Angleterre de voir la France trop puissante), l'éclatement de l'Europe danubienne en de nouveaux États aux frontières contestables et contestées, l'impuissance d'une Société des Nations (SDN) imposée mais aussitôt refusée par les États-Unis, la crise économique mondiale de 1929, enfin, constitueront autant de facteurs accentuant la fragilité du nouvel équilibre international.

Hitler AdolfIl n'empêche que c'est d'abord à l'Allemagne d'Adolf Hitler qu'appartient la responsabilité fondamentale de ce conflit. Soulevé par la mystique du national-socialisme, Hitler est installé en 1933 au pouvoir par le président Hindenburg dans un pays rongé par le chômage et les conséquences économiques et sociales d'une inflation catastrophique. Son objectif est d'effacer le diktat de Versailles et d'assurer à l'Allemagne l'« espace vital » nécessaire à son expansion démographique : le réarmement va donc lui servir à la fois à préparer les conditions d'un changement politique et à remédier à la crise.

Quelques années plus tard commencera la folle aventure de ses coups de force, auxquels la faiblesse et les illusions de l'Angleterre et de la France ne répondront que par autant de renoncements. En particulier, leur absence de riposte à la réoccupation de la rive gauche du Rhin par la Wehrmacht – en violation du traité de Versailles –, le 7 mars 1936 retirait aux démocraties occidentales tout moyen de coercition à l'égard de l'Allemagne nazie.

Le rapprochement de Mussolini vers l'Allemagne nazie

En Italie, Mussolini a pris le pouvoir dès 1922, dans un pays qui s'estime lésé par les traités de 1919 et de 1920 : les accords avec l'Autriche-Hongrie et la Yougoslavie ne répondent pas aux promesses faites par les Alliés le 26 avril 1915 (traité de Londres), lorsqu'ils avaient détaché l'Italie de la Triplice. Pourtant, lors de la conférence de Stresa (avril 1935), Mussolini conclut avec la Grande-Bretagne et la France une entente qui stipule que les trois pays s'opposeront à toute modification des traités. Mais, contré par la Grande-Bretagne et la France lors de l'affaire éthiopienne (→ campagnes d'Éthiopie, octobre 1935), Mussolini se rapproche de Hitler et dénonce les accords de Stresa.

L'expansionnisme nippon

Au même moment s'affirmaient en Extrême-Orient les visées expansionnistes de l'empire japonais. Ayant imposé son protectorat à la Mandchourie, occupé la province chinoise de Jehol et quitté la SDN (1933), le Japon entre en 1937 en guerre avec la Chine ; il occupe rapidement Shanghai, Nankin et les principaux ports du Sud-Est (1939), refoulant à Chongqing Tchang Kaï-chek. L'extension de l'influence nippone dans le Pacifique ne provoque aucune réaction des États-Unis, alors entièrement absorbés par le redressement de leur économie et qui n'interviendront pratiquemen pas dans la crise internationale d'où sortira la Seconde Guerre mondiale.

Mais c'est dans la vieille Europe que les exigences démesurées du dictateur allemand, encouragé par la démission des démocraties occidentales, allumeront le conflit. Après s'être habilement assuré à l'automne de 1936 du soutien politique du Japon par la signature du → pacte Antikomintern, dirigé contre l'URSS, et de l'alliance de l'Italie fasciste par la constitution de l'Axe Berlin-Rome, Hitler annexe l'Autriche en mars 1938 (Anschluss). La guerre est évitée de justesse par les accords de Munich (septembre), qui, en acceptant l'incorporation au Reich du territoire des Sudètes, amorcent le démembrement de la Tchécoslovaquie. Dès mars 1939, ces accords sont violés par Hitler, dont les troupes entrent à Prague, tandis que Mussolini, un mois plus tard, annexe l'Albanie, puis signe avec Hitler le 22 mai 1939 le pacte d'Acier (→ traité de Berlin), qui enchaîne inconditionnellement l'Italie à l'Allemagne.

Cette fois, Paris et Londres décident enfin de résister. Aussi, quand Berlin somme brusquement Varsovie, le 25 mars 1939, de soumettre à un aménagement le statut de Dantzig et du corridor (→ Gdańsk), Londres prépare-t-il avec diligence un traité d'alliance avec la Pologne, et Paris confirme le sien. Les deux capitales étendent leurs garanties à la Roumanie et à la Grèce le 13 avril. Un accord semblable est conclu entre la Grande-Bretagne, la France et la Turquie, le 19 octobre, après la cession à Ankara du sandjak d'Alexandrette (aujourd'hui Iskenderun), détaché de la Syrie alors sous protectorat français.

Le pacte germano-soviétique

À l'approche de l'été de 1939, la seule inconnue qui demeure dans les données initiales d'un conflit désormais inéluctable est l'attitude de l'URSS. Sans doute la France et l'Angleterre espèrent-elles encore que l'inconnue de Moscou empêchera Berlin de se lancer dans une guerre générale. Le 11 août, une mission militaire franco-britannique est dépêchée en URSS pour tenter d'obtenir l'appui de l'Armée rouge contre les nouveaux appétits de l'Allemagne nazie. Aussi est-ce avec stupeur que Paris et Londres apprennent la signature dans la nuit du 23 au 24 août 1939 d'un pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, dont la négociation avait été tenue rigoureusement secrète (→ pacte germano-soviétique).

Les grandes purges qui, de 1936 à 1938, avaient bouleversé le monde soviétique, décimé les cadres de l'État et du parti et décapité l'Armée rouge de son haut commandement avaient sans doute mis l'URSS hors d'état d'intervenir en Europe. En changeant son ministre des Affaires étrangères (Molotov remplace Litvinov), Staline prenait le parti d'éloigner la guerre de son pays au prix d'une aide politique, économique et militaire à l'Allemagne, mais aussi en échange de substantiels profits : l'annexion de la Pologne orientale, des pays Baltes et de la Bessarabie était prévue par une annexe secrète au pacte du 23 août.

L'invasion de la Pologne

Ayant chassé le spectre de toute menace à l'est, Hitler a désormais les mains libres pour réaliser le Grand Reich. Dès le 29 août 1939, il lance à la Pologne un ultimatum inacceptable et, à l'aube du 1er septembre, la Wehrmacht franchit sans déclaration de guerre la frontière germano-polonaise. Cette fois, Hitler ne peut ignorer qu'il va se heurter à la résistance des alliés occidentaux : le 25 août, la Grande-Bretagne avait garanti publiquement et inconditionnellement les frontières de la Pologne. Aussi, après l'échec des derniers appels à la paix du pape Pie XII et du président Roosevelt, Hitler refusant de retirer ses troupes de Pologne, la Grande-Bretagne (bientôt suivie par les dominions) et la France déclarent-elles le 3 septembre 1939 la guerre à l'Allemagne. Arguant de sa faiblesse militaire, l'Italie demeure provisoirement « non belligérante », tandis que les États-Unis proclament leur neutralité armée, confirmée le 3 octobre par la déclaration de neutralité des républiques latino-américaines.

Presque aussi timoré que ses homologues alliés, l'état-major allemand s'est vu imposer par Hitler l'audacieuse doctrine de la guerre éclair menée par le couple char-avion, expérimentée de 1936 à 1939 lors de la guerre civile d'Espagne et des invasions de l'Autriche et de la Tchécoslovaquie. La Pologne disposait aux ordres du maréchal Rydz-Śmigłi d'une vingtaine de divisions et de 10 brigades de cavalerie soutenues par 447 avions et 280 chars anciens. La Wehrmacht attaque concentriquement, à partir de la Prusse-Orientale, de la Silésie et de la Slovaquie avec 63 divisions, dont 7 Panzer, soit environ 2 000 blindés et près de 2 000 avions. Surprise en cours de mobilisation, mal déployée, l'armée polonaise, bousculée et rapidement tronçonnée, résiste jusqu'au 27 septembre. Dix jours avant, elle a reçu le coup de grâce : alors que Varsovie venait d'être investie, les forces soviétiques, conformément aux accords du 23 août, franchissaient la frontière orientale polonaise et marchaient à la rencontre de la Wehrmacht.

Conquise en vingt-six jours, la Pologne est, le 28 septembre à Moscou, l'objet d'un quatrième partage. Il fixe la ligne du Bug comme frontière germano-soviétique, en échange de quoi l'URSS obtient de s'installer dans les États baltes, y compris en Lituanie. Quant à l'Allemagne, elle annexe Memel, Dantzig et son corridor (→ Gdańsk), la Posnanie et la Silésie polonaise. Les régions de Varsovie et de Cracovie, où est concentrée la population, forment un Gouvernement général placé sous administration allemande : le terme même de Pologne a disparu. Pour en savoir plus, voir l'article campagnes de Pologne.

« Drôle de guerre » à l'ouest

Sur le front français, les opérations sont très limitées durant l'hiver 1939-1940. Sur mer, elles sont marquées par le torpillage du cuirassé anglais Royal Oak dans la rade de Scapa Flow (14 octobre) et le sabordage du cuirassé allemand Graf von Spee devant Montevideo (17 décembre) ; la Kriegsmarine (marine de guerre) ne dispose alors que de 22 sous-marins de haute mer, et la guerre sous-marine n'en est qu'à ses débuts. Les gouvernements alliés se sont organisés pour la guerre. À Londres, Churchill prend la tête de l'amirauté, et Eden devient ministre des dominions ; à Paris, Daladier, déjà président du Conseil et ministre de la Défense nationale, s'approprie les Affaires étrangères et dissout les organisations communistes qui, à l'image de Moscou, condamnent la guerre. Il obtient les pleins pouvoirs du Parlement, tandis que le général Gamelin est reconnu généralissime du front occidental.

La stratégie demeure défensive à l'abri de la ligne Maginot et se cantonne dans un blocus dont les Alliés attendent la décision ou au moins le temps nécessaire pour réduire le retard de leurs armements. Les forces allemandes sont supérieures à celles des Alliés dans tous les domaines, sauf la Marine : 127 divisions terrestres contre un peu plus d'une centaine ; 5 200 avions contre 1 200 pour la France et 1 700 pour la Royal Air Force ; 3 croiseurs et 3 cuirassés contre 3 croiseurs et 10 cuirassés britanniques, et une vingtaine de croiseurs lourds et 3 cuirassés à la France. Le nombre des sous-marins allemands n'est pas supérieur à celui des Français : 120 contre 130.

Une offre de paix de Hitler (6 octobre) est repoussée, comme la médiation du roi Léopold III de Belgique, et de la reine Wilhelmine des Pays-Bas. Au printemps de 1940, un voyage d'information en Europe du secrétaire d'État adjoint américain Sumner Welles, révèle l'impossibilité d'un compromis.

Campagne de Finlande (30 novembre 1939-12 mars 1940)

Au même moment, les états-majors alliés envisagent, pour parfaire le blocus, des actions aériennes périphériques sur les pétroles roumains comme sur les mines de fer scandinaves. Ces projets prennent corps au moment où l'URSS attaque la Finlande (30 novembre), ce qui lui vaut d'être exclue de la Société des Nations (SDN). La résistance de l'armée finnoise étonne le monde jusqu'en février 1940, date où les Russes finissent par forcer la ligne Mannerheim, qui barre l'isthme de Carélie. Par le traité de Moscou du 12 mars 1940, l'URSS annexe la Carélie finlandaise et s'empare de la presqu'île de Hanko (Hangö en suédois).

Occupation du Danemark, campagne de Norvège (avril-mai 1940)

Le 16 février 1940, le cargo allemand Altmark est arraisonné dans les eaux norvégiennes par un destroyer anglais, et, le 8 avril, les Alliés annoncent le minage des eaux territoriales de la Norvège pour empêcher le Reich de se ravitailler par Narvik en minerai de fer suédois. Dès le lendemain, Hitler devance ces projets en occupant le Danemark et en envahissant la Norvège. Les Alliés répondent en débarquant au nord et au sud de Narvik du 13 au 20 avril. La flotte anglaise attaque ce port avec succès, mais la supériorité de la Luftwaffe (armée de l'air) contraint les Alliés à concentrer dans cette seule région leur action terrestre : la prise de Narvik le 28 mai par les Français de Béthouart ne sera qu'un succès éphémère, précédant de peu le rembarquement des troupes alliées imposé par l'offensive allemande sur la France.

Par cette nouvelle victoire, Hitler s'assure aussi bien les portes de la Baltique que la côte norvégienne et contrôle ainsi les débouchés vers l'ouest de l'économie suédoise. Dès le 9 avril, un gouvernement Quisling, aux ordres des Allemands, a été installé à Oslo, forçant le roi de Norvège Haakon VII à gagner l'Angleterre (juin). Au Danemark, le roi Christian X décide de demeurer avec son peuple, mais l'Islande, où débarquent les troupes anglaises (10 mai 1940), puis américaines (7 juillet 1941), proclame son désir de dénoncer son union avec le Danemark.

Guerre éclair aux Pays-Bas, en Belgique et en France

La guerre éclair en Europe et l'avance des troupes de l'Axe vers Stalingrad et le CaucaseLa guerre éclair en Europe et l'avance des troupes de l'Axe vers Stalingrad et le Caucase. Le remplacement de Daladier par Reynaud à la tête du gouvernement français le 22 mars 1940 accentue l'engagement de la France dans la guerre : le 28, elle signe avec l'Angleterre une déclaration où les deux nations s'interdisent de conclure toute paix séparée.

La débâcle

Le 10 mai, la Wehrmacht envahit les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Entre le 10 et le 12 mai, le front français est percé sur la Meuse ; le 14, tandis que l'armée néerlandaise dépose les armes, les Allemands percent de nouveau le front français près de Sedan (→ percée de Sedan) et, par la brèche ainsi ouverte entre Sedan et Namur, les divisions allemandes foncent en direction de l'Oise et de la Somme. Le 27, remontant vers le nord, les Allemands atteignent Calais et encerclent les forces franco-britanniques, qui sont mises hors de combat ; le 28, tandis que les franco-britanniques évacuent Dunkerque dans des conditions dramatiques, l'armée belge, à son tour, capitule. L'avance allemande a jeté sur les routes civils et militaires en un exode qui désorganise les communications et rend impossibles les manœuvres de rétablissement du commandement allié.

Cet enchaînement de catastrophes pose au gouvernement français de redoutables problèmes politiques, au moment où, le 10 juin, l'Italie lui déclare la guerre. Le 11, au Conseil suprême interallié de Briare, le général Weygand (successeur de Gamelin et soutenu par Pétain), que Paul Reynaud a appelé le 18 mai dans son gouvernement, évoque à mots couverts la possibilité d'un armistice, tandis que l'amiral Darlan s'engage, vis-à-vis de Churchill, à ce que la flotte française ne tombe jamais aux mains de l'Allemagne.

L'armistice

L'avance de la Wehrmacht se poursuit, et Reynaud, qui préconisait la continuation de la lutte en Afrique du Nord, démissionne le 16 juin. Appelé par le président Lebrun, Pétain lui succède comme chef du gouvernement et demande aussitôt l'armistice : il est signé le 22 juin à Rethondes avec l'Allemagne et le 24 à Rome avec l'Italie. La défaite française est à l'époque une énorme surprise, d'autant que les forces en présence n’étaient pas disproportionnées. Elle s'explique, entre autres, par l'incapacité du commandement, qui s'est cantonné dans la conception d'une guerre défensive et qui n'a su ni prévoir ni parer une attaque utilisant massivement les forces combinées de l'aviation et des blindés (les Français n'avaient que 3 divisions blindées à opposer aux 12 Panzerdivisionen allemandes).

Les clauses de l'armistice, qui, jusqu'à sa libération en 1944, vont peser sur la France, sont particulièrement sévères. Son gouvernement perd en effet le contrôle des trois cinquièmes du territoire national – soit toute la région nord-est du pays, Paris, la Bretagne et une bande côtière allant jusqu'à la frontière espagnole – qui seront occupés par l'Allemagne. Il est convenu que les deux millions de prisonniers le resteront jusqu'à la paix, et que la France paiera l'entretien des troupes d'occupation allemandes. Elle conserve toutefois son Empire colonial, sa marine (à peu près intacte), une armée de 100 000 hommes et une zone non occupée où, le 2 juillet, Pétain installe à Vichy son gouvernement (→ gouvernement de Vichy).

L'appel du 18 juin 1940

Le jour même où le vieux maréchal demande l'armistice, le 17 juin, le général de Gaulle, membre depuis le 5 juin du gouvernement de Paul Reynaud, rallie Londres et proclame le lendemain son refus de l'armistice et son appel à continuer la lutte aux côtés de l'Angleterre (→ appel du 18 juin). Tandis qu'ainsi naît la France libre, Pétain reçoit le 10 juillet de l'Assemblée nationale le pouvoir constituant et se proclame chef de l'État. Son autorité s'étend sur l'ensemble de l'Empire sauf l'Afrique-Équatoriale française, les établissements de l'Inde, Tahiti et la Nouvelle-Calédonie, qui, au cours de l'été, se rallient au général de Gaulle (→ État français).

L'Angleterre seule

La soudaineté inattendue de l'effondrement français ne pouvait manquer de bouleverser les rapports franco-anglais. Malgré les assurances réitérées de Darlan, Churchill, dans sa crainte de voir les bâtiments de la marine française utilisés par l'Allemagne, n'hésite pas à attaquer, le 3 juillet, ceux de Mers el-Kébir (où 1 300 marins trouvent la mort) et, le 8 juillet, le cuirassé Richelieu à Dakar, provoquant ainsi la rupture des relations diplomatiques entre Vichy et Londres. Ce manque de confiance et de sang-froid s'explique par l'isolement subit de la Grande-Bretagne, désormais seule en guerre contre une Allemagne qui apparaît invincible.

Hitler, pourtant, espérait encore amener son adversaire à composition, et, le 19 juillet, il lui fait au Reichstag une ostentatoire offre de paix. C'était compter sans la résolution de Churchill, Premier ministre depuis le 10 mai, et du peuple britannique, qui ont accueilli à Londres – ainsi promue capitale de la résistance au nazisme – les gouvernements tchèque, norvégien, néerlandais, belge et polonais. De Gaulle, qui a échoué dans sa tentative de ralliement de Dakar à la France libre (23 septembre), constitue également à Londres, le 27 octobre, un Conseil de défense de l'Empire français.

La bataille d'Angleterre

C'est alors que commence la fameuse bataille d'Angleterre, dont le succès eût sans doute consacré pour de longues années la victoire allemande. Occupant toutes les côtes de Narvik (Norvège) à Hendaye, Hitler se trouve dans une position exceptionnelle pour conquérir l'Angleterre. L'offensive aérienne déclenchée le 10 août par la Luftwaffe sur la Grande-Bretagne se heurte toutefois à une telle réaction de la Royal Air Force qu'à la mi-octobre Hitler renonce à l'opération et par là même au débarquement qui devait la suivre.

Pour les Anglais, la menace la plus immédiate se trouve ainsi écartée. Au cours de l'automne, sans renier de Gaulle ni le mouvement de la France libre, Churchill reprend secrètement contact avec Vichy. Les accords Chevalier-Halifax établissent un modus vivendi entre les deux pays : Pétain renonce à reconquérir les territoires français ralliés à de Gaulle et renouvelle ses assurances sur la flotte, mais Churchill s'engage en contrepartie à ne plus rien tenter contre les autres possessions françaises et à ne pas s'opposer aux relations maritimes entre celles-ci et la métropole.

L'effort de guerre britannique

En cette période dramatique, la chance de l'Angleterre est d'avoir à sa tête Winston Churchill, qui incarnera, durant ces six années, la résistance au nazisme. Excentrique, autoritaire, d'un courage indomptable, il est le chef incontesté de la stratégie comme de l'effort de guerre britannique, auquel le Commonwealth est directement associé (les Premiers ministres des dominions font partie du cabinet de guerre britannique).

Dans l'immédiat, c'est de soldats que la Grande-Bretagne a le plus besoin. En dehors de ceux qu'elle a rembarqués à Dunkerque, Churchill ne dispose que de 30 000 à 40 000 hommes en Afrique. Aussi l'apport des dominions, dont les armées sont en 1940 quasi inexistantes, sera-t-il essentiel. Malgré la tiédeur des Canadiens français, le Premier ministre Mackenzie King parviendra à mobiliser au Canada tous les hommes de 21 à 24 ans. L'Australie et la Nouvelle-Zélande fourniront 5 divisions, qui arriveront juste à temps en Égypte à la fin de 1940. L'Afrique du Sud est, elle aussi, en guerre, mais il est entendu que ses troupes ne serviront pas hors d'Afrique. En Inde, les partis nationalistes (→ Congrès et Ligue musulmane) cherchent à monnayer leur appui contre un statut de dominion et donc l'indépendance. Le refus de Churchill, attaché à l'Empire colonial britannique, freinera l'emploi de cet immense réservoir d'hommes. Huit divisions indiennes seront envoyées en Égypte à partir de février 1941, mais l'Angleterre devra laisser des troupes en Inde pour y maintenir l'ordre.

C'est évidemment à la Grande-Bretagne elle-même qu'il revient de fournir le plus gros effort. Plus mal préparée encore que la France (en 1938, 7 % seulement de son revenu sont consacrés au réarmement), elle ne réquisitionne sa flotte marchande qu'en janvier 1940, et, cinq mois plus tard, a encore un million de chômeurs. Un an après, 40 % de la population active (dont les femmes de 20 à 30 ans) sont mobilisés dans l'armée ou l'industrie. La production monte aussitôt (626 chars par mois en 1941, 717 en 1942), mais plafonne rapidement (2 000 avions par mois contre 2 300 prévus en 1942). Les résultats atteints resteront considérables jusqu'à la fin de la guerre grâce à l'esprit civique des Anglais, à une inflation jugulée au prix d'une baisse du niveau de vie de 14 % par rapport à 1938 et d'un gros effort de justice sociale : le plan Beveridge de 1942 pour l'assurance nationale sera, après 1945, le modèle des systèmes de sécurité sociale.

Dès la fin de l'été de 1940, le président Roosevelt, en avance sur l'opinion publique américaine, oriente sa politique vers un appui de la Grande-Bretagne. Passés le 2 septembre de l'état de neutralité à celui de non-belligérance, les États-Unis prêtent 50 destroyers aux Anglais en échange de la location de leurs bases de Terre-Neuve, des Antilles et de Guyane. Le 16 septembre, ils adoptent le service militaire obligatoire. La loi du prêt-bail du 11 mars 1941 ouvre à l'Angleterre un crédit financier illimité.

La guerre en Afrique et au Moyen-Orient

Après l'élimination militaire de la France, c'est en Libye que se situe le seul front terrestre de la guerre. En septembre 1940, les forces italiennes – 200 000 hommes aux ordres de Graziani – attaquent la petite armée britannique d'Égypte (36 000 hommes commandés par Wavell). Après leur éphémère succès de Sidi-Barrani, les Italiens sont refoulés au-delà de Benghazi par une vigoureuse contre-attaque de Wavell (décembre 1940-février 1941). C'est alors que Hitler, inquiet de la défaillance italienne, envoie en Libye Rommel et deux divisions blindées (Afrikakorps) qui, en avril 1941, reconquièrent la Cyrénaïque et assiègent Tobrouk, dont la garnison restera investie jusqu'au 27 novembre. Ce succès allemand ne compensera pourtant pas la perte par les Italiens de leur Empire d'Afrique orientale, totalement conquis par les Britanniques : le 10 avril 1941, ceux-ci occupent Addis-Abeba en Éthiopie, où rentrera le négus Hailé Sélassié, tandis que le duc d'Aoste, vice-roi d'Éthiopie, devra capituler le 19 mai à Amba Alagi.

Au même moment éclate en Iraq un soulèvement dirigé contre la Grande-Bretagne par Rachid Ali. Pour l'appuyer, le Führer exige de Vichy, au cours de son entrevue avec Darlan le 12 mai 1941, l'usage, pour la Luftwaffe, des aérodromes français du Levant. Mais les Anglais étouffent la révolte et, avec le concours d'un contingent des forces françaises libres du général Catroux, attaquent le 8 juin les troupes françaises de Syrie aux ordres du général Dentz, fidèle au maréchal Pétain. Celles-ci résisteront énergiquement durant un mois, puis cesseront le combat et négocieront avec les Britanniques à Saint-Jean-d'Acre un armistice et leur rapatriement en France (14 juillet 1941).

L'instauration du nouvel ordre européen

Ayant les mains libres à l'ouest, Hitler peut entamer la construction de la nouvelle Europe destinée à remplacer l'édifice périmé mis en place par le traité de Versailles. Pour accentuer l'isolement de l'Angleterre, il tente vainement d'entraîner dans la guerre l'Espagne de Franco. Mais le Caudillo, qu'il voit à Hendaye le 23 octobre 1940, fait la sourde oreille. À son retour, le 24, Hitler rencontre Pétain à Montoire, où est évoquée en présence de Laval la possibilité d'une collaboration entre la France de Vichy et le IIIe Reich. Cette entrevue n'apporte aucun changement au dur régime de l'Occupation et notamment au fardeau que représente pour la France l'indemnité de 400 millions de francs par jour qui permet au Reich d'« acheter l'économie française avec l'argent des Français ». La Belgique et la Hollande connaissent le régime de l'administration allemande directe ; les vrais « collaborateurs » du type norvégien de Quisling se font rares.

C'est en Europe centrale et orientale que s'ébauche la nouvelle Europe, qui se présente d'abord comme un compromis germano-soviétique. Dans le cadre du pacte du 23 août 1939, l'URSS annexe en août 1940 les pays Baltes, la Bessarabie et la Bucovine roumaines. Il n'y a plus d'État polonais. La Slovaquie « indépendante » de Monseigneur Tiso est dominée par l'Allemagne, qui contrôle directement le protectorat de Bohême et de Moravie. Le 29 août 1940, Hitler rend à Vienne une sentence arbitrale qui achève de dépouiller la Roumanie en donnant à la Bulgarie la Dobroudja méridionale, à la Hongrie les deux tiers de la Transylvanie et en faisant occuper par la Wehrmacht ce qui restait de ce malheureux pays.

Ce nouvel ordre est consacré par la signature à Berlin le 27 septembre 1940 du pacte tripartite – Allemagne, Italie, Japon – dirigé contre la Grande-Bretagne et les États-Unis et auquel les États satellites du Reich sont invités à adhérer, recevant en retour le « bienfait » de la protection et de l'occupation allemandes. Deux principes guident l'administration de l'Europe conquise : elle doit nourrir l'effort de guerre, en fournissant hommes et produits ; elle doit préparer l'avènement d'un nouvel ordre européen. Dans cette « Nouvelle Europe », dominée par l'Allemagne, la position de chaque peuple sera déterminée par sa place sur l'échelle des races établie par la doctrine hitlérienne : les peuples de langue germanique seront associés au Reich, les Latins maintenus dans une position subordonnée, les Slaves déportés ou anéantis, afin de permettre l'expansion allemande vers l'est, de même que les Juifs. Les difficultés de l'arbitrage entre ces deux impératifs expliquent la diversité des formes de l'Occupation nazie. Quatre types principaux d'administration des territoires soumis se dégagent :

 

  • La Pologne occidentale, l'Alsace, la Moselle, la Slovénie, le Luxembourg sont annexés et germanisés. Une partie des populations non germaniques est expulsée, la mise en valeur des terres devenues vacantes est confiée à des colons allemands. L'administration échoit à des fonctionnaires venus du Reich. La loi du Reich et l'usage de la langue allemande sont imposés.
  • Le reste de la Pologne et les territoires pris sur l'URSS sont administrés directement par l'État allemand : soumis à un pillage en règle, ils seront le cadre d'une exploitation sans pitié des populations locales. Les déclarations de Himmler aux chefs SS en 1943 illustrent l'esprit de cette occupation : « Peu m'importe que 10 000 femmes russes meurent pour creuser un fossé antichar si le fossé est creusé. ».
  • Le nord de la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique sont également placés sous administration allemande, soit pour préparer leur annexion, soit parce que les nazis n'ont pu y recruter de collaborateurs locaux qui les satisfassent. L'exploitation y est cependant moins brutale, même si les opposants et les Juifs sont impitoyablement pourchassés.
  • Plusieurs pays, dont la France de Pétain, la Serbie de Nedić, la Slovaquie de Tiso, conservent une administration nationale. Leur situation n'est cependant pas très éloignée de la précédente, à cette différence que l'existence d'un gouvernement propre légitime leur exploitation. Le sort des alliés de l'Allemagne – Hongrie, Roumanie, Bulgarie, voire Italie – se rapprochera de plus en plus de celui de ces pays, au fil des difficultés rencontrées par l'Axe.


De l'alliance à la guerre germano-soviétique

Le pacte germano-soviétique de 1939 fut suivi de l'accord commercial du 11 février 1940, qui, pour Berlin, atténua de façon importante les effets du blocus britannique. Les Allemands obtiennent de payer en 27 mois ce qu'ils reçoivent en 18 : cuivre, nickel, tungstène, céréales, coton et produits pétroliers ; l'URSS accorde une réduction de tarif de 50 % aux marchandises transitant par le Transsibérien. Tandis que les services de propagande nazis et soviétiques continuaient à converger contre l'impérialisme anglais, de sérieuses divergences se manifestaient lors de la venue en novembre 1940 de Molotov à Berlin. En offrant à Moscou l'Iran et l'Inde, Hitler tente de diriger vers l'Orient la politique soviétique, mais Staline entend affirmer sa position en Europe et exige la révision du régime des détroits turcs des Dardanelles et des détroits danois. Ces prétentions confirment Hitler dans sa volonté d'abattre l'URSS : il prescrit à son état-major d'accélérer le plan Barbarossa d'attaque contre la Russie, lequel, confié au général Paulus, est adopté le 5 décembre 1940. L'attaque est fixée au printemps suivant, mais la décision en reste secrète, et, jusqu'au dernier jour, des trains soviétiques alimenteront largement l'économie allemande.

Pendant ce temps, la diplomatie de Berlin s'efforce d'isoler l'URSS : des avantages économiques sont concédés à la Finlande, un pacte d'amitié est négocié avec la Turquie (il sera signé le 18 juin 1941), et c'est sans doute pour tenter un compromis avec Londres que Rudolf Hess s'envole pour l'Écosse le 10 mai 1941. Le déclenchement de l'agression contre l'URSS exige que l'Allemagne ait préalablement éliminé toute difficulté pouvant surgir des Balkans. Or, Mussolini, refusant le rôle de parent pauvre de la nouvelle Europe, avait décidé, sans en avertir Hitler, de conquérir la Grèce. Le 28 octobre 1940, les troupes italiennes passent à l'attaque, mais les forces grecques, refoulant leurs agresseurs, occupent bientôt le tiers de l'Albanie ; les Anglais décident alors d'appuyer la Grèce, où ils débarquent des troupes en mars 1941. Parallèlement, des éléments antiallemands commencent à s'agiter à Belgrade.

Hitler décide alors d'intervenir : huit jours après qu'un coup d'État chassant le régent Paul de Yougoslavie a porté au pouvoir le roi Pierre II, la Wehrmacht envahit brutalement le 6 avril 1941 la Yougoslavie et la Grèce. Dès le 17, les forces yougoslaves doivent capituler, et, le 27 avril, les Allemands entrent à Athènes, chassant de Grèce les unités britanniques ; celles-ci rembarquent au début de mai en direction de l'Égypte, où se réfugie le roi Georges II. Du 20 au 30 mai, les parachutistes allemands du général Student conquièrent la Crète.

Ce nouveau succès de la guerre éclair, auquel se sont associées la Bulgarie et la Hongrie, entraîne l'éclatement de la Yougoslavie. La Slovénie est partagée entre l'Allemagne et l'Italie, qui crée une Croatie « indépendante » dont un prince italien est proclamé roi. La Bulgarie reçoit la majeure partie de la Macédoine et de la Thrace, tandis que le Monténégro reconstitué est soumis à l'Italie. Le retard apporté par ces opérations au déclenchement de l'attaque allemande contre l'URSS sera lourd de conséquences.

