Thérèse Gendebien a deux ans lorsque sa famille dont le père est diplomate s’installe en Rhénanie. Elle passe son enfance en Allemagne, puis en Autriche. Elle a six ans lorsque son père meurt. Elle prend des cours de violon et de piano au conservatoire de Vienne. Sa famille habite ensuite à Marseille. Elle rêve de devenir écuyère, et l’amour des chevaux ne la quittera jamais, mais c’est sur les planches qu’elle monte très tôt. « Je crois avoir toujours chanté, petite fille, je chantais devant les miroirs en faisant des grimaces à mon image ». Avec sa voix de contralto, on l’avertit qu’à l’opéra peu de rôles existent. Pensant que c’était insuffisant pour vivre, elle se tourne vers le music-hall.
À quinze ans, elle triomphe au concours Artistica à l’Alcazar de Marseille et à seize ans, sous le nom de Rita Karoly, elle forme un duo avec un chanteur en interprétant des chansons fantaisistes. Mais son premier désir était de devenir avocate. Il est plus vraisemblable qu'ainsi elle évite de parler de sa première partie de carrière sous le nom de Rita Karoli où elle faisait des numéro de danse et d'acrobatie, ce qu'elle nia jusqu'à ses cent ans : avocate, pas acrobate. Cette coquetterie amusait beaucoup les Marseillais qui avaient assisté à ses débuts au music hall.
À 19 ans, elle épouse le chanteur Raymondey (Raymond Gérard). En 1932, elle chante au Caire, au cabaret Le Perroquet puis, de retour à Paris, à l’Alhambra l’année suivante, et au Petit Casino en 1934. Elle adopte alors le nom d’artiste de Léo Marjane « Marjane était la compression de Marie-Jeanne4, » puis accompagne son époux à Paris où elle se produit à Bobino, à l’ABC et chez O'dett en 1931. Elle se fait remarquer par sa voix chaude et envoûtante de contralto, et par sa diction parfaite, au phrasé très moderne. Il est permis de penser que le prénom Léo est l'abréviation de Léonie. Mais les versions provenant de l’intéressée divergent d'une interview à l'autre.
Dès 1931, après des essais d’enregistrement infructueux chez Gramophone, elle grave ses deux premières plages pour Columbia, Les Prisons et Paris-Noël. Elle enregistre ensuite C'est la barque du rêve (1936), La Chapelle au clair de lune - In the Chapel in the Moonlight (en) (1937), son premier grand succès. Cette chanson la propulse au devant de la scène, et c’est Henri Bérard, à l’époque patron de Marconi qui la rappelle à Paris d’urgence, alors qu’elle se trouve en tournée au Brésil avec sa mère. Elle rentre pour enregistrer Begin the Beguine et Night and Day (1938), pour Pathé-Marconi, et entame une grande carrière à la scène. Léo Marjane considère que sa discographie démarre réellement avec la Chapelle, balayant les deux premiers 78 tours d'un lapidaire ce n'étaient que des essais de voix. Elle reste volontairement imprécise sur la période 1932-37, indiquant simplement avoir vécu sa vie lors d’une interview sur France Culture en septembre 2012.
C’est au cours de l’enregistrement d’un disque au Studio Cognac Jay, qu’elle a l’idée d’amortir certaines syllabes en couvrant le micro de son bas de soie : un procédé si efficace qu’il est encore utilisé de nos jours. Elle met ensuite le cap sur les États-Unis et sillonne le pays pendant cinq ans. Elle est une des rares chanteuses françaises à interpréter des adaptations d’œuvres de compositeurs américains comme Harold Arlen, Hoagy Carmichael, Sam Coslow, Jimmy McHugh, Cole Porter, Jimmy Van Heusen, Harry Warren, Allie Wrubel et Duke Ellington. « Je peux dire que j’ai introduit le jazz en France. Dans les années trente, nous étions, Jean Sablon, Jacqueline François et moi, les trois artistes français qui venions chaque année chanter aux États-Unis, où chaque hôtel avait son cabaret. C’est ainsi que j’ai découvert le jazz. »
Elle enregistre de nombreux titres dont Over the Rainbow ou Begin the Beguine de Cole Porter. De retour en France pendant l’Occupation allemande, Marjane devient une des plus grandes vedettes de la France occupée. Elle se produit au Concert Pacra en 1941. Elle dirige son propre cabaret, L’Écrin, près de l’Opéra, puis Chez Léo Marjane, et se produit aussi dans d’autres salles à la mode, comme le Casino Montparnasse et les Folies-Belleville. En 1942, elle remporte un immense succès avec la chanson Seule ce soir, dans laquelle se reconnaissent les centaines de milliers de femmes françaises dont le mari est prisonnier de guerre en Allemagne ; elle accède ainsi au vedettariat.