L'invasion de l'Union soviétique

Quelques heures après le franchissement de la frontière soviétique par la Wehrmacht, l'ambassadeur de Staline à Berlin est informé de l'ouverture des hostilités, tandis que Hitler proclame par radio sa « volonté » d'assurer la sécurité de l'Europe… et de « sauver le monde ». Appuyées par 2 000 avions et secondées par 50 divisions « alliées » (finlandaises, roumaines, italiennes, hongroises), 145 divisions allemandes, dont 19 blindées (3 300 chars), articulées du nord au sud dans les trois groupes d'armées de Leeb, Bock et Rundstedt, se lancent à l'assaut de l'URSS. L'Armée rouge compte 140 divisions, dont 24 de cavalerie à cheval et 40 brigades blindées réparties en quatre grands fronts aux ordres de Vorochilov, Timochenko, Boudennyï et Meretskov.

Malgré les avertissements des Américains et des Anglais, et les multiples violations aériennes du territoire russe par la Luftwaffe, il semble bien que Staline se soit laissé surprendre. Tandis que Leeb conquiert les Pays baltes et marche sur Leningrad, investie le 8 septembre, Bock gagne la grande bataille pour Smolensk (8 juillet-5 août). Mais, contre l'avis de son état-major, qui voulait centrer tout son effort sur l'axe Smolensk-Moscou, Hitler envoie Rundstedt conquérir l'Ukraine. Ses troupes sont à la fin d'août sur la ligne Jitomir-Ouman-Odessa et livrent avec les groupements blindés Kleist et Guderian une nouvelle bataille d'encerclement du 13 au 26 septembre autour de Kiev. Ce n'est qu'au début d'octobre, après la prise de Viazma et d'Orel, que les chars allemands de Guderian sont rameutés sur Toula et Moscou. Le 1er novembre, les avant-gardes allemandes atteignent Mojaïsk, à 90 km de Moscou. Le 5 décembre, elles sont à 22 km au nord de la capitale, dont Hitler et le monde entier attendent la chute avant Noël.

Mais, le 6 décembre, une brutale contre-offensive soviétique dirigée par Joukov dégage Toula, reconquiert Kline et Kalinine, sauve Moscou et bloque définitivement la Wehrmacht, à bout de souffle et incapable de tenir tête aux rigueurs d'un hiver où le thermomètre descend jusqu'à −50 °C. Ce premier et retentissant échec de la guerre éclair entraîne dans la Wehrmacht une grave crise. Le Führer chasse plusieurs chefs de l'armée (Brauchitsch, Rundstedt et Guderian) et assume désormais directement le commandement des forces terrestres. Alors que Hitler se lançait dans une aventure qui scellera sa perte, Staline bénéficiait aussitôt de l'assistance des alliés occidentaux. Le 10 juillet 1941, Churchill s'engage à ne conclure avec l'Allemagne aucun armistice ni paix séparée. Roosevelt décide en septembre de faire bénéficier l'URSS de la loi du prêt-bail : elle recevra de 1942 à 1945 du matériel de guerre américain dont la valeur s'élèvera à 11 milliards de dollars.

En juillet 1941, les troupes américaines relèvent les Britanniques en Islande, et, le 14 août, Churchill et Roosevelt se rencontrent en mer ; ils proclament la charte de l'Atlantique, affirmant leur unité de vues sur les principes qui doivent guider le rétablissement d'une paix fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces principes seront réaffirmés le 1er janvier 1942 par la déclaration des Nations unies signée à Washington par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'URSS et vingt-trois pays en guerre avec l'Axe.

Japon et États-Unis : la rupture et l'entrée en guerre

Si les États-Unis s'engagent ainsi sur le théâtre occidental, leur vigilance est attirée plus encore en Extrême-Orient par l'attitude du Japon. En 1940, pour interdire les fournitures d'armes à Tchang Kaï-chek, Tokyo, profitant de la défaite française, avait imposé en juin la fermeture du chemin de fer du Yunnan et obtenu de l'Angleterre en juillet celle de la nouvelle route de Birmanie. Au moment de la signature du pacte tripartite avec l'Allemagne et l'Italie (septembre), le prince Konoe annonce un « ordre nouveau » en Extrême-Orient, qui, pour lui, comprend la Mandchourie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique (y compris l'Australie) et le Pacifique. La pression du Japon s'accroît sur l'Indochine française, qui doit accepter la présence de ses troupes, d'abord au Tonkin (juillet 1940), puis, après l'arbitrage imposé par Tokyo au conflit franco-thaïlandais, en Cochinchine (juillet 1941).

À cette attitude, Roosevelt répond d'abord par des mesures économiques, mettant l'embargo sur les expéditions américaines à destination du Japon (notamment le pétrole), puis bloque le 26 juillet 1941 les avoirs japonais aux États-Unis. Cependant, le Japon hésite encore à se lancer dans la guerre : au mois de mars, le ministre Matsuoka entreprend un voyage en Europe, où, après s'être arrêté à Rome et à Berlin, il signe, le 13 avril, à Moscou, un pacte d'amitié avec l'URSS. Mais, après l'échec de nouvelles négociations nippo-américaines (Hull-Nomura), le cabinet Konoe démissionne le 16 octobre 1941 et est remplacé par celui du général Tojo Hideki, qui personnifie le parti militaire, résolu à s'assurer par la force les richesses (pétrole, étain, caoutchouc) du Sud-Est asiatique.

Le 7 décembre 1941, la flotte combinée japonaise de l'amiral Yamamoto surprend et détruit en deux heures l'escadre américaine de Pearl Harbor (Hawaii). Le 8, le Japon déclare la guerre aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à ses dominions ; le 11, Berlin et Rome sont en guerre avec les États-Unis : le conflit est alors devenu mondial, à la seule et essentielle réserve près de la neutralité maintenue jusqu'en 1945 entre l'URSS et le Japon. Son principal adversaire étant provisoirement maîtrisé, l'état-major nippon, qui, seul, détient le pouvoir à Tokyo, lance aussitôt ses forces à l'attaque. Le 10 décembre 1941, elles torpillent deux grands bâtiments de la flotte britannique d'Extrême-Orient, le Prince of Wales et le Repulse ; à Noël, elles ont occupé la Thaïlande, Hongkong, débarqué aux Philippines, conquis Guam.

La vague déferle ensuite sur Bornéo, la Malaisie, les Célèbes, la Nouvelle-Bretagne et la Nouvelle-Guinée ; Singapour capitule le 15 février 1942. En mars, l'Indonésie et la Birmanie sont complètement conquises, puis c'est le tour des Philippines avec les capitulations de Bataan (9 avril) et de Corregidor (7 mai). Au début de l'été, une ultime avance pousse les Japonais aux îles Aléoutiennes (juin), dans les îles Salomon (Guadalcanal, 4 juillet) et en Nouvelle-Guinée (juillet-août). Leurs avions, qui ont bombardé l'Australie (février) et Ceylan (5 avril), attaquent maintenant l'Alaska et l'île canadienne de Vancouver (20 juin). Ainsi, le rêve des impérialistes nippons semble réalisé : en huit mois, Tokyo s'est rendu maître de la moitié du Pacifique et contrôle plus de 90 % de la production mondiale du caoutchouc, 75 % de celle de l'étain et une immense réserve de pétrole.

Dès le printemps de 1942, toutefois, la réaction des États-Unis se fait sentir, infligeant à la marée japonaise ses premiers coups d'arrêt par les deux victoires de la flotte américaine du Pacifique, commandée par l'amiral Nimitz dans la mer de Corail (4-8 mai) et aux îles Midway (4-5 juin). Mais c'est aux Salomon que l'état-major américain a décidé de constituer la base de sa contre-offensive : celle-ci débutera le 7 août par un débarquement de vive force à Guadalcanal, qui amorce le retournement de la situation stratégique en Extrême-Orient. À la fin de 1942, au moment où l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont atteint le zénith de leur puissance expansive, leurs forces subissent en Russie, en Afrique et dans le Pacifique des coups d'arrêt que l'avenir révélera décisifs. La victoire de l'armée soviétique devant Moscou est suivie dans les deux camps par une période de relative accalmie, mise à profit par l'URSS pour réorganiser ses armées et transférer de nombreuses usines de guerre en direction de l'Oural, en Sibérie et au Turkestan.

Le 5 avril 1942, Hitler fixe à la Wehrmacht les objectifs de sa prochaine offensive, qui visera la Volga, le Caucase et son pétrole. Retardée par une action de l'Armée rouge au sud de Kharkov (mai), elle débouche le 28 juin en direction de Voronej, pivot à la boucle du Donets, tandis que capitule Sébastopol après un siège de 250 jours. Le front russe est percé sur 500 km, et, après la chute de Rostov (23 juillet), les Allemands se lancent vers le Caucase, entrent à Maïkop, plantent le drapeau à croix gammée au sommet de l'Elbrous (21 août) ; ils sont bloqués dans la région du Terek à 120 km de la Caspienne, mais à 600 km de Bakou. Au même moment, la VIe armée (→ Paulus) franchit le Don à Kalatch, atteint la Volga (20 août) et conquiert du 1er au 15 septembre une grande partie de la ville de Stalingrad. Alors que Hitler croit tenir la victoire, débouche le 19 novembre la contre-offensive soviétique qui, encerclant l'armée de Paulus, la contraint à capituler le 2 février 1943.

Cette première grande défaite allemande a un énorme retentissement : toute une armée a été détruite après avoir perdu 250 000 hommes à cause de l'entêtement du Führer, ce qui a pour effet de dresser contre lui nombre de chefs militaires. L'Armée rouge a pris l'initiative des opérations ; elle ne l'abandonnera plus jusqu'à Berlin. En Libye, l'année 1942 marque également la dernière avance africaine des forces de l'Axe. Après son offensive de janvier, qui l'avait porté à proximité de Tobrouk (10 février), Rommel déclenche le 27 mai une nouvelle attaque. Elle est d'abord retardée par la résistance de Bir Hakeim, tenu du 27 mai au 11 juin par les Français libres du général Kœnig qui permet aux Britanniques de se replier vers l'Égypte. Mais, après avoir pris Tobrouk le 21 juin, l'Afrikakorps de Rommel franchit la frontière égyptienne et contraint la VIIIe armée britannique à se replier au début de juillet sur la position d'El-Alamein, à 130 km d'Alexandrie, qui marque le point extrême de l'avance allemande en direction du canal de Suez.

Après avoir vainement tenté de rompre le front adverse, Rommel est surpris le 23 octobre par une brutale contre-offensive de Montgomery (nommé en août à la tête de la VIIIe armée), et doit à son tour rompre le combat le 2 novembre. Six jours plus tard, les Américains débarquent au Maroc. Six mois après, la Wehrmacht sera chassée d'Afrique. D'autre part, la guerre sous-marine a pris un développement considérable. Dans l'Atlantique, l'année a été désastreuse pour les Alliés : 3 millions de tonnes de navires coulés de janvier à juillet, 700 000 en novembre. Mais là aussi la situation tend à se renverser : en octobre 1942, les pertes des sous-marins allemands atteignent en nombre celui des submersibles construits, et, grâce à l'effort prodigieux des chantiers américains, le tonnage allié construit dépassera, au début de 1943, celui qui est coulé par les sous-marins de l'Axe. Dans le Pacifique, les sous-marins américains détruisent en 1942 un million de tonnes de navires nippons, chiffre à peine inférieur à celui des prises de guerre et constructions neuves du Japon.

L'effort de guerre allemand

Dans l'ensemble, l'Allemagne réussira à financer par ses propres ressources la moitié de son imposant effort de guerre. L'autre moitié sera fournie par les territoires occupés et singulièrement (40 %) par la France. Anarchique jusqu'à la mort de Fritz Todt (février 1942), la production allemande d'armement, placée sous la haute autorité de Göring, directeur du plan, est pour l'ensemble des années 1941 et 1942 nettement inférieure à celle de la Grande-Bretagne pour les avions (24 000 contre 31 000) et à peine supérieure pour les chars (14 500 contre 13 400). Le successeur de Todt, Albert Speer, sait planifier cette production sans trop diminuer jusqu'à la fin de 1943 la consommation allemande. Un effort considérable est accompli dans la fabrication de carburants et huiles synthétiques (3,8 millions de tonnes en 1943), mais, dès 1942, c'est le problème de la main-d'œuvre, confié au Gauleiter Fritz Sauckel, qui devient primordial.

Le problème de la main-d'œuvre

En 1943, 11 millions d'hommes servent dans la Wehrmacht, dont les pertes (tués, blessés, disparus et prisonniers) sont alors de 4 millions. Pour y remédier, les Allemands enrôlent à titre d'auxiliaires (dits « Hilfswillige ») de nombreux Russes, si bien que, compte tenu de leurs « alliés », les effectifs sur le front est comprennent 25 % d'étrangers. La main-d'œuvre civile comprend 30 millions de personnes, dont 8 dans l'industrie. En 1944, Sauckel aura ramené dans le Reich, au titre du Service du travail obligatoire (STO), 6,3 millions d'ouvriers étrangers (dont 723 000 Français). Leur travail s'ajoute à celui de plus de 2 millions de prisonniers de guerre et aussi à celui des déportés des camps de concentration.

Aussi Speer réussit-il à faire passer la fabrication des chars de 9 400 en 1942 à 19 800 en 1943 et à 27 300 en 1944, et celle des avions de 13 700 en 1942 à 22 000 en 1943 et à 36 000 en 1944. Ces résultats sont obtenus alors que les bombardements aériens de la Royal Air Force et de l'US Air Force atteignent des proportions écrasantes : 48 000 tonnes de bombes en 1942, 207 000 t en 1943, 915 000 t en 1944. Cet effort de guerre se poursuivra jusqu'à la fin avec une étonnante efficacité : 7 200 avions sont encore construits dans les quatre premiers mois de 1945, ce qui porte la production totale allemande de 1939 à 1945 à environ 100 000 avions, chiffre un peu supérieur à la production anglaise (88 000 avions). Il permettra notamment l'engagement, à la fin de 1944, de nouvelles armes, tels les avions à réaction « Me 262 » (produits à 1 200 exemplaires) et les fusées de type V1 et V2, mises au point au centre de recherche de Peenemünde sous la direction de Wernher von Braun.

L'effort de guerre soviétique

La direction de la guerre en Union soviétique est confiée à un organisme nouveau, le Comité d'État pour la défense, présidé par Staline, qui étend son autorité sur tous les organismes de l'État et du parti. Il dirige la production et l'économie, mais aussi les forces armées, avec le concours de la Stavka (l'état-major), que commande de 1937 à novembre 1942 un militaire de grande classe, le maréchal Chapochnikov, auquel succédera le maréchal Vassilevski. L'intelligence de Staline le conduit à mettre l'accent sur le patriotisme et les traditions militaires russes (restauration des ordres de Souvorov, d'Alexandre Nevski) ; les insignes de grades des officiers réapparaissent, l'Internationale cesse d'être l'hymne national, et le Komintern est supprimé (15 mai 1943).

Du fait de l'invasion allemande, la production industrielle globale baisse en septembre 1941 de plus de 50 %. La situation s'aggrave encore en 1942, où la production du charbon baisse de 142 à 75 millions de tonnes, celle de la fonte de 18 à 5, celle de l'acier de 13,8 à 4,8… Mais, au même moment, les Soviétiques évacuent 1 300 entreprises de grandes dimensions, ainsi que 10 millions de personnes (dont 2 de la région de Moscou), qui vont s'installer dans l'Oural, en Sibérie occidentale et en Asie centrale, où de nouvelles usines sortent de terre. À la fin de 1942, la situation est redressée : la production de matériel de guerre dépasse celle de 1941, et les livraisons anglo-américaines, qui ont débuté dès octobre 1941, arrivent alors par Arkhangelsk, par l'Iran et par Vladivostok (elles comprennent notamment 22 000 avions, 12 184 chars, 2,6 millions de tonnes d'essence, 4,5 millions de tonnes de vivres).

Cependant, l'URSS manque de main-d'œuvre : 27 millions de travailleurs en 1945 contre 30 millions en 1940 (9,5 millions contre 11 dans l'industrie). Tous les congés sont supprimés et on s'efforce de moderniser et rationaliser la production (3 700 heures de travail pour fabriquer un char « T 34 » en 1943 contre 8 000 en 1941 ; 12 500 pour un avion de chasse contre 20 000). Aussi, en 1942, l'URSS peut-elle produire 25 400 avions, 24 600 chars et près de 30 000 canons de campagne (contre 15 400, 9 300 et 12 000 en Allemagne) ; en 1944, ces chiffres s'élèvent à 40 000 avions, 29 000 chars et 122 000 canons pour une armée de plus de 400 divisions qui, en 1945, engage 6,5 millions d'hommes sur un front de 2 400 km, soutenus par 13 000 chars, 108 000 canons et 15 000 avions (production globale 1941-1945 : 142 800 avions, 102 500 blindés, 490 000 canons). Les investissements soviétiques, concernant surtout l'industrie lourde, passent de 48,2 milliards de roubles de 1941 à 1943, à 73,7 de 1943 à 1945, date à laquelle les productions de houille, de fonte et d'acier seront remontées à environ 150, 9 et 12 millions de tonnes.

L'effort de guerre américain

En 1939, l'armée américaine compte 190 000 hommes, dont 50 000 outre-mer avec 330 chars. L'industrie d'armement n'occupe que 2 % de la main-d'œuvre, et il y a 7 millions de chômeurs. Six ans après, les États-Unis ont près de 11 millions de soldats ou de marins, dont près de la moitié combattent à plusieurs milliers de kilomètres : 2,7 millions en Extrême-Orient, 2,3 millions en Europe. Doublant leur production, ils auront fourni plus de la moitié des armes de la coalition contre l'Axe, livrant, de 1940 à 1945, 96 000 chars, 61 000 canons, 2 300 000 camions, 21 millions de tonnes de munitions, 296 000 avions. La standardisation des constructions navales, la création en 1941 de 140 nouveaux chantiers ont permis la construction de plus de 5 000 navires, dont 2 700 « Liberty ships ».

Au moment de l'institution du service militaire obligatoire (septembre 1940), l'US Army compte 23 divisions ; en 1943, il y en a 91 (dont 3 aéroportées et 16 blindées), recrutées et instruites avec l'aide d'un service de sélection ajustant l'offre à la demande par l'emploi de tests psychotechniques. En 1945, l'US Navy compte 3,3 millions d'hommes ; l'US Air Force, 2,3 millions d'hommes avec environ 100 000 avions. Dans le cadre de la loi du prêt-bail de mars 1941, les États-Unis doivent en outre fournir ses Alliés, qui reçoivent à ce titre 16 % de la production de guerre américaine. Les principaux bénéficiaires sont la Grande-Bretagne, qui reçoit 1 000 chars et 5 200 avions en 1941, 4 400 chars et près de 7 000 avions en 1942. La part de l'URSS est également considérable (14 795 avions et 7 000 chars). À partir de 1943, l'armée française d'Afrique du Nord reçoit aussi son lot, pour une valeur de 3 milliards de dollars, soit 8 % du prêt-bail (1 400 avions, 5 000 blindés, 3 000 canons, etc.).

Pour soutenir cet effort, l'économie américaine doit sacrifier au dirigisme. Elle le fait d'une manière très pragmatique : chaque problème est confié à une Agency, organisme nouveau créé à cet effet sous le seul signe de l'efficacité et dirigé par un industriel ou un technicien habillé ou non en général. L'orientation et le contrôle de ces organismes relèvent, à l'échelon du président, d'un Office of War Mobilization, dirigé par Donald Wilson. Mais, dès le début de 1944, les Américains préparent la reconversion de leur économie de guerre pour le temps de paix. L’effort de guerre passe par le recours aux chômeurs puis aux femmes : ainsi, la population active américaine comprendra 36 % de femmes en 1945, alors qu'elle n'en comptait que 25 % en 1941. Les besoins en main-d'œuvre sont aussi couverts en faisant appel aux Noirs, jusqu'alors surtout employés dans l'agriculture : le nombre de Noirs travaillant dans l'industrie double au cours de la guerre. Comme dans le cas des femmes, leur participation à l'effort de guerre les conduira à remettre en cause leur infériorité sociale.

L'émergence de la Résistance

En Europe, l'occupation allemande s'est faite d'autant plus lourde que la Gestapo a étendu partout son appareil de terreur – et notamment le système concentrationnaire – qui reçoit désormais mission de fournir au Reich une main-d'œuvre dont il a un impérieux besoin. Aussi, un peu partout, à mesure que le contrôle politique, policier et économique se resserre, les populations des territoires occupés passent-elles de l'attentisme à la résistance. À Prague, le « protecteur du Reich » Heydrich, chef SS aussi connu comme le « boucher de Prague », est assassiné le 27 mai par des résistants tchécoslovaques. En Serbie, le combat contre l'Allemagne se double rapidement d'une guerre civile entre Partisans communistes de Tito et les nationalistes de l'armée régulière, les Tchetniks), commandés par le général Draža Mihailović.

En France, où les Allemands ont imposé le rappel de Laval le 18 avril 1942, l'odieux système des otages, l'occupation totale de la France à partir du 11 novembre 1942 et l'instauration (février 1943) d'un Service du travail obligatoire (STO), au profit du Reich, contribueront à renforcer le courant antiallemand. Le fait qui domine la seconde partie de la guerre est la reprise de l'initiative par les adversaires de l'Axe, qui adoptent partout une attitude résolument offensive. Mais la coordination de leurs actions n'interviendra que très progressivement. L'URSS attend avant tout de ses alliés anglo-saxons l'ouverture d'un second front en Europe qui allège la pression de la Wehrmacht sur le front russe. C'est ce que Molotov dit à Churchill en signant à Londres le 26 mai 1942 un traité d'alliance anglo-soviétique, et surtout à Roosevelt, qui le reçoit le surlendemain à Washington. Mais, tandis que Staline est tendu vers un unique objectif, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont engagés, souvent conjointement, dans le monde entier sur de multiples théâtres d'opération où ils entendent d'abord mener une stratégie commune.

La direction de guerre anglo-américaine

C'est en 1942 que la direction anglo-américaine s'organise par la volonté commune de Churchill et de Roosevelt, qui établissent entre eux un contact quasi permanent. Leur instrument est le Comité mixte anglo-américain des chefs d'état-major (Combined Chiefs of Staff), créé à Washington dès Noël 1941, où Londres est représenté par sir John Dill, mais où domine la forte personnalité du général américain George Marshall. Les ressources des deux pays sont mises en commun : en janvier 1942 est constitué le Combined Shipping Adjustment Board, qui gère le pool de leurs navires marchands et pétroliers (95 millions de tonnes en 1944), indispensable à la conduite d'opérations qui se déroulent à des milliers de kilomètres de leurs territoires. Si la priorité finale est reconnue au théâtre européen, Churchill s'oppose à toute tentative prématurée en France (en 1942, seuls deux raids expérimentaux sont lancés, l'un en février à Bruneval, l'autre en août à Dieppe). Conscient de l'importance de la Méditerranée, il convainc Roosevelt de s'y assurer d'abord des bases solides en débarquant en Afrique du Nord (opération Torch).

Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord

Le 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent à Casablanca, Oran, Alger. Du 9 au 12 novembre, les Allemands débarquent à Tunis, d'où ils prendront liaison avec les forces germano-italiennes refoulées d'Égypte par Montgomery suite à sa victoire d'El-Alamein (2 novembre). Décidée en juillet 1942, l'opération Torch est la première entreprise américaine sur le théâtre occidental. Déclenchée le 8 novembre aux ordres du général Eisenhower, elle fut précédée de multiples contacts avec des éléments français se réclamant du général Giraud (récemment évadé d'Allemagne), et bénéficia de la présence fortuite à Alger de l'amiral Darlan, successeur désigné de Pétain. L'autorité de Darlan comptera aussi bien pour faire cesser le 11 novembre les résistances locales (Casablanca, Oran) des troupes françaises aux Américains que pour leur prescrire, le 13, de reprendre en Tunisie le combat contre les Allemands qui venaient d'y débarquer.

Le 22, Darlan, devenu, à la stupeur des gaullistes l'interlocuteur des Américains, signe avec le général Clark un accord organisant la rentrée en guerre de tous les territoires français d'Afrique, et notamment de ceux d'Afrique-Occidentale. La riposte allemande est brutale : dès le 11 novembre 1942, la Wehrmacht envahit la zone non occupée de la France, tandis que les Italiens se saisissent de Nice et de la Corse ; le 27, l'armée française d'armistice est dissoute, et la flotte de Toulon se saborde suivant les engagements pris en juin 1940 pour ne pas tomber aux mains du Reich. Le 23 janvier 1943, les Britanniques sont à Tripoli en Libye, où les rejoint la colonne française du général Leclerc, venue du Tchad ; le 4 février, ils entrent en Tunisie et passent aux ordres d'Eisenhower, dont les forces franco-anglo-américaines, qui ont débouché d'Algérie, en décembre, menacent Tunis. Sous les attaques conjuguées des deux groupements alliés, les forces germano-italiennes d'Afrique doivent capituler le 13 mai 1943 au cap Bon, abandonnant 250 000 prisonniers.

À la conférence de Casablanca (ou d'Anfa), du 14 au 27 janvier 1943, Roosevelt et Churchill tirent ensemble les conséquences de leur succès. Affirmant leur volonté d'exiger une capitulation sans condition de l'Italie, de l'Allemagne et du Japon, ils établissent leur plan pour 1943 : débarquement en Sicile, attaque aérienne systématique du potentiel économique allemand pour préparer l'ouverture du second front, laquelle est ajournée à 1944. Roosevelt et Churchill tentent aussi, au cours de leur rencontre à Anfa, de rapprocher de Gaulle de Giraud, qui a pris à Alger la succession de Darlan, assassiné le 24 décembre. Le 3 juin 1943, les deux généraux installent à Alger, sous leur coprésidence, un Comité français de libération nationale (CFLN), unique pouvoir politique représentant désormais la France en guerre. Après avoir dirigé la libération de la Corse par les troupes françaises, Giraud abandonne le 27 septembre sa coprésidence, et de Gaulle devient le seul maître à Alger.

L'élimination de l'Italie (juillet 1943-juin 1944)

Dès le 10 juillet 1943, Eisenhower lance ses forces sur la Sicile, qu'elles conquièrent en un mois (→ débarquement de Sicile). Cette victoire accélère la désagrégation du régime fasciste italien : dans la nuit du 24 au 25 juillet, Mussolini est destitué au cours d'une dramatique réunion du Grand Conseil fasciste et arrêté sur ordre du roi, qui confie le pouvoir au maréchal Badoglio. Tout en cherchant à rassurer les Allemands (qui ont des troupes en Italie), ce dernier prend en août des contacts secrets avec les Alliés et signe le 3 septembre à Syracuse un armistice impliquant la capitulation sans condition de toutes les forces italiennes. Les Alliés ne l'annoncent que le 8, alors qu'ils ont déjà débarqué le 3 en Calabre et s'apprêtent à le faire le 9 à Salerne. Hitler réagit aussitôt : le 12 septembre, il fait libérer Mussolini, qui fonde la république sociale italienne ou république de Salo pour continuer la lutte aux côtés du Reich, auquel le gouvernement de Badoglio, réfugié à Brindisi, déclare la guerre le 13 octobre.

Au même moment, les Allemands réussissent à se retrancher au sud de Rome sur une forte position, la ligne Gustav, à laquelle se heurtent les forces anglo-américaines du général Alexander, rejointes en décembre 1943 par le corps expéditionnaire français du général Juin. Alors commence une très rude campagne, marquée notamment par la violente bataille de Cassino : c'est seulement le 11 mai 1944 que les Français de Juin réussiront la percée de la ligne Gustav et permettront l'entrée des Alliés à Rome, le 4 juin 1944.

La Wehrmacht refoulée de la Volga au Dniestr (1943-1944)

Si, en 1943, les alliés anglo-saxons ont obtenu des résultats décisifs en Afrique et en Italie, ils n'y ont immobilisé qu'une très faible partie de la Wehrmacht. Les trois quarts du potentiel militaire allemand s'appliquent encore au front soviétique, où, au cours de la même année, la victoire va aussi définitivement changer de camp. Au nord, la prise de Schlüsselburg par les Russes (12 janvier) dégage Leningrad ; celles de Viazma et de Rjev (mars) refoulent la Wehrmacht à 250 km de Moscou, mais c'est au Sud qu'ont lieu les actions décisives. Au lendemain du désastre de Stalingrad (février 1943), les Allemands, chassés du Caucase comme de la boucle du Don, doivent abandonner Rostov, Koursk et Kharkov (qui est reconquis en mars par Manstein). Le 5 juillet 1943, l'échec de la double offensive blindée allemande (Manstein-Kluge) sur le saillant de Koursk signifie la perte désormais irréversible de l'initiative par la Wehrmacht sur le front de l'Est.

Le 12, l'offensive soviétique de Rokossovski sur Orel est la première d'une série de coups de boutoir sur Kharkov, Briansk et Smolensk qui mènent à la fin de septembre l'Armée rouge sur le Dniepr : il sera largement franchi en novembre, malgré la réaction de Manstein à Jitomir. Refusant tout répit à Hitler, Staline déclenche dès le 18 décembre 1943 la campagne d'hiver : au Nord, la Wehrmacht est refoulée de 200 km sur Narva et Pskov (janvier 1944) ; au Sud, Vatoutine, Koniev, Malinovski et Tolboukhine portent leurs forces sur le Boug (février) et le Dniestr (mars), tandis que Joukov entre en Galicie polonaise, atteint Tchernovtsy et Kovel et menace Lvov. Le 15 avril, après la prise d'Odessa et de Ternopol, le front se stabilise : l'Ukraine est totalement libérée, les Russes sont à la porte des Balkans ; Sébastopol tombe le 9 mai ; seuls les pays Baltes et la Russie blanche (actuelle Biélorussie) sont encore aux mains de la Wehrmacht.

L'URSS et ses Alliés : conférence de Téhéran (novembre 1943)

Sur le plan diplomatique, où elle connaît une intense activité, l'année 1943 est dominée par le problème du second front, que Staline, qui se refuse à considérer comme tel l'étroit champ de bataille italien, ne cesse de poser aux Alliés. De nombreuses réunions se tiennent à Washington en mars et en mai, à Québec en août, où Roosevelt, Churchill et le Canadien Mackenzie King se concertent avec T. V. Soong, ministre de Tchang Kaï-chek, sur la lutte contre le Japon. En octobre, pour dissiper la méfiance existant entre les Alliés et l'URSS, qui se soupçonnent mutuellement de prendre des contacts secrets avec Berlin, le secrétraire d'État américain Cordell Hull, le ministre des Affaires étrangères britannique Eden et le Soviétique Molotov préparent à Moscou une rencontre des « trois Grands », Roosevelt, Churchill et Staline.

Après que les deux premiers ont conféré avec Tchang Kaï-chek au Caire, la conférence a lieu le 28 novembre 1943 à Téhéran. Il y est confirmé que le second front serait réalisé, non comme le souhaitait Churchill dans les Balkans, mais en France. Les trois conviennent publiquement qu'ils garantiront l'intégrité de l'Iran et secrètement que l'Allemagne serait démembrée et que les frontières de la Pologne seraient reportées à l'Ouest jusqu'à l'Oder et à l'Est jusqu'à la ligne Curzon. Staline promet d'attaquer le Japon dès que cela lui sera possible. Les problèmes de l'après-guerre sont aussi évoqués, et les bases jetées d'une « Organisation des Nations unies » où le maintien de la paix relèvera essentiellement des trois Grands et de la Chine : leurs représentants se réuniront à Dumbarton Oaks d'août à octobre 1944 (→ plan de Dumbarton Oaks). Seul contre Roosevelt et Staline, qui, comme lui, ont reconnu le Comité français de libération nationale (CFLN) de de Gaulle le 26 août 1943, Churchill a affirmé sa volonté de voir la France se reconstituer après la guerre.

Le reflux japonais en Extrême-Orient (1943-1944)

Alors qu'en Afrique comme en URSS la retraite des forces de l'Axe revêt un caractère spectaculaire, le renversement de la situation en Extrême-Orient connaît un rythme plus lent. L'immensité des distances, le caractère spécial des forces aéronavales et amphibies qu'il leur faut constituer exigent des Américains près d'un an après leur attaque de Guadalcanal (août 1942) pour qu'ils puissent développer à fond le poids de leur puissance offensive. L'hiver de 1942 est dominé par la dure conquête de Guadalcanal, qui ne s'achève que le 8 février 1943, et par la défense victorieuse des Australiens en Nouvelle-Guinée, qui écarte de leur pays la menace d'une invasion nippone. Les îles Aléoutiennes sont reconquises dans l'été 1943, mais c'est des bases de Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides que le commandement américain lance deux offensives décisives en direction des Philippines. L'une, essentiellement aéronavale, sera conduite par l'amiral Nimitz sur les îles Gilbert et Mariannes, l'autre, à dominante amphibie, sur la Nouvelle-Guinée et les Moluques, sera dirigée par le général MacArthur, commandant des forces alliées dans le sud-ouest du Pacifique.

La campagne s'ouvre par une série d'actions limitées sur les îles Salomon (Bougainville) et Gilbert, de juin à décembre 1943. En 1944, Nimitz lance ses forces à l'assaut des Marshall (janvier), des Carolines (8 février) et des Mariannes, où la conquête de Saipan et de Guam (juin-août), à 2 300 km de Tokyo, permet à l'US Air Force de prendre sous ses feux la capitale nippone ; l'événement, durement ressenti au Japon, provoque la démission du cabinet Tojo (18 juillet). En même temps, les divisions de MacArthur atteignent la côte nord-ouest de la Nouvelle-Guinée et débarquent aux Moluques (septembre). Finalement, les deux grandes offensives américaines convergent sur l'île de Leyte (Philippines), où la flotte japonaise subit, du 24 au 26 octobre 1944, un véritable désastre dont elle ne se relèvera pas (→ bataille de Leyte).

Face à l'ampleur de l'offensive américaine, l'état-major japonais décide de consolider sa position en Chine. Depuis la conquête de la Birmanie en 1942, Tchang Kaï-chek, qui maintient 300 000 hommes dans le Shanxi pour y surveiller les forces communistes de Mao Zedong, n'a d'autre contact avec ses alliés occidentaux qu'une liaison aérienne par l'Inde. Si, en 1943, les Japonais ont échoué dans leur raid sur Chongqing, ils lancent en mai 1944 une offensive sur la Chine du Sud pour ravitailler leurs forces de Birmanie et de Malaisie, avec lesquelles la liaison par mer est devenue trop précaire. La prise de Changsha au Hunan le 18 juin 1944 leur permet de relier Hankou à Canton, d'éliminer les bases aériennes américaines installées dans cette région et d'établir ainsi une grande ligne de communication terrestre de la Mandchourie au Tonkin et pratiquement jusqu'à Singapour.

En Birmanie, toutefois, l'action qu'ils tentent au printemps 1944 contre la voie ferrée indienne de Calcutta à Ledo se heurte à l'offensive des forces de l'amiral Mountbatten, commandant suprême allié dans le Sud-Est asiatique. Parties de Ledo, les unités du général américain Stilwell font au cours de l'été 1944 près de Bhamo, en haute Birmanie, leur jonction avec les forces chinoises. La construction d'une route (dite « route Stilwell »), raccordée au secteur nord de la route de Birmanie, rétablit la liaison terrestre avec la Chine. Tandis que les Britanniques prennent Akyab (janvier 1945), Américains et Chinois, descendant l'Irrawaddy, chassent de Birmanie les Japonais ; ceux-ci, pour garantir leur retraite, s'assureront par leur coup de force du 9 mars 1945 le contrôle total de l'Indochine française. Le 3 mai, les Alliés entrent à Rangoon.

Prélude au second front

C'est en 1943, aux conférences de Washington (mai) et de Québec (août), que Roosevelt et Churchill décident que le débarquement en France serait réalisé en 1944 par deux opérations, l'une, principale (Overlord), prévue pour mai en Normandie, l'autre, secondaire (Anvil ou Dragoon), en Provence, 70 jours après. Ce programme, confirmé à Staline lors de la conférence de Téhéran, débute par l'installation à Londres, à Noël 1943, du général Eisenhower, nommé commandant suprême des forces d'invasion en Europe. Sa mission, précisée le 12 février 1944, est de « pénétrer sur le continent […], puis de viser le cœur de l'Allemagne […] et la destruction de ses forces armées ». Le 11 janvier a commencé la préparation aérienne d'Overlord, destinée à détruire en profondeur tout le système de défense allemand. La victoire alliée dans la guerre sous-marine de l'Atlantique permet de concentrer en Angleterre de 3,5 millions d'hommes (75 divisions) et de 20 millions de tonnes de matériel.

L'opération, qui mettra en jeu 4 500 navires et 13 000 avions, est d'une ampleur encore inconnue dans l'histoire. Elle s'appliquera à une Europe très éprouvée par l'occupation allemande, mais où les mouvements de Résistance ont acquis partout une force importante, notamment en Yougoslavie, où Tito commande une véritable armée, et en France, où les maquis passent à l'action militaire (→ plateau des Glières, février 1944). Sur le plan politique, la certitude de la défaite allemande rassemble les éléments les plus divers qui entendent participer à la libération de leur pays et à la construction d'une nouvelle Europe. Leur action est cependant limitée par la brutalité de la répression allemande. Cette répression, orchestrée par Himmler, vise la liquidation physique des Juifs et des résistants dans les sinistres camps de la mort. Elle s'exerce aussi par des actions « spéciales » de représailles destinées à répandre la terreur comme à Lidice (après l'assassinat de Heydrich à Prague en 1942), à Varsovie (où le ghetto est sauvagement détruit en avril 1943) ou à Oradour-sur-Glane (plus de 600 Français massacrés le 10 juin 1944).

Seul le besoin considérable de main-d'œuvre, exigé par l'immense effort de guerre soutenu jusqu'au bout par le Reich, freine cette entreprise de destruction humaine. En Allemagne même, la population est durement éprouvée par les pertes de la Wehrmacht en Russie (2 millions d'hommes en 1943) et par les bombardements quasi quotidiens de l'aviation alliée sur Berlin, la Ruhr et les grandes villes (Hambourg). Courageusement, certains hommes tentent autour de Carl-Friedrich Goerdeler de mettre fin au cauchemar en supprimant Hitler. Leur mouvement aboutira au putsch du 20 juillet 1944, dont l'échec déclenchera de cruelles représailles.

Libération de l'Europe occidentale (juin 1944-février 1945)

Le 6 juin 1944 à l'aube, les forces alliées débarquent en Normandie, où elles surprennent les défenses allemandes du mur de l'Atlantique, que commande Rommel. La bataille pour les plages est gagnée dès le 11. Du 14 a

La Conférence de Yalta

La Conférence de Yalta

Problèmes politiques : la conférence de Yalta (février 1945)

En quelques mois, la Wehrmacht a donc dû évacuer presque toutes ses conquêtes à l'Est et à l'Ouest et se trouve enserrée entre les deux grands fronts. Au Sud, elle a dû aussi se replier en Italie sur la ligne gothique (août 1944), au nord de Florence, et abandonner la Grèce, où les Anglais, débarquant en octobre 1944, trouvent un pays affamé et déchiré entre les fractions rivales de la résistance.

Dans une situation économique souvent désastreuse pour l'ensemble des pays impliqués surgissent en Europe libérée d'épineux problèmes politiques. En Belgique, dès le retour de Londres à Bruxelles du gouvernement Pierlot (8 septembre 1944) se pose la « question royale ». L'attitude de Léopold III pendant la guerre étant très critiquée, son frère, le prince Charles, est proclamé régent par le Parlement. Par ailleurs, une union douanière est conclue entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg (Benelux).

La tardive reconnaissance du GPRF

En France, le Comité français de libération nationale (CFLN) s'est proclamé le 3 juin Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). De Gaulle s'est installé à Paris dès le 31 août et a inclus dans son gouvernement des personnalités de la Résistance (Bidault aux Affaires étrangères). Mais la méfiance de Roosevelt fait retarder sa reconnaissance par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'URSS jusqu'au 23 octobre 1944. Le 11 novembre, la France est admise à la Commission consultative européenne de Londres, et, le 10 décembre, Bidault et Molotov signent à Moscou un traité d'alliance franco-soviétique.

Le problème le plus grave qui divise les trois Grands est celui de la Pologne. Depuis la découverte par les Allemands, en avril 1943, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, des restes de 4 500 officiers polonais, exécutés en 1940 par les Soviétiques (→ massacre de Katyn), l'URSS, qui refuse d'endosser cette responsabilité, a rompu toute relation avec le gouvernement polonais de Londres (25 avril 1943). Or l'Angleterre et les États-Unis ne reconnaissent que ce dernier – dirigé alors par Mikołajczyk – de qui relèvent les troupes polonaises du général Anders, qui se battent aux côtés des Anglo-Américains. Mais un Comité de libération, soutenu par l'URSS, s'est installé à Lublin à la fin de juillet 1944. Le 5 janvier 1945, il est reconnu par Staline comme gouvernement de la Pologne et s'installe à Varsovie dès l'entrée de l'Armée rouge dans la capitale (18 janvier).

De Gaulle CharlesLe problème polonais est l'un des principaux abordés par la conférence qui réunit à Yalta (Crimée), du 4 au 11 février 1945, Staline, Churchill et Roosevelt. Churchill est très méfiant à l'égard de Staline, et Roosevelt (réélu pour la quatrième fois en novembre 1944 président des États-Unis) s'intéresse surtout à la victoire contre le Japon et à l'Organisation des Nations unies – de plus, il est très malade, comme l'est aussi son premier conseiller Harry Lloyd Hopkins (1890-1946). Et pourtant, c'est à Yalta que sont prises les décisions qui conditionneront pour de longues années l'avenir du monde. En Extrême-Orient, Roosevelt obtient par un accord secret l'engagement de Staline d'entrer en guerre contre le Japon, trois mois après la défaite allemande, moyennant la cession à l'URSS de la moitié de Sakhaline, des îles Kouriles, de Port-Arthur et du chemin de fer de Dairen.

En Europe, les trois Grands proclament leur volonté d'« aider les peuples libres à former des gouvernements provisoires largement représentatifs de tous les éléments démocratiques qui s'engageront à établir par des élections libres des gouvernements correspondant à la volonté des peuples ». Il est admis que les frontières de la Pologne incluront le sud de la Prusse-Orientale (moins Königsberg, annexé par l'URSS.[→ Kaliningrad]) et suivront à l'est la ligne Curzon et à l'ouest les cours de l'Oder et de la Neisse. Il est prévu que le gouvernement polonais de Lublin ne sera reconnu par Londres et Washington qu'après s'être élargi. En Allemagne, ce sont les trois Grands qui détiendront l'« autorité suprême » sous la forme d'un Conseil de contrôle, auquel la France sera invitée à participer. La répartition des zones d'occupation des armées (convenue à Québec en septembre 1944) est confirmée, mais une zone prise sur celle des Anglais et des Américains sera confiée à la France.

L'organisation de la paix sera le fait d'une conférence des Nations unies convoquée à San Francisco le 25 avril 1945 (→ conférences de San Francisco). Mais les décisions de son Conseil de sécurité exigeront un vote affirmatif de chacun de ses cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS). C'est l'origine du droit de veto, qui limitera beaucoup son efficacité.

La capitulation de l'Allemagne

Au lendemain des accords de Yalta (4-11 février 1945) commence la dernière bataille, qui, à l'est comme à l'ouest, se livre en territoire allemand.
 

  • À l'ouest, Eisenhower dispose de 93 divisions – 60 américaines, 14 britanniques, 5 canadiennes et 14 françaises (dont 4 bouclent les poches allemandes de Dunkerque, Lorient et Royan) – et de 4 brigades alliées (belge, hollandaise, polonaise et tchèque).
  • À l'est, l'Armée rouge est répartie en huit fronts : quatre d'entre eux joueront un rôle capital, celui de Malinovski, axé sur Vienne, celui de Rokossovski, sur la Poméranie, ceux de Joukov et de Koniev, sur Berlin. Ce dernier, qui a franchi l'Odra les 11 et 24 février, fait sa jonction avec Joukov en basse Silésie, tandis que Malinovski, entré à Budapest le 13 février, pénètre en mars en Autriche.
  • Au même moment, à l'ouest, les Alliés percent la ligne Siegfried et foncent sur le Rhin, qu'ils franchissent à Remagen (7 mars), à Oppenheim et près de Wesel (23-24 mars). Le 25 mars, la totalité de la rive gauche du Rhin est aux mains des forces d'Eisenhower.
  • La Hollande est isolée par les Britanniques, qui arrivent le 19 avril sur l'Elbe. Le 1er avril, les Américains ont encerclé la Ruhr (où 18 divisions capitulent) et marchent aussitôt sur l'Elbe en direction de Magdebourg et de Leipzig, tandis que Patton, entré à Francfort le 29 mars, pénètre en Thuringe et s'arrête sur ordre le 18 avril à Plzeň (90 km de Prague).
  • Au sud, du 19 au 29 avril, les Américains atteignent Nuremberg, Ratisbonne et Munich ; le Français de Lattre pénètre en Forêt-Noire et au Wurtemberg, atteint Ulm (24 avril) et s'engage en Autriche ; le 4 mai, la division Leclerc prend Berchtesgaden.


Le suicide de Hitler

Le 13 avril, les Russes sont entrés à Vienne et, remontant le Danube, prennent liaison avec les Américains en aval de Linz. Du 16 au 20 avril, Joukov et Koniev rompent le front allemand de l'Oder et atteignent Berlin, conquis le 2 mai par l'Armée rouge. Le 30 avril, Hitler s'est suicidé après avoir désigné l'amiral Dönitz pour lui succéder. Des contacts s'établissent entre l'Armée rouge et les forces anglo-américaines, notamment à Torgau (Hodges-Koniev, le 25 avril) et près de Wismar (Dempsey-Rokossovski, le 3 mai). Malinovski et Koniev font leur jonction à Prague du 6 au 9 mai.

L'élimination de Mussolini

En Italie, le groupe d'armées Alexander débouche le 9 avril de la ligne gothique en direction du Pô. Ses troupes prennent liaison le 29 près de Turin avec l'armée française des Alpes, le 1er mai près de Trieste avec les forces yougoslaves de Tito et le 4 mai avec celles d'Eisenhower qui ont franchi le Brenner. Le 29 avril, le commandement allemand a signé à Caserte la capitulation de ses armées en Italie, en Autriche, en Styrie et en Carinthie. La veille, Mussolini a été exécuté par des partisans près du lac de Côme.

La reddition de la Wehrmacht

Le 4 mai, les troupes allemandes des Pays-Bas et du nord de l'Allemagne ont capitulé à Lüneburg entre les mains de Montgomery ; le 7 mai, l'amiral Dönitz mandate le général Jodl pour signer à Reims la reddition inconditionnelle de l'ensemble de la Wehrmacht aux armées alliées et soviétiques. Elle est confirmée le lendemain à Berlin par le maréchal Keitel en présence des généraux Joukov, Tedder, Spaatz et de Lattre. Le 22 mai, les Alliés font prisonniers tous les membres du gouvernement fantôme de Dönitz à Flensburg : l'Allemagne vaincue a ainsi perdu toute existence politique.

La défaite et la capitulation du Japon

Après le désastre subi en octobre 1944 par la marine japonaise près de l'île de Leyte (Philippines), les Américains mettent deux mois à en chasser les troupes nippones. Ils doivent désormais faire face aux kamikazes, les avions-suicides. En janvier 1945, MacArthur attaque Luzon – la plus grande des Philippines – et entre à Manille après trois semaines de combats, le 25 février. Sans s'attarder à la conquête de Mindanao, il entame aussitôt la bataille pour les avancées du Japon. Le 19 février, l'amiral Nimitz débarque à Iwo Jima, et, le 1er avril, à Okinawa, où, à 600 km du Japon, une furieuse bataille s'engage pour la conquête de l'île, achevée le 21 juin.

Le Japon acculé

Le 5 avril, la dénonciation par Staline du traité de neutralité nippo-soviétique du 13 avril 1941 provoque à Tokyo la démission du cabinet du général Koiso. Son successeur, l'amiral Suzuki, tente vainement d'obtenir une médiation soviétique. Mais, le 26 juillet, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine exigent, par un ultimatum, une capitulation sans condition qui est repoussée par Suzuki. Le Japon, dont les troupes sont chassées de Birmanie et se replient en Chine, est dans une situation désespérée : sa flotte n'existe plus, et le pays est soumis depuis juillet à une violente offensive aérienne alliée qui ne rencontre plus aucune opposition. C'est alors que, voulant précipiter la fin de la guerre, le président Harry S. Truman, qui a succédé à Roosevelt, décédé le 12 avril, décide d'employer contre le Japon la bombe atomique expérimentée en grand secret par les États-Unis le 16 juillet 1945. Le 6 août, une première bombe détruit Hiroshima, et une deuxième Nagasaki le 9.

La capitulation du Japon

Entre-temps, le 8 août, l'URSS a déclaré la guerre au Japon, et, le 14, signe à Moscou un traité d'alliance avec la Chine. Les troupes soviétiques aux ordres du maréchal Vassilevski entrent aussitôt en Corée (9 août) et en Mandchourie, où elles prennent Moukden (aujourd'hui Shenyang) le 15. Dès le 10, le gouvernement japonais fait savoir qu'il accepte les termes de l'ultimatum du 26 juillet, et, le 14, capitule sans condition. Le 16, l'empereur japonais donne à toutes ses forces l'ordre de cesser le combat. Dix jours plus tard, les Américains débarquent au Japon. Le 2 septembre, l'acte solennel de capitulation est signé en rade de Tokyo, devant le général MacArthur, sur le cuirassé américain Missouri (le général Leclerc y représente la France).

Dernière réunion des trois Grands : Potsdam, 17 juillet – 2 août 1945

Si la vigueur de la résistance allemande a maintenu jusqu'à la capitulation du IIIe Reich l'unité d'action de ses vainqueurs, leurs relations, depuis Yalta (février 1945), n'ont cessé de se détériorer. Sans se soucier des engagements qu'il avait signés, Staline entend profiter aussitôt de sa victoire en installant des gouvernements communistes dans tous les pays libérés par l'Armée rouge, qui doivent devenir des États vassaux de l'URSS. Ainsi que l'écrit Churchill en mai 1945, « un rideau de fer s'est abattu derrière le front soviétique ». Si les Américains, puis les Anglais parviennent à se faire admettre à Berlin le 3 juillet, leurs troupes se sont repliées dans les limites des zones d'occupation et, suivies d'une immense foule de réfugiés allemands, ont évacué à cette date la ligne de l'Elbe, la Saxe, le Mecklembourg et la Thuringe, tandis que les Soviétiques s'avancent jusqu'à Erfurt et Eisenach, à 150 km du Rhin.

Mais c'est encore le problème polonais qui cristallise la crise entre les vainqueurs. En juin 1945, Staline, qui a invité à Moscou seize représentants des tendances non communistes de la résistance polonaise, les fait arrêter et condamner par un tribunal militaire soviétique. Cette fois, la réaction américaine est d'autant plus vive que l'attitude du président Truman vis-à-vis de Staline est beaucoup plus réservée que celle de Roosevelt. Pour sortir de l'impasse, une ultime conférence des trois Grands est réunie le 17 juillet à Potsdam avec Staline, Truman et Churchill, qui, battu aux élections générales anglaises, cède la place le 26 juillet à Clement Attlee, nouveau chef travailliste du cabinet britannique. Un compromis est adopté pour la Pologne : les Anglais et les Américains reconnaissent le gouvernement provisoire (et prosoviétique) de Varsovie, et les trois fixent provisoirement la frontière ouest du pays à la ligne de l'Oder et de la Neisse occidentale.

La conférence statue ensuite sur des questions moins épineuses telles que la démilitarisation et la dénazification de l'Allemagne, le jugement des criminels de guerre, les réparations, la répartition des zones d'occupation en Autriche, l'évacuation de l'Iran, la révision de la convention de Montreux sur les Détroits, le maintien du statut international de Tanger et l'indépendance de la Corée. En prévision de la défaite du Japon, des lignes de démarcation militaires sont fixées entre ses vainqueurs : en Corée, le 38e parallèle entre Soviétiques et Américains ; en Indochine, le 16e entre Chinois et Britanniques. La préparation des traités de paix est confiée au Conseil des ministres des Affaires étrangères d'URSS, des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France et de Chine, qui siégeront à Londres et à Paris. Dès le lendemain (3 août) de la publication de ces accords, la France, qui n'a pas participé à la conférence, exprime ses réserves sur le fait de n'avoir pas été consultée sur le sort de l'Allemagne.

Une drôle de paix

Si l'été de 1945 marque la fin de la guerre, il est difficile de dire qu'il inaugure réellement la paix.  Dans le monde entier, les séquelles de cette immense conflagration engendrent en effet d'inextricables conflits entre le monde occidental et le monde soviétique : à Berlin, isolé en zone soviétique mais occupé par quatre puissances ; dans les Balkans, « satellisés » par l'URSS, sauf la Grèce, en proie à la guerre civile ; en Iran ; dans la Chine victorieuse, mais qui, dès octobre 1945, entre aussi dans une guerre civile ; dans la Corée et l'Indochine divisées…

En même temps, la ruine de l'Europe incite les peuples colonisés d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient, où la Ligue arabe s'est constituée le 22 mars 1945, à secouer au plus vite le joug des « métropoles » pour prendre en main leur destin ; conscients de l'affaiblissement des puissances coloniales et encouragés par l'hostilité au système colonial des deux nouvelles puissances dominantes (États-Unis et URSS), les leaders des mouvements de libération, issus des élites occidentalisées, réclament l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, proclamé par l'article 1er de la Charte des Nations unies en 1945. Alors que la question de l'Allemagne n'est pas près de son règlement, plusieurs traités de paix seront néanmoins signés à Paris en 1947, avec la Finlande, l'Italie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie.

Quant au Japon, il est démilitarisé, doté d'une Constitution démocratique, occupé et contrôlé étroitement par les États-Unis ; il signera avec eux (mais pas avec l'URSS) le traité de San Francisco en 1951 (→ conférences de San Francisco). Si la Première Guerre mondiale a été qualifiée de guerre totale, notamment en raison de mobilisation sans précédent de tous les acteurs de la société, la Seconde Guerre mondiale a été une guerre d'anéantissement, dans laquelle les victimes civiles se comptent autant que les morts au combat.

Les « personnes déplacées »

La guerre a provoqué des déplacements de population très importants. Ils furent tantôt « spontanés », tel l'exode des personnes fuyant la Wehrmacht en 1940-1941 ou l'Armée rouge en 1944-1945 ; tantôt ils furent organisés, surtout par le Reich, tels le retour en Allemagne des ressortissants des colonies allemandes des pays Baltes ou d'Europe centrale, les implantations de colons allemands en Pologne et dans les Ardennes, de colons néerlandais en Ukraine – sans oublier les 7 millions de travailleurs étrangers transférés de force en Allemagne. Toutefois, le mouvement le plus important fut celui d'environ 12 millions d'Allemands qui, en 1945 – par peur de tomber sous l'autorité soviétique – gagnèrent les zones occupées par les Anglais, les Américains ou les Français. On estime à environ 30 millions le nombre de personnes ainsi « déplacées » du fait de la guerre.

Des coûts humains sans précédent

AuschwitzLes évaluations, toujours approximatives, du total des pertes de la Seconde Guerre mondiale varient entre 40 et 50 millions de morts (10 millions de morts et 20 millions de blessés lors de la Première). Mais, alors que ceux de 1914-1918 (où 68 millions d'hommes furent mobilisés) étaient en grande majorité des militaires, les morts de 1939-1945 comportent à peu près autant de civils que de soldats (92 millions d'hommes mobilisés). Cette proportion de victimes civiles est due aux caractères particuliers du conflit : généralisation des bombardements aériens bien sûr, mais surtout liquidation physique (chambre à gaz, massacres, etc.) par les Allemands de plusieurs millions de Juif

Traité de Versailles

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Le traité de Versailles de 1919 est le traité de paix entre l'Allemagne et les Alliés de la Première Guerre mondiale. Élaboré au cours de la conférence de Paris, le traité fut signé le 28 juin 1919, dans la galerie des Glaces du château de Versailles et promulgué le 10 janvier 1920. Il annonce la création d'une Société des Nations et détermine les sanctions prises à l'encontre de l'Allemagne. Celle-ci, qui n'était pas représentée au cours de la conférence, se vit privée de ses colonies et d'une partie de ses droits militaires, amputée de certains territoires et astreinte à de lourdes réparations économiques.

Signature du traité dans la galerie des Glaces du château de Versailles

Signature du traité dans la galerie des Glaces du château de Versailles

Le choix du lieu de signature du traité marque pour la France l'occasion de laver symboliquement l'humiliation de sa défaite de la guerre de 1870. C'est en effet dans la même galerie des Glaces, au château de Versailles, qu'avait eu lieu la proclamation de l'empire allemand, le 18 janvier 1871. On convia des représentants de territoires du monde entier à la conférence de paix mais aucun responsable des États vaincus et de la Russie, qui avait quitté la guerre en 1917. Certaines personnalités eurent une influence déterminante. On en retient habituellement les dirigeants de quatre des principales puissances victorieuses : Lloyd George, Premier ministre britannique, Vittorio Orlando, président du Conseil italien, Georges Clemenceau, son homologue français et Woodrow Wilson, le président des États-Unis.

Chaque représentant est libre de travailler à la rédaction du traité, mais les positions de ces hommes divergent. Le président américain veut mettre en place la nouvelle politique internationale dont il a exposé les principes directeurs dans ses Quatorze points. Pour lui, la nouvelle diplomatie doit être fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et sur la collaboration entre États. Il dispose d'un grand prestige. Il cherche à ménager l'Allemagne pour éviter qu'un esprit revanchard ne s'y développe. Les responsables anglais tiennent aussi à laisser à l'Allemagne une certaine puissance. Fidèles à leur théorie d'équilibre entre les puissances, ils tiennent à empêcher la France d'acquérir une hégémonie en Europe continentale. Clemenceau, au contraire, cherche à imposer de lourdes indemnités pour limiter la puissance économique et politique de l'Allemagne, et pour financer la reconstruction de la France.

Les compromis trouvés ne pouvaient pleinement satisfaire personne. Le traité voté est souvent critiqué : « Tout a été vite réglé, mal réglé par des hommes qui n'avaient pas vécu l'atroce réalité de la guerre » ou « De cette paix imposée grandira une nouvelle haine » ou encore « Le traité ne comprend aucune rénovation économique pour l'Europe ». La signature du traité fut retardée de plusieurs mois par le coup de force de Gabriele D'Annunzio qui s'empara de la ville de Fiume. Il fallut attendre l'intervention de la marine italienne en décembre 1920 pour que le traité de Rapallo, instaurant l'État libre de Fiume, puisse s'appliquer et permettre la proclamation officielle du traité de Versailles.

La première partie établit une charte pour une Société des Nations. Elle reprend l'idéal wilsonien d'une diplomatie ouverte, et régulée par un droit international. La treizième partie pose les principes du Bureau International du Travail. Le reste du traité est essentiellement consacré aux conditions de la paix en Europe. Un principe, énoncé à l'article 231, structure l'ensemble : l'Allemagne et ses alliés sont déclarés seuls responsables des dommages de la guerre. Ce principe justifie les exigences très lourdes des vainqueurs à l'égard de l'Allemagne. Les principales dispositions du traité sont :

 

  • la récupération par la France de l'Alsace-Moselle (art. 27) ;
  • l'intégration à la Belgique des cantons d'Eupen et de Malmedy, dont la Vennbahn (art. 27) ;
  • la possibilité pour le Danemark de récupérer certains territoires du Nord de l'Allemagne où se trouvent des populations danoises. La décision doit être soumise à un vote de la population locale. (art. 109 à 111). Le référendum est mené en 1920. Les villes d'Aabenraa, Sønderborg et Tønder, et leurs environs passent alors au Danemark
  • Le Territoire du Bassin de la Sarre est placé sous administration internationale pour 15 ans. Son statut définitif doit être soumis à référendum.
  • D'importants territoires qui se trouvaient dans l'est de l'Allemagne sont attribués au nouvel État polonais (art.28). Dans certaines régions, le statut définitif n'est pas décidé. Il doit être déterminé par une commission ou par un référendum dans la zone concernée (art 87 à 93). Dantzig devient une ville libre, ce qui garantit l'accès de la Pologne à la mer mais a aussi pour effet de séparer la Prusse orientale, restée allemande, du reste de l'Allemagne.

 

La seconde partie du traité définit les frontières de l'Allemagne, mais dans plusieurs régions, le tracé définitif est remis à plus tard. L'indépendance des nouveaux États de Pologne et de Tchécoslovaquie est également affirmée. L'indépendance de l'Autriche est également protégée : il est interdit à l'Allemagne de l'annexer (art. 80). L'Allemagne se voit amputée de 15% de son territoire et de 10% de sa population au profit de la France, de la Belgique du Danemark, et surtout de la Pologne, nouvellement recréée. De nombreuses mesures sont prises pour limiter le pouvoir militaire de l'Allemagne, et protéger ainsi les États voisins. Les clauses militaires forment la cinquième partie du traité.

 

  • L'Allemagne doit livrer 5 000 canons, 25 000 avions, ses quelques blindés et toute sa flotte (qui se sabordera dans la baie écossaise de Scapa Flow).
  • Son réarmement est strictement limité. Elle n'a plus droit aux chars, à l'artillerie et à l'aviation militaire.
  • Son armée sera limitée à un effectif de 100 000 hommes et le service militaire aboli.
  • La rive gauche du Rhin, plus Coblence, Mayence et Cologne, est démilitarisée
  • Suite aux dommages de guerre causés pendant toute la durée de la guerre dans le Nord de la France et en Belgique, l'Allemagne - considérée comme seule responsable de la guerre -, devra payer de fortes réparations à ces deux pays. Le montant à payer est fixé par une commission en 1921. Il s'élève à 132 milliards de marks-or, une somme très élevée. Le montant total des dommages causés par la guerre aux alliés était toutefois estimé à 150 milliards de marks-or.
  • Plusieurs sanctions commerciales et des livraisons en nature complètent ce volet économique : l'Allemagne perd la propriété de tous ses brevets (l'aspirine de Bayer tombe ainsi dans le domaine public). Les fleuves Rhin, Oder et Elbe sont internationalisés et l'Allemagne doit admettre les marchandises en provenance d'Alsace-Moselle et de Posnanie sans droits de douane. En outre, le pays doit livrer aux Alliés du matériel et des produits.

 

Dans la quatrième partie du traité, l'Allemagne, toujours à titre de compensations, est sommée de renoncer à son empire colonial. C'est ainsi que, au sein des Alliés, les puissances coloniales riveraines des possessions allemandes en Afrique (Grande-Bretagne, France, Belgique et Union sud-africaine) se partageront ces dernières : le Cameroun, le Togo, l'Afrique-Orientale allemande (actuels Tanzanie, Rwanda et Burundi) et le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie). Cette dernière colonie allemande avait déjà été conquise militairement en 1914-1915 par l'Union sud-africaine, qui la recevra en mandat par la SDN en 1920. Dans la foulée, l'Allemagne devra également renoncer à ses intérêts commerciaux (ses comptoirs et ses conventions douanières) de par le monde (Chine, Siam, Maroc, Égypte, Turquie, etc.).

 

Des traités annexes au traité de Versailles furent signés séparément avec chacun des vaincus. Les traités de Saint-Germain-en-Laye puis du Trianon avec l'Autriche-Hongrie qui est dépecée en :

 

  • une Autriche réduite au territoire occupé par des germanophones ;
  • un État hongrois indépendant ;
  • la Tchécoslovaquie, État principalement binational (Tchèques et Slovaques), mais avec une forte minorité germanophone (Sudètes) et d'autres minorités : polonaise, hongroise, ruthène.
  • d'autres morceaux de son territoire vont à : la Roumanie (la Transylvanie avec de fortes minorités hongroise et germanophone) ; l'Italie (les provinces germanophone de Bolzano et italienne de Trento, la ville de Trieste), pour récompenser la Serbie, une fédération des Slaves du sud est créée : la Yougoslavie (dite alors officiellement Royaume des Serbes, Croates et Slovènes), comportant Serbie, Monténégro, Croatie et Slovénie, plus la Bosnie-Herzégovine, région multinationale et une minorité hongroise.