À la Libération, Léo Marjane est poursuivie par les Comités d’épuration pour avoir chanté dans des établissements fréquentés par des officiers allemands, « Je ne pouvais pas empêcher les Allemands d’entrer. J’étais connue, célèbre, il était inévitable que j’aie beaucoup d’ennemis. Les Français ont eu honte d’eux-mêmes, alors ils en ont voulu à ceux qui étaient sur le devant de la scène. », ainsi qu’à Radio-Paris. « J’aimerais bien savoir qui n’a pas chanté ? Et ceux qui prétendent ne pas l’avoir fait n’ont pas de mémoire. Il fallait que je gagne ma vie ». Elle est arrêtée et jugée, puis finalement acquittée, mais sa notoriété et son image sont durablement atteintes.
Dans un entretien à l’occasion de son centenaire, elle dévoile : « Mon mari, le colonel Charles de Ladoucette, que j’ai épousé en 1948 et qui à l’époque était lieutenant, faisait partie d’un réseau de la Résistance dirigé par le colonel Rémy. Et c’est moi, Marjane, qui ai entretenu financièrement ce réseau » « On a dit beaucoup de bêtises sur moi, ils ont voulu me démolir, (…) Quand on est en haut de l’affiche, on essaie de vous descendre, mais pourquoi démentir quand ce n'est pas vrai ? » En 1948, Marjane épouse en secondes noces le baron Charles de Ladoucette (1912-2007), colonel et écuyer du Cadre noir, partageant une passion commune pour les chevaux4. De cette union naît Philippe de Ladoucette.
Sous le nouveau nom de Marjane, – elle déteste Léo qui lui a été imposé par un producteur et qu’elle abandonne en 1950. Dès 1944, certaines affiches mentionnent déjà le seul nom de Marjane– « j’ai supprimé Léo, considéré en Amérique où je me produisais souvent, comme un prénom d’homme, en France aussi d’ailleurs, et je suis restée Marjane. » elle tente de relancer sa carrière, avec Mademoiselle Hortensia de Louiguy et Jacques Plante, Mets deux sous dans l’bastringue de Jean Constantin, Je veux te dire adieu de Gilbert Bécaud, et son interprétation de Secret Love de Doris Day et de Monsieur mon passé de Léo Ferré mais « elle ne tient pas longtemps sous le feu des critiques. »
En 1949, elle abandonne la scène mais continue d’enregistrer. Elle apparaît parfois au Brésil, aux États-Unis ou au Canada, où elle a animé toute une série d’émissions de télévision musicales, qu’elle double également en anglais, intitulées Quartiers de Paris / District of Paris et dont des archives subsistent à Radio-Canada. cette partie de carrière resta ignorée en France, où elle est frappée d'interdiction de travailler pendant les années qui suivent la guerre, et jusqu’en 1951 ses disques conservés dans les archives de Radio France sont tous estampillés censuré. En Amérique, elle connaît un gros succès, notamment à Québec, mais il est trop tard pour recommencer une carrière ; elle fait une rentrée remarquée à Paris en 54 au Moulin Rouge. Jacqueline François lui obtient un contrat de disques chez Véga alors que le 33 tours Pathé (1954) était resté sans suite. Elle chante jusque 1961, et se produit notamment au Sportpalaz de Berlin, avec Zarah Leander au programme ; elle a également chanté en Allemagne de l'Est, accompagnée par les Chœurs de l'Armée rouge. Mais le métier changeait. Après une rentrée en 1959 à Pacra où elle ne tient que quelques jours à l'affiche, en dépit de ses réelles qualités d'interprète, elle comprend que son tour est passé; elle tentera toutefois un come-back en 1969 qui n'eut aucun retentissement, renonçant par la suite totalement au métier et se murant dans un silence assourdissant jusque 2001, où elle accorde une interview à Martin Pénet pour France Musique.
En 1943, Léo Marjane débute à l’écran dans le film Feu Nicolas, une comédie de Jacques Houssin avec le comique Rellys . Elle y chante deux superbes blues du futur mari de Line Renaud, Loulou Gasté avec une puissance et une présence remarquables. En 1950, Marjane est la tête d’affiche du film Les Deux Gamines (1951), de Maurice de Canonge, une adaptation d’un mélodrame, qui avait fait couler beaucoup de larmes autrefois. En fait, la chanteuse chante deux chansons puis disparaît pendant les trois-quarts du film (le personnage qu’elle incarne, Lise Fleury, disparaissant dans un accident d’avion). Marjane n’y apparaît qu’au début et à la fin. On la retrouve dans un petit rôle de chanteuse des rues dans Elena et les Hommes (1956), dirigé par Jean Renoir, et elle prête aussi sa voix à une chanteuse de cabaret dans la version française de Love in the Afternoon de Billy Wilder, en 1957.
Marjane cesse de chanter en 1958. « Quand ce n’est plus l'heure, ce n’est plus l’heure. (…) Certains partent trop tôt, d’autres trop tard. Je n'avais plus rien à faire dans ce métier », mais ses disques, dont les droits voisins sont désormais dans le domaine public pour la plupart, sont toujours réédités en compilations. Marjane, aujourd’hui centenaire, s’est consacrée depuis à sa famille et à sa première passion, l’équitation et l’élevage de chevaux à Barbizon près de Fontainebleau dans le Gâtinais.