 

Le traité de Versailles a été soumis à de multiples critiques. Les frustrations qu'il a fait naître, ainsi peut-être que les déséquilibres qu'il a engendrés, ont eu un rôle certain dans la politique européenne des décennies suivantes. Le Sénat des États-Unis refuse de le ratifier et donc empêche les États-Unis d'entrer à la Société des Nations, ce qui d'emblée réduisit la portée de cette organisation. La France, qui est pourtant une des principales bénéficiaires des traités (retour de l'Alsace et de la Lorraine dans le giron français, démilitarisation de l'ouest de l'Allemagne, dépeçage de l'Empire austro-hongrois et obtention d'un énorme montant pour les réparations financières), n'est pas encore satisfaite car elle aurait voulu obtenir l'occupation permanente de la rive gauche du Rhin. En Savoie, l'article 435 du traité de Versailles fait que certaines dispositions d'annexion du traité de Turin (1860) ne sont plus respectées. Cet article supprime les zones neutres et franches présentes en Savoie et liées aux conditions d'annexion.

La France fut condamnée par la Cour internationale de justice de La Haye en 1932 pour la violation du traité de Turin. Le ressentiment est particulièrement fort encore en Italie. On a parlé de « victoire mutilée », car les Alliés n'ont pas respecté les promesses faites durant le conflit concernant l'attribution des provinces de l'Istrie, de la Dalmatie et du Trentin. Les fascistes italiens sauront exploiter cette trahison et y trouveront un terreau propice à l'exaltation d'un nationalisme virulent. La République de Chine, bien que mentionnée parmi les parties contractantes, refuse de signer le traité, qui prévoit la cession à l'Empire du Japon des droits allemands sur le Shandong. Les prétentions japonaises entraînent en Chine une agitation nationaliste et anti-japonaise connue sous le nom de mouvement du 4 mai.

Le paiement de réparations représentait une lourde charge pour la République de Weimar. En proie à de graves difficultés financières, elle se révèle vite incapable d'y faire face. Les alliés demandent alors des livraisons en nature. Face aux retards de livraison allemands, la France et la Belgique envahissent la Ruhr en 1923, ce qui aggrave encore la déstabilisation économique de l'Allemagne. Toutefois, les difficultés ne sont pas réglées. Sous la direction américaine, le plan Dawes est alors élaboré. Il facilite les conditions de remboursement pour l'Allemagne. Toutefois, la charge apparaît encore trop lourde ce qui conduit à l'élaboration d'un nouveau plan, le plan Young, en 1929. Les dettes allemandes sont diminuées et rééchelonnées de manière considérable. En Allemagne, les réparations font tout au long de la période l'objet de vives contestations politiques, et alimentent un vif ressentiment. En 1929, une pétition aboutit, contre l'avis du gouvernement, à soumettre à référendum une proposition de loi qui annule le paiement de dettes. Cependant, la participation au référendum fut très faible et la loi fut rejetée à près de 95%.

Selon les termes du plan Young, le paiement des réparations devait s'échelonner jusqu'à 1988, mais avec la Grande Dépression, les versements furent interrompus (moratoire Hoover en 1931). En 1933, les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne, ils rejettent toute idée de paiement des réparations. Les paiements sont définitivement arrêtés tandis que l'annexion de l'empire colonial allemand sera maintenu jusqu'à l'accession à l'indépendance des peuples africains concernés au début des années 1960, à l'exception de la Namibie qui n'accèdera à l'indépendance qu'en 1990. L'original du traité a disparu en 1940 et on ignore s'il a été détruit. Face à l'avancée des troupes allemandes vers Paris, il devait être mis à l'abri à l'Ambassade de France aux États-Unis, mais ce n'est qu'une version préparatoire qui y est parvenue. On a longtemps cru qu'il se trouvait à Moscou, mais l'ouverture progressive des archives depuis 1990 n'a pas permis de le retrouver. La seule certitude est que les Allemands ont mis la main sur la ratification française du traité, qui avait été cachée au Château de Rochecotte.

Première Guerre mondiale

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Conflit qui, de 1914 à 1918, opposa l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, rejointes par la Turquie (1914) et la Bulgarie (1915), à la Serbie, à la France, à la Russie, à la Belgique et à la Grande-Bretagne, alliées au Japon (1914), à l'Italie (1915), à la Roumanie et au Portugal (1916), enfin aux États-Unis, à la Grèce, à la Chine et à plusieurs États sud-américains (1917). 

 

Poilus durant le Première Guerre mondiale

Poilus durant le Première Guerre mondiale

Août 1914. L'Europe entière prend feu ; un conflit s'ouvre dont le développement inaugurera dans l'histoire des hommes le tragique phénomène de la guerre totale et mondiale. Totale, elle le deviendra fatalement par sa durée, qui exigera l'engagement de plus en plus global des peuples ; mondiale, elle le sera rapidement aussi en raison du poids que pèse l'Europe dans le monde au début du xxe s. et qui entraînera automatiquement les autres continents dans le conflit.

Pour la génération de 1914-1918, la Grande Guerre signe un changement d'époque, la disparition de l'ordre ancien, la véritable fin du xixe siècle. Dans bien des domaines, la guerre apporte brutalement son lot d'innovations – technologie militaire, place des femmes et des ouvriers dans la société, intervention étendue de l'État – et de bouleversements, avec la révolution prolétarienne, en Russie. La nouveauté tient aussi au fait qu'elle est, tout entière, la guerre des nations, ces nations que le xixe siècle a consolidées et qui ont investi dans ce conflit leur identité et leur honneur. Elle fut tout autant la guerre des patriotes, comme l'atteste l'ampleur des effectifs et des pertes subies.

Origines du conflit

Guillaume II d'AllemagneFace à ce cataclysme et à ses 9 millions de morts, l'assassinat de l'archiduc héritier François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo par le jeune nationaliste serbe Gavrilo Princip, le 28 juin 1914, apparaît aujourd'hui comme un simple fait divers qui ne peut évidemment rendre compte des origines de cette guerre. Celles-ci sont beaucoup plus à rechercher dans l'état de tension croissant de la situation internationale. Depuis les crises de Tanger (1905, provoquée par une déclaration de Guillaume II en faveur de l'indépendance du Maroc) et d'Agadir (1911, mécontente des résultats de la conférence d'Algésiras, l'Allemagne y envoie une canonnière Panther pour « protéger les intérêts de ses nationaux »), le climat s’est dégradé entre la France et l'Allemagne, puissances coloniales qui se disputent l'Afrique.

D’autre part, chaque pays a engagé une véritable course aux armements et au renforcement de ses effectifs militaires. Ainsi, la Grande-Bretagne, dans le domaine naval, fait face à la montée en puissance de la flotte de guerre allemande de l'amiral von Tirpitz, laquelle doit être l'instrument de la Weltpolitik (« politique mondiale ») de Guillaume II. Ainsi, la France fait passer le service militaire à trois ans, en 1913. Cependant, le caractère limité des crises de Tanger et d'Agadir montre que l'Europe n'est pas prête à entrer en guerre uniquement pour le partage de l'Afrique. Certes, des enjeux proprement impérialistes existent en arrière-fond, tel l'antagonisme anglo-allemand sur les mers et dans l'Empire ottoman, qui détermine le choix britannique de l'Entente cordiale avec la France, en 1904.

Triple-Alliance et Triple-Entente

En fait, le premier conflit mondial est déclenché par le jeu mécanique des alliances, l'explosion de vitalité et d'appétits du IIe Reich allemand (1871-1918) ayant conduit, en réplique à la fameuse Triple-Alliance (qu'il a conclue avec l'Autriche-Hongrie et l'Italie en 1882), à la formation du bloc assez hétérogène de la Triple-Entente (formée en 1907) entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Ces alliances ont été contractées dans le double contexte de l'antagonisme franco-allemand issu de la guerre de 1870 et de la rivalité austro-russe dans les Balkans. La France était demeurée isolée dans le système diplomatique élaboré par Bismarck jusqu'à ce que la Russie, frustrée par le congrès de Berlin des fruits panslavistes de sa victoire de 1878 contre les Turcs, en vienne à considérer comme irréductible la divergence entre ses intérêts et ceux de l'empire des Habsbourg.

Le rapprochement franco-russe de 1891 résulte logiquement de l'échec de Bismarck à arbitrer et à équilibrer les expansionnismes autrichien et russe dans l'espace politique balkanique, où l'influence de l'Empire ottoman recule depuis un siècle – Moscou cherchant notamment à s'assurer la maîtrise des Détroits et une ouverture sur la Méditerranée. Les guerres balkaniques de 1912-1913 ont rendu l'initiative à la Russie, par le biais de la domination exercée pendant cet épisode par son allié serbe sur les petits pays de la région. Après l’attentat de Sarajevo – la Bosnie et l'Herzégovine sont alors sous administration autrichienne –, Vienne accuse immédiatement les services secrets serbes.

L'ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie (23 juillet 1914)

Bethmann-Hollweg Theobald vonAu début de juillet 1914, rien n'apparaît pourtant irrémédiablement perdu, et le président Poincaré part, comme prévu, accomplir en Russie une visite officielle (ce qui a néanmoins pour effet d'aggraver en Allemagne le sentiment d'un encerclement fatal). Seule s'affirme la volonté de l'Autriche de profiter de l'occasion pour se débarrasser de la trop remuante Serbie. Cette attitude est aussitôt encouragée par Berlin, qui, dès le 5 juillet (c'est là sa grande part de responsabilité), promet à Vienne son soutien, dût-il en résulter un conflit avec la Russie.

Le 23 juillet, un ultimatum autrichien à la Serbie, inacceptable dans sa forme, est remis à Belgrade. En dépit de tardives initiatives de médiation anglaises, il déclenchera le mécanisme des alliances, puis, au cours de la tragique semaine du 28 juillet au 5 août, celui des mobilisations et des déclarations de guerre : l'Allemagne, après avoir déclaré la guerre à la Russie le 1er août 1914, la déclare à la France le surlendemain. Le 4 août, la violation de la neutralité belge par le Reich entraînera l'intervention de la Grande-Bretagne et de son empire, qui allait aussitôt étendre le conflit à l'ensemble des océans.

Cruelle surprise pour Guillaume II et le chancelier Bethmann-Hollweg, lequel s'indigne qu'une nation parente puisse entrer en guerre pour « un chiffon de papier » (le traité de 1839 garantissait la neutralité de la Belgique). À cette déconvenue s'ajoute leur immense déception de constater les défections de l'Italie, qui, bien que membre de la Triple-Alliance, déclare sa neutralité dès le 27 juillet, et de la Roumanie, gouvernée par un roi Hohenzollern.

La parole aux militaires

Un mois après Sarajevo, les gouvernements s'en remettent aux états-majors, dont les armées se mobilisent et se concentrent dans un enthousiasme général.  Pour chaque peuple, l'enjeu de la guerre est pleinement accepté : pour les Français, il s'agit de reprendre Metz et Strasbourg ; pour les Allemands, d'obtenir dans le monde « la part légitime de tout être qui grandit » ; pour tous, cependant, le risque apparaît limité : chacun est persuadé que la puissance et le coût des armes modernes obligent la guerre à être très courte…, 6 mois, hasardent les plus pessimistes. Hanté depuis l'alliance franco-russe par le problème de la guerre sur deux fronts, l'état-major allemand – suivant le célèbre plan Schlieffen élaboré en 1905 – « joue » sa victoire sur la rapidité et l'ampleur de sa manœuvre enveloppante à travers la Belgique. Visant à abattre définitivement l'armée française avec la quasi-totalité de ses forces, ce plan accepte le risque d'une invasion des Russes en Prusse-Orientale, qui n'est défendue que par une dizaine de divisions.

Chez les Français, le commandant des armées du Nord et du Nord-Est, Joffre, qui croit que l’aile droite allemande ne dépassera pas le couloir de la Sambre, dispose ses 5 armées de Belfort à Hirson, prolongées au nord vers Maubeuge par les 6 divisions britanniques de French. Quant aux Russes, il est simplement entendu qu'ils attaqueront en Prusse-Orientale dès que possible avec le maximum de forces. Le rapport des forces en présence est très favorable à l'Entente, dont la population est le double de celle des Empires centraux (238 millions d'habitants contre 120). L'Entente peut aligner 167 divisions d'infanterie contre 147, et 36 divisions de cavalerie contre 22.

La bataille des frontières (août 1914)

Après avoir résisté pendant 10 jours, du 6 au 16 août, Liège (→ camp retranché de Liège) tombe entre les mains des Allemands, qui entament le 14 la marche en avant de leurs deux armées d'aile droite, commandées par Kluck et Karl von Bülow. Le 20, ils sont à Bruxelles, à Namur et à Neufchâteau, tandis que les Belges se replient sur Anvers. Au même moment, de terribles combats s'engagent en Alsace, où les Français atteignent Mulhouse ; en Lorraine, où Castelnau et Foch doivent renoncer à Morhange, mais résistent victorieusement en avant de Nancy et, enfin, dans les Ardennes, où, le 22 août, Français et Allemands se heurtent en aveugles dans les sanglantes batailles de rencontre de Neufchâteau et de Virton.

C'est pourtant en Belgique que se joue l'action principale. Sourd aux appels du général Lanrezac, qui seul voit clair dans le jeu allemand, Joffre tarde à porter sa Ve armée sur la Sambre. Elle y parvient seulement le 22, pour se faire bousculer à Charleroi (→ bataille de Charleroi) par les forces conjuguées de Kluck, de Bülow et de Hausen, tandis que French essuie un grave échec à Mons. Le 25, Joffre lance son ordre de repli général sur la Somme et l'Aisne.

Septembre 1914 : échec à l'ouest du plan de guerre allemand

À la fin du mois, l'euphorie règne à Berlin : « L'ennemi en pleine retraite n'est plus capable d'offrir une résistance sérieuse », proclame le communiqué allemand du 27 août. Le 9 septembre, le projet de traité de paix, qui prévoit l'organisation d'une Europe allemande, est approuvé par le chancelier Bethmann-Hollweg. Mais, alors que le commandant en chef allemand Moltke croit tenir la décision, les Français vont redresser la situation. Joffre et le commandant britannique French profitent d'une initiative hasardeuse de l'aile droite allemande du général Kluck (négligeant Paris, elle cherche à couper la retraite de l'armée française, présentant ainsi le flanc à l'armée couvrant la capitale) pour lancer une contre-offensive : c'est la fameuse bataille de la Marne (24 août-13 septembre), où, après plusieurs jours de combats acharnés, le général en chef allemand Moltke est contraint d'ordonner un repli général, qui reporte le front 70 km plus au nord, sur l'Aisne, et entérine l'échec du plan de bataille allemand.

Tannenberg et les fronts orientaux

Alarmé le 21 août par les appels au secours de von Prittwitz, qui doit reculer en Prusse-Orientale sous la violence des attaques russes de Rennenkampf, Moltke doit y dépêcher deux corps. Il confie la direction du front de l'est au général Hindenburg, auquel il donne Ludendorff comme adjoint. Ceux-ci brisent aussitôt l'effort des armées russes en détruisant celle de Samsonov dans la mémorable bataille de Tannenberg (26 août).

Au sud, toutefois, la brillante offensive du grand-duc Nicolas chasse les Autrichiens de Lvov (3 septembre) et les refoule sur la frontière allemande de Silésie, qui ne sera dégagée que par une nouvelle et remarquable contre-offensive de Hindenburg et de Mackensen sur Łódź (novembre). Plus au sud encore, les Autrichiens subissent un grave échec en Serbie, où la petite armée du voïvode Radomir Putnik réussit à rentrer victorieuse à Belgrade le 13 décembre.

Noël 1914, une guerre d'un type entièrement nouveau

À la fin de 1914, le conflit prend un visage réellement imprévu ; tous les plans des états-majors se sont effondrés et, pour chacun, tout est à recommencer. C'est chez les Allemands que la déception a été la plus vive, entraînant dès le 14 septembre le remplacement de Moltke à la direction suprême de l'armée par le jeune ministre de la guerre prussien, le général Erich von Falkenhayn (1861-1922). Ce dernier cherche, en reportant ses forces vers l'ouest, à déborder de nouveau l'aile gauche française au-delà de Compiègne. Mais, cette fois, Joffre répond aussitôt à sa manœuvre en transférant des forces de Lorraine en Picardie et en Artois , où, en octobre, se constitue un front, prolongé bientôt jusqu'à la mer (→ batailles de l'Artois).

En novembre, Falkenhayn tente un suprême effort sur Calais, qui échoue au cours de la sanglante mêlée des Flandres, où Foch coordonne l'action des forces britanniques, belges (repliées d'Anvers) et françaises (→ la Course à la merbataille de l'Yserbatailles d'Ypres). Dans les deux camps, les munitions manquent, et un front continu s'établit dans les tranchées sur 750 km, de Nieuport à la frontière suisse… Deux belligérants nouveaux sont entrés en lice : dès le 23 août, le Japon s'engage aux côtés des Alliés avec la volonté d'affirmer sa situation en Extrême-Orient. Au cours de l'été, en dépit de l'arrivée des croiseurs allemands Goeben et Breslau dès le 10 août à Constantinople, la Turquie hésite encore et ne rompra avec les Alliés que le 3 novembre.

Sur le plan militaire, tout est donc à repenser, mais le premier souci des belligérants est alors de « durer » en remettant en marche administrations et industries de guerre pour permettre aux populations de vivre et aux armées de combattre. Si l'Allemagne, qui a définitivement écarté l'invasion de son territoire, bénéficie de l'organisation moderne et puissante de son économie, la France se trouve au contraire gravement handicapée : ses départements les plus riches sont envahis par l'ennemi et soumis à un très rude régime d'occupation ; leur potentiel représente 95 hauts-fourneaux sur 123, 90 p. 100 du minerai de fer et 40 p. 100 du charbon français… Quant aux Anglais, ils découvrent avec le ministre de la Guerre Kitchener que leur engagement militaire les entraînera beaucoup plus loin qu'ils ne le pensaient, mais ils fondent tous leurs espoirs sur le contrôle de la liberté des mers, qu'ils viennent de rétablir à leur profit et qui leur permet de jouer désormais à fond l'arme du blocus.

1915, la politique reprend ses droits

Au lendemain des hécatombes des Flandres et de Pologne, l'impuissance du facteur opérationnel à résoudre à lui seul les problèmes posés par le conflit s'avère flagrante. Aussi, dans les réactions des belligérants, la politique reprend-elle partout ses droits. Chez les Allemands, qui, seuls, disposent avec le grand état-major d'une véritable direction de la guerre, l'année va être dominée – outre un souci constant d'organisation économique pour pallier les effets du blocus – par la volonté d'obtenir de gré ou de force une paix séparée avec la Russie. Chez les trois « grands » de l'Entente, en dépit de l'engagement solennel mais assez négatif de Londres (5 septembre 1914) de ne conclure aucune paix séparée avec l'Allemagne, on ne prendra encore en 1915 que des décisions plus juxtaposées que coordonnées. Elles traduiront la volonté anglaise exprimée par le jeune ministre Churchill de retrouver une stratégie indirecte chère aux Britanniques.

Pour les Français seuls, le problème numéro un demeure celui de la libération du territoire : joint au souci de soulager le front russe, durement pressé, il entraînera sur le front occidental une activité offensive soutenue sans répit malgré de terribles pertes. Au mois d'avril, l'Entente reçoit cependant un très sérieux renfort : après de nombreuses hésitations, l'Italie déclare le 23 mai la guerre à l'Autriche-Hongrie, qui se voit obligée d'ouvrir un nouveau front à sa frontière des Alpes. Les buts de guerre italiens, dûment enregistrés par l'Entente, sont le rattachement des terres irrédentes (le Trentin et l'Istrie restés sous la domination de l'Autriche-Hongrie en 1866) et du littoral dalmate, mais l’Italie a aussi des visées sur l'Albanie. L'Italie ne rompra avec l'Allemagne que le 27 août 1916.

L'effort allemand sur la Russie

« Il est absolument nécessaire d'en venir à une paix séparée avec la Russie », écrit le Kronprinz Frédéric-Guillaume le 6 février 1915 au grand-duc de Hesse, frère de la tsarine. Pour appuyer les démarches allemandes à Petrograd, Falkenhayn, dont le QG passe en avril de Mézières à Pless ([aujourd'hui Pszczyna] Silésie), décide d'engager une grande offensive sur le front des Carpates. Déclenchée le 2 mai à Gorlice par Mackensen, elle conduit en octobre les forces austro-allemandes, après une avance de 200 à 500 km à travers la Pologne, sur une ligne allant des portes de Riga à la frontière roumaine. Les Allemands sont accueillis sans déplaisir, voire très favorablement, par les populations des zones conquises, que ce soient les quatre millions de juifs polonais persécutés par le tsarisme, ou les Ukrainiens, dont ils flattent les aspirations à l'indépendance.

L’avance des troupes ennemies provoque une telle consternation à Petrograd que le tsar Nicolas II prend lui-même la tête de ses armées, tandis que les échos de la conférence socialiste de Zimmerwald, en Suisse, où l'on réclame une paix « sans annexion ni contribution », ont une grande résonance dans la classe ouvrière russe, représentée au congrès par Lénine, Trotski et Georgi Rakovski. Le plan allemand échoue pourtant devant la fidélité du tsar à ses alliés, qui n'a d'égal que son aveuglement devant la situation intérieure de l'empire. Par trois fois, Nicolas II refuse les propositions de paix allemandes et signe ainsi son arrêt de mort. En décembre, Berlin se décide, « pour faire exploser la coalition de l'Entente », à jouer avec Lénine la carte de la révolution en Russie. Mais, à la grande déception de Falkenhayn, les armées russes sont toujours debout.

Les Balkans en guerre : Dardanelles, Serbie, Bulgarie

Après avoir rallié Paris à ses vues, Churchill engage en février une action franco-britannique sur les Détroits ; son but est de tendre la main aux Russes et, en enlevant Constantinople, d'abattre la Turquie, qui vient de faire très peur à Londres en réussissant un raid sur Suez (février 1915). La France et la Grande-Bretagne ont par ailleurs promis secrètement à la Russie le contrôle des deux rives des Détroits en cas de victoire contre les Ottomans. Plus que les attaques turques dans le Caucase et contre les ports de la mer Noire, c'est le blocage des Détroits qui met en difficulté la Russie, l'empêchant d'exporter son blé et de recevoir le ravitaillement allié. Après l'échec des escadres alliées de l'amiral de Robeck à Çanakkale contre les ouvrages turcs des Dardanelles (mars), des unités franco-anglaises débarquent le 25 avril à Seddülbahir, mais, malgré leurs efforts, ne parviennent pas à déboucher de leur tête de pont. L’opération est un cuisant échec avec la perte de nombreux navires et de 145 000 hommes (→ expédition des Dardanelles).

À la fin de l'été, l'attention des alliés est attirée par les Balkans, où les Allemands réussissent à engager la Bulgarie (14 octobre) à leurs côtés pour liquider la résistance de la Serbie et garantir leur liaison terrestre avec Constantinople. De plus, la Bulgarie souhaite récupérer la Dobroudja et la Macédoine. L'armée serbe, conduite par le vieux roi Pierre Ier Karadjordjević, doit se replier et, après une mémorable retraite, est recueillie à Durrësi par la marine française. Pour répondre à ce coup de force, une armée alliée d'Orient, confiée à Sarrail, est constituée en octobre à Salonique, où les Franco-Anglais replient leurs unités des Dardanelles, dont ils décident l'évacuation (décembre). Cependant, l'attitude de la Grèce, dont le roi Constantin Ier est le beau-frère de Guillaume II, demeurera longtemps équivoque en dépit des efforts de Venizélos, plusieurs fois Premier ministre durant la période, pour entraîner son pays dans les rangs de l'Entente.

Offensives françaises en Artois et en Champagne

La volonté offensive du commandement français, tendue vers la percée du front et la libération du territoire, donne lieu à deux types d'opérations différents. Un peu partout, et notamment dans les Vosges, aux Éparges, en Argonne et dans les Flandres (où les Allemands inaugurent l'emploi des gaz en avril), se déroule une série de combats locaux d'infanterie aussi meurtriers que stériles. En même temps, de grandes opérations sont conduites par Joffre, d'abord séparément en Champagne (février) et en Artois (mai), puis simultanément sur ces deux secteurs du front lors de la grande offensive du 25 septembre. Le seul résultat tangible de ces actions fut de soulager le front russe en obligeant Falkenhayn à rameuter ses réserves sur le front occidental, où Haig, qui remplace French en décembre, dispose, grâce aux « volontaires » suscités par Kitchener, d'une trentaine de divisions britanniques.

La coopération entre les Alliés a nettement progressé, et la conférence réunie par Joffre en décembre à Chantilly organise la convergence des actions à entreprendre vers l'été de 1916 par les Franco-Anglais sur le front de la Somme et par les Russes sur celui de Pologne. Elle décide en outre la liquidation des colonies allemandes d'Afrique, où seul le territoire de l'Est-Africain (→ Afrique-Orientale allemande) résistera grâce à l'énergie de son chef, le colonel Paul von Lettow-Vorbeck (1870-1964), jusqu'en novembre 1918.

Occupation allemande et résistance dans les territoires envahis

C'est en 1915 que s'installe l'occupation allemande dans les territoires occupés de Belgique et de France. Pour Falkenhayn, ceux-ci doivent être exploités au maximum pour procurer au Reich de l'argent, du ravitaillement et de la main-d'œuvre. Aussi l'administration allemande se fait-elle chaque jour plus tracassière : contrôles incessants, transferts de main-d'œuvre, déportation des suspects, contributions de guerre, confiscation des objets rares (or, cuir, laine), mise en régie des entreprises (mines du Nord, textiles de Roubaix, etc.).

La population supporte mal ce régime d'exception, admirant la « résistance » de ses notables : le cardinal Mercier, archevêque de Malines ; le préfet Trépont et le maire Delesalle à Lille ; le bourgmestre Max à Bruxelles. De nombreux patriotes mènent la lutte contre l'occupant, tels Eugène Jacquet et Léon Trulin, fusillés à Lille, Édith Cavell, dont l'exécution, le 11 octobre 1915, souleva l'indignation du monde, Louise de Bettignies, Léonie Vanhoutte, Louise Thuliez et la princesse de Croÿ, qui rivalisèrent d'héroïsme au service de leur pays.

1916, l'année de Verdun

À peine conclus, les accords de Chantilly sont soumis à rude épreuve. Refusant en effet de s'engager plus loin dans le problème russe, Falkenhayn se décide, pour atteindre l'ennemi numéro un qu'est pour lui la Grande-Bretagne, à détruire l'armée française – son « épée » sur le continent – par épuisement de ses effectifs. Dans ce dessein, il déclenchera avec le maximum de violence et aussi longtemps que nécessaire une offensive sur un point, en l'occurrence Verdun, que les Français seront psychologiquement obligés de défendre.

Cette stratégie inédite sera complétée par une relance de la guerre sous-marine sans restriction, expérimentée avec succès en 1915. L'amirauté estime maintenant possible de couler en 6 mois le tiers du tonnage marchand indispensable au ravitaillement de la Grande-Bretagne. Guillaume II et Bethmann-Hollweg hésitent pourtant à se lancer dans cette aventure, ce qui provoquera le 6 mars la démission tapageuse de l'amiral Tirpitz, chef de l'amirauté de Berlin.

Verdun, la Somme et l'offensive Broussilov

Le 21 février éclate, comme un coup de tonnerre, l'offensive allemande sur Verdun. Après avoir bousculé les défenses françaises de la rive droite puis de la rive gauche de la Meuse, la marée allemande est bloquée en juillet sur les pentes de Souville avant d'être refoulée par les soldats de Pétain, de Nivelle et de Mangin au cours des deux batailles du 24 octobre et du 15 décembre. Toutefois, si l'armée française s'y use considérablement, l'échec de la stratégie allemande est patent puisque, « malgré Verdun », Joffre et Haig déclenchent, le 1er juillet, l'offensive prévue sur la Somme. Menée par 26 divisions anglaises et 14 françaises, l'attaque alliée, entretenue durant quatre mois, portera un coup très rude au front allemand dans la région de Péronne et obligera l'adversaire à diminuer la pression sur Verdun. Pour autant, au-delà des succès initiaux de juillet, l'engagement sur la Somme s’est transformé en boucherie, s'est essoufflé dès le 14 juillet et a tourné court en novembre (→ batailles de la Somme, bataille de Verdun).

À l’est, depuis le 4 juin, le front s'est remis en mouvement : quatre armées russes, conduites par Broussilov, ont enfoncé les lignes autrichiennes en Volhynie et capturé 500 000 hommes. Les Russes menacent maintenant la frontière hongroise, et les Allemands sont contraints de l'étayer pour prévenir l'effondrement du front austro-hongrois.

Intervention roumaine et crise allemande

Au moment où le général Franz Conrad von Hötzendorf, chef de l'état-major autrichien, appelle l'Allemagne à son secours, le Reich subit un terrible coup par la déclaration de guerre de la Roumanie (28 août 1916), dont l'intervention aux côtés des Alliés compromet le ravitaillement de l'Allemagne en blé et en pétrole. Cette fois, l'opinion publique, déjà durement touchée par les restrictions consécutives au blocus, s'émeut, et le Kaiser, constatant la faillite de la stratégie d'épuisement de Falkenhayn, le remplace au commandement suprême par la populaire équipe des vainqueurs de l'Est, Hindenburg et Ludendorff (29 août).

Ceux-ci font preuve aussitôt d'une étonnante activité et arrêtent les mesures qu'exige la gravité de la situation militaire. Après avoir imposé à Conrad von Hötzendorf le commandement unique à leur profit des forces de la « Quadruplice » (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie, Bulgarie), ils décident de passer aussitôt sur la défensive sur le front français ; bien plus, ils en prévoient le raccourcissement par un repli à opérer entre Arras et Soissons qui économisera une quinzaine de divisions. Pour parer au danger venant de Bucarest, ils chargent Falkenhayn, qui n'a pas su conserver le blé roumain, d'aller le reconquérir à la tête d'une nouvelle armée (la IXe), créée le 9 septembre. En trois mois, ses forces, appuyées par celles de Mackensen, débouchant de Bulgarie, conquièrent la Roumanie jusqu'au Siret, et, le 6 décembre, les Allemands font leur entrée à Bucarest.

Guerre au Moyen-Orient et problème arabe

Animées par des états-majors allemands, les forces ottomanes s'opposent aux Britanniques en Mésopotamie et en Palestine et aux Russes sur le front du Caucase, où le grand-duc Nicolas a remporté deux brillants succès à Erzurum (janvier) et à Trébizonde (avril). Pour les Anglais, au contraire, l'année 1916 a été difficile : le 28 avril, en Mésopotamie, la garnison de Kut al-Amara a dû capituler devant les assauts des Turcs, qui, en août, ont lancé un deuxième raid contre Suez. C'est alors que débute, en milieu arabe, l'action du jeune Lawrence d'Arabie, qui, ayant gagné la confiance d'Abdullah et de Faysal, fils d'Husayn, roi du Hedjaz, organise avec eux la libération de la « nation arabe » du joug ottoman. Et cela au moment même où, à l'insu de Lawrence, Paris et Londres concluent en mai un accord partageant l'Empire ottoman en deux zones d'influence politique et économique : l'une, française, incluant la Syrie et le Liban, l'autre, anglaise, comprenant la Palestine, l'Iraq et la Transjordanie (→ accord Sykes-Picot). Singulière équivoque, qui pèsera lourdement dans les rapports futurs de l'Occident avec l'islam.

La situation des belligérants à la fin de 1916

Dans les deux camps, l'année a été très rude, et l'usure des belligérants s'affirme en tous domaines. La Grande-Bretagne, qui entretient maintenant 70 divisions, se voit contrainte, pour la première fois dans son histoire, d'adopter progressivement la conscription. La situation économique y est encore aisée, et, en dépit de la déception que cause à Londres le demi-succès de la bataille navale du Jütland et la menace permanente de la guerre sous-marine, la maîtrise de la mer demeure aux Alliés. En décembre, le cabinet Asquith cède la place au gouvernement d'Union nationale de Lloyd George. En France, où toute l'année a été vécue sous le signe de Verdun, l'Union sacrée présente des failles, le Parlement s'agite, l'économie s'essouffle et le déficit budgétaire n'est comblé que par les emprunts anglais et américains. En décembre, Joffre est abandonné par Briand, qui choisit Nivelle comme commandant en chef.

En dépit des succès éclatants de Broussilov, la Russie est au bord de la révolution : l'assassinat de Raspoutine (29 décembre) traduit la révolte de la classe nobiliaire et de la bourgeoisie libérale contre l'aveuglement du tsar. À Vienne, la mort du vieil empereur François-Joseph entraîne l'avènement du jeune Charles Ier, lucide et généreux. Marié à une princesse d'ascendance française, Zita de Bourbon-Parme, il voudrait prendre ses distances vis-à-vis de Berlin, mais se heurte à une situation politique rendue inextricable par le réveil des nationalités qui composent l'ensemble disparate et suranné de la double monarchie.

Quant aux Allemands, qui vivent depuis un an sous le régime de la carte d'alimentation, ils viennent avec Ludendorff de trouver un chef qui s'affirme peu à peu comme le dictateur du IIe Reich. Pour lui, qui juge lucidement la situation difficile de son pays, toute la politique doit désormais être subordonnée au seul impératif de gagner la guerre. C'est dans cet esprit que, au risque de provoquer l'intervention américaine, il se rallie en novembre à la thèse de la guerre sous-marine. Pour inciter l'adversaire à se dévoiler, Guillaume II, profitant de l'entrée de ses troupes à Bucarest, lance le 12 décembre une offre de paix spectaculaire. Rejetée par les Alliés, elle est relevée par Wilson, qui vient d'être réélu président des États-Unis et qui, en réponse, demande à tous les belligérants de lui faire connaître leurs buts de guerre.

La guerre navale de 1914 à 1916

En 1914, la Grande-Bretagne est encore la reine des océans : sa flotte marchande représente 48 % du tonnage mondial, sa marine de guerre surclassera largement sa rivale allemande en tonnage (2,2 millions de tonnes contre 1,05) et en qualité (24 dreadnoughts contre 13). Aussi, sur les mers, dont les belligérants vont découvrir l'importance, l'intervention anglaise confère-t-elle au conflit une dimension mondiale. Par les combats du cap Coronel et des îles Falkland (novembre-décembre 1914), l'amirauté de Londres, que dirige le vieux lord Fisher, élimine d'abord la marine allemande des mers lointaines (→ bataille navale des Falkland). Dès octobre, elle applique en outre un rigoureux blocus de la mer du Nord, auquel l'amiral allemand Tirpitz réplique en déclenchant la guerre sous-marine. Celle-ci se développe au début de 1915, mais est suspendue en septembre après la protestation américaine qui suit le torpillage du paquebot anglais Lusitania où, le 7 mai, périssent 118 passagers américains.

Avec les Dardanelles, la guerre navale s'est étendue à la Méditerranée, confiée depuis 1914 à la garde de l'armée navale française dont le chef est l'amiral Boué de Lapeyrère . Les sous-marins allemands et autrichiens qui dominent l'Adriatique y mènent la vie dure aux Alliés, dont les bases principales sont celles de Malte, de Moudros (Moúdhros) et de Corfou. En dehors de leur rencontre fortuite du Dogger Bank (24 janvier 1915), les flottes de haute mer allemande et anglaise ne s'affronteront qu'en 1916, lors de la mémorable bataille navale du Jütland (31 mai-1er 1916). Au cours d'une lutte d'artillerie de douze heures, 100 bâtiments allemands, conduits par les amiraux Reinhard Scheer (1863-1928) et Franz von Hipper (1863-1932), s'attaqueront aux 150 navires de la Grand Fleet britannique de l'amiral Jellicoe, secondé par Beatty. Après avoir coulé 14 bâtiments anglais (112 000 t), Scheer, dont les pertes ne dépassent pas 60 000 t, utilise la nuit pour se dérober. Succès tactique des Allemands, le Jütland confirmait toutefois l'incapacité de leur flotte à dominer son homologue anglaise. Aussi Scheer en conclut-il que seul l'emploi massif des sous-marins pouvait être décisif pour amener la ruine de la Grande-Bretagne.

1917, guerre sous-marine, intervention américaine, révolution russe

Wilson Woodrow

Wilson ne sera pas un médiateur : le 31 janvier, Washington reçoit en effet de Berlin notification de la zone dans laquelle, à compter du lendemain, tout navire marchand sera torpillé sans avertissement. Vient s'ajouter à ce climat la crise diplomatique provoquée en mars par l'interception du télégramme Zimmerwald, dans lequel le ministre des Affaires étrangères du Reich enjoint à son chargé d'affaires à Mexico de pousser le Mexique à entrer en guerre contre les États-Unis. Cette fois, c'en est trop, et, après avoir rompu le 3 février les relations diplomatiques, les États-Unis déclarent le 2 avril la guerre à l'Allemagne. Entendant toutefois conserver leur liberté, ils se déclarent seulement « associés » (et non alliés) aux adversaires du Reich. Cette intervention entraîne celle assez symbolique de la Chine et de plusieurs États d'Amérique latine.


Avec près de 900 000 tonneaux de pertes marchandes alliées, le mois d'avril 1917 établit un record qui ne sera pas même atteint durant la Seconde Guerre mondiale. L'objectif était d'affamer le Royaume-Uni, dont les réserves céréalières étaient faibles, en interdisant la navigation commerciale atlantique. Le risque de rupture diplomatique avec les États-Unis était connu et avait été accepté. La victoire des sous-marins allemands (130 en service, dont la moitié à la mer) se prolonge jusqu'à l'automne sans réussir à abattre la Grande-Bretagne, qui résiste grâce au système des convois escortés par des navires de guerre. Pour les Alliés, l'intervention américaine apporte une aide immédiate sur les plans naval, économique et financier, mais l'armée américaine compte à peine 200 000 hommes, et, dans le domaine militaire, tout est à faire.

En Russie, la crise qui éclate en janvier à Petrograd se termine par l'abdication du tsar (15 mars), approuvée par tout le haut commandement russe. Sympathique aux Alliés, le gouvernement du prince Lvov éveille chez eux l'espoir de voir la Russie coopérer plus activement à la guerre. Mais les progrès de la révolution paralysent bientôt l'armée, dont la dernière offensive lancée par Kerenski en juillet se termine en débandade, tandis que le parti bolchevique de Lénine propage son programme de paix. L'échec de l'offensive Kerenski permet aux Allemands de se réinstaller en Bucovine et d'y menacer le front roumain reconstitué avec l'aide de la France. Après la faillite du gouvernement Kerenski, les bolcheviques prennent enfin le pouvoir le 7 novembre (révolution dite « d'octobre »). Lénine entame aussitôt la procédure de l'armistice, qui est signé à Brest-Litovsk le 15 décembre, 6 jours après celui de Focşani, conclu avec les Roumains.

À la fin de l'année, Ludendorff, qui, depuis la chute de Bethmann-Hollweg (juillet), est devenu le véritable dirigeant du Reich, disposera de toutes ses forces pour lancer un ultime coup de boutoir sur le front français avant l'arrivée des Américains. En réalité, l'Allemagne ne pourra atteindre cet objectif, car elle devra maintenir à l'est une forte proportion de ses troupes pour contenir les velléités d'indépendance de la Pologne et des Baltes, et surtout pour occuper l'Ukraine, dont les livraisons agricoles lui sont indispensables.

Bataille du Chemin des Dames et crise française

En France, où le front allemand est volontairement replié le 27 février entre Arras et Soissons (dans le dessein d'économiser des effectifs), l'année s'ouvre dans un immense courant d'optimisme. Nivelle a en effet rallié les Anglais à l'idée d'une grande et définitive offensive : « Nous romprons le front allemand quand nous voudrons », affirme-t-il le 13 janvier. Précédée d'une attaque anglaise en Artois, l'offensive des armées Mangin et Mazel débouche le 16 avril sur le Chemin des Dames, complétée le 17 par une action de l'armée Anthoine en Champagne.

Après un brillant départ et le premier engagement des chars français Schneider à Berry-au-Bac, l'assaut se heurte à une muraille de feu infranchissable, et l'immense espoir des poilus se transforme en une dramatique désillusion. À Paris, le moral s'effondre : le président du Conseil Painlevé décide d'arrêter l'opération, et, le 15 mai, remplace Nivelle par Pétain.

La tâche du nouveau généralissime est redoutable, car la déception de l'armée dégénère en révolte : dans une cinquantaine de divisions, des mutineries éclatent (→ crise des mutineries). Ces mouvements, qui ne vont jamais jusqu'à la fraternisation avec l'ennemi, sont d'abord l'expression d'une exaspération devant la conduite de la guerre et le mépris des généraux pour la vie des soldats. Les chefs y voient le résultat de la propagande ennemie, voire de celle d'agitateurs pacifistes d'extrême gauche.

La répression est sévère : Pétain, qui vient de remplacer Nivelle, fait condamner à mort 554 mutins dont 75 seront exécutés, mais il a aussi l'habileté d'introduire des améliorations dans l'organisation des permissions et du cantonnement et rend confiance à l'armée en lui faisant réaliser à Verdun (août), puis à la Malmaison (octobre), deux opérations à objectifs limités qui seront de véritables succès. Sa tâche est facilitée par les Britanniques de Haig, qui, de juin à décembre, fixent les Allemands par une série d'offensives très coûteuses menées dans les Flandres autour d'Ypres (→ batailles d'Ypres) et à Cambrai, où, pour la première fois, une masse de chars (378 blindés) est engagée le 20 novembre.

Parallèlement à cette crise militaire, la France, usée par la guerre, connaît une grave crise morale que trois gouvernements successifs (Briand, Ribot et Painlevé) s'efforcent malaisément de conjurer. Faisant écho à la révolution russe et à l'agitation parlementaire, des grèves éclatent qui traduisent l'aggravation de la situation économique (carte de sucre et de charbon) et le niveau très bas des salaires. Une propagande pacifiste se développe dans la presse (le Bonnet rouge), où l'on retrouve la main et l'argent des agents allemands. Pour réagir, Poincaré décide le 14 novembre d'appeler au gouvernement Clemenceau, qui, avec une extraordinaire énergie, choisit comme unique programme : « Je fais la guerre. » Après avoir stigmatisé Louis Malvy (ancien ministre de l'Intérieur), il fait arrêter Caillaux, accusés tous deux d'abusives complaisances envers les « défaitistes ».

Les tentatives de paix et leur échec

Au cours de cette « année trouble » (Poincaré), on peut croire que l'usure des belligérants allait imposer la fin du conflit, et, en effet, plusieurs tentatives furent faites pour trouver le chemin d'une paix de compromis. À côté des efforts du pape Benoît XV, qui, le 1er août, lance un appel aux belligérants, l'entreprise la plus sérieuse fut menée par l'empereur Charles Ier d'Autriche, qui savait que la situation politique, économique et militaire de son pays se dégradait de jour en jour. Une négociation secrète fut conduite en son nom par ses deux beaux-frères, Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, auprès de la France. Elle fut mise en échec par les Allemands, qui en eurent connaissance, et aussi par les exigences formulées vis-à-vis de Vienne par l'Italie auprès de la France et de la Grande-Bretagne à la conférence de Saint-Jean-de-Maurienne (19 avril 1917).

Italie, Moyen-Orient et Grèce

Inquiets des tractations de l'empereur Charles, les Allemands se décident, pour relancer l'Autriche-Hongrie dans la guerre, à lui faire cadeau d'une victoire. Le 24 octobre, 7 des meilleures divisions allemandes, conduites par le général Otto von Below, enfoncent à Caporetto le front italien, qu'elles refoulent jusqu'à la Piave. Cadorna, le généralissime italien (bientôt remplacé par Diaz), appelle les Alliés au secours. Foch et Robertson, suivis de dix divisions franco-anglaises, arrivent à Rapallo, où s'ébauche le premier et timide organe de commandement interallié (6 et 7 novembre 1917).

Conscients de l'importance politique et économique grandissante du Moyen-Orient, les Britanniques lui consacrent en 1917 des moyens considérables. Ils leur permettront de conjuguer leurs efforts en Mésopotamie, où ils reprennent Kut al-Amara et entrent à Bagdad (11 mars), et en Palestine, où le général Allenby déclenche en octobre une puissante offensive qui lui ouvre, le 9 décembre, les portes de Jérusalem. C'est à cette occasion que la Grande-Bretagne, qui entend jouer à la fois la carte sioniste et la carte arabe, affirme sa volonté « de créer après la guerre un foyer national juif en Palestine » (→ déclaration Balfour, 2 novembre 1917).

En Orient, l'année se termine sur une note optimiste pour les Alliés : ceux-ci viennent en outre de clarifier l'équivoque situation de la Grèce en provoquant l'abdication du roi Constantin Ier au profit de son fils Alexandre (12 juin). Ce dernier confie le pouvoir à Venizélos, qui déclare la guerre à l'Allemagne et à ses alliés (29 juin).

1918, le dénouement

L'année s'ouvre par une importante initiative américaine : répondant à l'appel à la paix lancé par Lénine, Wilson précise le 8 janvier 1918 dans son discours au Congrès (8 janvier 1918) les « Quatorze points » qui doivent à son avis servir de base à l'ordre nouveau. Précédés de principes de droit international (liberté des mers, réduction des armements, etc.), ils abordent ensuite les problèmes cruciaux tels que la restitution de l'Alsace-Lorraine, l'indépendance de la Belgique, la résurrection de la Pologne, l'autonomie des peuples d'Autriche-Hongrie.

Ce programme fera choc et indique de quel poids pèsent déjà les États-Unis, alors que leur présence militaire est encore quasiment nulle dans le camp des Alliés. Chez ces derniers, qui souffrent d'une grave crise d'effectifs, l'organisation d'un commandement unique se limite à celle d'un comité exécutif dirigé à Versailles par Foch (1er février) et chargé de préparer les décisions des gouvernements.

L'aventure allemande en Russie

Conscient de la précarité de la situation économique du Reich, qui impose une décision à court terme, Ludendorff entend l'emporter par une action militaire massive conduite avec le renfort des 700 000 hommes transférés du front de l'Est sur celui de France. Menée à base d'artillerie lourde et d'obus à gaz sous forme de coups de boutoir successifs, elle doit faire éclater le front occidental avant l'arrivée des forces américaines, c'est-à-dire avant l'été de 1918. Le calendrier étant impératif, Ludendorff presse les politiques, conduits par le ministre des Affaires étrangères Richard von Kühlmann, de conclure au plus vite la paix avec la Russie.

L'entreprise se révèle difficile, car, dans les négociations de Brest-Litovsk, les Russes, dirigés par Trotski, résistent aux exigences allemandes. Le 9 février, les Allemands imposent un traité distinct à l'Ukraine, qui la sépare de la Russie. Toutefois, il faudra une nouvelle action militaire qui, à partir du 19 février, portera les armées allemandes à Narva (135 km de Moscou), à Pinsk et à Kiev pour contraindre Lénine à signer le 3 mars le terrible traité de Brest-Litovsk (il arrache à la Russie 60 millions d'habitants et 25 % de son territoire). La Courlande et l'ensemble de la zone balte tombent sous influence allemande, ainsi que le nouvel État ukrainien, tandis que les deux Empires centraux se partagent la tutelle de la Pologne.

En mai, la Roumanie doit accepter la paix allemande de Bucarest, tandis que, forgeant des plans grandioses d'exploitation économique de l'Ukraine, les Allemands étendent leur occupation à Odessa, à Kharkov et à Rostov-sur-le-Don (7 mai). Attirés ensuite par les richesses du Caucase, ils s'engagent dans une folle aventure, encouragent la Géorgie à se proclamer indépendante (26 mai) et poussent jusqu'à Tbilissi. « Quelle importance, écrit Guillaume II le 8 juin, si nous réussissons à placer le Caucase sous notre influence, comme porte vers l'Asie centrale et menace vers la position anglaise des Indes ! » Singulière démesure qui absorbera jusqu'à la fin de la guerre une trentaine de divisions qui, fort heureusement pour les Alliés, manqueront à Ludendorff sur le front français.

Coups de boutoir de Ludendorff sur le front français (mars-juillet 1918)

Le 21 mars, 6 200 canons allemands ouvrent le feu à 4 h 40 sur le front de 60 km tenu par les armées Below, Marwitz et Hutier entre Arras et l'Oise. À 9 h 40, l'infanterie en petites colonnes, appuyée par 1 000 avions de combat, s'élance derrière le barrage roulant. Le secteur, tenu par les IIIe (Byng) et Ve (Gough) armées de Haig, a été judicieusement choisi : l'objectif de Ludendorff (qui sera repris en 1940) est d'« enrouler » l'aile droite des Anglais pour les rejeter à la mer en se couvrant seulement au sud vis-à-vis des Français, dont le front commence à l'Oise.

En 48 heures, l'armée Gough est submergée, tandis que, pour ébranler le moral de l'arrière, Paris reçoit le 23 les premiers obus de la Bertha. La veille, Pétain a engagé ses réserves sur l'Oise au secours des Anglais, mais, l'avance allemande se poursuivant vers Montdidier, les Français ont tendance à couvrir Paris, alors que les Anglais se replient sur Amiens et les ports : une brèche de 20 km s'ouvre entre les armées alliées. La situation est grave ; aussi, le 26, les envoyés de Lloyd George et Clemenceau confient-ils, à Doullens, le commandement suprême à Foch, dont l'autorité s'impose aussitôt à Haig et à Pétain. Trente divisions françaises aux ordres de Fayolle sont acheminées entre Oise et Somme : l'avance allemande est bloquée, et Amiens, objectif immédiat de l'ennemi, est sauvé. Le 5 avril, Ludendorff suspend l'offensive de Picardie, mais, dès le 9, porte un nouveau et terrible coup aux Anglais sur la Lys, qui est aussitôt paré par Foch grâce à l'intervention des Français au mont Kemmel.

Pour fixer une bonne fois les réserves de PétainLudendorff décide alors, avant d'en finir avec les Anglais dans les Flandres, de porter un grand coup sur le front français du Chemin des Dames. L'assaut qui lui est donné le 27 mai est encore une brillante victoire pour les Allemands, qui, en quatre jours, atteignent la Marne à Château-Thierry, à 70 km de Paris. Pour élargir son action, que Micheler, Maistre et Degoutte freinent sur les monts de Champagne et dans la forêt de Villers-Cotterêts, Ludendorff attaque le 9 juin sur le Matz, où il est stoppé par une soudaine contre-offensive de Mangin, qui sauve Compiègne.

Grâce à l'étonnante activité de Clemenceau, qui se prodigue aux armées autant qu'à Paris, et à la solidité du commandement français, qu'animent les fortes personnalités de Foch et de Pétain, la France tient bon. Aussi, lorsque, le 15 juillet, Ludendorff lance son ultime assaut de part et d'autre de Reims, ses troupes sont aussitôt arrêtées par le remarquable dispositif défensif organisé par la IVe armée Gouraud) en Champagne (→ batailles de Champagne, bataille de Château-Thierry).

La victoire de Foch (juillet-novembre)

18 juillet : alors que les Allemands cherchent en vain à progresser au sud de Dormans, 27 divisions des armées Mangin et Degoutte, appuyées par 500 chars et 800 avions, débouchent de la forêt de Villers-Cotterêts. Chez les Allemands, la surprise est totale, et, dès le 3 août, la poche de Château-Thierry est entièrement résorbée. La guerre, cette fois, vient de changer de signe, la chance de Ludendorff est révolue ; c'est à Foch qu'appartient désormais l'initiative des opérations. Il en a les pouvoirs (son autorité confirmée le 16 avril s'étend depuis le 2 mai au front italien) et les moyens. Les forces américaines, dont la 1re division a débarqué en France à la fin de juillet 1917 et qui atteignent maintenant 16 divisions, sont rassemblées le 10 août en une Ire armée commandée par Pershing, qui reçoit l'appoint de 3 000 canons, 500 avions et 200 chars français.

Le 24 juillet, Foch s'est décidé à passer partout à l'offensive : le 8 août, une puissante attaque est déclenchée par Haig (aidé de Debeney) sur la poche de Montdidier. Pour la première fois, l'armée allemande fait preuve d'une telle lassitude que Ludendorff, constatant la faillite de son plan, déclare aux ministres allemands stupéfaits qu'une décision militaire est devenue désormais impossible et qu'il faut « terminer la guerre au plus tôt ». Mais, devant l'ampleur du succès de Haig, Foch engage par sa directive du 3 septembre la totalité de ses forces de la mer du Nord à la Meuse. Le 12, les Américains attaquent à Saint-Mihiel et, à la fin du mois, trois grandes offensives sont déclenchées :

 

  • le 26 par Gouraud et Pershing en Champagne et en Argonne,
  • le 27 par Haig entre Lens et La Fère à l'assaut de la position fortifiée allemande (ligne Siegfried, → ligne Hindenburg),
  • le 28 par le groupe d'armées des Flandres que commande le roi des Belges Albert Ier en direction de Bruges et de Courtrai.


Au début d'octobre, tandis que la brillante victoire de Franchet d'Espèrey provoque la capitulation de la Bulgarie, la décision militaire est pratiquement acquise sur le front français, où Foch dispose maintenant de 212 divisions alliées face aux 180 de Hindenburg. Le 9 octobre, les Canadiens libèrent Cambrai, et, le 17, les Anglais sont à Lille ; le 25, le roi Albert Ier entre à Bruges, tandis que les Allemands s'accrochent encore à leur ligne Hunding, qui est forcée par ManginGuillaumat et Gouraud en liaison avec les Américains.

Dans les premiers jours de novembre, l'Escaut est franchi entre Gand et Tournai, les Alliés dépassent Valenciennes, Maubeuge et Stenay. Pour les Allemands, qui ont reculé de 100 à 200 km, la catastrophe est imminente, et la grande offensive préparée par Castelnau avec Mangin en Lorraine est devancée par l'armistice, signé le 11 novembre à Rethondes par les délégués de Hindenburg et du maréchal Foch (→ armistice de Rethondes).

Victoires alliées dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Italie

Dans les deux camps, la primauté du front français, où se joue l'ultime décision de la guerre, laisse d'abord peu de place aux fronts extérieurs dans les préoccupations des belligérants. Tout changera quand, au cours de l'été, le fléau de la balance aura penché définitivement du côté des Alliés, qui chercheront alors à relancer les fronts extérieurs pour accélérer leur victoire et garantir leurs positions politiques et économiques.

Dans les Balkans, Guillaumat, qui a remplacé Sarrail à Noël 1917, se consacre à la réorganisation des forces assez disparates des armées alliées d'Orient. Rappelé en France après la percée allemande du Chemin des Dames pour diriger la défense de Paris, il a pour successeur Franchet d'Espèrey, qui, dès son arrivée le 19 juin, prépare l'offensive dont il attend la rupture du front germano-bulgare. Déclenchée le 15 septembre au Dobro Polje, elle contraint les Bulgares à déposer les armes dès le 29. Exploitant aussitôt sa victoire, Franchet d'Espèrey lance ses troupes sur Sofia, occupée le 16 octobre, Belgrade, où les Serbes font leur rentrée triomphale le 1er novembre. L'Autriche et l'Allemagne du Sud sont menacées, tandis que Berthelot, qui avait été le chef de la mission française en Roumanie, fonce sur Bucarest, qu'il atteint le 1er décembre (→ campagnes de Macédoine).

Alors que Clemenceau ne croyait guère à la valeur stratégique des Balkans, Lloyd George était au contraire convaincu de celle du Moyen-Orient, où il entendait assurer à son pays une solide position politique et économique. Aussi a-t-il consacré à ce théâtre d'importants moyens militaires. Ils permettent aux Anglais de relayer en Iran la présence russe défaillante et de tenter en outre un raid sur Bakou. Mais l'essentiel de ces forces est confié en Palestine au général Allenby, qui, le 19 septembre, bouscule les troupes germano-turques de Liman von Sanders. Un détachement français entre à Beyrouth le 7 octobre, et, le 25, les Britanniques sont à Alep. Le 1er octobre, les Arabes de Faysal et de Lawrence avaient libéré Damas, où Husayn s'était proclamé « roi des pays arabes », tandis que les forces de Mésopotamie fonçaient vers le nord et entraient à Mossoul le 4 novembre. Depuis cinq jours, le feu avait cessé sur les fronts du Moyen-Orient. Dans un immense désarroi, le gouvernement turc venait, en effet, d'obtenir un armistice qui avait été signé le 30 octobre par les seuls Britanniques « au nom des Alliés » dans la rade de Moudros (ou Moúdhros). Le 13 novembre, une escadre alliée arrivait à Istanbul.

En Italie, enfin, où la défaite de Caporetto avait finalement donné un coup de fouet au pays, un immense effort de redressement moral, économique et militaire a été accompli. En juin, Diaz repousse brillamment une offensive autrichienne sur la Piave, mais attend son heure pour frapper le grand coup que lui demande Foch avec insistance. L'édifice disparate de l'armée austro-hongroise, dont les diverses nationalités sont en train de proclamer leur indépendance, donne des signes certains de désagrégation. Le 20 octobre, les Hongrois se mutinent dans le Valsugana ; le 24, Diaz lance son offensive sur Vittorio Veneto ; le 3 novembre, les Italiens sont à Trente et à Trieste. Dans la soirée du même jour, un armistice est signé par les Autrichiens dans la villa Giusti, près de Padoue ; le 25 octobre, la Hongrie avait réclamé son indépendance, c'est-à-dire la rupture avec Vienne.

L'effondrement du IIe Reich

Le 14 août, au conseil de la Couronne de Spa, la faillite de la politique allemande était apparue au grand jour. À l'échec militaire de Ludendorff s'ajoutait maintenant la menace – devenue réalité le 29 septembre pour les Bulgares – de l'effondrement des alliés de l'Allemagne. Le 3 octobre, Guillaume II remplace le chancelier Georg von Hertling par le prince Maximilien de Bade, qui prend aussitôt contact avec Wilson pour tenter d'obtenir sa médiation sur la base des Quatorze points. Après plusieurs échanges de notes, Wilson signifie le 23 octobre à Berlin son désir de traiter avec un pouvoir « démocratique ».

Dès lors, la situation politique va se dégrader très rapidement. Le 26, Ludendorff est congédié et remplacé par le général Groener ; le 3 novembre éclatent à Kiel les premières mutineries de la flotte, qui se propagent à Hambourg, à Cologne et à Berlin (→ spartakisme). Le 7, la république est proclamée à Munich. La veille, à la demande instante de Hindenburg, une délégation d'armistice avait quitté Berlin ; elle franchit les lignes françaises le 8 et signe le 11 l'armistice à Rethondes. Entre-temps, Guillaume II avait abdiqué, et la république avait été proclamée à Berlin par Scheidemann, tandis que Maximilien de Bade transmettait ses pouvoirs à Ebert.

La fin politique du IIe Reich était consommée, et les conditions imposées par Foch pour l'arrêt provisoire des hostilités étaient sévères. Dans les 15 jours, les Allemands devaient évacuer les territoires envahis et l'Alsace-Lorraine ; dans les 31 jours, la rive gauche du Rhin ainsi que Cologne, Coblence et Mayence, avec une tête de pont de 30 km sur la rive droite de ces villes. Les traités de Brest-Litovsk et de Bucarest sont annulés, l'Afrique-Orientale allemande sera évacuée, les troupes allemandes qui sont en Russie regagneront le Reich quand les Alliés jugeront le moment venu, « compte tenu de la situation de ce territoire ». Tous les sous-marins seront livrés aux Alliés, la flotte de haute mer sera internée à Scapa Flow (où elle se sabordera le 21 juin 1919) ; le blocus naval et économique sera maintenu, les Alliés envisageant de ravitailler l'Allemagne « dans la mesure reconnue nécessaire ».

Conclu pour 36 jours, l'armistice du 11 novembre sera renouvelé trois fois jusqu'à l'établissement de la paix. Entre-temps, l'Empire austro-hongrois s'est effondré sous les coups des mouvements nationalistes. À la fin de 1918 et au début de 1919, ils triomphent à Prague avec Masaryk et Beneš, fondateurs de la Tchécoslovaquie, à Belgrade, où naît le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (future Yougoslavie). À Varsovie, l'effondrement de l'Allemagne et de l'Autriche, l'absence de la Russie permettent à la Pologne de ressusciter. Seuls subsistent de la double monarchie les deux petits États de Hongrie et d'Autriche, celui-ci tellement amoindri que l'Assemblée de Vienne a demandé le 12 novembre 1918 son rattachement à l'Allemagne. La conférence de la Paix, ouverte à Paris le 18 janvier 1919 devant les représentants de 27 nations alliées ou associées, aura fort à faire pour remodeler la carte d'une Europe exsangue et ruinée. Elle sera définie par les traités de paix, dont le premier et le plus important sera signé avec l'Allemagne à Versailles le 28 juin 1919.

Le traité de Versailles 28 juin 1919

Le traité de Versailles, signé après les longues et complexes délibérations du conseil des Quatre (WilsonLloyd GeorgeClemenceau et Orlando), attribuait à l'Allemagne la responsabilité morale de la guerre et lui imposait de dures conditions, sans discussion possible. Sur le plan frontalier d'abord, le traité prenait acte du rattachement de l'Alsace-Lorraine à la France (→ Alsace). La Sarre demeurait pour quinze ans sous régime international, tout en étant économiquement unie à la France, avant de choisir son avenir par plébiscite.

C'est à l'Est qu'on opéra un véritable démembrement pour constituer une Pologne indépendante avec un accès à la mer, tel que l'avaient promis les Français et les Quatorze points de Wilson : l'Allemagne dut subir d'importantes amputations, de la Posnanie à la Baltique – la création du corridor de Dantzig (déclarée ville libre en 1920) isolant la Prusse-Orientale –, et plus tard l'humiliation du plébiscite qui, en 1921, coupera en deux la haute Silésie. Le traité comprenait aussi des garanties de sécurité : l'armée était réduite à 100 000 hommes, la Rhénanie démilitarisée sur une profondeur de 50 km sur la rive droite du Rhin. Le traité fixait enfin le principe des réparations, dont il n'établissait d'abord qu'un plancher (120 milliards de marks-or), et qui devaient empoisonner toutes les relations internationales de l'après-guerre.

Les traités de Saint-Germain-en-Laye, Neuilly, Trianon

Dans les zones balkaniques, le démantèlement de l'Autriche-Hongrie, jugé irrémédiable, donna lieu à un partage territorial où le principe wilsonien des nationalités ne fut que très partiellement respecté. Les traités de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919, avec l'Autriche), de Neuilly (27 novembre 1919, avec la Bulgarie), de Trianon (4 juin 1920, avec la Hongrie) laissaient de part et d'autre des motifs de mécontentement.

L'Italie obtenait le Trentin et le Haut-Adige autrichiens, mais pas Fiume, et presque rien sur le littoral dalmate (pour ne pas frustrer le nouvel État yougoslave), en dépit des promesses du traité secret de Londres de 1915. Le nouvel État tchécoslovaque était constitué dans la partie nord de l'empire des Habsbourg, avec l'ancienne Bohême et une longue frange du royaume de Hongrie (→ Sudètes). La Roumanie récupérait la partie est de l'Empire, la Bucovine, mais aussi toute la Transylvanie hongroise.

Frustrations et divisions : les germes d'un futur conflit

La sanction que subissaient les ex-Empires centraux était lourde de menaces pour l'avenir : dès 1920, un système de pactes d'assistance mutuelle, la Petite-Entente, s'établit entre les nouveaux pays d'Europe centrale (Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie), pour prévenir les risques d'ambitions revanchardes de la Hongri


Attentat de Sarajevo

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Le 28 juin 1914, à Sarajevo, Gavrilo Princip, Serbe de Bosnie, nationaliste yougoslave, membre du groupe Jeune Bosnie (Mlada Bosna), tue l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l'empire austro-hongrois, et son épouse la duchesse de Hohenberg, au moment où leur accession au trône semblait imminente. L’attentat de Sarajevo est considéré comme l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale.

 

Francois-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg

Francois-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg

Depuis 1878, la Bosnie-Herzégovine, État d'Europe du Sud, était occupée par l'empire d'Autriche-Hongrie, qui l'annexa en 1908, occupation mal vécue par les populations slaves, qui la refusaient et souhaitaient la création d'une jugoslavija (littéralement en serbo-croate : « état slave du sud »), en français Yougoslavie. Les autorités autrichiennes, non sans imprudence, choisirent comme date de la visite de l'archiduc le 28 juin, jour de Vidovdan (une fête religieuse importante chez les Serbes orthodoxes, qui célèbre la Saint-Guy), qui est aussi la date anniversaire de la bataille de Kosovo Polje qui, en 1389, vit la défaite des Serbes devant l'armée turque et l'annexion de leur royaume à l’Empire ottoman pour plus de quatre cent cinquante ans. Cette date correspondait également au quatorzième anniversaire du mariage (controversé car morganatique) du couple princier, et l'archiduc héritier voulait mettre à profit cette visite en province pour apparaître publiquement avec son épouse et lui faire profiter des honneurs que l’étiquette de la Maison impériale et royale ne lui permettait pas de recevoir à la cour.

Les circonstances du voyage d'inspection de François-Ferdinand à la suite des grandes manœuvres organisées en Bosnie-Herzégovine semblent avoir favorisé les assassins. Le voyage de l'archiduc héritier, inspecteur général des armées, était considéré par la minorité serbe comme une provocation. Léon Von Bilinski, ministre des Finances de la monarchie, en charge à Vienne de l'administration de la Bosnie-Herzégovine, refusa de tenir compte de l'avertissement de l'ambassadeur de Serbie à Vienne, Jovan Jovanović, qu'un attentat était en préparation. Des proches du prince lui avaient également déconseillé ce voyage et même son ancien précepteur, un prêtre, lui prédisait « une fin violente qui précipiterait le monde dans un cataclysme général ».

Le prince de Montenuovo, grand-maître de la cour, ordonna le retrait des troupes (40 000 hommes) de Sarajevo, au motif que la duchesse de Hohenberg, n'étant pas membre de la famille impériale et royale, ne pouvait recevoir les honneurs militaires ; le couple ne bénéficiait donc plus de la protection de l'armée. Enfin, une erreur d'itinéraire, lors d'une visite inopinée de l'hôpital où étaient soignées les victimes du premier attentat survenu lors de l'arrivée du couple, obligea la voiture archiducale à s'arrêter au milieu de la foule (le chauffeur n'avait pas été informé des ordres de l'archiduc) et mit le couple à portée de tir du jeune Gavrilo Princip à un moment où, confronté à l'échec de leur entreprise, les jeunes terroristes cherchaient à s'éloigner de la foule.

Par ce geste, les coupables voulaient proclamer leur volonté de voir se réaliser une "Grande Serbie" regroupant tous les Slaves du Sud. Bien que l'archiduc ait été peu aimé par François-Joseph Ier et que certains (à cause de ses idées sur le futur de L'empire) aient vu dans sa disparition un "bon débarras", l'Autriche-Hongrie lance un dernier avertissement avant la guerre (ultimatum) à la Serbie , le 23 juillet 1914. Jeune Bosnie, un groupe de jeunes anarchistes de nationalités serbes, croates et musulmans, était équipé de modèles de pistolets de 1910, issus de la FN Herstal, et de bombes fournies par la Main Noire, une société secrète liée au gouvernement du Royaume de Serbie. La Main Noire était dirigée par le responsable des services secrets serbes, le colonel Dragutin Dimitrijević. Son nom dans l'organisation était Apis. Bien que liée au gouvernement serbe, la Main Noire dispose d'une autonomie énorme au sein du gouvernement serbe. Elle est un état dans l'état. L'armement du groupe de Princip n'est connu que de Apis.

Mais, malgré toutes les précautions de Apis, le président du conseil serbe, Nikola Pašić, apprend la préparation de l'attentat grâce à Protić, le ministre de l'intérieur. Il fait alors demander une enquête sur Apis, et, avec Protić, tente d'arrêter la mission du groupe de Princip. Tentative plus que difficile en effet, le président serbe ne connaissant absolument pas les réseaux de Jeune Bosnie. Il prend malgré tout contact avec les serbes de Bosnie et demande à son ministre, Dušan Stefanović, le ministre de la guerre, de stopper les activités des services de renseignements serbes qui seraient selon lui une menace pour le gouvernement de Serbie. Vont-ils prévenir le gouvernement de Vienne ? Cela n'est pas encore clairement établi. Une chose est sûre : l'ambassadeur serbe à Vienne, Jovan Jovanović, parle du groupe de Princip à Léon Von Bilinski, le ministre des finances et gouverneur de Bosnie, sans que l'on sache s'il s'agit d'une initiative individuelle ou d'une demande du gouvernement serbe d'informer Vienne.

Le degré d'implication de la Main Noire est contesté. Certains estiment que c'est cette organisation qui fut responsable de l'attaque et que les membres de Jeune Bosnie n'étaient que les exécutants. D'autres considèrent que Jeune Bosnie était idéologiquement très éloignée de la Main Noire et était si peu expérimentée que la Main Noire était persuadée que le complot n'aurait jamais réussi. Cependant, la plupart sont d'accord pour dire que la Main Noire a fourni les armes et le cyanure aux assassins. Des liens directs entre le gouvernement serbe et l'action du groupe de Princip n'ont jamais été prouvés. Il existe en fait des indices qui laissent penser que le gouvernement serbe a tenté, de bonne foi, d'étouffer les menaces terroristes en Serbie, puisqu'il évitait de susciter la colère du gouvernement austro-hongrois, après le contrecoup des guerres balkaniques. Selon une autre théorie, l'Okhrana aurait participé à l'attentat avec la Main Noire.

Les relations entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie en 1914 étaient bonnes, le Premier ministre serbe, Nikola Pašić tenant particulièrement à ce bon voisinage, ce qui lui était reproché par les partisans d'une ligne plus dure panslave hostile à la présence autrichienne dans les Balkans. Ici encore, aucune source ne permet de déterminer avec certitude ce qui s'est réellement passé. Les minutes du procès permettent toutefois de savoir comment le complot a été organisé et mis à exécution. Partis de Belgrade, où ils s'exerçaient, les conspirateurs purent traverser la frontière sans encombre avec la complicité certaine d'agents au service de la Serbie et séjourner à Sarajevo quelques jours avant l'arrivée du couple princier.

Les sept conspirateurs n'avaient aucune expérience dans le maniement des armes, et ce n'est que par une extraordinaire succession de coïncidences qu'ils parvinrent à leur fin. À 10h15, la parade de six voitures passa le premier membre du groupe, Mehmedbašić, qui tenta de viser depuis la fenêtre d'un étage supérieur, mais il ne parvint pas à obtenir un bon angle de tir, et décida de ne pas tirer pour ne pas compromettre les occasions de ses partenaires. Le second membre, Nedeljko Čabrinović, lança une bombe (ou un bâton de dynamite, d'après certains rapports) sur la voiture de François-Ferdinand, mais la rata : le prince qui avait pris la bombe dans sa main l'avait jetée par terre ; l'explosion détruisit la voiture suivante, blessant gravement ses passagers, ainsi qu'un policier et plusieurs personnes dans la foule. Čabrinović avala sa pilule de cyanure et sauta dans la Miljacka. La procession se hâta alors en direction de l’Hôtel de ville, et la foule paniqua. La police sortit Čabrinović de la rivière, et celui-ci fut violemment frappé par la foule avant d'être placé en garde à vue. La pilule de cyanure qu'il avait prise était vieille ou de trop faible dosage, de sorte qu'elle n'avait pas eu l'effet escompté. De plus, la rivière ne dépassait pas 10 cm de profondeur, et il ne put s'y noyer. Parmi les autres auteurs du complot, certains s'enfuirent en entendant l'explosion, présumant que l'archiduc avait été tué.

Les conspirateurs restants n'eurent pas l'occasion d'agir à cause des mouvements de foule, et la tentative d'attentat était considéré par ses auteurs comme un échec. Cependant, l'archiduc décida d'aller à l’hôpital rendre visite aux victimes de la bombe de Čabrinović. Pendant ce temps, Gavrilo Princip pour qui le principal mobile de l'attentat était « La vengeance pour toutes les souffrances que l'Autriche fait endurer au peuple » s'était rendu dans une boutique environnante pour s'acheter un sandwich (parce qu'il s'était résigné, ou alors parce qu'il avait cru à tort que l'archiduc était mort dans l'explosion), et il aperçut la voiture de François-Ferdinand qui passait près du pont Latin, le prince voulant obtenir lui-même des nouvelles de l'officier blessé. Princip rattrapa la voiture, puis tira deux fois : la première balle traversa le bord de la voiture et atteignit la duchesse de Hohenberg à l’abdomen. La seconde balle atteignit l'archiduc dans le cou. Tous deux furent conduits à la résidence du gouverneur, où ils moururent de leurs blessures quinze minutes plus tard.

Princip tenta de se suicider, d'abord en ingérant le cyanure, puis avec son pistolet, mais il vomit le poison (ce qui était également arrivé à Nedeljko Čabrinović, ce qui laissa penser à la police que le groupe s'était fait vendre un poison beaucoup trop faible), et le pistolet fut arraché de ses mains par un groupe de badauds avant qu'il ait eu le temps de s'en servir. Pendant leur interrogatoire, Princip, Čabrinović, et les autres ne dévoilèrent rien de la conspiration. Les autorités estimaient que l'emprisonnement était arbitraire, jusqu'à ce qu'un des membres, Danilo Ilić, au cours d'un banal contrôle de papiers, prenne peur, perde son contrôle, et dévoile tout aux deux agents qui l'avaient interpelé, dont le fait que les armes étaient fournies par le gouvernement serbe. L'Autriche-Hongrie accusa la Serbie de l'assassinat et, au cours du Conseil de la Couronne du 7 juillet 1914, posa un ultimatum. L'un des points de cet ultimatum était particulièrement irréalisable, si bien que la Serbie ne put accepter l'ensemble des conditions. Seul, le comte Tisza s'y opposa. Le lendemain, 8 juillet 1914, il rédigea une lettre qui prévenait ainsi l'Empereur : « Une attaque contre la Serbie amènerait très vraisemblablement l'intervention de la Russie et une guerre mondiale s'en suivrait ».

Le 25 juillet 1914, soutenu par la Russie, le gouvernement serbe refuse la participation de policiers autrichiens à l'enquête sur le territoire serbe. Les relations diplomatiques entre les deux États sont rompues. Le 28 juillet 1914, l'Autriche-Hongrie déclara une guerre « préventive » à la Serbie, ce qui, par le jeu des alliances, amena la Première Guerre mondiale. Dans la Wiener Zeitung du 29 juillet 1914, l'Empereur et Roi François-Joseph déclare à ses sujets : « J'ai tout examiné et tout pesé ; c'est la conscience tranquille que je m'engage sur le chemin que m'indique mon devoir » Malgré cette déclaration officielle toujours chargée de rassurer les peuples, d'autres sources affirment que l'empereur octogénaire aurait signé la déclaration de guerre en disant : « Une guerre préventive, c'est comme un suicide par peur de la mort ». Par ailleurs, suivant la tradition, François-Joseph demanda au pape Pie X de bénir ses armées. Le Saint-Père lui répondit : « je ne bénis que la paix ». Tous les membres du complot furent condamnés à l'emprisonnement, sauf Danilo Ilić, qui fut pendu, étant le seul majeur (en Autriche-Hongrie, la peine de mort ne pouvait être appliquée qu'à des condamnés ayant au moins 21 ans). Čabrinović mourut de la tuberculose en prison. Princip succombe également à une tuberculose contractée dans sa cellule le 28 avril 1918.

Pétain Philippe

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Henri Philippe Benoni Omer Joseph Pétain, couramment nommé Philippe Pétain, né le 24 avril 1856 à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais) et mort le 23 juillet 1951 en internement à Port-Joinville (L'Île-d'Yeu), est un militaire et homme politique français, fait maréchal de France en 1918. En tant que chef militaire, le maréchal Pétain est généralement présenté comme le « vainqueur de Verdun » et comme le chef de l’armée qui jugula la crise du moral et des mutineries de 1917.

Philippe Pétain

Philippe Pétain

Comme dernier chef de gouvernement de la Troisième République, son nom est associé à l’armistice du 22 juin 1940 retirant la France défaite de la guerre contre Hitler. Comme fondateur et chef de l'État du régime de Vichy, il a dirigé la France pendant l'Occupation, du 11 juillet 1940 au 20 août 1944. Il a engagé la Révolution nationale et la collaboration avec l’Allemagne nazie. À 84 ans, en juillet 1940, Philippe Pétain est le chef d'État le plus âgé de l'Histoire de France. Jugé à la Libération pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison par la Haute Cour de Justice, il est, par arrêt du 15  août 1945, frappé d'indignité nationale et condamné à la confiscation de ses biens et à la peine de mort. Il est gracié par le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, sa peine est commuée en prison à perpétuité. Ayant reçu une éducation catholique, il sert la messe comme enfant de chœur durant sa jeunesse.

Impressionné par les récits de son grand-oncle, l'abbé Lefèvre, qui a servi dans la Grande Armée de Napoléon, et très marqué par la guerre de 1870 alors qu’il a 14 ans, il décide d’être soldat. À partir de 1876, il est élève à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion Plewna avec le vicomte Charles de Foucauld, le futur bienheureux et Antoine Manca de Vallombrosa le futur aventurier. Il y entre parmi les derniers (403e sur 412) et en sort en milieu de classement (229e sur 336). Il est affecté à différentes garnisons, mais ne participe à aucune des campagnes coloniales. Lors de l’affaire Dreyfus, le capitaine Pétain ne participe pas à la souscription au fameux « monument Henry », souscription nationale ouverte par le journal antisémite, La Libre Parole, d'Édouard Drumont, au profit de la veuve de l'auteur du faux document, le colonel Henry, responsable de la condamnation inique du capitaine Dreyfus. Ultérieurement, Pétain confiera n’avoir pas cru en la culpabilité de Dreyfus, mais accusera ce dernier de s’être mal défendu, et dira avoir considéré comme normal de le sacrifier à la réputation de l’Armée.

Dans l’ensemble, le militaire Pétain s’occupe fort peu de la vie politique de l’époque, et reste très discret sur ses opinions personnelles. Au contraire de beaucoup de militaires, il ne s’engage à aucun moment, pas plus lors de l’affaire des fiches (1904) que de celle de la séparation des Églises et de l'État en 1905. En 1900, chef de bataillon, il est nommé instructeur à l’École normale de tir du camp de Châlons-sur-Marne, il s’oppose à la doctrine officielle de l'époque qui veut que l'intensité du tir prime la précision et qui privilégie les charges de cavaleries et les attaques à la baïonnette. Il préconise au contraire l'utilisation des canons pour les préparations et les barrages d'artillerie, afin de permettre la progression de l'infanterie, laquelle doit pouvoir tirer précisément sur des cibles individuelles. Le directeur de l'école signale la « puissance de dialectique [...] et l'ardeur [...] » « avec lesquelles il défend des thèses aussi aventurées ». En 1901, il occupe un poste de professeur adjoint à l’École supérieure de guerre de Paris où il se distingue par des idées tactiques originales. Il y retourne de 1904 à 1907 puis de 1908 à 1911 en tant que titulaire de la chaire de tactique de l’infanterie. Il s’élève alors violemment contre le dogme de la défensive prescrit par l’instruction de 1867, « l’offensive seule pouvant conduire à la victoire ». Mais il critique aussi le code d’instruction militaire de 1901 prônant la charge en grandes unités, baïonnette au canon. Les milliers de morts d’août et septembre 1914 lui donneront raison.

Le 20 octobre 1912, il est le premier chef d’unité de celui qui deviendra le général de Gaulle, alors sous-lieutenant. En septembre 1913, amené à commenter la tactique du général Gallet, qui avait fait charger à la baïonnette des nids de mitrailleuses, il dit : « le général vient de nous montrer toutes les erreurs à ne pas commettre ». Ce qui lui vaut l’hostilité de la hiérarchie. Humiliés par la défaite de 1870, les états-majors se montrent volontiers bravaches et revanchards. On y prône l'offensive à outrance. Pétain, lui, préconise la manœuvre, la puissance matérielle, le mouvement, l’initiative : « le feu tue ». Ainsi il déclara à un élève officier : « Accomplissez votre mission coûte que coûte. Faites-vous tuer s'il le faut, mais si vous pouvez remplir votre devoir tout en restant en vie, j'aime mieux cela. »  À 58 ans, en juillet 1914, le colonel Philippe Pétain s’apprêtait à prendre sa retraite après une carrière relativement médiocre, le ministre de la Guerre ayant refusé sa nomination au grade de général. Dès le début de la Première Guerre mondiale, le 3 août 1914, à la tête de la 4e brigade d’infanterie, il se distingue en Belgique. Il est promu général de brigade le 31 août 1914 et commande la 6e division d'infanterie à la tête de laquelle il participe à la bataille de la Marne, puis devient général de division le 14 septembre. Nommé le 20 octobre général commandant de corps d'armée, il prend le commandement du 33e corps et réalise des actions d’éclat tout en se montrant soucieux d’épargner la vie de ses hommes, dont il gagne le cœur.

En juin 1915, il commande la 2e armée. En février 1916, c’est lui qui commande les troupes françaises à la bataille de Verdun, et son charisme n’est pas étranger à l’issue victorieuse du combat, même si la ténacité de ses troupes, comme, par exemple, celle du commandant Raynal au fort de Vaux, en a été le facteur décisif. On notera cependant que sa vision stratégique de la bataille lui a permis de comprendre que le meilleur soldat du monde, s’il n’est pas ravitaillé, évacué en cas de blessure, ou relevé après de durs combats, sera finalement vaincu. Pétain met en place une noria continue de troupes, d’ambulances, de camions de munitions et de ravitaillement sur ce qui va devenir la « voie sacrée ». Comprenant la valeur de l’aviation dans les combats, il crée en mars 1916 la première division de chasse aérienne pour dégager le ciel au-dessus de Verdun. Il réaffirme cette vision dans une instruction de décembre 1917 : « L’aviation doit assurer une protection aérienne de la zone d’action des chars contre l’observation et les bombardements des avions ennemis [...] » Désormais, aux yeux de tous, il est le « vainqueur de Verdun », même si cette appellation sera surtout exploitée plus tard, sous le régime de Vichy.

En 1917, le général Nivelle prend la tête des armées françaises, alors que Joffre n’était que le chef du front du Nord-Est. Le général Pétain est nommé chef d'État-Major général, poste spécialement créé pour lui. Il s’oppose à Nivelle qui est peu économe du sang de ses hommes, et dont l’attitude contraste avec le pragmatisme de Pétain. Cela aboutit à la bataille du Chemin des Dames, à la mi-avril 1917 : 100 000 hommes sont mis hors de combat du côté français en une semaine. Bien que les Français, à défaut de percer, aient tenu, le mécontentement gronde, provoquant des mutineries dans de nombreuses unités. Nivelle est renvoyé et Pétain se trouve être l’homme providentiel pour lui succéder et ramener la confiance des troupes en améliorant les conditions de vie des soldats, en mettant fin aux offensives mal préparées et en faisant condamner les mutins, dont seule une minorité est fusillée malgré les exigences des hommes politiques. En octobre 1917, il reprend le Chemin des Dames aux Allemands, par des offensives plus limitées, ne gaspillant pas la vie des soldats et toutes victorieuses. Certains ont dénié à Pétain le titre mythique de « vainqueur de Verdun » et considèrent cette réputation comme due principalement à sa gestion du moral des combattants, grâce à ses mesures « humaines » et à sa volonté d’éviter les offensives inutiles, plus qu’à ses qualités militaires.

Parmi eux, ont figuré Joffre, Foch et Clemenceau, qui ont reproché à Pétain son pessimisme. Au début de 1918, il est à l’origine du retour de Foch, qui avait été renvoyé avec Nivelle. Il est désormais à l’origine de la coordination de toutes les troupes alliées, dont Foch est le chef suprême. En août 1918 la médaille militaire lui est attribuée : « Soldat dans l’âme, n’a cessé de donner des preuves éclatantes du plus pur esprit du devoir et de haute abnégation. Vient de s’acquérir des titres impérissables à la reconnaissance nationale en brisant la ruée allemande et en la refoulant victorieusement. »  En octobre 1918, il prépare une grande offensive qui aurait mené les troupes franco-américaines jusqu’en Allemagne. Prévue à partir du 13 novembre, elle n’a pas lieu puisque, contre son avis, Foch et Clemenceau ont accepté l’armistice demandé par les Allemands. Après l’armistice, Pétain est élevé à la dignité de maréchal de France le 19 novembre 1918. Il reçoit à Metz son bâton de maréchal le 8 décembre 1918.

En 1919, Pétain est élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Le 14 septembre 1920, âgé de 64 ans, il épouse Eugénie Hardon, âgée de 42 ans, dont il n’eut pas de descendance. Général en chef de l’Armée française (il le reste jusqu’au 9 février 1931), il estime en 1919 à 6 875 le nombre de chars nécessaire à la défense du territoire. Soit 3 075 chars en régiment de première ligne, 3 000 chars en réserve à la disposition du commandant en chef et 800 chars pour le remplacement des unités endommagées. Il écrit: « C’est lourd, mais l’avenir est au maximum d’hommes sous la cuirasse. » De 1919 à 1929, avec l'aide du général Buat, son chef d'État-Major, il s'oppose à la construction de fortifications défensives, préconisant au contraire la constitution d'un puissant corps de bataille mécanisé capable de porter le combat le plus loin possible sur le territoire ennemi dès les premiers jours de la guerre. En juin 1922, il obtient la démission du maréchal Joffre de la présidence de la Commission d'étude de l'organisation de la défense du territoire créée quinze jours plus tôt. En 1925-1926, des troupes françaises sous le commandement de Pétain, en campagne avec une armée espagnole (450 000 hommes au total), dans laquelle se trouve aussi Franco, mènent une campagne contre les forces d’Abd el-Krim, chef de la très jeune République du Rif, au Maroc ; les forces franco-espagnoles sont victorieuses, en partie grâce à l'emploi par les Espagnols d'armes chimiques sur les populations civiles. Abd el-Krim se plaignit à la Société des Nations de l'utilisation par l'aviation française de gaz moutarde sur les douars et les villages.

Lors de la séance du Conseil supérieur de guerre du 15 décembre 1925, il s’oppose à la construction d’une ligne défensive continue, mais pour des môles défensifs sur les voies d’invasion. Puis lors de la séance du 19 mars 1926, contre l’avis de Foch, qui estime que Pétain donne à tort aux chars une importance capitale, il préconise et obtient l’étude de trois prototypes de chars (léger, moyen et lourd). Le 20 juin 1929, il est élu à l’unanimité membre de l’Académie française, au 18e fauteuil, où il succède au maréchal Foch. Il finira par s'incliner et accepter la construction de la ligne Maginot, lorsque André Maginot, alors ministre de la Guerre, déclarera, lors du débat parlementaire du 28 décembre 1929 : « ce n'est pas Pétain qui commande, mais le ministre de la Guerre ».

Le 22 janvier 1931, il est reçu à l'Académie française par Paul Valéry, dont le discours de réception — qui retrace sa biographie — rappelle et développe une phrase sur laquelle insistait Pétain : « le feu tue », et comporte des considérations sur la façon dont « la mitrailleuse a modifié durablement les conditions du combat à terre » et les règles de la stratégie. Le discours rappelle aussi les désaccords, dans le respect mutuel, entre Pétain et Joffre. Le discours de réception du maréchal Pétain est un hommage au maréchal Foch auquel il succède. Le 9 février 1931, il est remplacé par le général Weygand au poste de commandant suprême de l’Armée, et nommé inspecteur général de la défense aérienne du territoire. À ce titre, il écrit le 2 décembre 1931 à Pierre Laval, alors président du Conseil, pour lui demander la création d’une force aérienne puissante de défense et d’attaque, indépendante de l’Armée de terre et de la Marine. Il préconise pour cela de prélever 250 millions de francs sur les crédits alloués à la construction de la ligne Maginot.

Le 9 février 1934, il est nommé ministre de la Guerre dans le gouvernement Doumergue, fonction qu’il occupe jusqu’au renversement du cabinet le 8 novembre 1934. Il va aussitôt mettre toute son énergie et son prestige pour infléchir la politique de réduction du budget de l’Armée. Partisan des chars de combat, il décide dès le 26 mars de l’adoption du char B1 dont il avait fait faire les prototypes pendant son commandement. Le même jour, il décide aussi de l’adoption du char D2 et de l’étude d’un char léger. Soucieux de la formation des officiers supérieurs, il ordonne que tous les postulants à l’École supérieure de guerre effectuent des stages préalables dans des unités de chars et d’aviation. Le 31 mai 1934, convoqué devant la commission des finances, il exprime ses vues sur la fortification et renouvelle ses réserves sur l’efficacité de la ligne Maginot. Il explique ce qu’est pour lui la fortification : le béton est un moyen pour économiser les effectifs, mais l’essentiel reste une armée puissante sans laquelle elle n’est qu’une fausse sécurité. Le but de la fortification est de permettre le regroupement des troupes pour l’offensive ou la contre-offensive. Il aura cette phrase : « la ligne Maginot ne met pas à l’abri d’une pénétration de l’ennemi, si l’armée n’est pas dotée de réserves motorisées aptes à intervenir rapidement. » Il soutient néanmoins le principe de cette ligne. Cependant, selon Robert Aron les conceptions stratégiques qu'il défend à cette époque sont conformes à son expérience de la Grande Guerre ainsi : «  [...] Entre les deux guerres, les conceptions stratégiques qu’il va défendre et imposer à l’Armée française sont encore strictement conformes à son expérience du début de l’autre conflit : il ne croit pas au rôle offensif des tanks ni aux divisions blindées. Il préconise l’édification de la ligne Maginot, derrière laquelle nos combattants de 1939 vont se croire à l’abri et attendrons paisiblement l’offensive allemande, qui se déclenchera ailleurs. ».

Le 15 juin 1934, il obtient le vote d’un crédit supplémentaire de 1,275 milliard de francs pour la modernisation de l’armement. Le 27 octobre 1934, il convainc Louis Germain-Martin, ministre des Finances, de signer le « plan Pétain pour 1935 », qui prévoit la construction de 60 chars lourds, 300 chars moyens et 900 chars légers. La chute du Gouvernement, et le remplacement du maréchal Pétain par le général Maurin, partisan de chars lourds et lents, retarderont la mise en œuvre de ce plan de plusieurs mois. Au moment où il quitte le ministère, Pétain jouit d’une très grande popularité, notamment dans les milieux d’extrême droite. En témoigne en 1935, la célèbre campagne lancée par Gustave Hervé intitulée « C’est Pétain qu’il nous faut ». Sa courte expérience ministérielle le brouille avec le parlementarisme et le conduit à refuser toutes les sollicitations ultérieures. Il participe par la suite au Conseil supérieur de guerre, où il soutient la politique de guerre offensive promu par le colonel de Gaulle, qui fut un temps son « porte-plume », préconisant la concentration de chars dans des divisions blindées. Il écrit dans la Revue des deux mondes du 15 février 1935 : « Il est indispensable que la France possède une couverture rapide, puissante, à base d’avions et de chars [...] ».

Et lors d'une conférence à l’École de Guerre en avril 1935 : « Les unités mécanisées sont capables de donner aux opérations un rythme et une amplitude inconnus jusqu’ici […] L’avion, en portant la destruction jusqu’aux centres vitaux les plus éloignés fait éclater le cadre de la bataille [...] On peut se demander si l’avion ne dictera pas sa loi dans les conflits de l’avenir [...] ». Ainsi que dans la préface d'un ouvrage du général Sikorsky : « Les possibilités des chars sont tellement vastes qu’on peut dire que le char sera peut-être demain l’arme principale. » Le 6 avril 1935, il dit, devant le président Lebrun, dans un discours à l’École supérieure de Guerre : «  Il est nécessaire de tenir le plus grand compte des perspectives ouvertes par l’engin blindé et par l’aviation. L’automobile, grâce à la chenille et à la cuirasse, met la vitesse au service de la puissance [...] La victoire appartiendra à celui qui saura le premier exploiter au maximum les propriétés des engins modernes et combiner leur action. »

À l’instigation des grands chefs militaires (Foch, Joffre), les gouvernements de la fin des années 1920 vont affecter d’importants efforts budgétaires à la construction de lignes de défense. Cette stratégie est symbolisée par la coûteuse, et de surcroît incomplète ligne Maginot qui fut arrêtée à la frontière belge. Winston Churchill, dans son ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale, émet l'avis que l'idée de la ligne Maginot aurait pu être d'une très grande utilité si elle avait été correctement appliquée et qu'elle paraissait justifiée compte tenu, en particulier, du rapport numérique entre les populations de la France et de l'Allemagne. Il juge « extraordinaire qu'elle n'ait été prolongée au moins le long de la Meuse » mais indique : « [...] Mais le maréchal Pétain s'était opposé à cette extension [...]. Il soutenait avec force que l'on devait exclure l'hypothèse d'une invasion par les Ardennes en raison de la nature du terrain. En conséquence, on écarta cette éventualité. » Après le succès de la guerre-éclair menée par les Allemands,

Pétain ne pouvait plus ignorer que la débâcle de 1940 était due aux « grands chefs militaires », dont les autorités gouvernementales n’avaient fait que suivre les orientations stratégiques quand il tenta de faire juger les « responsables » de la défaite, en imputant celle-ci exclusivement aux politiques. Pétain n’avait pas manqué non plus, depuis plusieurs années, d’annoncer comme perdue d’avance une nouvelle guerre contre l’Allemagne, si la France n’effectuait pas le même effort de réarmement mais ce manque de conviction peut également être vu comme ayant empêché la préparation nécessaire de l’Armée française à une guerre qui était pourtant inéluctable. Le 2 mars 1939, Pétain est nommé ambassadeur de France en Espagne. Le 20 mars 1939, il présente ses lettres de créance au général Franco, chef de l’État espagnol, résidant alors à Burgos. Au nom du rapprochement diplomatique de la France avec l’Espagne, il lui incombe de superviser, dans le cadre des accords Bérard-Jordana, le rapatriement à Madrid des réserves d’or de la Banque d’Espagne et des toiles du musée du Prado que l’ancienne République espagnole avait transférées à l’abri en France durant la guerre civile.

Le Gouvernement Pétain

Le Gouvernement Pétain

Le 17 mai 1940, Pétain est nommé vice-président du Conseil dans le gouvernement de Paul ReynaudFranco lui avait conseillé de ne pas accepter d’apporter sa caution à ce gouvernement. Le 14 juin 1940, Paris est occupé par l’Armée allemande. Le Gouvernement, le président de la République et les Assemblées sont alors réfugiés à Bordeaux. Dès son arrivée au Gouvernement et alors que la bataille de France est irrémédiablement perdue, Pétain se fait un des avocats les plus constants de l’armistice auprès du président du Conseil Paul Reynaud. Ainsi, il met plusieurs fois sa démission dans la balance et déclare qu’il n’est aucunement question pour lui de quitter la France pour poursuivre la lutte. Le 16 juin 1940, Paul Reynaud présente la démission du Gouvernement et suggère, suivi en cela par les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, de confier la présidence du Conseil au maréchal Pétain, choix aussitôt approuvé par le président de la République Albert Lebrun. Pétain est alors vu par beaucoup comme l’homme providentiel.

Charles Maurras saluera son arrivée comme une « divine surprise ». Le 17 juin 1940, suivant le conseil énoncé le 12 juin par le général Maxime Weygand, chef d’État-Major des Armées, Pétain annonce son intention de demander l’armistice qui est signé le 22 juin 1940 dans la clairière de Rethondes, après avoir été approuvé par le Conseil des ministres et le président de la République. Son discours radiodiffusé, où il déclare, alors que les négociations ont à peine commencé : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu’il faut cesser le combat », a un effet désastreux sur le moral des troupes et précipite de fait l’effondrement des armées françaises. Du 17 juin à l’entrée en vigueur de l’armistice le 25, les Allemands font ainsi plus de prisonniers que depuis le début de l’offensive le 10 mai. Dans le même discours, Pétain anticipe la création de son propre régime en déclarant qu’il fait « don de sa personne à la France ». Le 20 juin 1940, dans un nouveau discours, il annonce les tractations en vue de l'armistice. Il en détaille les motifs, ainsi que les leçons que, selon lui, il faudra en tirer. Il y fustige « l'esprit de jouissance » : « [...] Depuis la victoire [de 1918], l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur. » Le 25 juin 1940, Pétain annonce les conditions « sévères » de l'armistice et décrit les territoires qui seront sous contrôle allemand. La démobilisation fait partie de ces conditions. Il annonce : « C'est vers l'avenir que désormais nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence [...] ». Les causes de la défaite sont à rechercher selon lui dans l'esprit de relâchement « Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié [...] ».

Le 29 juin 1940, le Gouvernement s’installe à Vichy, en zone non occupée par l’Armée allemande. C’est Pierre Laval qui, résidant à Châteldon, à une trentaine de kilomètres de la cité thermale, avait insisté pour que le Gouvernement s’établisse à Vichy. Cela évitait de chercher refuge à Lyon ou à Toulouse, vieux fiefs du radical-socialisme. De plus, cette ville présentait les avantages d’un réseau téléphonique extrêmement performant et d’une multitude d’hôtels qui furent réquisitionnés pour abriter les différents ministères et les ambassades. Le 10 juillet 1940, une loi, dite « constitutionnelle », votée par les deux Chambres (569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions) réunies en Assemblée nationale au casino de Vichy donne tous les pouvoirs au maréchal Pétain, sans contrôle de l’Assemblée, avec pour mission la promulgation d’une nouvelle Constitution. Celle-ci ne verra jamais le jour. De sorte que l’État français allait rester durant toute sa durée un État provisoire. La constitutionnalité de cette réforme fut contestée pour plusieurs motifs dont le fait que la Constitution ne peut pas être modifiée sous la menace directe d’un ennemi. Mais surtout, la confusion de tous les pouvoirs (constituant, législatif, exécutif et judiciaire) entre les mêmes mains était contraire aux fondements même des lois constitutionnelles de 1875, basées sur une séparation des pouvoirs. Il en résulta un régime anti-démocratique, sans constitution et sans contrôle parlementaire ayant tous les aspects d’une dictature.

Dès le 11 juillet 1940, par trois « actes constitutionnels », Pétain s’autoproclame chef de l’État français et s’arroge tous les pouvoirs. Laval lui dit un jour : « Connaissez-vous, Monsieur le Maréchal, l'étendue de vos pouvoirs ? [...] Ils sont plus grands que ceux de Louis XIV, parce que Louis XIV devait remettre ses édits au Parlement, tandis que vous n'avez pas besoin de soumettre vos actes constitutionnels au Parlement, parce qu'il n'est plus là. », Pétain répondit : « C'est vrai. » Aux traditionnels attributs régaliens (droit de grâce, nominations et révocations des ministres et des hauts fonctionnaires), Pétain ajoute en effet des droits tout à fait inédits, même du temps de la monarchie absolue. Il peut ainsi rédiger et promulguer seul une nouvelle Constitution, il peut désigner son successeur (qui est le vice-président du Conseil), il « a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui [...] » et il « exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres [...] ». Les lois, adoptées de sa seule autorité, sont promulguées sur la formule : « Nous, maréchal de France, le Conseil des ministres entendu, décidons... » Par prudence, par contre, Pétain évite de s’attribuer le droit de déclarer la guerre seul : il doit pour cela consulter les éventuelles assemblées.

Jusqu’en avril 1942, Pétain reste par ailleurs à la fois chef de l’État et chef du gouvernement en titre, Pierre LavalPierre-Étienne Flandin et l'amiral François Darlan n’étant que vice-présidents du Conseil. Il gouverne de manière autoritaire. Ainsi, le 13 décembre 1940, il évince brusquement Pierre Laval du pouvoir, non par désaveu de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie menée par ce dernier, mais par irritation devant sa manière trop indépendante de la conduire. Il est remplacé par Flandin. Parallèlement, Pétain signe la révocation de nombreux maires, préfets et hauts fonctionnaires républicains, dont le préfet d'Eure-et-Loir Jean Moulin. Le maréchal supprime précocement tous les contre-pouvoirs institutionnels à son autorité, et tout ce qui rappelle trop le régime républicain désormais honni. Le mot même de République disparaît. Les libertés publiques sont suspendues, tout comme les partis politiques, à l’exception de ceux des collaborationnistes parisiens, qui subsistent en zone nord. Les centrales syndicales sont dissoutes, les unions départementales subsistantes unifiées dans une organisation corporatiste du travail. La Franc-Maçonnerie est mise hors-la-loi. Toutes les assemblées élues sont mises en sommeil ou supprimées, les Chambres aussi bien que les conseils généraux.

Des milliers de municipalités sont destituées et remplacées par des « Délégations spéciales » nommées par décret du pouvoir central, et dont la présidence revient à des personnalités présentant les garanties exigées du maréchal. Des juridictions d’exception sont mises en place. Dès le 2 août 1940, Vichy fait ainsi condamner à mort par contumace Charles de Gaulle (même si Pétain précise qu'il veillera à ce que la sentence ne soit pas appliquée) puis ses compagnons, qui sont déchus de la nationalité française avec ceux qui les rejoignent. Des procès iniques sont intentés à diverses personnalités républicaines, ainsi à Pierre Mendès France, condamné en juin 1941 à Clermont-Ferrand pour une prétendue « désertion » (l'affaire du Massilia, bateau-piège), avec Jean Zay et quelques autres. À l’automne 1941, grâce à des lois ouvertement antidatées, Vichy envoie à la guillotine plusieurs prisonniers communistes, dont le député Jean Catelas, en représailles à des attentats anti-allemands.

Pétain décrète par ailleurs l’arrestation, dès 1940, de Léon BlumGeorges MandelÉdouard DaladierPaul Reynaud et du général Gamelin. Mais le procès de Riom, qui devait lui servir à faire le procès du Front populaire et de la IIIe République, et à les rendre seuls responsables de la défaite, tourne en avril 1942 à la confusion des accusateurs. Léon Blum notamment sait rappeler la responsabilité propre du haut commandement militaire dans la réduction des crédits militaires en 1934 et dans la stratégie défensive désastreuse fondée sur la ligne Maginot. Le procès est suspendu, et les accusés restent internés avant d’être livrés l’an suivant aux Allemands. Jouant le plus possible sur la réputation du « vainqueur de Verdun », le régime exploite le prestige du maréchal et diffuse un culte de la personnalité omniprésent : les photos du maréchal figurent dans les vitrines de tous les magasins, sur les murs des cités, dans toutes les administrations, ainsi qu’aux murs des classes dans tous les locaux scolaires et dans ceux des organisations de jeunesse. On le retrouve jusque sur les calendriers des PTT. Le visage du chef de l’État apparaît aussi sur les timbres et les pièces de monnaie, tandis que les bustes de Marianne sont retirés des mairies. La Saint-Philippe, chaque 3 mai, est célébrée à l’instar d’une fête nationale. Un hymne à sa gloire, le célèbre Maréchal, nous voilà !, est interprété à dans de nombreuses cérémonies parallèlement à la Marseillaise, et doit être appris à tous les enfants des écoles par les instituteurs. À qui douterait, des affiches péremptoires proclament : « Êtes-vous plus Français que lui ? » ou encore « Connaissez-vous mieux que lui les problèmes de l’heure ? ».

Pétain exige aussi un serment de fidélité des fonctionnaires à sa propre personne. L'acte constitutionnel no 7 du 27 janvier 1941 oblige déjà les secrétaires d'État, les hauts dignitaires, et les hauts fonctionnaires à jurer fidélité au chef de l'État. Après son discours du 12 août 1941 (discours dit du « vent mauvais », où il déplore les contestations croissantes de son autorité et de son gouvernement), Philippe Pétain étend le nombre de fonctionnaires devant lui prêter serment. Les actes constitutionnels no 8 et no 9 du 14 août 1941 concernent respectivement les militaires et les magistrats. Le serment est prêté par tous les juges à l’exception d’un seul, Paul Didier, qui fut aussitôt révoqué et interné au camp de Châteaubriant. Puis c'est l’ensemble des fonctionnaires qui doit jurer fidélité au chef de l'État par l’acte constitutionnel no 10 du 4 octobre 1941. Il concernera donc jusqu'aux policiers et aux postiers. Toute une littérature, relayée par la presse sous contrôle et par maints discours officiels ou particuliers, trouve des accents quasi-idolâtres pour exalter le maréchal comme un sauveur messianique, pour célébrer son « sacrifice », pour le comparer à Jeanne d'Arc ou à Vercingétorix, pour vanter l’allant et la robustesse physique du vieillard, ou encore la beauté de ses célèbres yeux bleus. Un chêne pluricentenaire reçoit son nom en forêt de Tronçais. De nombreuses rues sont débaptisées et prennent son nom sur ordre. Le serment prêté par les titulaires de la Francisque prévoit : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. »

La popularité du maréchal ne repose cependant nullement sur le seul appareil de propagande. L’intéressé sait l’entretenir par de nombreux voyages à travers toute la zone sud, surtout en 1940-1942, où des foules considérables viennent l’acclamer. Il reçoit de nombreux présents de partout ainsi qu'un abondant courrier quotidien, dont des milliers de lettres et de dessins des enfants des écoles. Pétain entretient aussi le contact avec la population par un certain nombre de réceptions à Vichy, ou surtout par ses fréquents discours à la radio. Il sait employer dans ses propos une rhétorique sobre et claire, ainsi qu’une série de formules percutantes, pour faire mieux accepter son autorité absolue et ses idées réactionnaires : « La terre, elle, ne ment pas », « Je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal » (août 1940), « Je vous ai parlé jusqu’ici le langage d’un père, je vous parle à présent le langage d’un chef. Suivez-moi, gardez confiance en la France éternelle » (novembre 1940).

Par ailleurs, de nombreux évêques et hommes d’Église mettent leur autorité morale au service d’un culte ardent du maréchal, salué comme l’homme providentiel. Le 19 novembre 1940, le primat des Gaules, le cardinal Gerlier, proclame ainsi, à la Primatiale Saint-Jean de Lyon, en présence du maréchal : « Car Pétain, c'est la France et la France, aujourd'hui, c'est Pétain ! ». L’Assemblée des cardinaux et archevêques de France, en 1941, assure le chef de l’État de sa « vénération », dans une résolution sans équivalent au XXe siècle. Mais de nombreux Français de tous bords et de toutes croyances communient pareillement dans la confiance au maréchal. Tous les courants politiques sont ainsi représentés dans son gouvernement à Vichy, de la droite le plus réactionnaire à la gauche la plus radicale.

Les collaborationnistes, en général, sont hostiles à Vichy et à la Révolution nationale, qu’ils jugent trop réactionnaires et pas engagés assez loin dans l’appui à l’Allemagne nazie. Cependant, à la suite de Philippe Burrin et Jean-Pierre Azéma, l’historiographie récente insiste davantage sur les passerelles qui existent entre les hommes de Vichy et ceux de Paris. Un ultra-collaborationniste comme le futur chef de la Milice françaiseJoseph Darnand, est ainsi toute l’Occupation un inconditionnel fervent du « Maréchal ». Le chef fasciste français Jacques Doriot proclame quant à lui jusqu’à fin 1941 qu’il est « un homme du Maréchal ». Son rival Marcel Déat a essayé en 1940 de convertir Pétain à son projet de parti unique et de régime totalitaire, s’attirant de ce dernier une fin de non-recevoir (« un parti ne peut pas être unique ») ; déçu, Déat quitte définitivement Vichy et agonit désormais Pétain d’attaques dans son journal L’Œuvre, à tel point que le maréchal, en 1944, se débrouille pour ne jamais contresigner sa nomination comme ministre. D’autres entourent Pétain de leur vénération sans bornes, tels Gaston Bruneton, chargé de l’action sociale auprès des travailleurs (volontaires et forcés) Français en Allemagne en étroite collaboration avec le DAF (Front allemand du travail), ou encore se voient confier des fonctions importantes par Vichy. Ainsi le journaliste pro-hitlérien Fernand de Brinon, qui représente le gouvernement Pétain en zone nord de 1941 à 1944.

Instaurant un régime contre-révolutionnaire et autoritaire, le régime de Vichy veut réaliser une « Révolution nationale », à fortes consonances xénophobes et antisémites, qui rompt avec la tradition républicaine et, instaure un ordre nouveau fondé sur l’autorité, la hiérarchie, le corporatisme, l’inégalité entre les citoyens. Sa devise « Travail, Famille, Patrie » remplace l’ancien triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité ». Dès l’été 1940, un discours du maréchal Pétain prévient que le nouveau régime « ne reposera plus sur l’idée d’égalité entre les hommes ». La Révolution nationale est la priorité de Pétain dont il fait son affaire personnelle, et qu'il encourage par ses discours et ses interventions en Conseil des ministres. Cependant, dès août 1941, il avoue à la radio « la faiblesse des échos qu’ont rencontré » ses projets, parmi la masse de la population. À partir du retour au pouvoir de Laval en avril 1942, la Révolution nationale n’est plus à l’ordre du jour. Comme l’a montré l’historiographie récente depuis Henri Michel, Robert Paxton ou Jean-Pierre Azéma, c’est le désir de pouvoir enfin « redresser » la France à sa façon qui a poussé largement Pétain, en juin 1940, à retirer le pays de la guerre par l’armistice. C’est également lui, qui le pousse à accepter l’entente avec le vainqueur : la Révolution nationale ne peut prospérer que dans une France défaite. Car pour les pétainistes, une victoire alliée signifierait le retour des Juifs, des Francs-Maçons, des républicains et des communistes.

Selon ces historiens, Pétain néglige aussi le péril et la contradiction, qu’il y a à entreprendre ses réformes sous le regard de l’occupant. Cette illusion est d’ailleurs dénoncée dès l’époque par la France libre du général de Gaulle, mais également par nombre de résistants, dont certains avaient pu au départ être tentés par le programme de Pétain, mais qui estiment dangereux de se tromper sur les priorités et vain d'entreprendre des réformes tant que les Allemands ne sont pas chassés du pays. En août 1943, François Valentin, le chef de la Légion française des combattants, nommé à ce poste par Pétain lui-même, rejoint Londres, enregistre et fait diffuser à la BBC un message retentissant dans lequel il y fait son autocritique et dénonce la faute grave du maréchal et de ses fidèles : « On ne reconstruit pas sa maison pendant qu’elle flambe ! ».

Mais si les historiens ont déterminé les intentions de Pétain, ce n'était pas toujours le cas des personnes vivant à l'époque, et si Pétain conduisit par exemple une politique antisémite, ceux qui l'admiraient n'avaient pas forcément de telles idées. Enfin, les « vichysto-résistants » souvent séduits par la Révolution nationale mais hostiles à la collaboration et à l'Occupant furent nombreux. « Grande revanche des minorités », le régime de Pétain entreprend de régler les vieux comptes des anciens vaincus avec la Révolution française, la IIIe République, le Front populaire, le marxisme ou la laïcité. Ce faisant, Pétain aggrave sensiblement les discordes nationales déjà avivées dans les années 1930, et couvre de son autorité un bon nombre de mesures d’exclusion. Dès la troisième semaine de juillet 1940, ainsi, des mesures sont prises pour écarter des fonctionnaires juifs, et une commission fondée pour réviser et annuler des milliers de naturalisations accordées depuis 1927.

En octobre 1940 et sans aucune demande particulière de la part des Allemands, des lois d’exclusion contre les francs-maçons et les Juifs sont promulguées. Ces textes discriminatoires, adoptés à la hâte en octobre 1940 sont durcis le 2 juin 1941 : ils excluent ainsi les Français de « race juive » (déterminée par la religion des grands-parents) de la plupart des fonctions et activités publiques. Des quotas sont fixés pour l’admission des Juifs au Barreau, dans le monde universitaire ou médical. Lors du statut du 2 juin, la liste des métiers interdits s’allonge démesurément. Selon le témoignage du ministre des Affaires étrangères Paul BaudouinPétain a personnellement participé à la rédaction du statut des Juifs et insisté pour qu’ils soient par exemple davantage exclus du milieu médical et de l'enseignement. Dans le même temps par une loi du 29 mars 1941, promulguée par le maréchal, est créé un « Commissariat général aux questions juives ». Auprès du maréchal se pressent des hommes de tous bords, mêlant de façon baroque, au sein de sa « dictature pluraliste », des technocrates modernistes et des révolutionnaires déçus du marxisme aussi bien que des maurrassiens et des réactionnaires. Pétain cependant manifeste personnellement des orientations proches de L’Action française (seul journal qu’il lise quotidiennement) et cite surtout en exemple à ses proches les régimes conservateurs et cléricaux de Salazar et de Franco, qu’il connaît personnellement depuis 1939.

Parallèlement au développement d’un pouvoir centralisé, le maréchal se consacre au « relèvement de la France » : rapatriement des réfugiés, démobilisation, ravitaillement, maintien de l’ordre. Mais loin de se limiter à gérer les affaires courantes et à assurer la survie matérielle des populations, son régime est le seul en Europe à développer un programme de réformes intérieures, indépendant des demandes allemandes. Certaines mesures prises à cette époque ont survécu, comme la création d’un ministère de la Reconstruction, l’unification du permis de construire, la naissance de l’IGN en juillet 1940, l’étatisation des polices municipales en vue de faciliter le contrôle des populations, ou encore une politique familiale, déjà amorcée par la IIIe République finissante et prolongée sous la IVe République. D’autres dispositions sont adoptées : campagne contre l’alcoolisme, interdiction de fumer dans les salles de spectacle, inscription de la fête des Mères au calendrier, pénalisation de l'homosexualité (seulement abrogée en 1981). D’autres encore portent la marque des projets réactionnaires du chef de l’État. De nombreux étrangers supposés « en surnombre dans l’économie française » sont incorporés de force dans des Groupes de travailleurs étrangers (GTE). Les Écoles normales, bastion de l’enseignement laïc et républicain, sont supprimées. Les lois des 11 et 27 octobre 1940 contre l’emploi des femmes en renvoient des milliers au foyer de gré ou de force. Le divorce est rendu nettement plus difficile, et le nombre de poursuites judiciaires et de condamnations pour avortement explose littéralement par rapport à l’entre-deux-guerres. En 1943, Pétain refuse de gracier une avorteuse condamnée à mort, qui est guillotinée. Autre rupture avec la IIIe République, les rapports étroits noués avec les Églises : Pétain, personnellement peu croyant, voit comme Maurras en la religion un facteur d’ordre, et ne manque pas d’assister à chaque messe dominicale à l’église Saint-Louis de Vichy.

Dans l’optique de la « restauration » de la France, le régime de Vichy crée très tôt, sous la direction du général de La Porte du Theil, un fidèle très proche du maréchal Pétain, des camps de formation qui deviendront plus tard les Chantiers de la jeunesse française. L’idée est de réunir toute une classe d’âge (en remplacement du service militaire désormais supprimé), et, à travers une vie au grand air, par des méthodes proches du scoutisme, leur inculquer les valeurs morales du nouveau régime (culte de la hiérarchie, rejet de la ville industrielle corruptrice), ainsi que la vénération à l’égard du chef de l’État. D’autres moyens de contrôle sont également mis en place dans le domaine économique, comme les Comités professionnels d’organisation et de répartition, ayant un pouvoir de juridiction sur leurs membres ou un pouvoir de répartition des matières premières, pouvoir capital en ces temps de restrictions généralisées.

À destination des ouvriers, Pétain prononce le 1er mai 1941 un important discours à Saint-Étienne, où il expose sa volonté de mettre fin à la lutte des classes en prohibant à la fois le capitalisme libéral et la révolution marxiste. Il énonce les principes de la future Charte du travail, promulguée en octobre 1941. Celle-ci interdit à la fois les grèves et le lock-out, instaure le système du syndicat unique et le corporatisme, mais met aussi en place des comités sociaux (préfiguration des comités d'entreprise) et prévoit la notion de salaire minimum. La Charte séduit de nombreux syndicalistes et théoriciens de tous bords (René BelinHubert Lagardelle). Mais elle peine à entrer en application, et ne tarde pas à se briser sur l’hostilité de la classe ouvrière au régime et à ces idées, l’aggravation des pénuries, l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) en septembre 1942, et enfin sur la lutte menée contre elle par les syndicats clandestins de la Résistance intérieure française.

Véritables enfants chéris de Vichy, les paysans passent cependant longtemps pour les vrais bénéficiaires du régime de Pétain. Lui-même propriétaire terrien en sa résidence de Villeneuve-Loubet, le maréchal affirme que « la terre, elle, ne ment pas », et encourage le retour à la Terre - politique soldée sur un échec, moins de 1 500 personnes en quatre ans tentant de suivre ses conseils. La Corporation paysanne est fondée par une loi du 2 décembre 1940. Une partie des membres se détache du régime fin 1943 et lui font aussi servir de base à la création d'un syndicalisme paysan clandestin fin 1943, la Confédération générale de l'agriculture (CGA) qui voit le jour officiellement le 12 octobre 1944, lors de la dissolution de la Corporation paysanne par les autorités et qui se prolongera sous la forme de la FNSEA en 1946.

Développant fréquemment et complaisamment la vision doloriste d’une France « décadente » qui expie maintenant ses « fautes » antérieures, Pétain entretient les Français dans une mentalité de vaincu : « Je ne cesse de me rappeler tous les jours que nous avons été vaincus » (à une délégation, mai 1942), et manifeste un souci particulier pour les soldats prisonniers, images mêmes de la défaite et de la souffrance : « Je pense à eux parce qu’ils souffrent [...] », (Noël 1941). Selon son chef de cabinet, du Moulin de Labarthète, le tiers du temps de travail quotidien du maréchal était consacré aux prisonniers. De ces derniers, Vichy rêvait de faire les propagateurs de la Révolution Nationale à leur retour. Le période consécutive à l’armistice voit aussi la création de la « Légion française des combattants » (LFC), à laquelle sont ensuite agrégés les « Amis de la Légion » et les « Cadets de la Légion ».

Fondée par le très antisémite Xavier Vallat le 29 août 1940, elle est présidée par le maréchal Pétain en personne. Pour Vichy, elle doit servir de fer de lance de la Révolution nationale et du régime. À côté des parades, des cérémonies et de la propagande, les Légionnaires actifs doivent surveiller la population, et dénoncer les déviants et les fautifs de « mauvais esprit ». Au sein de cette légion se constitue un Service d’ordre légionnaire (SOL) qui s’engage immédiatement dans la voie du collaborationnisme. Cet organisme est commandé par Joseph Darnand, héros de la Première Guerre mondiale et de la campagne de 1940, et fervent partisan de Pétain (sollicité en 1941 de joindre la Résistance, il refuse, selon le témoignage de Claude Bourdet, parce que « le Maréchal » ne comprendrait pas). Ce même organisme devient en janvier 1943 la « Milice française ». À la fin de la guerre, alors que Vichy est devenu un régime fantoche aux ordres des Allemands, la Milice qui compte au maximum 30 000 hommes, dont beaucoup d’aventuriers et de droit-communs, participe activement à la lutte contre la Résistance, avec les encouragements publics du maréchal Pétain comme de Pierre Laval, son président officiel. Haïe de la population, la Milice perpètre régulièrement délations, tortures, rafles, exécutions sommaires, qui se mêlent à d’innombrables vols, viols, voies de faits sur la voie publics ou contre des fonctionnaires. Pétain attend le 6 août 1944 pour les désavouer dans une note à Darnand, trop tardivement pour que ce dernier soit dupe. « Pendant quatre ans », rappellera Darnand dans sa réponse caustique au maréchal, « vous m’avez encouragé au nom du bien de la France, et maintenant que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l’Histoire de France. On aurait pu s’y prendre avant ! »

Sur le plan de la politique extérieure, Pétain a retiré d’emblée le pays du conflit mondial en cours, et affecte de croire que ce dernier ne concerne plus du tout la France. S’il refuse jusqu’au bout toute rentrée dans la guerre aux côtés d’un des deux camps, il ne refuse pourtant pas le combat contre les alliés chaque fois qu'il en a l'occasion et annonce dès octobre 1940, son intention de reprendre par la force les territoires sous autorité de la France libre. Il pratique donc une « neutralité dissymétrique » qui bénéficie aux Allemands. Il choisit en effet de s’entendre avec le vainqueur et imagine que la France, avec son Empire colonial, sa flotte et sa bonne volonté à coopérer, peut obtenir une bonne place dans une Europe durablement allemande. Ceci démontre une naïveté certaine de la part de Pétain : en effet, dans l’idéologie nazie, la France était l’ennemie irréductible de l’Allemagne, elle devait être écrasée et ne pouvait en aucun cas bénéficier d’une quelconque place privilégiée à ses côtés. Le calcul de Vichy était donc dès l’origine voué à l’échec.

Il est bien établi, depuis les travaux d'Eberhard Jäckel et surtout de Robert Paxton, que Pétain a activement recherché et poursuivi cette collaboration avec l’Allemagne nazie. Elle ne lui a pas été imposée. Moins intéressé par la politique extérieure que par la Révolution nationale, sa vraie priorité, Pétain laisse Darlan et Laval mettre en œuvre les volets concrets de la collaboration d’État. Mais l’une est en réalité le revers de l’autre, selon les constats concordants de l’historiographie contemporaine : les réformes vichystes n’ont pu se mettre en place qu’en profitant du retrait de la France de la guerre, et elles ne sauraient survivre à une victoire alliée. Par ailleurs, le « mythe Pétain » est indispensable pour faire accepter à bien des Français la collaboration. Le prestige du vainqueur de Verdun, son pouvoir légal sinon légitime, brouillent en effet dans les consciences en désarroi la perception des devoirs et des priorités. Après avoir affecté pendant trois mois de rester neutre dans le conflit en cours entre l’Axe et le Royaume-Uni, Pétain engage personnellement et officiellement, par son discours radiodiffusé du 30 octobre 1940, le régime de Vichy dans la collaboration, suite à l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940, durant laquelle il rencontra Hitler.

Cette « poignée de main de Montoire », sera par la suite largement diffusée aux actualités cinématographiques, et exploitée par la propagande allemande. Certes, l’armistice avait permis, en un premier temps, de limiter l’occupation allemande à la moitié nord et ouest du territoire. Mais l’autonomie de la zone sud est toute relative, car Pétain, avec ou sans discussion préliminaire, plie le plus souvent devant les exigences des autorités allemandes, quand son gouvernement ne va pas spontanément au devant de celles-ci. Cette collaboration d’État entraîne plusieurs conséquences. Le maréchal, alors que son prestige reste immense, s’interdit de protester, au moins publiquement, contre les exactions de l’occupant et de ses auxiliaires français ou contre l’annexion de fait, contraire à la convention d’armistice, de l’Alsace et de la Moselle. Aux parlementaires des trois départements, qu’il reçoit le 4 septembre 1942 alors que commence l’incorporation massive et illégale des malgré-nous dans la Wehrmacht, il ne conseille que la résignation. La veille, il avait fait remettre par Laval une protestation officielle, qui resta sans suite. Lors de l’exécution en octobre 1941 des otages français à Châteaubriant, qui soulève l’indignation générale, Pétain a des velléités secrètes de se constituer lui-même comme otage à la Ligne de démarcation, mais son ministre Pierre Pucheu l’en dissuade vite au nom de la politique de collaboration, et le maréchal ne fait finalement de discours que pour blâmer les auteurs d’attentats et appeler les Français à les dénoncer.

Au printemps 1944 encore, il ne condamne jamais les déportations, les rafles et les massacres quasi-quotidiens, se taisant par exemple sur le massacre d'Ascq. Par contre, il ne manque pas de dénoncer « les crimes terroristes » de la Résistance ou les bombardements alliés sur les objectifs civils. Il encourage les membres de la Légion des volontaires français (LVF) qui combattent en URSS sous l’uniforme allemand, leur garantissant dans un message public qu’ils détiennent « une part de notre honneur militaire ». En 1941, Darlan, dauphin désigné du maréchal, frôle la cobelligérance avec l’Allemagne de Hitler lorsqu’il fait mettre les aérodromes de Syrie et de Liban à la disposition de l’aviation allemande. En avril 1942, sous la pression allemande, mais aussi parce qu’il est déçu des maigres résultats de Darlan, Pétain accepte le retour au pouvoir de Pierre Laval, désormais doté du titre de « chef du gouvernement ».

Contrairement aux légendes d’après-guerre, il n’existe pas de différence en politique extérieure entre un « Vichy de Pétain » et un « Vichy de Laval », comme l’ont cru André Siegfried, Robert Aron ou Jacques Isorni, et comme l’a démenti toute l’historiographie contemporaine depuis Robert Paxton. S’il n’a aucune affection personnelle pour Laval, le maréchal couvre sa politique de son autorité et de son charisme, et approuve ses orientations en Conseil des ministres. En juin 1942, devant une délégation de visiteurs à Vichy, Pétain tient des propos largement répercutés, assurant qu’il est « main dans la main » avec Laval, que les ordres de ce dernier sont « comme les [siens] » et que tous lui doivent obéissance « comme à [lui-même] ». Lors du procès de PétainLaval déclarera sans ambiguïté qu’il n’agissait qu’après en avoir déféré au maréchal : tous ses actes avaient été approuvés préalablement par le chef de l’État.

Le 22 juin 1942, Laval prononce un discours retentissant dans lequel il déclare qu’il « souhaite la victoire de l’Allemagne. » Pétain, à qui il a consenti à montrer préalablement le texte à la demande de ses conseillers effarés, n’a pas élevé d’objection. Du moment que selon le maréchal, un civil n’a pas à faire de pronostic militaire, il s’est contenté de lui faire changer un « Je crois » initial en un « Je souhaite » encore plus mal ressenti des Français. Lorsque Laval informe, fin juin 1942, le Conseil des ministres de la prochaine mise en œuvre de la rafle du Vélodrome d'Hiver, le procès-verbal conservé, montre Pétain approuvant comme « juste » la livraison de milliers de Juifs étrangers aux nazis. Puis le 26 août 1942, la zone sud devint le seul territoire de toute l’Europe d’où des Juifs, souvent internés par Vichy depuis 1940 dans les très durs camps de Gurs, Noé, Rivesaltes), furent envoyés à la mort alors même qu’aucun soldat allemand n’était présent.

Personnellement antisémite, Pétain s’est opposé en mai 1942 à l’introduction en zone Sud du port obligatoire de l’étoile jaune, mais il n’a pas protesté contre son introduction en zone nord, et en zone sud son gouvernement fait apposer le tampon « Juif » sur les papiers d’identité à partir de fin 1942. En août 1943, comme les Allemands pressent Vichy de retirer en bloc la nationalité française aux Juifs, ce qui aurait favorisé leur déportation, le nonce le fait prévenir discrètement que « le pape s’inquiète pour l’âme du Maréchal », ce qui impressionne le vieil homme et contribue à l’échec du projet. En tout, 76 000 Juifs parmi lesquels 11 000 enfants, non réclamés au départ par les Allemands, ont été déportés de France sous l’Occupation, à 80 % après avoir été arrêtés par la police du maréchal. Un tiers avait la nationalité française. Seuls 3 % survivront aux déportations dans les camps de concentration. À ce sujet, l'historien André Kaspi écrit : « Tant que la zone libre n'est pas occupée, on y respire mieux [pour les Juifs] que dans la zone Nord. Qui le nierait ? Surtout pas ceux qui ont vécu cette triste période.

De là cette conclusion : Vichy a sacrifié les Juifs étrangers pour mieux protéger les Juifs français, mais sans Pétain, les Juifs de France auraient subi le même sort que ceux de Belgique, des Pays-Bas ou de Pologne. Pendant deux ans, ils ont d'une certaine manière bénéficié de l'existence de l'État français. » En août 1942, un télégramme signé Pétain félicite Hitler d’avoir fait échec à la tentative de débarquement allié à Dieppe. Le 4 septembre 1942, Pétain promulgue la première loi fondant le Service du travail obligatoire. Complété par celle du 16 février 1943, le STO permet en une dizaine de mois le départ forcé de plus de 600 000 travailleurs en Allemagne. Ce sont les seuls de toute l’Europe à avoir été requis non par ordonnance allemande, mais par les lois et les autorités de leur propre pays. Lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, au Maroc, à Oran et dans le port d'Alger, Pétain donne officiellement l’ordre de les combattre, en déclarant : « La France et son honneur sont en jeu. Nous sommes attaqués. Nous nous défendons. C'est l'ordre que je donne. » L'existence même de Vichy est alors en cause : si les forces de Vichy ne résistent pas à l'invasion alliée, les Allemands envahiront inéluctablement la France non occupée et le reste de l'Afrique du Nord. Pendant quelques jours, les Alliés doivent donc faire face à une authentique résistance de la part de l'Armée de Vichy, obéissant aux ordres de ses chefs.

En réaction à ce débarquement, le 11 novembre, violant la convention d’armistice, les Allemands envahissent la zone sud. Pétain refuse à plusieurs proches conseillers de gagner l’Afrique du Nord, d’ordonner à la flotte de Toulon d’appareiller, de replacer la France dans le camp des Alliés. Pour justifier sa décision, il va en privé jusqu’à invoquer que son médecin lui a déconseillé de prendre l’avion… Il veut surtout pouvoir continuer à « servir d'écran entre le peuple de France et l'occupant ». Il proteste contre cette invasion par une déclaration plusieurs fois diffusée sur les ondes. En fait, soulignent Robert Paxton et R. Franck, il reste fidèle à son choix de 1940 associant étroitement retrait de la guerre, collaboration et Révolution nationale. Sa décision déçoit d’innombrables Français qui croyaient encore en un hypothétique « double-jeu » secret du maréchal et s’imaginaient qu’il souhaitait en secret préparer la reprise de la lutte et la revanche contre l’ennemi. Nombre d’entre eux se détachent du régime de Vichy tout en conservant généralement leur respect pour la personne du maréchal Pétain, et vont parfois gonfler les rangs clandestins des « vichysto-résistants » inspirés notamment par les généraux Giraud et de Lattre de Tassigny. La dissidence de la plus grande partie de l’Empire, la fin de la « zone libre » le sabordage de la Flotte Française à Toulon, le 27 novembre 1942, la dissolution de l’Armée d’armistice font perdre à Vichy ses derniers atouts face aux Allemands. En maintenant sa politique de collaboration, Pétain perd beaucoup de la popularité dont il jouissait depuis 1940 et la Résistance s’intensifie malgré le durcissement de la répression.

Pétain fait officiellement déchoir de la nationalité française et condamner à mort ses anciens fidèles Darlan et Giraud, qui sont passés au camp allié en Afrique du Nord. Il ne proteste à aucun moment lorsque fin 1942, puis à nouveau à l’automne 1943, une vague d’arrestations frappe son propre entourage et écarte de lui un nombre important de conseillers et de fidèles dont WeygandLucien Romier ou Paul de La Porte du Theil, emmené en Allemagne. Il consent des délégations croissantes de pouvoirs à Pierre Laval, redevenu son dauphin, qui place ses fidèles à tous les postes-clés et qui obtient de lui, à partir du 26 novembre 1942, de signer seuls les lois et les décrets. Fin 1943, voyant le sort de l’Axe scellé, Pétain tente de jouer en France le rôle du maréchal Badoglio en Italie, lequel en septembre 1943, après avoir longtemps servi le fascisme, a fait passer le pays du côté allié. Pétain espère ainsi qu’un nouveau gouvernement moins compromis aux yeux des Américains, doté d’une nouvelle constitution, pourra au « jour J » écarter de Gaulle du jeu et négocier avec les libérateurs l’impunité de Vichy et la ratification de ses actes.

Le 12 novembre 1943, alors que Pétain s'apprête à prononcer le lendemain un discours radiodiffusé par lequel il annoncerait à la nation une révision constitutionnelle stipulant qu'il revient à l'Assemblée nationale de désigner son successeur, ce qui aurait remis en cause le statut officiel de dauphin de Laval, les Allemands par l'intermédiaire du consul général Krugg von Nidda, bloquent ce projet. Après six semaines de « grève du pouvoir », Pétain se soumet. Il accroît encore les pouvoirs de Laval tout en acceptant la fascisation progressive de son régime par l’entrée au gouvernement de Joseph DarnandPhilippe Henriot et Marcel Déat. Dans les derniers mois de l’Occupation, Pétain affecte désormais d’être un simple « prisonnier » des Allemands, tout en continuant à couvrir en fait de son autorité et de son silence la collaboration qui se poursuit jusqu’au bout, ainsi que les atrocités de l’ennemi et de la Milice française. En août 1944, il songe à se livrer au maquis d’Auvergne du colonel Gaspard, et tente de déléguer l’amiral Auphan auprès de De Gaulle pour lui transmettre régulièrement le pouvoir sous réserve que le nouveau gouvernement reconnaisse la légitimité de Vichy et de ses actes. « Aucune réponse ne fut donnée à ce monument de candeur ».

Cecil von Renthe-Fink

Le 17 août 1944, les Allemands, en la personne de Cecil von Renthe-Fink, ministre délégué, demandent à Pétain de se laisser transférer en zone nord. Celui-ci refuse et demande une formulation écrite de cette demande. Von Renthe-Fink renouvelle sa requête par deux fois le 18, puis revient le 19, à 11 h 30, accompagné du général von Neubroon qui lui indique qu'il a des « ordres formels de Berlin ».

Le texte écrit est soumis à Pétain : « Le gouvernement du Reich donne instruction d’opérer le transfert du chef de l’État, même contre sa volonté. » Devant le refus renouvelé du maréchal, les Allemands menacent de faire intervenir la Wehrmacht pour bombarder Vichy.

Après avoir pris à témoin le ministre de Suisse, Walter Stucki, du chantage dont il est l’objet, Pétain se soumet, et « [...] lorsque à 19 h 30 Renthe-Fink entre dans le bureau du Maréchal avec le général von Neubronn, le chef de l’État est en train de surveiller le confection de ses valises et de ranger ses papiers. » Le lendemain, 20 août 1944, il est emmené contre son gré par l'Armée allemande à Belfort puis, le 8 septembre, à Sigmaringen en Allemagne, où s’étaient réfugiés les dignitaires de son régime. Plutôt que de démissionner, il entretient, dans une lettre aux Français la fiction selon laquelle « je suis et demeure moralement votre chef. »

À Sigmaringen, Pétain refuse d’exercer encore ses fonctions et de participer aux activités de la commission gouvernementale présidée par Fernand de Brinon. Il se cloître dans ses appartements, tout en préparant sa défense. Le 23 avril 1945, après avoir obtenu des Allemands qu'ils le conduisent en Suisse, et des Suisses qu'ils l'acceptent sur leur territoire, Pétain demande à regagner la France. Par l'intermédiaire de l'ambassadeur Karl Burckhardt, le Gouvernement suisse transmet cette requête au général de Gaulle. Le Gouvernement provisoire de la République décide de ne pas s'y opposer. Le 24 avril, les autorités suisses lui font rejoindre la frontière puis il est remis aux autorités françaises le 26 avril. Le général Kœnig est chargé de le prendre en charge à Vallorbe. Le maréchal est ensuite interné au fort de Montrouge.

Le Maréchal Pétain lors de son procès

Le Maréchal Pétain lors de son procès

Le procès du maréchal Pétain débute le 23 juillet 1945 devant la Haute Cour de justice créée le 18 novembre 1944. Le tribunal est présidé par Paul Mongibeaux, premier président de la Cour de cassation, assisté du premier président de la chambre criminelle à la Cour de cassation Donat-Guigne, et Picard, premier président de la Cour d'appel. Le jury de vingt-quatre personnes est constitué de douze parlementaires et de douze non-parlementaires issus de la Résistance. Ce jury est choisi dans deux listes, la première étant celle de cinquante parlementaires n'ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, la deuxième étant composée de personnalités de la Résistance ou proches d'elle. La défense use de son droit de récusation pour quelques noms sortant du tirage au sort.

Défendu par Jacques Isorni, Jean Lemaire et le bâtonnier Fernand Payen, Philippe Pétain déclare le premier jour qu’il avait toujours été un allié caché du général de Gaulle et qu’il n’était responsable que devant la France et les Français qui l’avaient désigné et non devant la Haute Cour de justice. Dans ces conditions, il ne répondra pas aux questions qui lui seront posées. Viennent déposer de nombreuses personnalités en tant que témoins soit à charge : Édouard DaladierPaul ReynaudLéon BlumPierre Laval, soit à décharge : le général Weygand, le pasteur Boegner. Le procès s’achève le 15 août 1945 à l’aube. La cour déclare Pétain coupable, notamment, d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison. Elle le condamne à mort, à la dégradation nationale à la confiscation de ses biens, assortissant toutefois ces condamnations du vœu de non-exécution de la sentence de mort, en raison de son grand âge. La condamnation a été voté à une voix de majorité.

Le verdict de la Haute Cour de justice frappe d'indignité nationale Philippe Pétain, ce qui implique « la perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations », de facto il est déchu de son titre (de sa « dignité ») de maréchal de France. À la fin du procès, il se dépouille de son uniforme  avant d'être incarcéré. La mention du titre sur l'acte de décès est une liberté prise par un agent de l'état-civil qui n'engage aucune institution officielle. Il convient donc, comme le font les historiens d'aujourd'hui, de le nommer simplement « Philippe Pétain », en particulier pour la période qui suit sa condamnation du 15 août 1945. On rencontre aussi la dénomination « ex-maréchal Pétain ».

Cependant la décision judiciaire qui le frappe d'indignité nationale interprétée stricto sensu comme « lui retirant son rang dans les forces armées et son droit à porter ses décorations », le titre de maréchal de France étant une distinction, et non un grade, décernée, non pas par un décret, mais par une loi votée au Parlement, peut permettre de considérer que cette décision de justice ne peut annuler une mesure législative. Accomplissant le vœu de la Haute Cour de justice, le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, commue la sentence de mort en peine de réclusion à perpétuité le 17 août 1945. Compte tenu de la peine de dégradation nationale (article 21 de l'ordonnance du 26 décembre 1944), le maréchal Pétain est exclu automatiquement de l'Académie française (l'ordonnance prévoit l'exclusion de l'Institut). Toutefois, celle-ci s’abstient d’élire un remplaçant de son vivant au 18e fauteuil, égard auquel a également eu droit Charles Maurras (tandis qu’Abel Bonnard et Abel Hermant sont remplacés dès 1946).

Philippe Pétain est emprisonné au fort du Portalet, dans les Pyrénées, du 15 août au 16 novembre 1945, puis transféré au fort de la Citadelle sur L'Île-d'Yeu (Vendée). Son épouse installée à son tour dans l’île, bénéficie d’un droit de visite quotidien. La santé du maréchal Pétain décline à partir du début de l’année 1951, les moments de lucidité devenant de plus en plus rares. Eu égard à cette situation, le Conseil supérieur de la magistrature, présidé par Vincent Auriol, président de la République, en vue d’adoucir une fin prévisible, autorise le 8 juin 1951 « l’élargissement » du prisonnier et son assignation à résidence « dans un établissement hospitalier ou tout autre lieu pouvant avoir ce caractère ». Le transfert dans une maison privée de Port-Joinville a lieu le 29 juin 1951, où Philippe Pétain meurt le 23 juillet 1951. Il est inhumé le surlendemain dans le cimetière marin de l’île d’Yeu.

Payen FernandAu procès Pétain, l’avocat Jacques Isorni avec ses confrères Jean Lemaire et le bâtonnier Fernand Payen lance la légende du « détournement de vieillard » : Pétain aurait été abusé par Pierre Laval qui aurait profité de son grand âge. Sous la IVe République, le RPF gaulliste emploie la fameuse phrase de Charles de Gaulle dans ses mémoires : « la vieillesse est un naufrage », « la tragédie est que le Maréchal est mort en 1925 et que personne ne s’en est aperçu ». L’historien Éric Roussel, entre autres, a montré que ce jugement gaullien n’explique en rien les choix du chef de l’État français, et qu’il n’a en réalité qu’une finalité électorale : pour rallier le plus possible de voix contre le « régime des partis » honni, les gaullistes doivent rallier les ex-pétainistes sans se déjuger de leur action dans la Résistance, d’où cette excuse commode de Pétain par l’âge de l’intéressé.

En réalité, comme le montrent Marc Ferro, Jean-Pierre Azéma ou François Bédarida, les choix de Pétain étaient parfaitement cohérents et bénéficiaient d’appuis dans les milieux les plus divers de la société. Yves Durand souligne qu’il bâtissait son régime comme s’il avait du temps devant lui, sans se soucier de la possibilité de sa disparition prochaine. Quant aux fameuses « absences du Maréchal » rapportées par Jean-Raymond Tournoux, Marc Ferro ou Jean-Paul Brunet (il se mettait à disserter soudain sur le menu du jour ou le temps dehors face à des visiteurs), il s’agissait surtout d’une tactique pour éluder les questions gênantes en jouant du respect qu’inspirait sa qualité d’octogénaire.

Le journaliste Robert Aron, aurait contribué, selon Robert Paxton, à lancer la légende parallèle de « l’épée et du bouclier » : Pétain aurait tenté de résister pied à pied aux demandes allemandes, et secrètement cherché à aider les Alliés, pendant que de Gaulle préparait la revanche ; d’autre part, il y aurait un « Vichy de Pétain » opposé au « Vichy de Laval ». Cheval de bataille des apologistes de la mémoire de Pétain, ces distinctions ont volé en éclats à partir de la parution de son livre La France de Vichy en 1973. Archives allemandes puis françaises à l’appui, les historiens actuels démontrent, à sa suite, que la collaboration a été recherchée par Pétain, alors qu'Adolf Hitler n’y croyait pas et n’a jamais voulu traiter la France en partenaire. Si la collaboration n’est pas allée aussi loin qu’elle aurait pu, c’est bien en raison des réticences de Hitler, et non grâce à une quelconque résistance de Pétain aux demandes de l’occupant. Ainsi, la collaboration répondait aux choix fondamentaux et intangibles de Pétain comme de Laval, que le maréchal a nommé et laissé agir en aidant son gouvernement de son charisme. Quant au fameux « double jeu » du maréchal, il n’a jamais existé. Les quelques sondages informels qu’il a autorisés avec Londres, fin 1940, n’ont eu aucune suite, et ne pèsent rien au regard de son maintien constant de la collaboration d’État jusqu’à la fin de son régime, à l’été 1944.

Loin d’avoir protégé les Français, selon les historiens, Pétain a accru leurs souffrances en permettant aux Allemands de réaliser à moindres frais leurs objectifs : livraisons de Juifs dans le cadre de la Shoah, répression de la Résistance, envoi forcé de main-d’œuvre au STO, pillage alimentaire et économique. Avec son peu de troupes, de fonctionnaires et de policiers, jamais l’occupant n’aurait vu ses projets aboutir sans le concours indispensable des autorités de Vichy, et sans le prestige de Pétain, qui maintenait les Français dans le doute ou dans la conviction qu’ils faisaient leur devoir en collaborant. 80 % des 76 000 Juifs de France déportés et exterminés par les nazis dans les camps de la mort ont ainsi été arrêtés par la police française. La France a, par ailleurs, été le pays le plus pillé d’Europe occupée, et l’un des premiers fournisseurs de main-d’œuvre et de tributs financiers et alimentaires au Troisième Reich.

De plus, en excluant de sa propre initiative des catégories entières de la communauté nationale (Juifs, communistes, républicains, francs-maçons, et bien sûr résistants), Pétain les a rendu plus vulnérables à la répression allemande, et a écarté d’emblée ces catégories de son hypothétique protection, tout comme les Alsaciens-Mosellans, abandonnés.

Aussi Pétain apparaît-il aujourd’hui aux historiens, selon le mot de Jean-Pierre Azéma, comme « un bouclier percé ».

Depuis 1945, huit demandes en révision du procès Pétain ont été rejetées, ainsi que la demande répétée du transfert de ses cendres à Douaumont. Dans une note à Alexandre Sanguinetti, le 4 mai 1966, le général de Gaulle, alors président de la République, signifia ainsi sa position sur cette question :

« Les signataires de la « pétition » relative au « transfert » des restes de Pétain à Douaumont n'ont aucunement été mandatés par les 800 000 anciens combattants pour s'emparer de cette question politique. Ils ne sont mandatés que pour faire valoir les intérêts spécifiques de leurs associations. Le leur dire »

En 1995, le président Jacques Chirac reconnut officiellement la responsabilité de l’État dans la rafle du Vélodrome d'Hiver et, en 2006, pour les 90 ans de la bataille de Verdun, son discours mentionna à la fois le rôle de Pétain dans la bataille et ses choix désastreux de la Seconde Guerre mondiale. C’est l’ultime avatar, à l’heure actuelle, de la volonté de la France et des Français de « regarder en face » un des personnages les plus énigmatiques et les plus controversés de leur histoire récente.

Une longue bataille judiciaire a eu lieu d'octobre 1984 à septembre 1998 au sujet de la mémoire du maréchal Pétain. Jacques Isorni et François Lehideux avaient fait paraître le 13 juillet 1984 dans le quotidien Le Monde un encart publicitaire intitulé « Français, vous avez la mémoire courte », dans lequel, au nom de l'Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain et l'Association nationale Pétain-Verdun, ils prenaient sa défense. À la suite d'une plainte déposée par l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance pour apologie de crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi, le procureur de la République prit un réquisitoire définitif de non-lieu le 29 mai 1985, mais le juge d'instruction renvoya, une semaine plus tard, les parties devant le tribunal correctionnel de Paris, qui relaxa les prévenus le 27 juin 1986 — jugement confirmé par la Cour d'appel de Paris le 8 juillet 1987. L'arrêt de la Cour d'appel fut cassé par la Cour de cassation le 20 décembre 1988. La Cour d'appel de Paris se déjugea le 26 janvier 1990 en déclarant les constitutions de parties civiles recevables ; elle infirma le jugement de relaxe, et condamna les prévenus à un franc de dommages et intérêts et à la publication de l'arrêt dans Le Monde. Le pourvoi en cassation déposé par les prévenus fut rejeté par la Cour le 16 novembre 1993.

Enfin, le 23 septembre 1998 (par l'arrêt Lehideux et Isorni contre France) la Cour européenne des droits de l'homme décida par quinze voix contre six qu'il y avait eu violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme — portant sur la liberté d'expression : l'opinion majoritaire chez les juges fut qu'il devait être possible de présenter un personnage, quel qu'il soit, sous un jour favorable et de promouvoir sa réhabilitation — au besoin en passant sous silence les faits qui peuvent lui être reprochés — et que la condamnation pénale subie en France par les requérants était disproportionnée.

Le point de vue de Charles de Gaulle : « Toute la carrière de cet homme d’exception avait été un long effort de refoulement. Trop fier pour l’intrigue, trop fort pour la médiocrité, trop ambitieux pour être arriviste, il nourrissait en sa solitude une passion de dominer, longuement durcie par la conscience de sa propre valeur, les traverses rencontrées, le mépris qu’il avait des autres. La gloire militaire lui avait, jadis, prodigué ses caresses amères. Mais elle ne l’avait pas comblé, faute de l’avoir aimé seul. Et voici que, tout à coup, dans l’extrême hiver de sa vie, les événements offraient à ses dons et à son orgueil l’occasion tant attendue de s’épanouir sans limites, à une condition, toutefois, c’est qu’il acceptât le désastre comme pavois de son élévation et le décorât de sa gloire [...] Malgré tout, je suis convaincu qu’en d’autres temps, le maréchal Pétain n’aurait pas consenti à revêtir la pourpre dans l’abandon national. Je suis sûr, en tout cas, qu’aussi longtemps qu’il fut lui-même, il eût repris la route de la guerre dès qu’il put voir qu’il s’était trompé, que la victoire demeurait possible, que la France y aurait sa part. Mais, hélas ! Les années, par-dessous l’enveloppe, avaient rongé son caractère. L’âge le livrait aux manœuvres de gens habiles à se couvrir de sa majestueuse lassitude. La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France. » — Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, l’Appel, 1940-1942.

Procés Pétain

Mémoires de Guerre - Introduction

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L'ancienne confrontation entre "histoire" et "mémoire", naguère dominée par l'opposition entre Lavisse et Péguy, a resurgi dans le débat historiographique et civique depuis vingt ans. La mémoire est devenue un objet d'histoire ; il n'appartient donc pas à l'Assemblée nationale de décider si le massacre des Arméniens est un génocide. Cette tâche incombe aux historiens. Il existe donc un devoir d'histoire qui respecte les règles du métier d'historien et qui se distingue du devoir de mémoire. La présence de cette mémoire à des effets induits en classe, elle fait partie de nos sociétés, c'est un fait d'histoire, un fait réel mais elle soulève aussi la question des commémorations. N'y a t-il pas danger à multiplier les commémorations ?

Mémoires de Guerre - Introduction

Histoire et mémoire

Comme le précise Krzysztof Pomian , "le droit à l'histoire est en train de devenir dans nos sociétés démocratiques l'un des droits du citoyen. Cela se voit surtout, pour des raisons évidentes, dans l'histoire du temps présent ".

En effet, on constate un temps de remémorations massives, largement médiatisées, issues de pressions diverses, qui ne favorisent pas le travail de deuil, dévalorisent l'oubli et le pardon, contribuent à l'inverse à la promotion de communautarismes "identitaires", sociaux ou géographiques, dont l'affirmation et la promotion mémorielles peuvent contribuer à distendre le lien social. Ces commémorations à répétition, ce "devoir de mémoire" vont donc à l'encontre du but recherché, que nous croyions si utile naguère d'exposer en classe. Sur ce sujet, Paul Ricoeur écrit : "Je reste troublé par l'inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence des commémorations et des abus de mémoire et d'oubli. "

Krzysztof Pomian écrit que "rien n'interdit, en effet, d'admettre que la mémoire est devenue l'une des provinces de l'histoire, tout en reconnaissant qu'elle ne saurait aucunement être enfermée dans ces limites". En effet, l'histoire "n'a pas pour but de célébrer telle ou telle mémoire particulière ni de ressusciter ce qui s'est passé, mais de faire comprendre, dans toute leur complexité, les rapports qui unissent ou divisent…"

Ces commémorations obligatoires représentent un vrai danger car "elles ont envahi le travail de l'historien jusqu'à l'asservir tout entier" et par ricochet le travail du professeur d'histoire et géographie. Le danger est celui d'une histoire à pilotage mémoriel, la pression de la mémoire pouvant contribuer à rompre la chaîne argumentative et paradoxalement à disloquer un peu plus la temporalité.

Il faudra donc faire demain une histoire de la mémoire, en suivant les règles élémentaires du métier d'historien et proposer en classe une historisation pas à pas de la mémoire. D'où la difficulté de fond qui nous assaille aujourd'hui : comment intégrer mémoire et commémorations au corpus historique à transmettre aux élèves ? En attendant, il importe de mieux maîtriser le rapport entre "un devoir de mémoire" socialement et culturellement acquis en ce début du XXIème siècle et un "devoir d'intelligence" qui est au cœur de nos enseignements et de toute éducation.

Deux pistes de réflexion s'ouvrent à nous. D'une part, réfléchir à la notion d'événement, qui devient beaucoup trop aujourd'hui une sorte de valeur-refuge outrageusement médiatisée et sur laquelle l'analyse des suites inlassablement réactualisées (voir le premier anniversaire du 11 septembre 2001) l'emporte sur celles des causes et des effets historiques ; d'autre part, mener une réflexion sur l'usage pédagogique plein du document patrimonial : quelle doit être sa place dans l'argumentaire ? Comment rendre disciplinaire, donner une dimension historique nouvelle à ce qui n'est encore le plus souvent, en classe, qu'un apport pédagogique ?


Auschwitz

Les commémorations : devoir civique ou devoir de mémoire ?

Il y a toujours eu des commémorations, mais les choses ont changé de nature avec la Seconde Guerre mondiale, car elle a d'emblée été tenue pour porteuse de leçons de morale et de civisme. Un appareil de commémorations a été mis en place dès la fin de la guerre : loi instituant la journée de la Déportation, organisation du concours national de la Résistance devenu concours national de la Résistance et de la Déportation, création et diffusion du film Nuit et Brouillard. En France, il y a donc aujourd'hui quatre journées nationales commémoratives pour la seule Seconde Guerre mondiale : la journée de la Déportation ; le 8 mai ; le 16 juillet ; le 27 janvier (ouverture du camp d'Auschwitz), journée européenne créée récemment par le Conseil de l'Europe pour commémorer la Shoah.

Il convient également de réfléchir au rôle joué par les centres de la mémoire, Caen, Oradour-sur-Glane, Péronne, Saint-Omer, demain le Mémorial d'outre-mer à Marseille. Ce sont des lieux financés par les collectivités locales qui ont aussi une fonction touristique. Aussi la mémoire envahit-elle l'histoire puisque, sous l'influence de groupes de pression divers, l'appareil commémoratif a été mis en place avant l'écriture de l'histoire de la guerre.

Celle-ci se heurte par ailleurs à de nombreuses difficultés : premièrement, le poids des "témoins" qui pèse sur l'écriture, d'abord les résistants, puis les déportés, avec le danger de la fascination pour ce que racontent les témoins, en sachant bien aussi que tous les témoins ne sont pas interchangeables. En classe, les témoins peuvent créer de magnifiques moments d'émotion, mais cela nécessite un important travail de préparation non seulement en amont mais aussi en aval. Deuxièmement, l'impératif de comprendre, comme nous l'enseigne Marc Bloch, doit suivre les règles de notre métier consignées dans son Apologie pour l'Histoire ou le métier d'historien et dans L'Étrange défaite : "L'Histoire doit nous permettre de penser le neuf et le surprenant." Troisièmement, la difficulté à gérer le conflit entre l'impératif du travail de compréhension et le discours sur l'interdit de la compréhension, imposé notamment par Claude Lanzmann dans son film Shoah selon lequel Auschwitz serait hors de l'histoire, hors du temps, hors de la pensée. Enfin, quatrièmement, le surgissement de la mémoire régionale, dans les DOM-TOM par exemple à propos de la question de l'esclavage, mais aussi en métropole (par exemple en Ardèche). C'est un enjeu à moyen terme pour les collectivités territoriales et la question va rebondir avec la montée de l'enseignement du fait religieux et des langues régionales.

Jean-Pierre Rioux, inspecteur général de l'Éducation nationale - Annette Wievorka, directrice de recherche au CNRS

 

Allez plus loin :

 

Ukraine : le changement de ton du Kremlin

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Edito du Monde. Une fois de plus dans la crise ukrainienne, c'est Vladimir Poutine qui a l'initiative. Le président russe souffle le chaud et le froid avec maestria. Il donne le ton dans la mini-guerre froide qui s'installe en ce début de XXIe siècle

 

La vague de manifestations qui secoue l'Ukraine depuis novembre 2013 a conduit à la destitution le 22 février du président Viktor Ianoukovitch. Cette crise est le symbole d'un clivage au sein de la population ukrainienne. Mais d'où provient ce tiraillement ?

En milieu de semaine, mercredi 7 mai, l'homme du Kremlin a changé de discours. Il a tenu des propos conciliants qui marquent un revirement, au moins rhétorique. Il a demandé aux séparatistes prorusses de l'est de l'Ukraine de repousser le référendum d'autodétermination qu'ils ont prévu de tenir le 11 mai. Il a promis de retirer les 40 000 soldats russes massés à la frontière.

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Plus significatif peut-être, M. Poutine a renoncé à parler du gouvernement de Kiev comme d'une « junte fasciste ». Alors qu'il jugeait « absurde », jusqu'à présent, d'organiser, comme le souhaitent les autorités de Kiev, une élection présidentielle le 25 mai, il qualifie de « pas dans la bonne direction » le projet d'un prochain scrutin.

Dans les mots au moins, c'est une approche radicalement contraire au discours tenu jusque-là et qui laisse espérer la possibilité d'une négociation. Elle serait la bienvenue. Chaque jour, les affrontements entre les deux camps – prorusses de l'Est et du Sud-Est, forces loyales au gouvernement de Kiev – entraînent l'Ukraine plus avant sur le chemin de la guerre civile.

Restent les actes. Pour l'heure, les Etats-Unis et l'OTAN disent n'avoir noté aucun retrait des troupes russes à la frontière ukrainienne. Elles seraient toujours prêtes à envahir l'est du pays.

LES GRANDES LIGNES D'UN FÉDÉRALISME

Après avoir joué l'apaisante partition de mercredi, certaines sources prêtaient à Vladimir Poutine le projet, vendredi 9 mai, d'une rapide visite, en Crimée, aux allures de provocation : cette région appartient à l'Ukraine, au regard du droit. Pour donner des signes d'apaisement et de « désescalade », il y a mieux.

Vient ensuite la question des élections du 25 mai. Elles sont essentielles pour conférer plus de légitimité aux autorités de Kiev, investies par le Parlement au lendemain de la fuite du précédent président, Viktor Ianoukovitch.

M. Poutine semble en convenir. Mais, si l'on comprend bien ses propos, plutôt sibyllins, il entend que Kiev pose auparavant les grandes lignes d'un fédéralisme qui conférerait une large autonomie aux régions de l'Est, notamment.

Autrement dit, la Russie donne deux semaines à Kiev pour formuler, à l'adresse des séparatistes prorusses, des garanties quant à une décentralisation poussée du pays.

Pourquoi pas ? Mais cela suppose auparavant que les séparatistes déposent les armes. En contrepartie, les autorités de Kiev interrompraient leur piètre tentative de reconquête des villes de l'Est par la force.

Les porte-parole du Kremlin jurent qu'ils n'ont pas d'influence sur les séparatistes prorusses. C'est manifestement faux. Quand le Kremlin a – tardivement – exigé que les insurgés de l'Est libèrent les médiateurs de l'OSCE qu'ils avaient pris en otage, ils l'ont fait.

Au fond, peu importent les raisons qui ont incité M. Poutine à changer de discours – peut-être la peur des sanctions économiques. Il faut maintenant le prendre au mot. Et exiger des actes.

Massacre de Lidice

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Lidice (Liditz en allemand) est un village de l’ancienne Tchécoslovaquie (aujourd'hui en République tchèque) qui fut complètement détruit par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Environ 340 hommes, femmes et enfants furent tués. Après l'assassinat de Reinhard Heydrich par deux agents tchèques formés en Angleterre, les nazis se vengent en rasant le village de Lidice et en éliminant l'ensemble de ses habitants.

Massacre de LidiceMassacre de Lidice

Massacre de Lidice

Pour justifier le massacre, les nazis ont accusé les habitants d'avoir soutenu les auteurs de l'attentat. En réalité, les liens entre Lidice et la résistance sont assez flous : deux officiers originaires du village se seraient enfuis à l'étranger ; une lettre saisie par les nazis indiquerait que son auteur, venu de Lidice, a décidé de rejoindre la résistance. Les nazis ne surent jamais s'il y avait un lien entre l'auteur de la lettre et les assassins de Reinhard Heydrich, et Lidice servit de bouc émissaire. Le 10 juin 1942, un détachement de la 7ème Division SS "Prince Eugène", que commandait le Hauptsturmführer Rostock, cernait le village. Tous les hommes de plus de 16 ans et une partie des femmes sont fusillés. Les autres femmes sont déportées à Ravensbrück.

Les enfants sont sélectionnés :

 

  • Une centaine dont le type physique correspond aux critères de la « race aryenne » suivant les théories nazies sont placés dans des familles allemandes pour être rééduqués, au travers du Lebensborn.
  • Les autres partent au camp d'extermination de Chełmno, où ils meurent dans les chambres à gaz.


Le village est d'abord incendié, puis en quelques mois de travaux, le terrain est nivelé à la dynamite, les pierres enlevées, l'étang comblé, la route et la rivière détournées, tandis que le cimetière est vidé de ses morts. Lidice ou Mémorial pour Lidice (H. 296) est une œuvre symphonique composée par Bohuslav Martinů, elle est créée le 28 octobre 1943 à New-York. Reconstruit sous le régime communiste, le village est ensuite utilisé par celui-ci comme symbole.

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